INTRODUCTION GÉNÉRALE

      La formation en méthodologie de la recherche est une nécessité pour les futurs chercheurs en sciences de l'éducation. La méthodologie consiste en un ensemble de "règles de jeu" à partir desquelles la crédibilité des recherches peut être établie. La confrontation des idées à l'intérieur de la communauté scientifique est nécessaire au développement de la connaissance, mais elle doit donc se faire en tenant compte de ces règles. Cependant, ces "règles de jeu" ne sont pas des principes concrets immuables constituant une marche à suivre déterminée et valable pour toutes les recherches.  Il s'agit plutôt de principes plus ou moins abstraits permettant de guider le chercheur dans la planification et la conduite d'une recherche crédible auprès de la communauté scientifique. De plus, ces principes sont basés sur une logique inspirée de différents courants épistémologiques qui s'affrontent. Ainsi, l'apprentissage de la méthodologie de la recherche n'est pas seulement l'apprentissage d'un savoir-faire au niveau technique mais, également et surtout, la compréhension de discours sur les méthodes et les techniques qui permettent de conduire une recherche vraisemblable et de participer aux débats inhérents au développement de la connaissance.

      Aux études supérieures en sciences de l'éducation, la formation méthodologique est assurée par la participation des étudiants à différentes activités : un cours de méthodologie de la recherche, un séminaire de recherche permettant une meilleure intégration des connaissances acquises lors du cours, ainsi que la planification et la conduite de la recherche elle-même, sous la supervision d'un directeur, ainsi que la rédaction d'un rapport ( mémoire ou thèse). La présente recherche s'intéresse aux débuts du processus de formation méthodologique, soit au cours de méthodologie de la recherche qui, en principe, est suivi par les étudiants en début de scolarité. Beaucoup d'étudiants éprouvent des difficultés dans l'apprentissage de la méthodologie. Cependant, outre le constat de problèmes généraux tels la quantité de termes nouveaux auxquels sont confrontés les étudiants ou le niveau d'abstraction conceptuel de la matière, on connaît mal les difficultés précises des étudiants, de même que leur origine et les raisons possibles de leur apparition. Pourtant, la connaissance de ces difficultés constitue le point de départ d'une réflexion et d'une action visant à favoriser un apprentissage efficace et durable de la méthodologie de la recherche.

      La présente recherche a pour but d'identifier les difficultés d'étudiants lors d'un cours de méthodologie de la recherche aux études supérieures en éducation. Plus particulièrement, la recherche s'attarde à l'apprentissage de ce que nous avons appelé les "critères de rigueur méthodologique", qui regroupent les concepts de fidélité et de validité des données, de validité interne et externe, d'objectivité, ainsi que des critères latents ou implicites d'estimation de la validité d'une recherche, soient des critères de pertinence et de rationalité. Ce choix s'explique par le fait que ces critères constituent le noyau de toute la question de la crédibilité scientifique de la recherche. Peu importe l'épistémologie du chercheur et le type de méthode utilisé, ce dernier est toujours confronté au respect de ces critères.  De plus, ces critères comportent une difficulté particulière puisque, bien que leur signification générale demeure semblable d'un contexte à l'autre, les techniques permettant de s'assurer de leur respect sont très différentes selon les orientations et les méthodes choisies.  

      Les critères de rigueur méthodologique sont des concepts qui ne font pas l'objet de consensus à travers la communauté scientifique et leur enseignement est teinté par l'épistémologie du professeur. De plus, les manifestations de difficultés et les erreurs sont médiatisées par le contexte de la communication pédagogique et elles peuvent difficilement être étudiées en soi, sans référence à ce contexte. Ainsi, l'étude des difficultés d'apprentissage des étudiants par rapport à cette matière ne peut se faire qu'en référence à une situation particulière d'enseignement, dans laquelle ces concepts ont été opérationalisés et enseignés par le professeur. Le diagnostic des difficultés a ainsi été effectué à partir d'une situation réelle d'apprentissage, soit le plus près possible des activités normales des séances de cours.

      Ainsi, l'enjeu de cette recherche est nomothétique, au sens où elle se propose d'explorer les difficultés d'apprentissage dans le but de contribuer à une construction théorique dans le domaine de l'apprentissage et de l'enseignement de la méthodologie. Mais cette recherche comporte également une visée pragmatique. En restant proche de la situation d'apprentissage et d'enseignement réel, en tentant de tenir compte des contraintes de cette situation, cette recherche voudrait permettre de solutionner certains problèmes de la pratique de l'enseignement de la méthodologie.

      Afin de tenir compte des finalités poursuivies, nous avons développé une démarche particulière qui voulait tenir compte des exigences de la recherche nomothétique, mais qui devait également aboutir à des pistes de solutions utiles au professeur. La démarche comporte essentiellement deux étapes. Une première étape était constituée de phases successives de recueil et d'analyse de données sur le terrain. Cette première phase a dû s'ajuster aux contraintes et exigences liées à la situation de classe réelle. Une deuxième étape se situait hors du terrain et comportait le traitement des données, afin d'identifier et de décrire les difficultés éprouvées par les étudiants et leur contexte d'apparition. Cette phase comportait également une phase d'interprétation de l'origine des difficultés, afin d'être en mesure de comprendre leur apparition et de proposer des stratégies pédagogiques afin de les résoudre. Ainsi, la phase de recueil de données se voulait proche de la pratique réelle d'enseignement et cohérente par rapport aux contraintes auxquelles était confronté le professeur. Comme nous le verrons, cette démarche comporte des avantages certains, mais elle est confrontée également à certaines limites.

      La présente recherche a permis de mettre à jour un certain nombre de difficultés d'apprentissage des critères de rigueur méthodologique chez des étudiants aux études supérieures en éducation. L'interprétation de l'origine de ces difficultés a permis également de mieux comprendre leur apparition et, ainsi, de proposer des stratégies pédagogiques afin d'éviter ou de résoudre ces difficultés d'apprentissage. Ces difficultés nous conduisent également à nous interroger sur le profil de formation méthodologique offert en sciences de l'éducation ainsi que sur sa pertinence. Plus encore, cette réflexion nous permet de questionner le rôle et la légitimité même de la recherche en éducation et d'affirmer la nécessité d'une réflexion à ce sujet afin de déterminer les profils de formation méthodologique et les finalités qui seront privilégiées.

      Le présent rapport se divise en cinq parties. Le premier chapitre décrit brièvement le problème abordé dans cette recherche. Il y est question notamment de la nécessité d'une formation méthodologique pour les jeunes chercheurs, mais également des difficultés générales qu'éprouvent les étudiants à traverser cette formation. Le deuxième chapitre définit les limites à l'intérieur desquelles se situe le problème. Il sera question d'abord de l'objet de la recherche, c'est-à-dire, le diagnostic des difficultés d'apprentissage des critères de rigueur méthodologique chez des étudiants non initiés à la recherche, puis des différents présupposés qui déterminent, en partie, l'orientation et l'organisation de cette recherche. Ce chapitre se termine sur une description plus précise du contexte d'enseignement observé lors de la recherche.

      La seconde partie de ce document présente notre cadre conceptuel, divisé lui-même en deux sections: l'une concernant le triangle pédagogique et l'autre concernant le concept de représentation. D'abord au troisième chapitre, une définition de la situation pédagogique, suivie d'une discussion sur les différentes relations possibles entre les trois pôles d'un triangle pédagogique (élève-professeur-savoir). La relation entre les pôles de ce triangle est d'abord analysée d'une façon générale, puis dans le cadre de l'enseignement universitaire et finalement, dans le contexte de la présente recherche, soit l'enseignement de la méthodologie de la recherche. Le quatrième chapitre est consacré au concept de représentation, concept central à l'intérieur de cette recherche. Afin de mieux comprendre la signification de ce concept largement utilisé dans divers secteurs et de mieux cerner les possibilités de son utilisation en pédagogie, nous avons effectué une revue de la littérature sur ce sujet dans divers domaines. Ce chapitre se termine par un transfert de ce cadre conceptuel au contexte de notre recherche, afin de mieux cerner de quelle façon l'utilisation du concept de représentation peut être profitable à l'intérieur de cette recherche.

      La troisième partie de ce rapport concerne la méthode utilisée dans cette recherche. Le cinquième chapitre présente les questions de recherche ainsi que la démarche suivie. Par la suite, le sixième chapitre présente chacun des outils de recueil de données. Il est question d'abord de leur procédure de construction, des bases de leur élaboration et finalement, de leur contenu spécifique,et finalement, du résultat des contrôles de validation des données qui ont précédé l'étape de traitement et d'interprétation des données.

      À cause de la démarche itérative suivie pendant la recherche, il nous fut difficile de rédiger une présentation de la méthode qui soit légère et agréable à lire. La difficulté vient du fait que la démarche nécessite, pour être claire, une description des outils de recueil de données utilisés, alors que ces outils ne trouvent leur justification que dans le contexte de la démarche elle-même. Ainsi, la démarche et les outils auraient nécessité une présentation simultanée alors que la rédaction ne permet qu'une présentation linéaire. Plusieurs versions différentes de la méthodologie ont été rédigées, certaines plus didactiques d'autres moins, mais elles comportaient toutes des inconvénients. La version retenue restitue, à notre avis, le plus précisément possible, la démarche suivie pendant la recherche. Essentiellement, nous avons présenté d'abord la démarche générale, pour ensuite reprendre cette dernière, étape par étape, outil par outil. Inévitablement, la présentation n'a pu éviter les redondances essentielles afin que le lecteur ne perde pas de vue la démarche générale de la recherche.

      La quatrième partie concerne les résultats de la recherche. Le huitième chapitre présente les six catégories de difficultés observées chez les étudiants. Les difficultés sont décrites et analysées en rapport avec le contenu du cours de méthodologie, puis, leur origine est interprétée afin de mieux comprendre les raisons possibles de leur apparition. Le neuvième chapitre présente des stratégies pédagogiques ponctuelles pouvant être utiles pour éviter ou résoudre les difficultés observées, tout en respectant l'organisation actuelle du cours.

      Finalement, la cinquième et dernière partie se veut une réflexion méthodologique sur les limites de la recherche, sur son utilité, ainsi que sur la pertinence de la formule de cours en méthodologie et les recherches futures qui seraient utiles. Nous nous interrogeons d'abord sur les difficultés liées à la poursuite de deux finalités a priori contradictoires, l'enjeu nomothétique et l'enjeu pragmatique. Par la suite, nous nous interrogeons sur l'utilité des résultats de la recherche ainsi que sur celle de la démarche suivie, tant pour les chercheurs en éducation que pour les professeurs de méthodologie eux-mêmes.


PARTIE I: PROBLÉMATIQUE


CHAPITRE 1er: LE PROBLÈME

      La recherche est une activité exigeante qui requiert de multiples habiletés. Le chercheur doit, en effet, savoir administrer, organiser, gérer et créer des projets par exemple, mais il doit aussi avoir des habiletés de communication orale et écrite et il doit, évidemment, avoir une bonne formation dans le domaine de sa recherche de même qu'en méthodologie de la recherche.

