L'échange de données informatisé selon la loi française

Thierry PIETTE-COUDOL (*)


 

 I. INTRODUCTION : LA LOI FRANCAISE ET L'EDI

La France ne possède pas de textes juridiques de haut niveau, Lois ou Règlements, organisant ou même reconnaissant l'existence de l'Echange de Données Informatisé (EDI). Pourtant on peut noter dans la législation trois textes qu'on peut porter indirectement au crédit de l'EDI. Ces textes ne visent pas directement les échanges électroniques, mais s'attachent aux aspects formalistes de certains documents, dans une approche traditionnelle des systèmes juridiques de droit civil. Ils visent la facture, la déclaration d'échanges de bien, la déclaration administrative. Pour les 3 documents, la Loi permet de déroger à la forme écrite c.a.d. au formalisme juridique qui préside à la formation de ces documents ; elle en autorise la dématérialisation.

Le principe de la dématérialisation acquis (abandon de la forme écrite) se pose la question de la forme électronique de substitution. Le texte qui traite de la facture est le seul àouvrir la voie à l'EDI et encore, dans un texte d'application et sans le nommer directement. Les deux autres permettent l'emploi de plusieurs types de forme électronique en sus de l'EDI. Les 3 documents et les textes correspondants sont :

i) La facture : l'article 47-I de la Loi de Finances Rectificative pour 1990 (LFR) déclare (1) :

"Pour l'application des articles 286 et 289 du Code Général des Impôts, les factures transmises par voie télématique constituent (...) des documents tenant lieu de facture d'origine".

ii) la Déclaration d'échange de biens : l'arrêté du 19 décembre 1994 portant approbation du cahier des charges pour la transmission par voie informatique de la déclaration d'échanges de biens (DEB) prévoit dans son article 1(2) :

"Les déclarations d'échanges de biens (...) peuvent, sur autorisation de l'administration et dans le cadre d'une convention particulière, révocable à tout moment, être transmises par voie informatique (...) "

iii) Les déclarations administratives : l'article 4 de la Loi n[[ring]]94- 126 du 11 février 1994 relative à l'initiative et àl'entreprise individuelle (dite "Loi Madelin") prévoit(3) :

"I. Toute déclaration d'une entreprise destinée à une administration (...) peut être faite par voie électronique, dans les conditions fixées par voie contractuelle."

 

 II- LA DÉMATERIALISATION ET LA LOI FRANCAISE

Malgré le caractère disparate de ces 3 textes, ils soumettent la dématérialisation des documents (A), au respect de certaines conditions techniques et administratives (B).

 

 A - Du régime documentaire au dispositif électronique

La loi permet la dématérialisation de la forme écrite dans le respect des caractéristiques substantielles du document. A leur tour, l'EDI ou tout autre forme électronique de substitution devront également les respecter.

1) Le document

Une forme électronique sera substituée à la forme écrite de chaque document concerné. Mais ce sera la seule concession ; les autres éléments du régime juridique du document doivent être respectés.

Les 3 documents ont naturellement des vocations différentes. La facture est délivrée à l'occasion de tout achat de produits et prestation de service pour une activité professionnelle. La DEB est un document de création récente, statistique et douanier, qui doit être rempli par tout importateur à l'entrée du territoire de l'espace économique européen. La déclaration de la Loi Madelin est le document dont le domaine est le plus large. Il s'agit de toute déclaration fournie par une entreprise à une administration àla demande de cette dernière : déclaration fiscale, sociale, statistique, douanière, formulaires et déclarations diverses dans le cadre des marchés publics et des achats publics...

2) Forme électronique de substitution et EDI

Sur la question de la forme électronique qu'on va substituer à la forme écrite, grâce à la dématérialisation prévue par la loi, les 3 textes montrent des positions différentes : l'article 47 de la LFR sur la facture ne permet que l'EDI alors que pour les deux autres, l'EDI n'est qu'une modalité technique parmi d'autres.

Ni l'article 47 de la LFR ni son décret d'application ne disent quelle technologie pourra prendre en charge la forme dématérialisée. En lisant dans le texte que "les factures transmises par voie télématique constituent (...) des documents tenant lieu de facture d'origine" on pouvait conclure que toutes les technologies étaient bonnes. Il a fallu attendre l'instruction fiscale pour apprendre que le "message électronique" utilisé en lieu et place de la facture écrite devrait être rédigé selon une "norme de syntaxe homologuée" comportant une structuration interne. Or, seul l'EDI possède une normalisation de syntaxe homologuée au niveau international.

Cette exigence d'une représentation structurée n'est pas une fantaisie du législateur. Il s'agit d'une garantie et d'un moyen de contrôle que la forme dématérialisée réponde aux autres exigences documentaires, en particulier les mentions obligatoires que doivent comporter le document à peine d'irrégularité voire de nullité. La facture est dans le droit français un des documents qui comprend un grand nombre de mentions obligatoires.

