Lex Electronica

Revue électronique du Centre de recherche en droit public

Vers l’émergence d’une justice on-line

Emile Lambert OWENGA ODINGA (*)

Lex Electronica, vol. 7, n°2, Printemps / Spring 2002

<http://www.lex-electronica.org/articles/v7-2/owenga.htm>



Synopsis

The Internet has become an important tool for jurists. It makes it possible to create judicial information banks, law journals, discussion forums, publish papers, etc. The Web also facilitates legal research in allowing easy access to case law, as well as legal doctrine and laws.

But the Internet can also help in solving the conflicts which emerge between users, or between these same users and the different Web operators.

Cyberjustice already exists, but it remains on a small scale. One only needs to think of the WIPO Arbitration and Mediation Center, of the Virtual Magistrate, of the Online Ombuds Office, of the CyberTribunal or of ICANN.

If it is important to underline the efforts which have resulted in these different cyberjustice forums, it is also necessary to underline their limits. These different cyberjustice forums are all privately owned and remain unable of insuring that infractions will be punished. They also do not take into consideration the balance of power between telecommuters and employers, since they grant them the same rights when it comes to choosing a legal forum. Finally, cyberjustice, in its actual state, all too often puts justice aside in the name of celerity. Certain rights — like the right to an appeal  — are ignored.

These facts explain why it is necessary to establish more appropriate institutions designed to insure a certain level of order on-line.

It is with this in mind that the present paper offers examples of virtual jurisdictions, included one of repressive nature.

Résumé

Le réseau Internet s’avère être un outil important pour les juristes. Il rend possible la constitution d’une base de données juridiques, la création de revues de droit, la mise sur pied de forums de discussion sur les questions de droit, la diffusion d’ouvrages, etc. Le réseau Internet facilite les recherches en droit, car grâce aux bases des données, les juristes peuvent facilement accéder notamment aux textes légaux et réglementaires, à la jurisprudence et aux textes de doctrine.

Cependant, Internet peut également servir à résoudre les conflits qui surviennent dans les rapports entre les internautes ou entre les internautes et les opérateurs du réseau Internet.

La cyberjustice existe déjà, à petite échelle. L’on peut se permettre de mentionner le Centre de médiation et d’arbitrage de l’OMPI, le Virtual Magistrate, l’Online Ombuds Office, le CyberTribunal et le Règlement Uniforme de l’ICANN.

S’il faut saluer les efforts qui ont abouti à l’existence de ces instances de cyberjustice, il convient pourtant de reconnaître leurs limites. En effet, ces diverses formes de cyberjustice ont un caractère privé et demeurent incapables d’assurer la répression des infractions. Ensuite, elles ne tiennent pas compte du déséquilibre des rapports entre télétravailleurs et employeurs, puisqu’elles reconnaissent à ces deux groupes des droits équivalents quant au choix de la juridiction et des règles applicables. Enfin, en l’état actuel de la cyberjustice, le sens de la justice est sacrifié à la célérité. Certains droits reconnus aux parties — celui de jouir d’un double degré de juridiction en particulier — sont ignorés.

Ces faits montrent bien la nécessité de concevoir des modèles d’institutions plus appropriés en vue de l’instauration d’un certain ordre dans le réseau Internet.

C’est dans cette optique que la présente étude offre quelques modèles de juridictions virtuelles, dont une juridiction virtuelle répressive.


Table des Matières

Introduction

I. État actuel de la cyberjustice

1. Centre de médiation et d’arbitrage de l’OMPI

2. Virtual Magistrate

3. Online Ombuds Office

4. Cybertribunal

5. Le Règlement Uniforme de l’ICANN

6. eResolution

II. Effort de conception de modèles d’institutions juridictionnelles de la cyberjustice

1. Limites des institutions actuelles de la cyberjustice

A. L’incompétence en matière répressive

B. Difficulté de résoudre efficacement les litiges du télétravail

C. L’exercice des voies de recours

2. Juridictions privées ou non publiques

A. Greffe ou Secrétariat

B. Juges

C. La loi applicable

D. Exécution des décisions

E. Voies de recours

3. Juridictions publiques

A. Greffe ou secrétariat

B. Juges

C. Loi applicable

D. Prescription relative et compétence des juridictions étatiques

E. Le parquet

F. Les chambres d’appel

Conclusion


Introduction

1. Le réseau Internet est de plus en plus mis à contribution à des fins juridiques. En général, celles-ci ont trait seulement à la constitution de bases de données, à la création de revues ou de journaux, à l’organisation de forums, à la diffusion d’ouvrages, à l’enseignement, à l’application de normes relatives à la recherche des infractions, à la diffusion de textes légaux, aux études ou réflexions tendant à proposer des normes légales susceptibles de régir efficacement certains faits ou actes nuisibles, etc.

