Le concept classique d’espèce clé de voûte et les éthiques écocentrées : pour une approche pragmatiste et féministe du rôle des valeurs dans les sciences de l’écologie

Abstract

Cette thèse questionne la place des valeurs éthiques dans le débat scientifique autour du concept écologique d’espèce clé de voûte, à partir du lien qui unit la version classique, historique, de ce concept – tel que développé par l’écologue Robert T. Paine dans les années 1960/1970 – et les éthiques environnementales écocentrées/istes inspirées de l’éthique de la terre d’Aldo Leopold. Sur la base d’une conception pragmatiste et féministe du contenu et de l’usage des concepts dans les sciences de l’écologie et de la conservation, élaborée à partir des travaux d’Ingo Brigandt et d’Helen Longino, la thèse défendue est qu’il est à la fois requis et légitime de tenir compte de l’ensemble des croyances constitutives du concept d’espèce clé de voûte (épistémiques, plus-qu’épistémiques et non-épistémiques), ceci afin de juger du caractère adéquat et/ou souhaitable des changements opérés sur celui-ci par les communautés de recherche et/ou d’action qui en ont l’usage. Couplée à une analyse historique et philosophique du concept classique d’espèce clé de voûte, cette approche pragmatiste et féministe permet de rejeter certaines versions contemporaines du concept d’espèce clé de voûte et de soutenir la possible réhabilitation de sa version classique. Je soutiens que pareille réhabilitation exige, néanmoins, de clarifier le contexte d’usage de ce concept et les considérations éthiques et politiques qui touchent à la protection d’espèces animales non-humaines prédatrices et de certains milieux écologiques historiques – deux sources de tension entre philosophies animales et environnementales occidentales que la présente thèse contribue à résoudre.

This dissertation questions the place of ethical values in the scientific debate which surrounds the ecological concept of keystone species through a philosophical analysis of the relationship between the classical, historical version of this concept – as developed by the ecologist Robert T. Paine in the 1960s/1970s – and the ecocentric/ist environmental ethics inspired by Aldo Leopold's land ethics. Drawing on the philosophical work of Ingo Brigandt and Helen Longino respectively, this work argues for a pragmatist and feminist conception of the content and use of concepts in the ecological and conservation sciences. This conception allows me to defend that it is both necessary and legitimate to take into account the set of constitutive beliefs of the keystone species concept (epistemic, more-than-epistemic and non-epistemic beliefs) in order to evaluate the adequacy and/or desirability of the changes made by the scientific communities, research and/or action-oriented, that use it. Together with a historical and philosophical analysis of the classical keystone species concept, this particular pragmatist and feminist approach makes it possible to reject some contemporary versions of the keystone species concept and to support the possible rehabilitation of its classical version. I argue that such a rehabilitation requires, nevertheless, to clarify the context of use of the keystone species concept, as well as to acknowledge the ethical and political considerations relating to the protection of non-human predatory animal species and of some historical ecological environments – two sources of tension between Western animal philosophy and Western environmental philosophy this dissertation contributes to resolve.