      La recherche est une pratique qui se base sur l'utilisation de certains principes destinés à guider le chercheur dans son investigation et qui sont regroupés dans une discipline que l'on appelle la méthodologie de la recherche. Selon Van der Maren (1988a), la méthodologie de la recherche serait:

" ...un discours tenu à propos
* d'un ensemble d'opérations systématiquement et rationnellement
enchaînées
* afin de relier avec consistance

- l'intention, le but, l'objectif de la recherche
- la manière de poser le problème
- les techniques de constitutions du matériel et leur validation
- les techniques de traitement transformant les données en résultats
- les procédures d'interprétation des résultats et leur vérification
- la justification des différents choix

*afin de répondre aux critères formels et opérationnels auxquels elles doivent s'astreindre pour se voir accorder la crédibilité recherchée. " 1 

      Bien qu'une partie du savoir nécessaire au chercheur consiste en habiletés qui se développent par la pratique (organisation, souplesse, gestion, etc.), le savoir méthodologique est constitué de principes et de règles qui s'acquièrent généralement par le biais de cours, de manuels, etc. Tous les chercheurs ont reçu, d'une manière ou d'une autre, une formation de base en méthodologie de la recherche.

      La formation méthodologique des futurs chercheurs est une nécessité, ne serait-ce que pour éviter au jeune chercheur naïf les tracas et malheurs que lui causerait l'utilisation d'une méthode par essai et erreur (diplôme refusé, critique des collègues, reprise des travaux, retards, etc.). En effet, les résultats seuls d'une recherche ne permettent pas au chercheur d'avoir de l'information sur leur validité et de réajuster sa méthode en conséquence comme cela pourrait être le cas, par exemple, d'un individu qui voudrait construire un moteur. Si le moteur fonctionne, sa méthode est efficace, sinon, elle doit être modifiée. Les résultats d'une recherche en eux-mêmes ne constituent pas une garantie de leur validité. La formation des jeunes chercheurs est donc nécessaire pour assurer la crédibilité des résultats de la recherche en éducation. En effet, la crédibilité est une affaire de consensus social. Une recherche n'est pas crédible en soi. Elle ne l'est, aux yeux des autres, que si elle respecte ce qu'habituellement ces "autres" attendent d'une recherche crédible. Sans ces "autres", pas de crédibilité. Si ces derniers croient à l'absurdité des résultats obtenus dans un secteur donné, il serait surprenant que ce chercheur réussisse à obtenir un quelconque crédit. Ainsi, la connaissance des règles de jeu méthodologique est essentielle en recherche. En plus de miner la crédibilité du chercheur, Baby (1992) affirme qu'une formation du genre "learning-by-doing" peut amener des problèmes de dépendance intellectuelle. Elle rendrait les jeunes chercheurs moins autonomes, plus vulnérables et plus susceptibles de se réfugier dans des "chapelles".

      En sciences de l'éducation, certains cours de méthodologie de la recherche sont obligatoires pour les étudiants en début de maîtrise ou de doctorat et sont généralement recommandés en début de formation. Pourtant ces cours sont peu populaires auprès des étudiants, ces derniers étant plus intéressés par le domaine de leur sujet de recherche que par la méthodologie, considérée souvent comme un mal inévitable. L'apprentissage de la méthodologie de la recherche est souvent difficile et pénible pour les étudiants novices et les cours de méthodologie de la recherche sont considérés comme des cours difficiles dont la réussite demande un effort important.

      Les principales difficultés se situent généralement au niveau de la terminologie utilisée en méthodologie de la recherche, de la complexité des concepts utilisés et de la diversité de leur signification. Les étudiants non initiés doivent acquérir un très grand nombre de termes et de concepts nouveaux en peu de temps et ils sont confrontés à des concepts très abstraits et complexes. La méthodologie de la recherche comporte en effet certains aspects techniques, telle la description des différentes techniques de recueil ou d'analyse de données, que l'étudiant doit connaître. De plus, le choix de la démarche et des techniques utilisées et leur articulation ainsi que la nécessité d'une cohérence et d'une validité au niveau de l'ensemble d'une recherche, exigent des connaissances et des compétences au niveau de la réflexion théorique et épistémologique qui sont aussi difficiles à acquérir. Cette compétence au niveau épistémologique se révèle encore plus nécessaire en sciences humaines et sociales où coexistent plusieurs options théoriques et épistémologiques, parfois plus ou moins déclarées, mais pourtant bien réelles. Dans une étude qui portait sur la signification du concept de validité utilisé dans des manuels de méthodologie et dans des entrevues auprès de chercheurs en éducation  2  , nous avons constaté une diversité importante dans la signification attribuée à des concepts tels que la validité des mesures, la fidélité des mesures, l'objectivité, la validité interne, la validité externe et la crédibilité. De plus, selon une étude de Van der Maren (1990a) , la recherche en éducation au Québec serait polymorphe en ce qui concerne les méthodologies utilisées. D'ailleurs Pourtois et Desmet (1988) arrivent à une conclusion semblable lorsqu'ils constatent que la distinction entre qualitatif et quantitatif est caduque et que les méthodes de recherches utilisées en éducation sont beaucoup plus éclectiques.

      Finalement, les étudiants ont souvent de la difficultés à faire des liens entre les différents discours épistémologiques, méthodologiques ou techniques et leur application dans la pratique réelle de recherche. Aussi, ils réussissent difficilement à répondre aux questions d'examen qui exigent d'eux plus qu'un simple rappel de l'information telle qu'ils l'ont vue en classe.

      Les professeurs de méthodologie qui enseignent à des étudiants novices sont conscients de ces problèmes. La diversité des orientations méthodologiques et épistémologiques dans le secteur de la recherche en sciences de l'éducation, la polysémie des concepts utilisés, la terminologie abondante et nouvelle, la complexité des concepts, le niveau d'abstraction élevé et la difficulté de transférer ces concepts à la pratique réelle de recherche, voilà autant d'obstacles auxquels sont confrontés les étudiants des milieux universitaires en sciences de l'éducation qui désirent s'initier à la méthodologie de la recherche. Mais voilà, de fait, un diagnostic du problème qui aide bien peu les professeurs à améliorer leur enseignement.

      On connaît mal les difficultés précises des étudiants dans leur apprentissage de la méthodologie et on connaît encore moins ce qui peut causer ces difficultés. Pourtant, un diagnostic plus précis des difficultés des étudiants de même qu'une réflexion sur l'origine possible de ces difficultés pourraient guider efficacement les professeurs dans leur enseignement de la méthodologie et faciliter la tâche des étudiants. C'est la raison pour laquelle l'objectif de notre recherche est essentiellement orthopédagogique en ce sens qu'elle s'intéresse au " diagnostic" des difficultés dans l'apprentissage de la méthodologie. Par "diagnostic", nous entendons une action qui vise à identifier les difficultés, à synthétiser un ensemble d'informations au sujet du contexte de leur apparition, afin d'émettre des hypothèses sur leur origine. Par la suite, la perspective orthopédagogique 3  proposera des pistes d'actions visant à corriger ces difficultés, à les éviter ou éliminer leurs causes.


CHAPITRE 2: DÉLIMITATION


2.1 L'objet de la recherche

      Notre intérêt concerne le diagnostic des difficultés éprouvées par des étudiants en sciences de l'éducation dans leur apprentissage de la méthodologie de la recherche. La population étudiante considérée ici est composée d'étudiants de second ou de troisième cycle qui envisagent de conduire une recherche menant à un diplôme de M.A. ou de Ph.D en éducation. Puisque l'apprentissage de la méthodologie de la recherche est difficile pour les étudiants, nous nous proposons de travailler à l'amélioration de son enseignement. Nous croyons qu'il est possible de présenter un contenu méthodologique complexe de manière à faciliter la tâche des étudiants, sans qu'il faille altérer ou diminuer le niveau ou la quantité de matière à l'intérieur d'un cours. Toutefois, on connaît peu ou pas du tout, les difficultés des étudiants dans l'apprentissage de la méthodologie, mais l'on sait, par ailleurs, que la conception qu'ils ont de la science en général, aussi bien que de la méthodologie, interfère avec cet apprentissage. Il est également bien difficile de voir quelle structure et quelle organisation du contenu permettraient de prévenir certaines difficultés afin d'en rendre l'apprentissage plus facile.

      Dans le cadre de cette recherche, nous nous sommes restreint à étudier les difficultés liées à l'apprentissage de ce que l'on appelle généralement les "critères de rigueur méthodologique". Il s'agit, en fait, des concepts de fidélité et de validité des données, de validité interne et externe, d'objectivité, auxquels nous ajouterons des critères "latents" ou "implicites" d'estimation de la validité d'une recherche, soient des critères de pertinence et de rationalité. Le choix de ces concepts s'explique par le fait que ces derniers nous semblent actuellement malmenés dans le secteur de la recherche en éducation et qu'ils peuvent donc poser des difficultés particulières aux étudiants. Plusieurs définitions et significations différentes de ces concepts sont véhiculées dans divers domaines de recherche en éducation et le consensus est inexistant, sauf en ce qui a trait à un noyau commun, relativement général, à partir duquel sont élaborées des définitions spécifiques à un domaine ou à une épistémologie particulière. De plus, c'est à partir de ces critères qu'un certain crédit est accordé aux travaux des chercheurs. Une excellente compréhension de la signification de ces critères et de ce qu'ils impliquent est donc, à notre avis, un préalable pour être chercheur. Pour simplifier et éviter la répétition, nous avons regroupé ces termes sous l'expression plus générale de "critères de rigueur méthodologique".


2.2 Les présupposés

      En premier lieu, il nous semble important de situer notre conception de l'éducation. Étant dans le domaine de l'éducation intéressée par des recherches de type pédagogique, l'orientation de cette recherche, ses objectifs de même que les stratégies méthodologiques mises en place sont inévitablement teintés par notre conception de l'éducation. Nous n'avons pas cru bon de nous étendre très longuement sur ce sujet, l'objectif n'étant pas de convaincre le lecteur ou de justifier le bien-fondé de nos positions, mais simplement de le situer, de lui permettre de comprendre l'orientation de cette recherche ainsi que certains des choix qui y sont faits.


2.2.1 Conception de l'éducation

      Nous croyons que l'enseignant, à tous les niveaux, se voit attribuer un mandat. Il doit enseigner selon un programme plus ou moins précis, il a certains moyens pédagogiques, un certain nombre d'heures de classe , un certain nombre d'étudiants et une administration plus ou moins rigide qui organise son milieu de travail. L'enseignant doit s'assurer que les étudiants acquièrent un certain nombre de savoirs, de savoir-faire, de savoir être et de valeurs que nous ne contesterons pas. Ceci ne signifie nullement que les éléments du mandat donné aux enseignants sont incontestables et qu'il s'agit d'un mandat idéal. Toutefois, l'enseignant ne peut modifier son mandat au jour le jour et selon son bon vouloir, il n'a pas ce pouvoir. Il peut certes participer à son amélioration, mais à d'autres instances que celle où il oeuvre tous les jours auprès de ses étudiants.