Par contre, l'arrêté du 19 décembre 1994 envisage minutieusement les technologies et vecteurs de transmission utilisables dans son article 1 : transmission de supports magnétiques, EDI, messagerie X400, Minitel. Enfin, l'article 4 de la Loi Madelin est le plus général quant au vecteur de la transmission. En faisant référence à la "voie électronique", il ouvre largement l'utilisation de tout type parmi les technologies de l'information et de la communication. Toutes les technologies rendant la transmission matérielle ou immatérielle peuvent être utilisées : disquettes ou bandes informatiques, télécopies, minitel, télex, EDI, messagerie électronique, transferts de fichiers etc...

 

 B - Les conditions de passage au dispositif électronique

Les conditions de passage au dispositif électronique sont de deux natures. Tout d'abord si la forme dématérialisée est autorisée par les textes, il ne faut pas qu'elle puisse être altérée pendant la transmission électronique. Ensuite, on remarquera la présence de l'administration dans le cycle de vie de chaque document concerné.

1) L'exigence de fiabilité et les conditions de sécurité

a) La fiabilité de la télétransmission

Dans l'EDI, il y a message électronique mais également transmission du message. De même, les 3 textes juridiques vont s'intéresser aux conditions de transmission. En fait, tous trois veulent la fiabilité du système de télétransmission, une fiabilité garantie par un bon niveau de sécurité.

L'instruction sur la facture est la première à l'énoncer : "en cas de télétransmission, la valeur probante des documents échangés dépend essentiellement de l'instauration d'un dispositif technique assurant au système une fiabilité équivalente à celle que procure l'impression des factures sur papier et permettant d'assimiler la facture transmise par voie télématique à un original". Selon le texte, le dispositif de télétransmission doit présenter le même degré de fiabilité qu'un dispositif de traitement de texte. Cette fiabilité sera démontrée ou plutôt garantie par le recours àdes moyens et procédures de sécurité. Certains "points de contrôle" sont exigés. Le système de télétransmission doit assurer les fonctionnalités suivantes :

- identité des messages émis et reçus,

- à la demande de l'administration, restitution des factures en langage clair et sur support- papier,

- édition sur support papier d'une liste récapitulative des messages échangés et de leur anomalies éventuelles.

La restitution des informations électroniques en langage clair est fixée par le Décret du 20 juin 1991 : les informations sont restituées sur tout support ; la restitution porte sur l'intégralité du message transmis. La liste récapitulative existe chez l'émetteur et le récepteur ; elle est éditée une fois par jour s'il y a eu télétransmission. Reste en cas de contrôle à pouvoir démontrer l'identité des messages émis et reçus. L'utilisateur pour démontrer en cas de besoins l'identité des messages recourra à des procédures de sécurité adaptées.

b) La sécurité de la transmission

Si le texte sur la facture se contente d'en appeler à la fiabilité du système de télétransmission, les textes concernant la déclaration administrative et la DEB viennent en amont de la fiabilité s'intéresser à la mise en pratique de procédures de sécurité. L'article de la Loi Madelin est le plus explicite lorsqu'il déclare en propos du contrat (d'interchange) passé entre l'entreprise et l'administration :

"Ce contrat précise notamment, pour chaque formalité, les règles relatives à l'identification de l'auteur, àl'intégrité, à la lisibilité et à la fiabilité de la transmission, à sa date et à son heure, à l'assurance de sa réception ainsi qu'à sa conservation."

Pourtant l'article n'est pas plus strict car il ne donne pas de définition de chacune des exigences de sécurité. Les parties au contrat devront en définir préalablement le contenu avant de décrire dans les clauses contractuelles comment ils y répondront.

L'arrêté de 1994 sur la DEB n'énumère pas l'ensemble des exigences de sécurité. Il s'en tient à quelques unes qu'il définit. Ainsi l'article 7 de l'arrêté décrit l'"identification" comme "la fonction permettant de s'assurer que l'information reçue a effectivement été transmise par un déclarant reconnu par le centre de collecte comme titulaire de l'autorisation". L'article 8 décrit "l'authentification" comme "la fonction permettant de s'assurer que la personne physique responsable de l'établissement de la déclaration d'échanges de biens a pris la responsabilité de la déclaration transmise par voie informatique".

Mais la suite de l'arrêté explique la prudence du législateur dans la Loi du 11 février 1994 : préciser les modalités de l'identification et de l'authentification nécessite de prendre en compte les technologies de communication avec pour conséquence, des réponses diverses. La Loi Madelin qui s'ouvre à toutes les technologies présentes et à venir ne précise pas quelles modalités peuvent recouvrir le respect de l'identification et l'authentification. Par contre, l'arrêté de 1994 qui énumère les technologies utilisables définit précisément les modalités de mise en oeuvre de l'identification et l'authentification.