2. Or, le réseau Internet peut également être utilisé pour donner solution aux différends ou aux litiges pouvant survenir entre les internautes ou entre les internautes et les opérateurs du réseau. Rien n’empêche qu’un jour, le succès de telles juridictions virtuelles conduise même des tiers à y soumettre aussi leurs litiges.

3. Ainsi, il y a lieu de prévoir l’existence d’institutions virtuelles ayant pour vocation la médiation, l’arbitrage ou quelque autre forme de résolution de conflits en ligne.

4. Il importe peu que ces institutions aient ou non un caractère privé. Ce qui compte, c’est le fait qu’elles puissent régler les différends en ligne.

5. Cependant, il sied d’admettre que le champ d’action des tribunaux privés est restreint en ce qui a trait à la nature des matières relevant de leur compétence. Fondamentalement, ces juridictions n’ont pas compétence à l’égard des conflits ayant pour fondement une violation de la loi qui entraînerait une sanction pénale. La volonté des parties ne peut conférer à ces juridictions la compétence de connaître de ces infractions.

6. Il faut en conclure que, quelle que soit leur efficacité, les juridictions privées ne pourront combler les lacunes créées par leur inhabileté à régler certains conflits survenus en ligne, vu le caractère mondial du réseau Internet.

7. La nécessité qu’existent des juridictions de nature publique continuera à se faire sentir. Il revient aux États de conclure des accords internationaux visant soit à créer des juridictions virtuelles répressives, soit à régler la question des limites à la compétence des juridictions répressives de chaque État afin que celles-ci puissent aussi connaître des infractions commises en ligne.

8. La présente étude constitue une tentative de concevoir, puis de proposer quelques modèles d’institutions juridictionnelles de cyberjustice (II). Une analyse sommaire de l’état actuel de la cyberjustice semble cependant un préalable utile[1] (I).

I. État actuel de la cyberjustice

9. Le monde a connu un certain nombre d’expériences de cyberjustice. Les unes sont encore en vigueur tandis que les autres ont cessé d’exister. L’on peut citer le Centre de médiation et d’arbitrage de l’OMPI (A), le Virtual Magistrate (B), l’Online Ombuds Office (C), le CyberTribunal (D), le Règlement Uniforme de l’ICANN (E) et eResolution (F).

1. Centre de médiation et d’arbitrage de l’OMPI[2]

10. Ce Centre a été mis sur pied en 1994 pour le compte de l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) par le Bureau international de cette Organisation[3]. Pour résoudre les conflits en ligne, il utilise deux mécanismes : la médiation et l’arbitrage.

11. Le Centre de médiation et d’arbitrage de l’OMPI offre des modèles de clauses de médiation et des services d’arbitrage. Ainsi, le recours à ce Centre n’est possible qu’en cas d’existence d’un contrat conclu entre parties à cette fin, comprenant au moins une des clauses évoquées ci-dessus. Ces clauses prévoient qu’en cas de litige, les parties porteront celui-ci devant ce Centre.

12. Les normes établies par le Centre règlent la procédure qui se déroule exclusivement en ligne.

13. L’Arbitration and Médiation Center est entré en activité en 1998[4].

2. Virtual Magistrate[5]

14. Le Virtual Magistrate a été institué le 4 mars 1996. C’est une expérience de cyberjustice qui résulte des efforts du National Center for Automated Information Research (NCAIR)[6] et du Cyberspace Law Institute[7].

15. La résolution des conflits par le Virtual Magistrate se fait en ligne, par arbitrage, exception faite des litiges relatifs au commerce électronique.