      Cette analyse nous place à l'intérieur de modèles de pédagogie que l'on dit normatifs ou traditionnels qui font partie du paradigme que Bertrand et Valois(1980) appellent "rationnel". Les modèles de ce paradigme conçoivent l'école comme une agence de socialisation qui transmet des connaissances et attitudes acceptées par les enseignants et les élèves. Il existe donc un ensemble de normes qui ont trait à la culture et au contenu d'enseignement, qui sont acceptées par les acteurs du système scolaire. Notre conception de la pédagogie a également des affinités avec le paradigme que Bertrand et Valois(1980) appellent "technologique". Selon ces auteurs, les modèles issus de ce paradigme s'intéressent à l'efficacité de l'enseignement plutôt qu'aux finalités sociales, culturelles ou politiques de l'éducation. Comme mentionné au paragraphe précédent, nous ne remettons pas en question le mandat donné aux enseignants, sans toutefois l'approuver à tous les égards. En fait, nous avons des intérêts plus pragmatiques que philosophiques ou politiques, bien que la non-remise en question de ce système constitue malgré tout une acceptation implicite de ce dernier. Nous nous intéressons donc aux stratégies permettant d'optimaliser l'apprentissage des connaissances qui sont proposées dans les différents programmes. Les questions concernant les valeurs véhiculées par l'école et la pertinence du mandat qui est attribué à l'enseignant nous préoccupent évidemment, mais dans un cadre autre que celui de cette recherche.

      Au niveau des études supérieures, le problème du contenu des programmes se pose différemment. Il est vrai que le professeur d'université bénéficie d'une marge de manoeuvre plus grande par rapport au contenu de ses cours. Il est vrai également que, lorsque l'on accède au niveau des études supérieures, l'écart entre la "science en construction" et la "science établie" 4  est plus restreint. Bireaud (1990) mentionne que le rôle de l'université est de transmettre le savoir de la science "en train de se faire". Le mandat de l'enseignant est donc moins précis et ne se limite plus à l'enseignement du savoir faisant l'objet d'un consensus. Le choix du contenu à enseigner est alors fonction de plans de cours cadres, mais aussi des options théoriques du professeur et des recherches en cours. Mis à part le sujet traité, il y a donc rarement concertation entre les professeurs qui enseignent un même cours, puisque ces derniers peuvent avoir des options théoriques différentes.

      Il n'en reste pas moins que, dans la plupart des cas, le contenu à enseigner est déterminé avant l'enseignement. Que ce dernier le soit par un programme, par un plan de cours ou par l'ensemble des positions théoriques et épistémologiques du professeur, avant le début de chaque cours, le professeur sait dans quelle direction il désire amener ses étudiants, il connaît le contenu du cours qu'il enseignera, il sait plus ou moins précisément sur quoi portera son évaluation. Le professeur doit donc s'assurer que ses étudiants auront acquis ce contenu. Son action pédagogique est donc fonction du contenu déterminé au préalable et de différentes contraintes tel le temps disponible pour l'enseignement, le nombre d'étudiants, etc. Nous en revenons donc au paradigme technologique. Après avoir fixé les objectifs en rapport avec un contenu de cours, comment enseigner ce contenu en tenant compte de contraintes diverses et ce, de la façon la plus efficace ?


2.2.2. Conception épistémologique

      Il existe des similitudes entre notre conception de l'éducation et notre conception de la recherche, en ce qui a trait à l'intention sous-jacente à ces pratiques. Notre conception épistémologique est teintée d'un même pragmatisme, puisque nous sommes intéressée par les recherches pédagogiques, c'est-à-dire à propos de la pédagogie et au service des pédagogues. Bien sûr, la recherche ne doit pas viser uniquement la résolution de problèmes de la pratique sans aucune contribution à l'avancement de la connaissance.

      Nous situons notre conception épistémologique dans l'espace de recherche que Van der Maren (1990b) appelle " l'espace pragmatique" et qu'il définit comme étant l'espace de la résolution des problèmes de la pratique. Les recherches de ce genre ne se poseraient pas la question de la définition des valeurs et des objectifs à atteindre, mais travailleraient à partir de ceux du milieu. L'espace pragmatique ne s'intéresserait pas à la construction de théories, c'est-à-dire au développement de la connaissance en tant que telle. La priorité reste donc la résolution de problèmes de la pratique, bien que les recherches entreprises dans cet espace puissent être la source du développement d'une théorie. Cependant, la résolution de problèmes de la pratique est un objectif louable en soi, mais insuffisant pour que l'on puisse parler de recherche. La différence entre développement et recherche ou entre action et recherche, se situe dans la préoccupation de dissémination non seulement des résultats mais aussi de la description de la situation et des processus qui ont conduit à ces résultats. Pour que l'on puisse parler de recherche, il faut qu'il y ait construction de nouvelles connaissances et possibilité de transfert de ces connaissances dans d'autres situations, que ces connaissances concernent un objet théorique ou encore une méthode de recherche. L'objectif peut également être double: améliorer la compréhension d'un phénomène et résoudre un ou des problèmes de la pratique. Pour cela, il est donc essentiel que les recherches qui s'inscrivent dans l'orientation pragmatique aient comme point de départ un problème pratique réel et qu'elles soient menées sur le terrain même où est vécu le problème, avec toutes les contraintes inhérentes au milieu.


2.3 Cadre de la recherche

      Cette recherche a été effectuée dans le cadre d'un cours de méthodologie, un professeur de la Faculté des sciences de l'éducation de l'Université de Montréal, M. Jean-Marie Van der Maren, ayant accepté de participer à cette recherche. Les sujets de la recherche sont issus d'un de ses groupes d'étudiants de niveau maîtrise et doctorat inscrits au cours ETA 6032: Problématiques et méthodes de recherche en éducation. Les étudiants inscrits à ce cours sont relativement novices par rapport aux méthodes de recherche en éducation, puisqu'il s'agit d'un premier cours sur les méthodes de recherche et non d'un cours avancé. Le cours ETA 6032 est un cours de 3 crédits, soit 45 heures, et l'évaluation de l'apprentissage des étudiants a été effectuée à l'aide de deux examens composés de questions à choix multiples et d'une question à développement long (examen intra-trimestriel et examen final).


2.3.1 Description d'une séance de cours

      L'ensemble du cours était basé sur des textes rédigés par le professeur. Un ou plusieurs chapitres devaient être lus et étudiés par les étudiants avant la séance de cours. La lecture des chapitres était guidée par une ou plusieurs questions posées par le professeur. Les questions suivantes étaient données aux étudiants avant la lecture des chapitres qui nous intéressent dans cette recherche:

  • A quelles références - cours antérieurs, expériences, projets actuels - avez-vous fait appel pour combler les lacunes du texte, pour le comprendre ?
  • Quelles applications, inférences ou développements pouvez-vous faire dans d'autres cours, expériences, projets de recherche, lectures académiques ou professionnelles ou situations pratiques ?
  • Quels sont les problèmes qui restent en suspens (compréhension, désaccord) et voyez-vous des solutions ?

      Pendant la séance de cours, deux formules pédagogiques étaient privilégiées selon les besoins ou les demandes des étudiants, le cours magistral et la discussion en grand groupe à partir des questions guides ou à partir de questions spontanées ou préparées par les étudiants suite à leur lecture. Ainsi, le contenu des textes à l'étude n'était pas repris intégralement dans le cours, seuls les passages ou les concepts ayant causé des difficultés aux étudiants faisaient l'objet de discussion.


2.3.2 Matériel utilisé pour le cours

      Puisqu'il s'agit d'une situation réelle, nous avons évidemment fonctionné à partir du matériel utilisé par le professeur. Le manuel de base du cours était constitué d'un ensemble de textes rédigé par le professeur. Deux chapitres concernaient la rigueur méthodologique. Le chapitre 5 intitulé:" La rigueur méthodologique" et le chapitre 8 intitulé:" Les démarches empiristes d'une recherche nomothétique", qui concernait plus particulièrement l'application, ou le respect de la rigueur méthodologique. La présente recherche s'articule donc autour de difficultés d'acquisition, par les étudiants, du contenu de ces deux chapitres de cours. Il faut noter au passage que ces notes de cours ont été retravaillées à plusieurs reprises par le professeur, jusqu'à la publication d'un ouvrage complet sur la question 5  . La présente recherche a utilisé le même matériel que les étudiants, soit la version des notes de 1992-93.


2.4 Perspective et questionnement

      La perspective utilisée pour cette recherche pourrait être qualifiée d' "orthopédagogique" au sens où elle se propose d'identifier un certain nombre de difficultés éprouvées par les étudiants dans leur apprentissage des critères de rigueur. Il s'agit donc d'une phase diagnostique où nous mettons en relation les obstacles ou les difficultés manifestées par les étudiants avec les caractéristiques du contexte à l'intérieur duquel se sont manifestées ces difficultés.

      L'identification des difficultés des étudiants à l'intérieur d'un seul cours ne peut cependant se révéler intéressante en recherche, que dans la mesure où elle sert de point de départ à une réflexion plus large sur les obstacles à l'apprentissage des critères de rigueur méthodologique. Ainsi, outre l'identification des difficultés, des obstacles et du contexte de leur apparition, nous nous interrogerons de façon plus globale sur les problèmes d'apprentissage de la méthodologie ainsi que sur sa pédagogie.


PARTIE II: CADRE CONCEPTUEL


CHAPITRE 3: LE TRIANGLE PÉDAGOGIQUE

      Afin de mieux conceptualiser le champ à l'intérieur duquel nous effectuerons notre étude, nous regarderons de plus près les éléments qui constituent la situation éducative, les différents triangles qui permettent de réfléchir aux relations entre ces éléments, ainsi que les relations qu'entretiennent ces éléments entre eux et qui permettent de mieux définir le cadre de notre recherche.


3.1 La situation scolaire

      L'acquisition d'un savoir peut s'effectuer à l'intérieur de différentes activités. En ce qui nous concerne, nous sommes intéressée par l'apprentissage et l'enseignement du savoir à l'intérieur du cadre scolaire. Selon Herbert (1972), la situation scolaire peut être définie comme suit:

"1° un seul adulte
2° est en rapports réguliers
3° avec un groupe
4° d'enfants
5° dont la présence est obligatoire" 6 

      La situation scolaire comporte donc cinq éléments. Le premier élément mentionné est "un adulte" ou l'enseignant. En fait, ce n'est pas l'enseignant qui peut être étudié mais plutôt son enseignement, c'est-à-dire toutes les stratégies (y compris les outils pédagogiques) qu'il utilisera pour enseigner le contenu. Le deuxième élément mentionné est le "contact régulier" entre l'enseignant et les étudiants. Cet élément ne peut être modifié puisqu'il fait partie des contraintes du mandat donné à l'enseignant. En troisième lieu, Herbert spécifie que l'enseignant s'adresse à un "groupe". Il n'est évidemment pas question d'exclure qu'une activité éducative puisse avoir lieu par le contact avec une seule personne. Cependant, la situation éducative entendue ici est une situation "de classe" où l'enseignant doit faire face à un groupe dont la taille et la composition est régie par des règles qui sont hors de son contrôle direct. En quatrième lieu, il est question des "enfants" en l'occurrence des enfants, adolescents ou adultes selon la clientèle à qui l'enseignant s'adresse. Le cinquième élément est la "présence obligatoire" des étudiants qui est aussi une contrainte avec laquelle il faut composer. Au niveau post-secondaire, l'obligation n'est pas légale, mais si l'étudiant désire obtenir son diplôme, il doit acquérir les connaissances nécessaires et donc suivre les cours et faire les activités qui lui permettront d'y arriver.