La Loi Madelin et l'arrêté de 1994 énoncent l'intégrité comme exigence de la télétransmission. La Loi Madelin laisse les parties libres de définir l'intégrité, alors que l'arrêté pour la DEB fixe l'intégrité comme permettant au déclarant de "s'assurer que les données enregistrées par le centre de collecte sont identiques aux données qu'il a transmises" (art.9).

 

 2) Formalité administrative et légale pour la dématérialisation

Les 3 textes donnent une autorisation générale de dématérialisation. Mais il faut encore valider le processus électronique de substitution par un instrument juridique auquel l'administration est partie. Cet instrument varie selon la nature et les effets des documents visés par ces textes.

En ce qui concerne la facture, l'utilisation d'une forme dématérialisée n'est possible que sur autorisation de l'administration. il faut se rappeler que la facture est échangée entre les partenaires en EDI (liés par un accord d'interchange). L'administration n'intervient dans ce processus d'échange que dans l'éventualité d'un contrôle. Il faudra toutefois que les deux partenaires disposent d'une autorisation individuelle de la Direction Générale des Impôts (DGI) pour que cette dématérialisation soit reconnue par l'administration des Impôts, particulièrement en ce qui concerne les déductions de TVA.

La demande d'autorisation devra indiquer des renseignements de différentes natures. La description technique s'étend du système informatique des utilisateurs au message de structure homologué employé en passant par les applicatifs, les traducteurs EDI, les services de télétransmission employés et les dispositifs de sécurité. La description juridique présentera la nature et l'étendue des liens juridiques et économiques entre les partenaires à l'EDI et éventuellement les statuts du groupement auquel appartiennent les partenaires.

Pour la DEB électronique, une convention doit être passée entre l'entreprise intéressée et la direction nationale des statistiques du commerce extérieur. Cette convention se présente comme un contrat d'adhésion que l'administration passe avec l'entreprise. L'administration pourra se livrer àdes tests préalables concernant la conformité des moyens de transmission et des formats choisis, le respect des spécifications techniques, la validité des informations transmises, le respect des règles d'identification et d'authentification.

Pour l'échange de télédéclarations administratives entre l'entreprise et l'administration, il faut également passer une convention. C'est cette convention qui doit obligatoirement préciser les procédures de sécurité concernant l'identification de l'auteur, l'intégrité, la lisibilité et la fiabilité de la transmission, sa date et son heure, l'assurance de sa réception ainsi qu'à sa conservation.

 

 III - CONCLUSION : ET LA PREUVE ?

En guise de conclusion, on peut s'interroger sur la position de ces 3 textes par rapport à ce qui reste un problème fondamental pour l'EDI dans un pays de système juridique de droit latin, la preuve.

La dématérialisation reconnue par ces textes constitue une exception notable à la rigueur du formalisme juridique traditionnel. La Loi permet ainsi à titre d'exception de quitter le monde des formes écrites pour entrer dans le monde des formes électroniques. La preuve ne peut s'envisager qu'à l'aune de ce nouveau monde.

Comme l'affirme la Loi Madelin dans le 3ème alinéa de son article 4- I ;

"La réception d'un message transmis conformément aux dispositions du présent article tient lieu de la production d'une déclaration écrite ayant le même objet".

Le message électronique prend ainsi la place du document écrit correspondant, de telle sorte que toute considération de preuve ne peut s'appliquer qu'au message électronique. Quelle meilleure preuve administrer que l'"identité entre les messages émis et les messages reçus" ! Pour que l'identité soit réelle, le système de télétransmission doit être fiable, comme le dit l'Instruction fiscale sur la facture. De fiabilité, on en revient à Sécurité. La Sécurité sera la clé de voûte du dispositif technique et juridique.

 

Cybernews   Volume 1, numéro 1 ( hiver 1995 )


Notes:

(*) Thierry PIETTE-COUDOL,
Avocat à la Cour de PARIS
E-Mail : 100525.3331@compuserve.com

(1) Loi de Finances Rectificative pour 1990, J.O. (Journal Officiel de la République Française - Lois et Décrets) 29 décembre 1990. Textes d'applications : Décret n[[ring]]91- 579 du 20 juin 1991, J.O. du 22 juin 1991 et Instruction du 27 décembre 1991, B.O.I. (bulletin Officiel des Impôts) 3 E- 1- 92.

(2) Arrêté du 19 décembre 1994 portant approbation du cahier des charges pour la transmission par voie informatique de la déclaration d'échanges de biens (DEB), publié au JO du 27 décembre 1994 p.18438. Il remplace avec quelques modifications quant aux modalités techniques et à la passation des conventions avec l'administration un texte antérieur, l'arrêté du 26 janvier 1993 portant approbation du cahier des charges pour la transmission par voie informatique de la déclaration d'échanges de biens (DEB), JO du 18 février 1993.

(3) Loi n[[ring]]94-126 du 11 février 1994 relative à l'initiative et à l'entreprise individuelle dans son titre I intitulé "simplification de formalités administratives imposées aux entreprises", J.O. 13 février 1994 p.2493.


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