Processus de construction identitaire de jeunes adultes en situation de pauvreté dans un contexte de raccrochage scolaire : voies d'émancipation?

Abstract

L’objet de cette recherche est la construction identitaire des jeunes adultes de 18 à 25 ans en situation de pauvreté dans un contexte de raccrochage scolaire. Parmi d’autres facteurs de décrochage scolaire au niveau micro, méso et macrosociaux, l’origine socioéconomique est déterminante. Les personnes qui n’obtiennent pas de diplôme d’études secondaires au Québec ont plus de chances d’être des travailleurs pauvres. Certains jeunes adultes qui décident de raccrocher dans les Centres d’éducation des adultes (CEA) réussissent à obtenir un financement d’un programme de retour en formation de la main-d’œuvre administré par le Ministère du Travail, de l’Emploi et la Solidarité sociale. Les jeunes adultes qui sont inscrits à ce programme importent un passé incorporé d’épreuves sociales et composent avec une situation de pauvreté au moment d’opérer un retour en formation. Plusieurs de ces personnes ne persévèrent pas jusqu’à l’obtention du diplôme. L’objectif de cette recherche est de soutenir l’action dans le domaine du raccrochage scolaire en offrant une compréhension approfondie du processus de construction identitaire des jeunes adultes en situation de pauvreté dans un Centre d’éducation des adultes. Le cadre théorique adopté dans cette recherche est principalement inspiré de l’approche clinique en sciences humaines. Cette recherche constitue donc un regard compréhensif et global sur l’ensemble des rapports sociaux participant de la construction identitaire de dix personnes en processus de raccrochage scolaire âgées entre 18 et 25 ans. L’approche méthodologique est principalement biographique. Cet outil a permis de découvrir les épreuves liées à la position sociale qu’ont occupée les jeunes adultes dans leurs histoires de vie. L’approche ethnographique menée en pratiquant des activités d’observation participante et de go-along method a facilité la création d’un lien de confiance avec les personnes. Ces deux approches combinées ont permis de recueillir un volume de données important, permettant d’offrir une compréhension globale de l’objet. L’interprétation de l’ensemble des données récoltées permet d’offrir une compréhension du processus de construction identitaire des jeunes adultes en situation de pauvreté dans un contexte de raccrochage scolaire. Les personnes se sont développées dans des familles qui ne leur ont pas permis de développer une confiance de base, sentiment préalable à la vitalité mentale. À l’école secondaire, la plupart ont intégré une culture anti-école leur permettant de se protéger des humiliations vécues. Pour certains, les épreuves vécues à l’école sont intimement liées aux rapports sociaux de genre qui les ont construits. Vers la fin de l’adolescence, les jeunes ont vécu un moratoire psychosocial déterminé par leur position sociale. Plusieurs ont adopté une identité négative pour se venger de la violence vécue dans la famille et au sein des pairs. La violence et la honte caractérisent le rapport à soi de plusieurs jeunes adultes. Le raccrochage scolaire, étant donné les situations vécues et actuelles, apparaît comme un combat pour l’émancipation. Le financement et l’accompagnement dont ils bénéficient leur permettent de stabiliser leur cadre d’action sans toutefois se sortir de la pauvreté. Cette recherche permet d’identifier plusieurs besoins psychosociaux et d’envisager quelques pistes d’accompagnement dans les CEA.

The object of this research is the process by which young adults build their identity in a living in poverty in the context of adult education. Among factors influencing school dropout rates at micro, meso and macro-social levels the socio-economic origin is decisive. People who do not obtain a high school diploma in Quebec have a more chance of being working poor. Some young adults who drop out succeed in obtaining funding from a workforce training return program administered by the Ministry of Labor, Employment and Social Solidarity. Young adults who are enrolled in this program import a past embedded (Lahire, 2012) with social hardships (Martucelli, 2006) and are living in a situation of poverty when they return to school. 50% of people aged 16 to 19 who re-enroll do not persevere until graduation (Langevin et al., 2006). The purpose of this research is to support action in the field of school re-entry by providing a thorough understanding of the process of identity construction of young adults living in poverty in an Adult Education Center. By adopting a clinical posture in the social sciences, this research constitutes a comprehensive and global view of all social relations involved in the identity construction of ten people in the process of school re-entry, aged between 18 and 25 years old. The biographical approach has revealed the challenges related to the social position occupied by young adults during the creation of their life stories. The ethnographic approach conducted through participatory observation and go-along methods facilitated the creation of a relationship of trust with the participants. These two combined approaches have had clinical repercussions for the people who participated in this research. The interpretation of all the collected data makes it possible to develop a model of the process of identity construction of young adults in a situation of poverty in a context of school re-entry. The participants were raised in families that denied them the opportunity to develop a basic trust, a sentiment which is a prerequisite to mental vitality. In high school, most incorporated an anti-school culture to protect themselves from humiliation. For some, their experiences at school are intimately linked to the social gender relations that shaped them. Towards the end of adolescence, these young people experienced a psychosocial moratorium determined by their social position. Many have adopted a negative identity as revenge for violence experienced in their family and among peers. Violence and shame characterize the self-image of many of them. School re-entry, given their current and actual situations, appears as a fight for emancipation. The financing and support they receive helps them to stabilize their framework of action without, however, removing them from their situation of poverty. This research identifies several psychosocial needs and reflects upon changes that could be made in the conditions that are offered to young adults re-enrolling in school.