      Parmi les cinq éléments de la situation scolaire définie plus haut, il y en a trois sur lesquels il est possible d'agir afin de faciliter l'apprentissage des étudiants. Ces trois éléments constituent, en fait, les trois pôles d'un triangle classique :

      

Figure 1 : Les trois pôles du triangle


3.2 Triangles et relation entre leurs pôles

      Les trois pôles du triangle peuvent être utilisés à plusieurs fins, selon le point de vue. Develay (1992) mentionne que dès 1975, Guy Avanzini 7  définissait une méthode pédagogique en référence à ces trois pôles: des finalités (ou un savoir prédéterminé), une progressivité didactique ( une stratégie d'enseignement) et une représentation psychologique de l'élève. La méthode d'enseignement était donc constituée par l'articulation de ces trois pôles. Il est également question d'articulation entre ces trois pôles dans un ouvrage de Houssaye (1988), alors que ce dernier tente de définir ce qu'il appelle la "situation pédagogique 8  ". Le modèle de Houssaye fonctionne selon un principe de tiers-exclu : " ... les modèles (pédagogiques) qui en naissent sont centrés sur une relation privilégiée entre deux de ces termes..." 9  . Il est donc possible, à l'aide de ce modèle, de rendre compte de trois types de professeurs (ou de modèles pédagogiques) en fonction de trois processus, pouvant être schématisés comme ceci:

      

Figure 2 : Le triangle pédagogique selon Houssaye (1988)  10 

      Lorsque le couple savoir-professeur est privilégié, l'enseignant est alors centré sur la matière et le modèle pédagogique utilisé est de type magistral, où l'enseignant doit transmettre des contenus (processus "enseigner"). Lorsque le couple professeur-élèves est privilégié, l'enseignant favorisera une pédagogie non-directive où le rapport au savoir, tant de la part de l'enseignant que de l'élève, est moins important et où la relation enseignant -élèves sera centrale (processus " former "). Finalement, lorsque le couple élèves-savoir sera dominant, le rôle du professeur sera plutôt celui de guide, de facilitateur de l'apprentissage. Il utilisera une pédagogie du type de la pédagogie de la découverte ou une pédagogie de type constructiviste (processus " apprendre ").

      Legendre (1993) définit également la situation pédagogique à partir de la triade " sujet-objet-apprenant" et du milieu éducatif. Toutefois, le modèle de Legendre est normatif. Il définit quelles sont les interrelations nécessaires entre les composantes de la situation pédagogique, afin que l'apprentissage soit possible. Étant donné que notre objectif est descriptif, nous n'avons pas utilisé le modèle de Legendre. Nous visons simplement à montrer les éléments qui sont pertinents à notre problématique et leur articulation.

      Dans un autre champ, en l'occurrence celui de la didactique des sciences et des mathématiques, un schéma semblable est utilisé pour rendre compte du champ d'intérêt de la didactique et des concepts que cette dernière revendique. Develay (1992) caractérise la didactique comme "emprunteuse et remodeleuse de savoirs existants " 11  , le regard de la didactique étant centré sur l'appropriation du savoir par l'apprenant. Develay utilise les trois pôles du triangle, qu'il appelle didactique, pour situer la place de trois concepts revendiqués par la didactique soit: les représentations , le contrat didactique et l'ensemble des tâches, des objets, des connaissances procédurales et déclaratives qui constituent une discipline. Cette discipline étant définie à travers l'une des deux dimensions de la transposition didactique selon Develay (1992), le phénomène de didactisation, dont il sera question plus amplement à la section 3.3.2.

      

Figure 3 :Le triangle didactique selon Develay  12 


3.3 Les relations entre les trois pôles du triangle didactique

      Les trois pôles ne sont pas étudiés de façon isolée mais bien dans la relation qui les lie aux deux autres. Ainsi dans ce triangle, le couple professeur-étudiant concerne le contrat didactique qui lie ces acteurs. Le couple professeur-savoir à enseigner concerne, quant à lui, toute la question de la transposition didactique, particulièrement celle effectuée par le professeur lui-même. Finalement, le couple apprenant-savoir à enseigner concerne les représentations des étudiants et, comme nous le verrons plus loin, leurs difficultés par rapport à l'acquisition d'une matière. Voyons plus en détails comment conceptualiser chacune de ces relations.


3.3.1. L'étude du couple"enseignant-apprenant" : le contrat didactique

      Develay citant Brousseau, définit le contrat didactique comme:

" une relation qui détermine, - explicitement pour une petite part, mais surtout implicitement-, ce que chaque partenaire, l'enseignant et l'enseigné, a la responsabilité de gérer et dont il sera responsable, d'une manière ou d'une autre devant l'autre. Ce système d'obligations réciproques ressemble à un contrat. Ce qui nous intéresse est le contrat didactique, c'est-à-dire la part de ce contrat qui est spécifique au contenu." 13 

      Le concept de contrat didactique soulève une question importante concernant la nature de ce contrat. De toute évidence, l'enseignant est le seul des deux partenaires à avoir une obligation légale envers l'élève, mais il est également celui qui, implicitement ou non, détermine ce qui constituera les responsabilités de l'élève. L'environnement pédagogique de la classe ( les programmes, la méthode pédagogique, les stratégies, les manuels, les activités d'apprentissage, etc.) est déterminé par l'enseignant, pour maximiser l'apprentissage de l'élève bien sûr, mais ce dernier ne participe pas à la décision. Le contrat didactique n'est donc pas un contrat négocié entre des partenaires égaux. C'est ce que sous-tend Merieu (1991) lorsqu'il affirme que:

" (...) aussi négocié que soit le contrat, aussi inventif soit-il pour articuler les expériences antérieures du sujet, ses motivations du moment et les ambitions de l'éducateur, il reste fondamentalement dissymétrique. L'éducateur y occupe, en effet, une place irremplaçable puisqu'il anticipe le "bien" de l'autre, brusque, en quelque sorte, son histoire, le contraint de se dégager de l'immédiateté. Le contrat laisse ainsi entièrement intact le projet de modeler l'autre selon ce que l'on croit être bon pour lui, projet constitutif, comme je l'ai dit maintes fois, de l'entreprise éducative" 14  .

      Ainsi, l'élève peut accepter les modalités du contrat déterminé pour son "bien" par l'enseignant, mais il peut également refuser d'y adhérer, forçant l'enseignant à réviser ses positions. L'apprentissage étant un acte volontaire, il exige le consentement de l'élève:

" Le professeur tente d'influencer l'autre, de courtiser son consentement afin de gagner la joute de l'apprentissage. Mais l'élève, essaie à son tour de courtiser le consentement du professeur, pour faire autrement, ou autre chose." 15 

      Develay, quant à lui, doute de la pertinence du concept de contrat didactique comme concept spécifique à la didactique et affirme plutôt la nécessité d'examiner le contrat pédagogique entre le professeur et l'élève, c'est-à-dire la relation entre ces deux partenaires, à travers certains référents théoriques tels la psychanalyse ou la sociologie. Toutefois, il nous semble que le contrat pédagogique, plus global, influence les modalités du contrat didactique et que, de plus, la relation entre l'enseignant et l'élève est nécessairement médiatisée par leur relation au savoir enseigné.


3.3.2 L'étude du couple " enseignant- savoir à enseigner ": la transposition didactique

      La deuxième relation étudiée par Develay concerne le travail de transposition didactique qui est effectué par différents agents sur le savoir savant, afin de déterminer un savoir à enseigner. Ce savoir à enseigner est médiatisé par les caractéristiques qui sont attribuées à l'apprenant par les agents responsables de la transposition didactique.

      Selon Chevallard (1991), le savoir enseigné dans nos écoles est nécessairement différent du savoir savant, et ce, parce que le fonctionnement didactique du savoir et le fonctionnement savant du savoir sont fondamentalement différents. La définition de la transposition didactique est cependant un peu ambiguë dans l'ouvrage de Chevallard. La transposition didactique concernerait à la fois le travail qui permet de faire d'un objet à enseigner un objet d'enseignement (que Chevallard appelle "transposition didactique sticto sensus") et l'étude plus large du processus de transposition didactique (sensus lato), représentée par le schéma suivant:

      

Figure 4 : Représentation schématique de la définition de la transposition didactique "sensus lato" selon Chevallard  16 

      La transposition didactique au sens large peut donc être effectuée par une personne différente de celle qui effectue la transposition didactique au sens stricte (stricto sensus). L'enseignant effectue une transposition didactique au sens strict (passage de l'objet à enseigner à l'objet d'enseignement), mais il travaille à l'intérieur du processus de transposition didactique au sens large (sensus lato). Chevallard ajoute une dimension sociale lorsqu'il mentionne que le passage de l'objet de savoir à l'objet à enseigner résulte d'un projet social d'enseignement (représenté par la première flèche à l'extrême gauche) et aboutit à un contrôle social de l'acquisition de ces savoirs. Mais l'effet de cette dimension sociale est peu explicite.

      La conception de la transposition didactique de Develay (1992) nous semble plus complète. Ce dernier mentionne, en effet, différents degrés de transposition didactique et représente cette conception selon le schéma suivant:

      

Figure 5 : Les différents degrés de la transposition didactique selon Develay  17 

      A un premier niveau, se situe le travail du concepteur de programme qui doit déterminer, à partir du savoir savant et des pratiques sociales de référence, les savoirs "officiels" à enseigner. Le terme de pratiques sociales de référence " ... renvoie à des activités sociales diverses (activités de recherche, de production, d'ingéniérie, mais aussi activités domestiques et culturelles) pouvant servir de référence à des activités scolaires..." 18  . Le savoir à enseigner serait donc fonction à la fois du savoir savant et des valeurs et priorités sociales qui influencent le choix du contenu abordé, les outils utilisés ainsi que les attitudes et rôles sociaux qui seront développés. Le travail de didactisation consiste à dépersonnaliser le savoir savant et à l'affranchir des conditions sociales et historiques de son émergence. Il consiste également à programmer ce savoir en séquences d'acquisition et à le publiciser de façon à permettre ou obliger une homogénéisation du savoir à enseigner (par des programmes distribués et dont l'application est obligatoire par exemple) afin qu'il puisse y avoir un contrôle social de l'acquisition de ce savoir 19  . Quand au choix axiologique, il s'agit du choix des orientations, des méthodes, des niveaux d'objectifs ou des contenus, qui sont fonction des valeurs et des priorités sociales .

