Éléments pour une esthétique de la chair : l'art tel un boucher au temps de la viande libre
Thèse ou mémoire
2017-03 (octroi du grade: 2018-03-21)
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Cycle d'études
DoctoratProgramme
Littérature comparéeRésumé·s
À l’extérieur des villes, les abattoirs sont des lieux où la cruauté qui est aux fondements de nos sociétés reste cachée. Là, la chair de l’animal, mené avec le troupeau pour être égorgé, par sa transformation en viande est réifiée et oubliée, perd son caractère particulier et individuel, devient propre à une consommation sans remords. La même réification atteint aujourd’hui l’homme. Dans sa dépendance à la technique, dans sa volonté de ne pas voir et de dissimuler à son propre regard les cruautés qui inévitablement heurtent sa chair, de neutraliser tout affect, l’homme est devenu « chose », « viande à abattre », individu perdu, inconscient, au sein du troupeau. Un nouvel idéalisme l’éloigne toujours plus de la réalité matérielle pour le conduire vers une abstraction rassurante où la violence et la mort lui sont épargnées. Face à cet engourdissement et à cet aveuglement de la conscience, seul l’art est à même de réveiller la chair en son ambiguïté, en sa vie, et de donner à voir du réel la cruauté refoulée: non pas la science ou la philosophie, qui dans l’élaboration de leurs concepts nient la réalité concrète du particulier (soit la possibilité de sa douleur), mais un art qui s’attache à représenter de façon sans cesse nouvelle ce réel changeant et multiple.
Cette thèse veut par conséquent penser et théoriser une esthétique de la chair comme potentiel de résurrection de la chair réifiée (savoir : la viande) par l’art ayant su rendre concrète la vérité. L’esthétique de la chair (des œuvres d’art représentant une certaine cruauté) s’oppose donc à une esthétique de la viande (l’art dissimulant cette cruauté, n’arrachant pas le corps à son abstraction, à sa viande). Ce sont les figures, récurrentes, et toujours davantage à
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mesure qu’on avance dans le XXe siècle, de l’abattoir, de la viande, de la chair techno-réifiée, dans la littérature et la philosophie modernes et dans l’art visuel (dans les œuvres de Kafka, de Döblin, de Bacon, de Franju et de Pynchon, etc.), qui m’ont permis d’élaborer cette esthétique de la chair. L’horreur produite par les œuvres de mon corpus n’est pas vaine provocation. Mais prise de conscience, savoir, contact avec une cruauté que l’on peut chercher à oublier, ce qui est bien naturel, mais qu’il faut pourtant reconnaître si l’on ne veut s’y livrer malgré soi. Il y a dans l’horreur mise en scène par ces œuvres quelque chose de l’ordre d’une vérité, qu’il faut reconnaître pour pouvoir la dépasser. L’esthétique de la chair se met au service d’une telle vérité et de son possible, de son impossible dépassement. Out of the cities, slaughterhouses are places in which cruelty, a cruelty fondamental to our societies, is concealed, remains unseen, as if not existing. There, the animal, led to be slaughtered, is transformed from flesh to meat: its flesh, reified, bloodless and abolished in the process, into a guiltless to be swallowed product. The same thing, the same reification is happening to man. In his relation to technology, in his will to not-see and to screen away, at least from his own gaze, cruelties which hurt him in his flesh, to neutralize all affect, man has become a « thing », « meat in the making », lost himself, mindless, one with the cattle. A new idealism takes him away from material reality – to drive him toward a reassuring abstraction where, so he thinks – without really thinking, he is safe from violence and death. In the face of this numbing and blinding of the mind, art only can awake the flesh to all its ambiguities, its life, and can make visible reality’s repressed cruelty: nor science nor philosophy, which tends to subsume any particular and concrete reality (pain becoming a concept of pain), but an art that represents this reality in a constantly new and changing way.
This thesis strives to think theorize conceptualize an aesthetic of the flesh as a potential resurrection of the reified flesh (i.e. meat) by art that concretizes reality. The aesthetic of the flesh (of works of art depicting forms of cruelty) wants to oppose an aesthetic of the meat (the art concealing cruelty, leaving the body to his abstraction, to his free meat). It is the figures, always ever more present as the 20th century advances, of the slaughterhouse, the meat, the techno-reified flesh, in modern literature, philosophy and visual arts (in the works of Kafka, Döblin, Bacon, Franju, Pynchon, etc.), that will help me create and conceptualize this aesthetic of the flesh. Horror produced by these works of art is not vain provocation. But an awareness, a knowledge of a cruelty that we tend, it’s only natural, to repress but that we have to acknowledge if we don’t want to be unknowingly subject to its devise. There is in the horror staged by these works something of a truth, that we have to recognize if we want to go beyond it. The aesthetic of the flesh endeavours to such a truth and its possible, its impossible going further.
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