16. Devant le Virtual Magistate, la procédure se déroule de façon électronique. Les arbitres sont juristes ou non-juristes et, pour un litige donné, leur nombre est de un ou de trois. Si les parties ont acquiescé à sa procédure, Virtual Magistrate prend l’engagement de donner une réponse dans les soixante-douze heures. Les non-juristes admis comme arbitres sont des personnes qui maîtrisent les problèmes ayant trait à l’électronique. Les arbitres sont nommés par l’American Arbitration Association[8] et par les membres d’un sous-comité du Cyberspace Law Institute. Pour donner solution aux litiges, les arbitres ne se fondent pas nécessairement et absolument sur le droit applicable à une juridiction donnée. Ils recourent à d’autres facteurs divers pouvant concerner notamment les dispositions contractuelles, l’éthique du réseau, les prétentions des parties et la solution escomptée[9].

3. Online Ombuds Office[10]

17. La création de l’Online Ombus Office remonte à juin 1996 et on la doit au National Center for Automated Information Research (NCAIR). Cet organisme a vu le jour au sein du Center for Information Technology and Dispute Resolution de l’université du Massachusetts, en juillet 1997[11].

18. L’Online Ombus Office recourt à la médiation. La procédure se déroule en ligne. Une fois que la demande de médiation y a été reçue, cette institution nomme un médiateur appelé « Ombudsman » qui conférera avec les parties avant de décider de l’opportunité de la médiation ou du recours à d’autres formes de règlement des différends[12].

4. Cybertribunal[13]

19. Le projet du Cybertribunal a été présenté et lancé à l’Université de Montréal, le 4 juin 1998. La paternité de ce projet revient au Centre de recherche en droit public (CRDP)[14] de cette université. Le site du Cybertribunal a toutefois été fermé il y a trois ans.

20. Les mécanismes de résolution de conflits du Cybertribunal étaient la cybermédiation et le cyberarbitrage.

21. La cybermédiation était un processus en vertu duquel deux personnes acceptaient de soumettre leur différend à un tiers neutre, le médiateur, qui tentait d’établir une communication directe entre elles. Le médiateur n’avait pas le pouvoir d’imposer ou de rendre une décision. Il proposait simplement une solution après avoir confronté les points de vue des parties, identifié avec elles leurs désaccords et pris en compte les intérêts de chacune d’elles. Il gérait, en quelque sorte, les discussions afin de permettre aux parties de parvenir à un accord. Il convient de noter qu’une partie pouvait, à tout moment, se retirer du processus de médiation[15].

22. Le recours à la médiation était possible même si les parties n’avaient pas prévu une clause de médiation dans le contrat qu’elles avaient conclu en ligne.

23. En cas d’échec de la Cybermédiation, le Cybertribunal offrait aux parties la possibilité de recourir au cyberarbritage.

24. Le cyberarbritage était un processus au cours duquel deux parties présentaient à un tiers, l’arbitre, leurs visions respectives du conflit. L’arbitre, qui détenait son pouvoir du consentement des parties, prenait connaissance des prétentions des parties conformément aux règles du Cybertribunal et, après délibération, rendait une décision contraignante pour celles-ci. La décision rendue était finale et sans appel[16].

25. Le secrétaire du Cybertribunal à qui une demande était adressée désignait un ou trois arbitres indépendant(s) et impartial(aux), puis soumettait son (leur) nom à l’approbation des parties. La (Les) personne(s) choisie(s) ne se mettait (mettaient) au travail qu’une fois cette étape franchie. La sentence arbitrale devait être rendue dans les trente jours suivant la clôture des débats. Cette décision n’était pas susceptible d’appel[17].

26. La cybermédiation et le cyberarbitrage assurés par le Cybertribunal étaient gratuits[18].

5. Le Règlement Uniforme de l’ICANN

27. Le champ d’action du Règlement Uniforme de l’ICANN est limité aux litiges relatifs aux noms de domaine. Les principes directeurs régissant le Règlement Uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine ont été adoptés le 26 août 1999 et approuvés par l’ICANN le 24 octobre 1999.

28. Le Règlement Uniforme de l’ICANN organise une procédure administrative obligatoire conduite nécessairement devant des organismes administratifs de règlement des litiges appelés « Institution de règlement » selon le jargon des principes directeurs.