      Un deuxième niveau de transposition didactique est effectué par l'enseignant, qui adapte et ajuste le savoir à enseigner à ses priorités, à ses exigences, à son groupe d'élèves etc. Bien que les programmes d'enseignement soient les mêmes pour chacun des enseignants d'un même niveau, aucun d'eux n'accorde la même importance (temps, énergie, exercices, etc.) à chaque objectif ou contenu. Finalement au troisième niveau, l'élève opère une sorte de transposition didactique lorsqu'il assimile le savoir enseigné et ce, en fonction de la tâche qui lui est demandée (mémorisation ou application par exemple). Il peut donc y avoir une différence plus ou moins importante entre le savoir enseigné et le savoir assimilé par l'élève.

      La transposition didactique au sens large, objet d'étude des didacticiens, englobe donc à la fois la question du choix de l'objet à enseigner et de l'adéquation entre ce savoir à enseigner et l'objet qui est effectivement enseigné. Deux questions peuvent se poser. D'abord, pourquoi cette distance entre le savoir savant et le savoir enseigné ? Ensuite, comment s'articule cette distance entre savoir savant et savoir enseigné ? Une réponse à la première question est ébauchée au premier paragraphe de la présente section: "... parce que le fonctionnement didactique du savoir et le fonctionnement savant du savoir sont différents". Le savoir enseigné est un savoir décontextualisé, dépersonnalisé, il est présenté comme une vérité, à tout le moins, une réalité neutre, objective et stable. A ce sujet Chevallard affirme que:

" Le savoir enseigné suppose un processus de naturalisation, qui lui confère l'évidence incontestable des choses naturelles; sur cette nature "donnée", l'école étend alors sa juridiction, fondatrice des valeurs qui, désormais, administrent l'ordre didactique." 20 

      Il nous semble intéressant, ici, de rapporter brièvement les propos de Latour (1989), qui vont dans ce sens. Latour affirme qu'il existe deux types de savoir: le savoir issu de la science en construction et le savoir issu de la science établie.

      Le savoir issu de la science établie est celui qui fait l'objet d'un consensus à l'intérieur de la communauté scientifique et qui est diffusé hors de cette communauté. Toutefois, par consensus, il ne faut pas entendre un accord délibéré de la part des scientifiques, mais plutôt le résultat d'un système de persuasion où chaque groupe de scientifiques tente de convaincre la communauté scientifique de la véracité de ses résultats. Ainsi, un nouveau savoir émerge et s'impose à l'intérieur de la communauté scientifique. Latour compare ce savoir à une boîte noire que l'on utilise sans qu'il soit maintenant nécessaire de poser la question de la véracité de ce qu'elle contient. Ce qu'elle contient est "admis" et "reconnu". Par exemple, personne ne remet en question la formule chimique de l'eau (H20). Cette formule chimique est admise par les "savants", justifiée d'une façon logique et cohérente, utilisée et enseignée dans nos écoles. Selon les époques, bien sûr, le contenu de ces boîtes noires s'est modifié. C'est donc dire que le contenu de ces boîtes noires est admis, jusqu'à preuve du contraire, c'est-à-dire jusqu'à ce que les scientifiques soient convaincus, par d'autres scientifiques, qu'il en est autrement. Lorsque ce qui était de l'ordre du savoir issu de la science établie (les boîtes noires) est remis en cause, on revient dans la sphère de la science en construction. Ce n'est que dans la sphère de la science en construction que le savoir est l'objet de polémiques. Le savoir issu de la science établie n'est pas discuté, il est admis. S'il fait l'objet de révision, il ne s'agit plus de science établie, mais de science en (re)construction.

      Le savoir issu de la science en construction et celui de la science établie fonctionnent donc selon des logiques très différentes et se situent également dans des sphères différentes. Le savoir en construction obéit à une logique de persuasion :

" Lorsque les choses tiennent, elles commencent à être vraies" 21 

      Autrement dit, lorsque les faits et l'explication de ces faits sont cohérents et convainquants, ils peuvent être admis et deviennent "vrais". C'est le monde de la science en train de se construire, où la "véracité" d'un énoncé dépend de l'opinion de la communauté scientifique à son sujet.

      A l'opposé la science établie obéit à une logique de la preuve:

" Lorsque les choses sont vraies, elles tiennent" 22 

      La "véracité" de la science établie est reconstruite selon une logique de la preuve qui la justifie et lui confère un statut de "scientifique".

      Le savoir à enseigner, celui contenu dans les programmes scolaires, est donc constitué de boîtes noires issues de la science établie et bien sûr de normes, de valeurs et de pratiques en vigueur dans la société en question. Ce savoir est donc, comme le disait Chevallard, un savoir différent, dépouillé de son contexte social et historique et dont la logique a été reconstruite a posteriori. Le savoir des programmes scolaires n'est évidemment pas constitué de "Vérités". Cependant, parce que l'école n'est pas un laboratoire de recherche, parce que les élèves ne sont pas des chercheurs chevronnés et parce qu'il existe toujours un écart entre le savoir issu de la science en construction et le savoir issu de la science établie, les savoirs des programmes sont présentés comme étant "prouvé" et "reconnu". Les programmes et les manuels qui se proposent de les appliquer sont d'ailleurs "approuvés" par le MEQ, et par un certains nombres de comités notamment les comités catholiques et protestants en ce qui concernent les programmes des secteurs primaire et secondaire au Québec.

      La seconde question concernait l'articulation de ces deux types de savoir. Selon Chevallard (1991), le savoir enseigné doit respecter deux contraintes. D'une part, il doit être "acceptable" pour les savants , c'est-à-dire être suffisamment proche du savoir savant pour ne pas être désavoué par les scientifiques et d'autre part, il doit être suffisamment loin du savoir "commun" pour que la crédibilité et la légitimité des enseignants subsiste. Si, en effet, le savoir pouvait être enseigné par les parents, la crédibilité des enseignants serait réduite à néant. La société aurait recours à leurs services simplement parce que les parents n'ont pas le temps d'enseigner à leurs enfants. Chevallard ira même jusqu'à comparer le travail de l'enseignant dans une telle situation, à celui d'une femme de ménage, à qui l'on a recours uniquement par manque de temps et non pour ses compétences. Mais le savoir enseigné vieillit avec le temps. Il s'éloigne du savoir savant et se rapproche de plus en plus du savoir "commun" (ou banalisé, selon l'expression de Chevallard). A ce moment, les "savants" sont insatisfaits du savoir enseigné qu'ils jugent trop loin du savoir contemporain et les parents s'inquiètent du manque de dynamisme, de l'archaïsme du système scolaire. Ainsi, selon Chevallard:

"Les enseignants s'émeuvent du discrédit où ils se voient tomber, et s'irritent de ce double regard de suspicion jeté par dessus leur épaule, qui attente à l'autonomie nécessaire du fonctionnement didactique - et les empêchera, à terme, de faire leur métier..." 23 

      Pour rétablir l'équilibre, il y aura modification du savoir enseigné en fonction du savoir savant contemporain. Ainsi, le savoir enseigné se rapprochera du savoir savant et s'éloignera du savoir "commun". Dès lors, les "savants" seront satisfaits de "authenticité" du savoir enseigné, les parents s'irriteront de ne plus le comprendre et la légitimité des enseignants, leur crédibilité également, seront rétablies. C'est ce processus qui est en fait l'objet d'étude de la transposition didactique.


3.3.3 L'étude du couple " apprenant - savoir à enseigner" : les représentations

      L'étude du couple " étudiant-savoir" concerne les caractéristiques des étudiants par rapport au savoir que l'on se propose de leur enseigner. Comme nous l'avons vu précédemment, l'enseignement d'un contenu ne peut se faire d'une façon efficace sans une définition explicite et détaillée de la matière à enseigner, mais l'enseignement efficace est également impossible, si l'on connait pas les caractéristiques des étudiants. Giordan (1977) prétend même que les critiques envers l'enseignement du savoir scientifique pourraient provenir de deux sources: premièrement d'une analyse épistémologique incomplète de la science qui est enseignée et deuxièmement du fait que souvent les enseignants ignorent à qui ils s'adressent.

      De nombreuses recherches ont démontré que la présence de conceptions préalables chez les étudiants interfère avec les nouveaux apprentissages (Migne, 1976, INRP, 1980, Coquin-Viennot, 1989, Audigier, 1988, Giordan, 1987, Fayard, 1988, Deschênes,1988). La pensée n'est donc pas neutre et l'étudiant n'est pas un vase vide que l'on remplit. Dans le secteur de la psychologie cognitive, on considère que les connaissances antérieures jouent un rôle prépondérant dans l'apprentissage (Ausubel, 1968). Tardif (1992) affirme que ces connaissances "... déterminent non seulement ce qu'il peut apprendre, mais également ce qu'il apprendra effectivement et comment les nouvelles connaissances seront apprises 24  ".

      Giordan et de Vecchi(1987), ont tenté de retracer les sources historiques des travaux sur les représentations des élèves afin de voir comment ce champ d'étude est apparu. Les recherches sur les préconceptions des étudiants ont des racines jusque dans les travaux de philosophes tels que Leibnitz, Kant ou Condillac. Ces philosophes ont en effet, chacun de leur point de vue, discuté de "l'entendement humain", mais leur préoccupation n'était pas spécifiquement pédagogique bien que pouvant avoir un lien avec l'enseignement. Ces auteurs ont en effet traité de l'aspect inné ou acquis des capacités humaines. Mais, bien que l'on puisse voir là un lien avec la nécessité ou l'inutilité de l'éducation, ces auteurs restaient convaincu que "...la logique d'adulte viendrait remplacer naturellement et immanquablement ce lot d'incompétences" 25  . Selon Giordan et de Vecchi, les sources des travaux préconisant l'étude des préconceptions des étudiants ne peuvent cependant provenir de la philosophie ou de la théologie étant donné que ces sciences discutent d'une façon beaucoup trop générale de la construction du savoir humain. Elles ne sont pas fondées sur des observations et sur des contenus spécifiques et, comme telle, ne peuvent être d'aucune aide pour la pratique concrète.

      Une autre source réside, selon Giordan et de Vecchi, dans la psychologie génétique avec des auteurs tels que Claparède, Wallon et Piaget qui ont largement fait progresser le concept de représentation. La principale critique faites aux travaux de ces auteurs est qu'ils ont évacué l'aspect "pragmatique" de leurs travaux, ce qui a eu comme conséquence des extrapolations abusives dans la pratique, les praticiens n'ayant aucun guide pour les transposer .