29. Il existe une liste des organismes de Règlement Uniforme des litiges agréés par l’ICANN (Institutions de règlement)[19].

30. La plainte est adressée à une Institution de Règlement qui la notifiera au défendeur. Si, après examen, la formulation de la plainte est jugée non conforme aux principes directeurs, l’Institution en informera sans délai le demandeur et le défendeur. Le demandeur dispose d’un délai de cinq jours pour corriger les irrégularités. Sans préjudice du droit qui lui est reconnu de réintroduire sa demande, s’il n’agit pas, le requérant est censé avoir abandonné la procédure administrative en cas d’expiration du délai.

31. Le défendeur est tenu de se soumettre à la procédure administrative lorsque la plainte du requérant soutient à sa charge que :

32. La preuve de la réunion de ces trois éléments incombe au requérant (paragraphe 4 des principes directeurs régissant le Règlement Uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine).

33. La réponse du défendeur doit intervenir dans les vingt jours suivant la date d’ouverture de la procédure administrative[20].

34. Les membres de la Commission appelée à statuer sur le litige doivent, selon la procédure administrative, être impartiaux et indépendants. Ils sont désignés par l’Institution de Règlement.

35. Sauf circonstances exceptionnelles, la Commission transmettra sa décision sur la plainte à l’Institution de Règlement dans les quatorze jours suivant la date de sa création[21].

36. Les litiges autres que ceux auxquels renvoie le paragraphe 4 des principes directeurs sont réglés entre parties par voie judiciaire, par arbitrage ou par toute autre procédure pouvant être invoquée[22].

37. Les rapports entre la procédure administrative et la procédure judiciaire préalable, cocomittante ou postérieure sont régis par le paragraphe 18 des Règles d’application des principes directeurs[23].

6. eResolution

38. EResolution était une nouvelle incarnation de la cyberjustice mise sur pied par certains des organisateurs du défunt Cybertribunal et reprenant en somme le modèle opérationnel de ce dernier. Le site du malheureusement fermer ses portes en novembre dernier suite, entre autre, à la perte de son droit de médiation dans le cadre des disputes concernant les noms de domaines gérés par l’ICANN[24].  

II. Effort de conception de modèles d’institutions juridictionnelles de la cyberjustice

1. Limites des institutions actuelles de la cyberjustice

39. Les institutions de la cyberjustice mentionnées ci-dessus présentent quelques limites qui incitent certains juristes à tenter d’imaginer de nouveaux types d’institutions. Ces limites concernent notamment la répression des infractions, la résolution des litiges du télétravail et l’exercice des voies de recours.

A. L’incompétence en matière répressive

40. Les juridictions virtuelles dont l’existence a été signalée au point « I » ci-dessus n’ont pas connu ou ne connaissent pas des matières autres que celles qui sont susceptibles d’être soumises à la médiation ou à l’arbitrage. Ells ne connaissent donc pas d’affaires répressives.

41. Or, le réseau Internet a donné naissance à des types d’infractions spéciales n’étant pratiquement pas ou, du moins, pas totalement maîtrisées par les normes répressives traditionnelles[25]. Certaines de ces juridictions ont déjà fait des efforts tendant à la mise en œuvre d’une législation pénale adaptée aux réalités du réseau Internet.

42. Étant donné que les comportements jugés infractionnels ou ceux qui devraient l’être troublent l’ordre public, les efforts fournis par les juridictions précitées ne peuvent offrir qu’une solution partielle eu égard au maintien de l’ordre et de la sécurité. Quantité de litiges qui exigeraient une réponse de nature répressive vont rester sans solution.  

B. Difficulté de résoudre efficacement les litiges du télétravail

43. Un peu partout dans le monde, la législation du travail est dominée par les normes édictées par l’OIT (Organisation internationale du travail)[26]. La plupart de ces normes mettent l’accent sur les intérêts du travailleur, celui-ci étant une partie économiquement faible par rapport à l’employeur.

44. Il va sans dire que l’esprit et la lettre des normes de l’OIT qui protègent les intérêts des travailleurs peuvent difficilement être respectés par une juridiction de cybermédiation ou de cyberarbitrage qui applique à la fois des normes juridiques et des règles techniques relatives à l’informatique.

45. La protection des intérêts des télétravailleurs passe par la mise en œuvre d’une législation proche des aspirations ou des normes de l’OIT, et ayant la forme d’accords simplifiés. Il serait utile par exemple que pareille législation soit applicable en cas d’arbitrage sur un litige relatif au télétravail.  

C. L’exercice des voies de recours

46. Un adage latin dit que « Erare humanum est » : l’homme est humain pour se tromper. Les juges qui président les juridictions de cyberjustice ne font pas exception.

47. Cela étant, la possibilité d’exercer les voies de recours comme l‘opposition et l’appel, voire la tierce opposition, devrait exister dans les règles de chaque tribunal virtuel sous forme de principe. Par ailleurs, le droit à l’insertion d’une clause de renonciation aux recours devrait constituer une exception au dit principe. De cette manière, on serait plus proche du sens de la justice.

2. Juridictions privées ou non publiques

48. Il peut exister un nombre indéfini de juridictions privées. L’essentiel est que chacune d’elles soit capable de résoudre les différends entre intervenants ou entre internautes et opérateurs du réseau Internet. Ainsi, quoique privées, ces juridictions doivent être organisées de manière à être plus proche du sens de la justice. Il ne faudrait pas que la notion de liberté étouffe le sens de la justice.

A. Greffe ou Secrétariat

49. Il serait utile que chaque juridiction privée soit dotée d’un greffe ou d’un secrétariat assurant un contact permanent avec l’extérieur et susceptible de jouer un rôle important dans le fonctionnement des activités juridictionnelles.

50. De préférence, l’animateur du greffe ou du secrétariat devrait être juriste de formation. Il sera le maître de la procédure et devra gérer la banque des données du Tribunal virtuel. Il lui revient de répondre au courrier adressé au Tribunal ; les correspondants doivent d’ailleurs s’adresser à lui quand ils désirent présenter une demande.

51. En somme, le greffier ou le secrétaire sera l’unique employé permanent de la juridiction virtuelle.

B. Juges

52. Le greffier devrait disposer d’une liste de juges où serait clairement précisé le domaine d’expertise de chacun, c’est-à-dire que cette liste devrait donner toutes les précisions pertinentes sur la compétence des médiateurs et des arbitres ou sur l’identiité des juges pouvant jouer les deux rôles.

53. Peu importe la nature du conflit, le tribunal doit compter au moins un juriste dans sa composition. Cela signifie qu’en cas d’arbitre unique, celui-ci doit être un juriste de formation. Il est possible de reconnaître à l’arbitre siégeant seul le droit de s’adjoindre deux juges assesseurs désignés par le greffier à partir de la liste des arbitres assesseurs. Ces derniers doivent être des personnes bien au fait des aspects techniques du réseau Internet ou de l’informatique dont le litige entraînerait la mise à profit.

54. Par ailleurs, la médiation peut être assurée par toute personne ayant les aptitudes requises et pas forcément par des juristes.

C. La loi applicable

55. Les parties en conflit doivent disposer de la latitude de choisir la loi applicable, et cela à titre principal. Autrement dit, il y a lieu de prévoir que la loi des parties s’appliquera à titre principal ; le recours aux normes de la juridiction saisie ne peut s’appliquer qu’à défaut d’un tel choix. Ainsi, les parties peuvent librement opter pour l’application de la législation d’un pays précis. Elles peuvent même choisir autant de lois diverses qu’il y a de matières distinctes. Par exemple, libre à elles de choisir la législation américaine quant à la procédure, la législation espagnole quant à la compétence de la juridiction, la législation française pour le fond, etc. Si le contrat ne règle pas la question des conflits de lois, ce sont les règles du tribunal saisi qui s’appliquent.

56. Bref, tout ce qui n’est pas réglé par les parties est assujetti aux règles de la juridiction virtuelle saisie.

D. Exécution des décisions

57. L’exécution des décisions rendues par les juridictions virtuelles privées ne doit pas être encadrée par les seules règles prévues par celles-ci. Il est préférable de reconnaître aux parties le droit de porter leur choix sur une procédure étatique donnée. En sus, les parties peuvent aller plus loin encore et reconnaître aux services judiciaires d’un État la compétence de faire appliquer la décision.