      Une troisième source réside dans les travaux de Poincaré, Bachelard, Canguilhem et de Broglie qui étaient préoccupés par le progrès scientifique et par le passage d'un état pré-scientifique à un état scientifique. L'aspect le plus intéressant de ces travaux est la notion d'obstacle épistémologique. Selon Bachelard, "...l'esprit scientifique doit se former en se réformant" 26  . Il doit donc aller contre la Nature, contre les expériences passées, contre le sens commun. La formation d'un esprit scientifique implique donc une rupture entre le savoir ancien et le savoir issu de l'expérimentation.

      Bien que s'intéressant particulièrement au développement historique de la culture scientifique, Bachelard établit un parallèle avec le développement d'une culture scientifique par l'élève. Il y aurait donc des similitudes entre ces deux domaines dans la façon d'acquérir la science et la façon de surmonter les obstacles. Certains auteurs cependant (Vergnaud, G., Halbwachs, F., Rouchier, A), prétendent que la similitude s'arrête au niveau de la difficulté elle-même, puisque le contexte socio-historique (à l'école de surcroît) n'est pas celui des hommes de sciences de l'époque.

      Finalement, une dernière source réside, non pas dans la construction de la science ou de l'esprit scientifique, mais dans l'élève et son importance dans le processus éducatif. Freinet insiste sur le fait que l'élève n'est "...ni une marionnette, ni une cire molle extraordinairement docile entre les mains de ses parents qui auraient la prétention de le former et de le re-créer" 27  . Claparède lui, affirmait la nécessité d'obéir à la nature. Il établit même un parallèle entre la nécessité pour l'enseignant de connaître l'élève et celle pour le cultivateur de connaître le sol dans lequel germeront les graines. Quant à Rousseau, son opinion sur la question est très claire, il n'y a qu'à se rappeler cette phrase célèbre: "Commencez donc par étudier vos élèves, car très assurément vous ne les connaissez point".

      Les connaissances de base des étudiants mais aussi leur organisation en un système explicatif joueraient donc un rôle fondamental dans l'apprentissage. Ces structures ne seraient cependant pas toujours un obstacle à l'apprentissage, contrairement à ce que Bachelard affirmait. Elles pourraient parfois être bénéfiques ou encore ni bonnes ni mauvaises, mais susceptibles d'être exploitées à l'intérieur d'une stratégie d'enseignement. Nous discuterons de ces différentes positions plus loin.


3.4 Application au contexte de la recherche

      L'analyse des différents couples formés par les trois pôles du triangle nous permet de mettre en relation l'objet de notre recherche avec le contexte d'enseignement qui lui est propre. Voyons plus en détails chacun des trois couples du triangle appliqué à notre contexte de recherche.


3.4.1 La relation professeur - savoir enseigné : La transposition didactique

      Un contenu de cours, comme nous l'avons vu précédemment est le résultat d'une transposition didactique à plusieurs niveaux (voir la figure 5 sur la transposition didactique selon Develay). Généralement, le travail du professeur se situe au deuxième niveau, c'est-à-dire la transformation du savoir publié et exigé par les programmes (savoir à enseigner) selon ses priorités, ses exigences, les caractéristiques de ses étudiants , bref, toutes les contraintes mais également les ressources dont il dispose. Les représentations du professeur par rapport au contenu vont évidemment influencer l'importance de certains éléments de même que l'orientation de son enseignement. Le premier niveau de transposition didactique ayant été effectué auparavant et en d'autres instances que celui de sa classe ou de son école, l'enseignant reçoit le fruit de cette première transposition comme un "mandat". Il doit s'assurer de l'acquisition de ce contenu chez ses étudiants. L'enseignement universitaire et de surcroît aux deuxième et troisième cycles, comporte cependant quelques particularités. En effet, lorsque qu'il s'agit d'un domaine ou d'un niveau d'enseignement où il existe un ensemble de connaissances issues de la science établie qui ont déjà subi une transposition didactique, le contenu à enseigner et sa signification sont déjà déterminés: le mandat est clair. Mais lorsqu'il s'agit d'un domaine où il n'existe aucun consensus, lorsque l'on doit enseigner la science " en construction", les choses se corsent. Nous avons vu que le mandat de l'université était d'enseigner la science "en train de se construire". Bien qu'il existe des "syllabus-cadres" qui orientent les contenu de cours pour chaque programme, le professeur d'université ne dispose pas d'un contenu détaillé qui serait le résultat d'une première transposition didactique pour construire son cours. De plus, ce dernier jouit d'une liberté académique qui est nécessaire à la poursuite de recherches qui aboutiront à l'élaboration de nouveaux savoirs. Cette liberté académique et les différentes positions théoriques et épistémologiques du professeur peuvent donc colorer plus ou moins fortement le contenu de ses cours.

      L'enseignement de la méthodologie de la recherche en sciences de l'éducation est un exemple de cette position plus ambiguë du professeur. La méthodologie de la recherche propose un ensemble d'outils et de procédures à la fois pour l'élaboration de protocoles de recherche que pour chacune des étapes nécessaires à sa réalisation. Toutefois, la méthodologie de la recherche en éducation est également en constante évolution. L'éducation est une discipline jeune qui n'a pas de tradition qui lui est propre. Elle n'a donc pas de "canons classiques" de la recherche qui soient pertinents à son objet. La tradition de recherche à laquelle s'est rattachée la recherche en éducation est composée de discours construits dans d'autres disciplines, pour d'autres clientèles et à d'autres fins que pour l'éducation. Il s'agit de discours provenant soit des sciences naturelles, soit des disciplines connexes à l'éducation (psychologie, sociologie etc.) (Ardoino, 1977). Ces discours, ne respectent pas nécessairement la situation éducative, ni la pratique de la recherche en éducation. La tradition de la recherche en éducation est donc en pleine élaboration, ce qui rend difficile la définition du savoir méthodologique essentiel à la pratique de la recherche en éducation. Il est évident, en effet, que la signification que l'on attribue à certains concepts méthodologiques est influencée par les différentes positions et oppositions épistémologiques. Cette situation renvoie, à notre avis, à la nécessité pour le professeur d'université, d'analyser consciencieusement le savoir qu'il se propose d'enseigner. Aucun programme précis ne le contraint à enseigner un contenu particulier, mais l'absence de ces programmes explicites l'oblige à être doublement vigilant par rapport à la pertinence de ce savoir et à la cohérence de son articulation. La liberté académique dont il jouit lui permet un grande latitude par rapport au contenu à enseigner, mais le renvoie également à une plus grande responsabilité.

      Cependant, le premier niveau de transposition didactique 28  n'est pas effectué exclusivement par le professeur de méthodologie, selon ses orientations et positions épistémologiques et théoriques. Le premier niveau de transposition didactique se situe à l'intérieur de ce que Latour (1989) appelle la "science en construction", qui est la sphère à l'intérieur de laquelle le savoir est l'objet de conflits, de pressions, de tactiques de persuasion de la part des membres de la communauté scientifique, qui tentent de faire admettre comme un " fait scientifique" le savoir qu'ils ont construit à partir de leurs recherches. Le professeur de méthodologie ne peut donc enseigner qu'un contenu qui, minimalement, s'inscrit dans cette sphère de la science en construction. Il ne peut se situer hors du débat et enseigner à ses étudiants un savoir qui n'est ni reconnu, ni revendiqué par certains membres de la communauté scientifique. Le professeur de méthodologie de la recherche en éducation doit donc effectuer le travail de transposition didactique aux deux premiers niveaux mentionnés par Develay, mais il est, en quelque sorte, encadré par le phénomène de construction du savoir qui s'effectue dans la sphère de la science en construction et à laquelle il participe souvent lui-même dans le cadre de ses propres travaux de recherche. La transposition didactique effectuée par le professeur de méthodologie n'est donc pas tout à fait neutre.

      Dans le cadre de cette recherche, un contenu méthodologique avait été déterminé par le professeur avant le début des cours. Ce contenu représente pour nous un facteur constant dans la mesure où il constitue la référence à partir de laquelle le savoir des étudiants est observé. Nous l'avons appelé "modèle terminal" 29  pour bien rendre compte du fait qu'il s'agit du contenu que les étudiants doivent avoir acquis au terme du cours.


3.4.2 La relation professeur - étudiant : Les stratégies pédagogiques

      Dans le cadre de notre recherche, la relation entre le professeur et l'étudiant doit être analysée en fonction de l'objectif visé, qui est le diagnostic des difficultés d'apprentissage des étudiants et la compréhension de leur apparition. Les concepts de contrat didactique et de contrat pédagogique se révèlent trop généraux pour constituer des outils d'analyse pertinents des difficultés d'apprentissage d'un contenu spécifique. En effet, le contrat didactique est constitué de responsabilités mutuelles explicites, mais surtout implicites, entre le professeur et les étudiants et son influence sur les difficultés d'apprentissage des critères de rigueur méthodologique serait difficile à montrer. Ainsi, la relation entre le professeur et les étudiants sera analysée sous l'angle des stratégies pédagogiques observables utilisées par le professeur pour permettre aux étudiants d'acquérir le contenu.

      Modèle pédagogique privilégié

      Les stratégies pédagogiques du professeur constituent les moyens utilisés par le professeur pour faciliter l'acquisition de ce contenu. Plusieurs modèles pédagogiques peuvent être utilisés pour l'enseignement de la méthodologie de la recherche. Cependant, les cours de base en méthodologie de la recherche ont des objectifs qui se situent généralement au niveau des connaissances et de la compréhension des concepts plutôt qu'au niveau de l'application qui est visée plutôt lors de la mise en forme et de la conduite du projet de recherche. Ainsi, le modèle pédagogique favorisé sera généralement un modèle assez traditionnel de transmission de connaissances. Selon le triangle pédagogique de Houssaye (1988), le processus "enseigner" sera donc privilégié. Cependant, lorsque la taille du groupe le permet, le professeur peut utiliser des stratégies pédagogiques sous formes de discussion de groupe afin de permettre aux étudiants de participer plus activement au niveau cognitif et de confronter leurs représentations à celles des autres étudiants. Ces stratégies pédagogiques de type plus constructivistes (processus "apprendre" ) restent toutefois assujetties aux contraintes de la situation pédagogique. La figure 6 illustre les deux modèles pédagogiques privilégiés, en reprenant le triangle pédagogique de Houssaye.

      

Figure 6 : Modèles pédagogiques privilégiés pour l'enseignement de la méthodologie de la recherche  30 

      Les stratégies pédagogiques

      Dans le cadre du cours que nous avons observé, les stratégies pédagogiques utilisées peuvent se rapporter majoritairement au processus "enseigner" 31  . Le professeur faisait cependant appel à plusieurs types de stratégies pédagogiques. Après avoir déterminé le modèle terminal et rédigé un texte (mise en page du contenu), le professeur a préparé une mise en scène (présentation en classe) de ce contenu. Les stratégies pédagogiques sont donc de quatre ordres (voir figure 7): des stratégies pédagogiques concernant la présentation textuelle du contenu et des stratégies pédagogiques concernant la mise en scène du contenu (présentation magistrale, explicitation du texte et réponse aux questions des étudiants).

      

Figure 7 : Types de stratégies pédagogiques utilisées dans le cours observé

      Ces stratégies pédagogiques peuvent avoir une influence sur la façon d'apprendre et sur les représentations qui en résultent. Ces stratégies ne constituent pas un modèle de référence comme dans le cas du modèle terminal, mais plutôt un indice permettant de comprendre les réussites ou les difficultés des étudiants, ainsi qu'un moyen éventuel pour éviter ou résoudre certaines difficultés. De la même façon que le contenu de cours, les stratégies pédagogiques sont déterminées par le professeur avant le début des cours dans le cas du texte par exemple et avant le cours tout en s'ajustant au fur et à mesure, dans le cas des stratégies de présentation magistrale, d'explicitation du texte ou de réponse aux questions.


3.4.3 La relation étudiant-savoir enseigné: Les représentations des étudiants

      Comme nous l'avons vu dans la section 3.3.3 concernant les représentations, la connaissance du savoir des étudiants constitue un élément primordial dans la réussite d'un enseignement. En méthodologie de la recherche comme dans la majorité des cours de niveau universitaire, les stratégies pédagogiques utilisées visent généralement la réduction de l'écart entre le contenu enseigné et les représentations des étudiants. Pour ce faire, nous avons choisis dans cette recherche d'effectuer un diagnostic des difficultés des étudiants dans l'apprentissage des critères de rigueur méthodologique en utilisant le concept de représentation comme base théorique.

      Pour effectuer ce diagnostic des obstacles, le concept de représentation nous est apparu comme un concept intéressant, parce qu'il postule l'existence de structures préalables chez l'étudiant qui interfèrent avec son apprentissage. Ce concept, de plus en plus utilisé notamment en didactique des sciences, nous semblait très riche puisqu'il englobe à la fois des croyances, des opinions, des attitudes et des connaissances et qu'il tente de rendre compte de la structure organisationnelle de tous ces éléments et des processus à la base de sa construction.

      Mais qu'est-ce qu'une représentation? A quel champ d'étude est rattaché ce concept? Comment la représentation se construit-elle, comment évolue-t-elle? De quelle façon le concept de représentation peut-il être utile en pédagogie ? Le chapitre suivant propose une revue de la littérature concernant le concept de représentation afin de répondre à une partie des questions concernant l'utilisation d'un tel concept en recherche et particulièrement en recherche pédagogique.


3.4.4 Conclusion

      Le schéma suivant illustre le triangle appliqué au contexte de la recherche, à partir de la discussion précédente.

      

Figure 8 : Application du triangle au contexte de la recherche

      L'objet de notre recherche et le cadre à l'intérieur duquel nous avons fonctionné a isolé, ou en quelque sorte gardé constant, deux des trois relations entre les pôles du triangle. En effet, ayant travaillé à l'intérieur d'une situation réelle de classe où un professeur avait la charge du groupe, la relation "professeur - savoir enseigné" (transposition didactique) et "professeur-étudiant" (stratégies pédagogiques) constituaient des éléments déjà déterminés, sur lesquels nous n'avions aucune influence. Le professeur avait, pour son cours, effectué une transposition didactique afin de déterminer le contenu à enseigner et il avait élaboré et organisé un certain nombre de stratégies pédagogiques (présentation orale et écrite du contenu). Les difficultés d'apprentissage seraient différentes si le contenu enseigné ou les stratégies pédagogiques étaient autres. Ainsi, les difficultés ont été étudiées étant donné la transposition didactique effectuée et les stratégies pédagogiques utilisées.


CHAPITRE 4: LES REPRÉSENTATIONS


4.1 Définitions et caractéristiques

      Lors de notre discussion à propos de l'importance de l'étude des représentations des apprenants, nous avons brossé un tableau très général de l'origine de ce champ d'étude dans les domaines philosophique et psychologique. La caractéristique première du terme "représentation" est certainement sa "polysémie" (Denis 1989). Ce terme, utilisé aussi bien en psychologie (génétique, sociale, expérimentale ou différentielle) qu'en philosophie, en linguistique ou en pédagogie, a une connotation bien différente selon le domaine et même l'école de pensée qui l'utilise. Giordan et de Vecchi (1897) ont d'ailleurs relevé vingt-huit qualificatifs différents et vingt-sept synonymes. Le concept de "représentation" reste pour le moins ambigu et rarement défini de manière explicite notamment dans les travaux en didactique 32  . Afin de tenter de mieux le cerner, nous avons relevé ce qu'en disent certains auteurs dans différentes disciplines.


4.1.1 Qu'est-ce qu'une représentation?

      Durkheim fut le premier à utiliser le terme "représentations collectives". Il voulait ainsi distinguer la pensée sociale de la pensée individuelle, affirmant la primauté de la première sur la deuxième. Le concept de représentation réfèrerait à un mode de pensée et de perception des choses et serait déterminé par le groupe social tant au niveau de son contenu, que de sa forme. (Lukes, 1973).

      Ce fut Moscovici qui fut le premier à entreprendre une étude systématique des représentations d'un groupe. D'une façon très générale, il définit la représentation comme étant "...une organisation psychologique, une modalité de connaissance particulière" 33  . D'une manière un peu plus spécifique, Kaës (1968) définit la représentation sociale comme ceci:

" Unité d'images, d'opinions, de croyances et d'attitudes, la représentation est fabrication d'un système d'orientation cognitive et affective dans l'environnement matériel et social. La représentation est une expression d'un sujet fabricateur de signification." 34 

      Moscovici , qui définit également la représentation comme un système d'interprétation, affirme cependant qu'il s'agit d'un système particulier d'abord puisque: les conditions strictes de construction d'un système ne sont pas respectées et, ensuite, parce que son utilisation n'est fondée sur aucune forme de vérification autre que le consensus social. Il s'agirait donc d'un système qui n'est pas rigoureux et qui est fondé sur des informations qui, a priori, ne sont pas remises en cause, mais qui permet à l'individu de comprendre et d'interpréter les phénomènes et événements avec lesquels il est confronté.

      Giordan et deVecchi (1987), quant à eux, préfèrent le terme "conception" ou "construct" à celui de "représentation". Le terme "conception" permettrait de véhiculer l'idée d'élément permettant la construction ou la transformation d'un savoir alors que le terme "représentation" véhiculerait plutôt l'idée de structure mentale permettant aux individus d'interagir avec leur environnement. Mais ils préfèrent également le terme "conception" parce que celui de "représentation" véhicule trop de définitions et de sens différents. Ces auteurs ne s'aventurent pas à tenter de définir la notion de "conception", ils préfèrent plutôt présenter quelques-unes de ses propriétés afin de mieux la cerner. Une conception correspond, selon Giordan et de Vecchi (1987), à une structure sous-jacente. Elle serait à la fois un produit, mais aussi un processus, c'est-à-dire une activité de construction de sens. Une conception serait également un modèle explicatif d'un objet ou d'un concept.

      Denis(1989) pour sa part, ne définit pas directement le terme "représentation" mais parle plutôt des différentes acceptions de ce terme qui sont susceptibles d'être la source de malentendus. Le schéma de la page suivante montre les différentes acceptions du terme "représentation" (Figure 9):

      

Figure 9 : Acceptions du terme " représentation" selon Denis  35 

      D'abord le terme "représentation" pourrait désigner soit un processus, soit le produit de ce processus. La représentation comme processus n'est pas décrite par Denis, pas plus d'ailleurs par Giordan et de Vecchi. Si l'on examine le produit c'est-à-dire "...l'ensemble des entités dont on peut dire que ce sont des représentations de..." 36  , on peut faire une distinction quant à la nature de ces représentations, soit leur nature d'objet matériel ou de produit cognitif. Il pourra s'agir par exemple d'un dessin de la Tour Eiffel (objet matériel) et de l'image mentale de la Tour Eiffel (produit cognitif). Le produit cognitif pourrait avoir, quant à lui, deux états: un état de disponibilité (produit cognitif inscrit en mémoire à long terme) et un état d'actualité lorsque ces représentations se retrouvent disponibles dans ce que Denis (1989) appelle le "présent cognitif de l'individu". L'auteur mentionne toutefois que la nature des "processus activateurs" reste encore à déterminer.

      A ce sujet, nous croyons que la nature de ces processus restera toujours mystérieuse dans une certaine mesure. En fait, il sera possible d'observer le passage à l'état activé d'une représentation (et donc de déduire que cette représentation était disponible) suite à l'introduction d'un tel "processus activateur". Toutefois, rien ne nous permettra d'affirmer que c'est ce processus et seulement lui qui provoque cette activation. On pourra cependant découvrir un certain nombre de stratégies, de tâches qui permettent dans certains cas d'activer une représentation latente, bien qu'il ne soit pas possible de savoir comment ces processus agissent et pourquoi ils sont ou non efficaces dans certains cas.

      Finalement, une représentation pourrait être utilisée consciemment ou inconsciemment par l'individu. Le sujet peut être en mesure ou non de témoigner de son expérience cognitive. Il se peut, selon Denis, qu'un individu ait activé une représentation sans l'éprouver consciemment, mais qu'un individu extérieur puisse le déceler par des procédures expérimentales.

      Telle que décrit, le concept de représentation apparaît comme un concept interprétatif au sens où il permet d'expliquer un certain nombre de comportements sans toutefois pouvoir faire l'objet d'une étude descriptive puisqu'il n'est pas opérationnalisable. Peut-être vaudrait-il mieux le considérer comme la combinaison d'un certain nombre de composantes qui, elles, seraient opérationnalisables (combinaison d'images, de croyances, d'opinions etc). Pourquoi alors garder le concept de représentation si, pour pouvoir l'utiliser nous devons le sectionner en plusieurs concepts. Denis(1989) résume le problème de la façon suivante:

" Le progrès scientifique est généralement caractérisé par la différenciation des concepts, et non pas leur globalisation. On peut donc légitimement s'interroger sur le bénéfice scientifique que la psychologie, ou toute autre discipline, tirerait de l'élaboration d'un concept visant à fédérer à toutes fins des concepts déjà existants et opérationnels, surtout si l'on constate dans le même temps, sous la plume des auteurs, que leur usage du terme "représentation" continue de renvoyer à une grande variété d'acceptions." 37 

      La représentation se distingue cependant de l'opinion, de l'attitude, de la croyance et de l'image. L'opinion et la croyance sont utilisés pour rendre compte d'une réponse du sujet en fonction d'un stimulus ou comme facteur d'orientation de l'action (Herzlich, 1972, Moscovici, 1976). La croyance est définie par Kaës (1968) comme une organisation d'informations et de perceptions sur un sujet donné alors que l'image serait plutôt une reproduction passive (Moscovici,1976). Ce qui distingue la représentation de ces concepts, serait que cette dernière assure une cohérence ou une relation stable entre ce qui est perçu (le stimulus), ce qui est construit (interprété, symbolisé etc.) et l'action elle-même de l'individu. Puisque la représentation est un processus de construction, elle agit tant sur la réponse de l'individu que sur sa perception du réel lui-même (sur le stimulus lui-même) (Herzlich,1972).