58. Cette approche présente un avantage au vu surtout du fait que les institutions virtuelles n’ont pas de pouvoir de contrainte.

59. En cas de silence des parties à cet égard, les règles de la juridiction saisie s’appliquent.  

E. Voies de recours

60. Il est de principe constitutionnel dans presque tous les États que chacun a droit à un double degré de juridiction. À quelques exceptions près, les systèmes judiciaires de nombreux pays respectent ce principe.

61. Ainsi, pour éviter d’étouffer ce principe — car il n’existe pas de juges incapables de se tromper —, les juridictions virtuelles privées devraient laisser aux seules parties la latitude de renoncer aux voies de recours. Ce n’est qu’en cas de silence du contrat que les règles portant sur les voies de recours de la juridiction saisie s’appliqueront.

62. On pourrait reconnaître aux parties la liberté de choisir les voies et les juridictions de recours. Il leur revient de préciser qu’elles se limiteront à l’appel ou iront jusqu’à la cassation. De même les parties peuvent choisir librement les juridictions devant statuer sur le recours. Elles peuvent opter en faveur d’une juridiction arbitrale ou d’une juridiction étatique. Les problèmes de lenteur judiciaire résultant du volume d’affaires ne se posent avec acuité que dans les pays occidentaux.

63. On devrait également reconnaître aux parties le droit de prévoir à quelles voies de recours elles pourraient recourir ou celui de renoncer à celles que le principe du double degré de juridiction ne touche pas (les recours en rétractation par exemple).

64. Le choix d’une législation qui ne permet pas aux juridictions étatiques de statuer sur une décision rendue par voie d’arbitrage équivaut à une absence de choix. La même règle s’étend au choix de la procédure et des normes relatives à l’exécution des décisions.

65. Le sens de la justice et le respect des droits de l’homme sont renforcés lorsque les parties ne sont privées d’un accès aux recours que par leur consentement personnel. Les parties sont censées adhérer aux normes du Tribunal virtuel pour tout ce qui n’est pas écrit dans le contrat.

3. Juridictions publiques

66. Le procès pénal n’a pas une nature privée, car il porte sur des actes qui, bien que dirigés quelques fois contre des personnes précises, troublent l’ordre public interne ou international. L’on peut aussi se permettre de parler de l’ordre public virtuel pour le cas du réseau Internet.

67. Voilà pourquoi les juridictions qui s’occupent des procès en matière pénale ont un caractère public.

68. Les États peuvent décider par accord multilatéral de la création d’un ou de plusieurs tribunaux connectés ayant compétence à connaître des infractions commises en ligne.

A. Greffe ou secrétariat

69. La juridiction répressive virtuelle sera dotée d’un secrétariat qui conservera toutes les attributions transitionnelles d’un greffe avec cette différence qu’il n’y aura pas usage du support papier. Un secrétariat par ailleurs dispose d’autres attributions qui débordent le cadre d’un greffe.

70. Le greffe ou le secrétariat est utile dans le fonctionnement d’un tribunal pénal virtuel. En effet, le tribunal a besoin d’un service permanent qui cordonne les activités et qui se charge des principaux rapports avec l’extérieur.

71. Le responsable du greffe ou du secrétariat peut exercer également toutes les attributions définies pour le greffier ou pour le secrétaire d’une juridiction virtuelle privée. Il est préférable qu’il soit juriste de formation.

B. Juges

72. Les juges seront choisis parmi des juristes de formation qui connaissent bien le droit du réseau Internet.

73. Les techniciens ne peuvent intervenir qu’à titre d’experts informaticiens. Une liste des experts techniciens agréés devrait exister au greffe.

74. Le greffier détient la liste des juges agréés par le tribunal et celle des experts.

75. L’agrément se fait suivant les normes contenues dans la charte du tribunal. Cette charte peut constituer une annexe ou faire partie du corps du texte du Traité créant le tribunal pénal virtuel.

76. Étant donné que l’action pénale peut entraîner des peines privatives de liberté et que généralement les normes pénales sont d’interprétation stricte, il est impératif que seuls des juristes de formation, compétents et expérimentés puissent siéger à un tel tribunal. Les personnes non-juristes qui ont des aptitudes dans la matière peuvent apporter leur concours en qualité d’experts. Ces derniers peuvent être appelés à donner leur avis, soit par le juge, soit par les parties ou par l’une d’elles.

C. Loi applicable

77. Le tribunal pénal virtuel appliquera sa propre procédure et aura sur le fond une liste d’infractions constituant le code pénal du réseau Internet. Ce recueil comprendra uniquement les infractions qui ne se commettent que dans ou par le réseau Internet.

78. Lorsqu’une exception de litispendance ou de connexité est soulevée devant un Tribunal pénal virtuel au sujet d’une affaire portée devant une juridiction étatique, le Tribunal pénal ne peut se dessaisir du dossier que dans le cas où la juridiction étatique s’engage à appliquer les règles de fond du Tribunal pénal. Dans le cas contraire, ce dernier se limite à disjoindre les poursuites.

79. L’un des objectifs principaux de la création du Tribunal pénal virtuel est la répression des infractions qui se commettent dans ou par le réseau Internet, plus précisément celles qui ne peuvent être réprimées par la législation de chaque État prise isolément. Le tribunal pénal virtuel sera donc une juridiction spécialisée limitée à cette catégorie d’infractions et incompétente pour d’autres infractions.

80. Dans ses rapports avec les juridictions répressives des États, le Tribunal pénal virtuel a prépondérance quant à l’application de ses normes, car il a vocation d’établir l’ordre public international ou virtuel, lequel paraît naturellement supérieur à l’ordre public interne de chaque État pris isolément.

D. Prescription relative et compétence des juridictions étatiques

81. Une fois que six mois se sont écoulés sans que la personne citée devant le Tribunal pénal virtuel ne réponde au greffier ou ne se manifeste d’une quelconque manière, il y a prescription relative de l’infraction quant au Tribunal pénal virtuel.

82. Dès lors, le greffier peut transmettre le dossier au procureur du tribunal pénal virtuel qui citera le prévenu devant un tribunal pénal de son domicile ou de sa résidence. En cas de doute, il saisira le parquet ou l’institution semblable aux fins de l’instruction préparatoire et des poursuites.

83. Le procureur étatique saisi sera autorisé à appliquer soit la procédure traditionnelle, soit celle du parquet situé le plus près du lieu où siège le Tibunal pénal virtuel.

84. Cependant, le tribunal du pays appliquera seulement la loi du Tribunal pénal virtuel quant au fond.

85. La prescription relative empêche le greffier de réger l’affaire sans l’autorisation du procureur du Tribunal pénal virtuel, même si le prévenu accepte de coopérer par la suite. Cette prescription n’éteint toutefois pas l’action publique.

86. En tant que juridiction spécialisée, le Tribunal pénal virtuel semble mieux placé pour connaître des infractions commises dans ou par le réseau Internet. C’est ainsi qu’il a prépondérance et que les juridictions étatiques ne peuvent connaître de ses matières qu’au cas où le Tribunal pénal virtuel est en butte à des difficultés.

87. La prescription relative permet aux juridictions étatiques de devenir compétentes, car elle suspend la compétence du Tribunal pénal virtuel.

E. Le parquet

88. Le parquet est dirigé par un procureur et comprend plusieurs autres magistrats choisis parmi les juristes outillés dans le droit du réseau Internet.

89. À part le procureur, les autres magistrats ne doivent pas être permanents.

90. Les parquets exercent toutes les attributions traditionnelles du Ministère public.

91. Question d’équilibre, il est nécessaire que les juridictions répressives virtuelles collaborent avec un parquet qui exerce les attributions du Ministère public.

F. Les chambres d’appel

92. Toute chambre du Tribunal pénal virtuel prend la qualité de chambre d’appel lorsqu’elle statue au second degré sur une cause déjà connue par une autre chambre.

93. Il n’est pas concevable de créer d’autres juridictions supérieures. Conséquemment, pour assurer le respect des droits de la défense et le bénéfice du double degré de juridiction, les voies de recours sont attribuées aux autres chambres du Tribunal pénal virtuel.

Conclusion

94. Les expériences de cyberjustice limitées à la médiation et à l’arbitrage constituent déjà un pas en avant pour la résolution des litiges qui surviennent en ligne.

95. Cependant, elles semblent peu efficaces par rapport aux infractions commises en ligne ou à l’aide du réseau Internet, en ce que leurs auteurs restent impunis.

96. La présente étude propose donc un modèle de juridiction répressive créée par voie de traité ou d’accord international. Cette juridiction aurait l’avantage de disposer de règles de formes et de fond conçues en fonction de son objectif particulier.

97. Les règles de fond pourraient constituer un code pénal virtuel reprenant uniquement les infractions afférentes au réseau Internet.



Notes

* Avocat au Barreau de Kinshasa/Gombe. Email : emile_lo@yahoo.fr

[1] Le survol fait à la première partie n’étant pas le centre de l’étude, le sujet y relatif peut être approfondi en consultant le texte d’Alexia Roussos, « La résolution des différends », Lex Electronica, vol. 6, no 1, printemps 2000, <http://www.lex-electronica.org/articles/v6-/roussos.htm>.

[2] Site du Centre de médiation et d’arbitrage de l’OMPI (Ambritration and Mediation Center) : <http://www.wipo.int>.

[3] <http://www.Arbiter.Wipo.Int/about.center/index.html>.

[4] Cynthia Chassigneux, « Nouvelles voies offertes pour la résolution des conflits en ligne », Lex Electonica, volume 5, no 1, été 1999, <http://www.lex-electronica.org/articles/V5-1/chassifr.htm>.

[5] <http://www.vmag.org>.

[6] URL du site du NCAIR : <http://www.cilp.org/ncair> ; URL du Cyberspace Law Institute : <http://www.cli.org/default.html>.

[7] URL du site du Cyberspace Law Institute : <http://www.cli.org/default.html>.

[8] <http://www.ord.org>.

[9] Cynthia Chassigeux, loc. cit., note 4.

[10] URL du site de Online Ombuds Office : <http://www.ombuds.org/center/ombuds.html>.

[11] Site du Center for Information Technology and Dispute Resolution :
<http://www.ombuds.org/center/index.html>.

[12] Cynthia Chassigneux, loc. cit., note 4.

[13] Ancien URL du site du Cybertribunal : http://www.cybertribunal.org.

[14] <http://www.crdp.umontreal.ca>.

[15] <http://www.cybertribunal.org/html/mediafr.htm>.

[16] <http://www.cybertribunal.org/html/arbitrage.htm>.

[17] Cynthia Chassigneux, loc. cit., note n°4.

[18] Lionel Thoumyse, « Protection du cyberconsommateur », Juriscom.net, janvier 1999 :
<http://juriscom.agat.net/int/dpt/dpt11.htm>.

[19] <http://www.icann.org/udrp/approved-providers.htm>.

[20] Règles d’application des principes directeurs régissant le règlement uniforme des litiges relatifs aux noms de domaine, para. 5.

[21] Op.cit., note 20, para. 15.

[22] Op.cit., note 20, para. 5.

[23] À propos du Règlement Uniforme de l’ICANN, lire également Emmanuelle Létoumeau, « Noms de domaine : la résolution des conflits sous la politique de Règlement Uniforme de l’ICANN », juriscom.net, octobre 2000, <http://www.juriscom.net/pro/2/ndm20001011.htm>.

[24] Pour plus de détails sur eResolution, il convient de se référer à l’article de David Lametti ayant pour thème « The Form and Substance of Domain Name Arbitration » et publié dans le présent numéro de Lex Electronica.

[25] Voir Estelle de Marco, « Le droit pénal applicable sur Internet », mémoire de DEA, Université de Montpellier I, Faculté de Droit, 1998 ; Kanunda Tshibende, « Cybercriminalité et droit pénal congolais », mémoire de licence, Université protestante au Congo, Faculté de Droit, 1999 ­ 2000 ; et Bernard Magrez, « Analyse de l’avant-projet de la loi belge portant sur la criminalité informatique », Juriscom.net, novembre 1998, <http://www.Biozone.org/juriscom/espace2criminfo.htm>.

[26] L’OIT est une institution spécialisée des Nations Unies ; elle s’occupe des questions relatives au droit du travail partout dans le monde.

 

 

 

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