      A notre avis, le concept de représentation ou de conception est pertinent dans la mesure où c'est la combinaison des éléments opérationnalisables, dans son ensemble, qui joue un rôle au niveau cognitif et émotif chez l'individu et non pas la succession de ces éléments. Le concept de représentation serait donc utile ne serait-ce que pour nommer ces "modèles intériorisés" et pour les représenter afin d'être en mesure de tenir compte de leur richesse (voir à ce sujet: Ridao, 1993). Il y a cependant le danger d'en faire un concept-valise dans lequel on pourrait mettre tout et n'importe quoi ou encore un concept répandu que l'on pourrait utiliser sans faire l'effort de le définir d'une façon précise.

      Selon Denis(1989), on pourrait utiliser une définition générale du terme représentation en psychologie du moins, si on délimite le champ d'étude et si on respecte un certain nombre de conditions, notamment celle de placer l'étude des représentations dans le cadre plus général du traitement de l'information, donc au niveau des sciences cognitives qui étudient l'acquisition, la conservation et l'utilisation des connaissances. Le concept de représentation serait donc pertinent dans la mesure où il pourrait permettre la modélisation d'une activité cognitive (Denis, 1989).

      Cependant certains auteurs déplorent le fait qu'il n'existe, en didactique des sciences, aucune théorie d'accompagnement qui ferait du concept de représentation, un concept opératoire (Ridao, 1993). Aucune théorie en effet, ne nous permet de savoir comment, dans le champ de la didactique, passer d'une représentation à un concept scientifique et les travaux sur les modèles pédagogiques où les représentations sont utilisées sont certainement prometteurs, mais comme nous le verrons plus loin dans ce chapitre, ils donnent encore peu de précision au sujet de leur utilisation dans une situation concrète de classe.


4.1.2 Fonctions des représentations

      L'individu a besoin de comprendre son environnement afin d'orienter son comportement. La représentation remplit donc une fonction de préparation à l'action puisqu'elle permet à l'individu de créer une organisation du monde qui le rende apte à comprendre à d'agir. La représentation sociale aurait selon Moscovici(1969) une double vocation. Elle permettrait d'abord à l'individu d'ordonner la perception du réel afin de s'orienter dans l'environnement et également d'assurer la communication entre les individus en établissant un code commun qui permette d'établir un lien entre les histoires individuelles et collectives. Denis (1989), quant à lui, mentionne quatre fonctions des représentations cognitives :

  • conservation de l'information, même de celle non-accessible au sens (relations, structures etc.)
  • instrument de planification des actions
  • systématisation des connaissances
  • communication (intégration dans des systèmes plus complexes qui permettent l'échange d'information).

      Selon Giordan et de Vecchi(1987), les conceptions auraient trois fonctions. D'abord, elles auraient une fonction de conservation des connaissances dont nous n'aurions plus accès directement. Cette fonction permettrait à l'individu de conserver l'information nécessaire pour faire face à des situations nouvelles. Ceci suppose que l'individu ait évalué la situation, sélectionné et évoqué l'information pertinente. Par la suite, une deuxième fonction, la fonction de systématisation, serait nécessaire. Cette dernière permettrait à l'individu de mettre en relation l'information dont il dispose afin d'y avoir accès plus facilement. Finalement, les conceptions structureraient et organiseraient la perception du réel en vue d'une action ou d'une prévision. Elles seraient donc utilisées chaque fois que l'individu doit faire face à de nouvelles situations.

      Ces trois auteurs mentionnent donc deux fonctions principales des représentations. D'abord une fonction de préparation ou de planification de l'action, qui nécessite des opérations de conservation et de systématisation des connaissances. Deux des trois ouvrages mentionnent également une fonction de facilitation de la communication entre individus. Cependant, la question, à notre avis, est de savoir si la communication entre individus est réellement une fonction des représentations ou si la communication n'est pas simplement facilitée lorsque les individus ont des représentations communes. Il pourrait s'agir en fait, d'une conséquence de la présence de représentations communes à plusieurs personnes. Quant à la fonction de préparation à l'action, il est intéressant de faire un lien avec ce que Boesch (1976) et Van der Maren (1987) appellent les "fantasmes" (ou schèmes anticipatoires) afin d'ajouter un élément nouveau aux représentations cognitives.

      Selon Boesch(1976), le fantasme serait un genre de représentation inconsciente qui agirait comme un filtre entre l'individu et le monde et qui déterminerait ses actions. Van der Maren (1987) définit le fantasme comme: "un schème émotionnel anticipateur de l'action en complément du schème cognitif" 38  . Il s'agirait donc d'un ensemble d'émotions qui nous pousse à agir en nous permettant d'anticiper le plaisir ou le déplaisir relié à une situation. Le fantasme éliminerait même les perceptions qui sont en contradiction avec ce que le sujet anticipe. Il ne pourrait donc perçevoir que les éléments de la situation qui ont été filtrés par le fantasme. Autrement dit, nos réalités sont toujours formées (ou déformées) par notre imagination, nos attentes, nos angoisses, etc. Les fantasmes (ou schèmes émotionnels anticipatoires) joueraient donc un rôle au niveau de l'anticipation des actions au même titre que les représentations cognitives.

      Si nous reprenons la discussion sur la définition des représentations, nous pourrions la définir ainsi :

Une combinaison d'images, d'opinions, de croyances, d'attitudes et d'émotions ayant pour fonction l'orientation cognitive et affective de l'individu dans son environnement matériel et social.


4.1.3 Formation et détermination des représentations

      Selon Moscovici:

" Les représentations sociales (.. ) procèdent par observation, par analyse de ces observations et emprunts de notions et de langages à gauche ou à droite, aux sciences ou aux philosophies et tirent les conclusions qui s'imposent." 39 

      Il semble bien qu'il s'agisse d'un processus inductif peu rigoureux. Mais l'auteur précise par la suite en décrivant deux processus qui expliquent, selon lui, la construction de la représentation: il s'agit de l'objectivation et de l'ancrage (voir figure 10).

      

Figure 10 : Processus de formation des représentations

      Le processus d'objectivation "...a pour point de départ, un agencement particulier de connaissances concernant l'objet" 40  . Ces connaissances sont partielles et ont été sélectionnées parmi toute l'information circulant dans la société. La première phase de l'objectivation serait la construction d'un schéma figuratif, c'est-à-dire le moment où la sélection des informations, leur confrontation aux systèmes de valeurs et aux autres représentations et leur déplacement vers le concret se font simultanément. L'individu se construirait, en quelque sorte, une image des concepts. Il faut ici mentionner que le terme "image" réfère à une entité "statique" alors que la représentation, à ce stade, serait plutôt une image "évolutive". Par la suite, avec la naturalisation, deuxième phase de l'objectivation, le schéma deviendrait une évidence, une réalité sociale. Il serait décontextualisé, approprié par l'individu et utilisé dans divers contextes. Il ne serait plus remis en question et l'individu oublierait même que le discours qu'il tient est sa propre création.

      Le processus d'ancrage, quant à lui, peut être défini d'une façon très générale comme: "...l'influence qu'exerce une valeur de référence sur l'estimation d'une série de stimuli" 41  . Plus précisément, le processus d'ancrage devient soit une sorte de système d'interprétation des événements et des personnes, soit un système symbolique. Comme système d'interprétation, le processus d'ancrage serait un prolongement du processus d'objectivation, en ce sens que la représentation deviendrait la grille à partir de laquelle le réel est envisagé. Comme système symbolique, la représentation peut, en étant jumelée à d'autres représentations, transformer l'objet de la représentation en un symbole. Dans le cas de la psychanalyse, par exemple, Herzlich(1972) mentionne que cette dernière devient le symbole d'une vie sexuelle libérée et même de la sexualité elle-même.

      Les représentations seraient donc d'abord élaborées intuitivement à partir des expériences diverses et par la suite, intégrées au vécu de l'individu comme cadre de référence pour l'interprétation et l'action. Évidemment, l'auteur a dégagé ces deux processus du matériel de son enquête et il ne les évoque pas comme des réponses à la question de la formation de la représentation mais bien comme une piste de réflexion pour des recherches ultérieures.

      Finalement, Moscovici (1961) insiste sur le fait que l'étude de la formation de la représentation sociale doit passer par l'étude des liens qui rattachent cette dernière à la dynamique sociale. Le cadre social pourrait influencer différemment et à divers degrés les différents aspects de la représentations. L'auteur a donc examiné le processus de détermination sociale de la représentation sociale de la psychanalyse et a dégagé deux formes de déterminations sociales: la détermination centrale et la détermination latérale (voir figure 11).

      La première forme de détermination est qualifiée de centrale

" ...parce qu'elle conditionne à la fois l'état et les contenus particuliers de la représentation. On peut parler d'un état comme déterminé, en constatant que l'image collective globale de la psychanalyse dépend de la totalité des circonstances sociales et historiques." 42 

      Le contenu des représentations d'un groupe serait donc en partie déterminé par l'ensemble des circonstances historiques et actuelles de la société de référence. L'état de la société de référence limiterait la possibilité d'extension et d'évolution des représentations sociales, mais ne peut à lui seul en expliquer l'organisation. Moscovici a également isolé des "champs de représentations" 43  afin de rendre compte de variations dans les représentations et des facteurs possibles qui expliquent ces variations, tels que les conditions socio-économiques et les conditions de nature psychologiques et sociales (par exemple les attitudes et motivations par rapport à un problème précis).

      La deuxième forme de détermination, la détermination sociale latérale concerne plus particulièrement les éléments expressifs et cognitifs, c'est-à-dire la forme de la représentation. La forme des représentations serait déterminée par des lois propres et serait moins influencée que leur contenu par les facteurs socio-économiques et culturels mentionnés précédemment. Moscovici admet cependant qu'il n'y a évidemment pas d'indépendance complète entre la détermination de l'état et du contenu et celle de la forme des représentations, donc que ces deux processus de détermination des représentations agissent conjointement.

      

Figure 11 : Schéma des formes de détermination sociale des représentations à partir de Moscovici (1961)

      Giordan et de Vecchi (1987) proposent, eux aussi, un modèle de formation des représentations cognitives, cette fois-ci, dans les processus d'apprentissage. Selon eux:

"La réalité est la source de ce que le sujet conçoit, mais cette réalité est approchée, découpée, décodée et exploitée en fonction des questions, du cadre de référence et des opérations mentales de l'apprenant, ce qui permet à celui-ci de constituer une grille de lecture applicable à son environnement". 44 

      La conception serait donc fonction, comme l'illustre le schéma suivant (Figure 12), d'abord des questions ou problèmes qui sont à l'origine de la mise en oeuvre de la conception, de son cadre de référence, c'est-à-dire de l'ensemble des autres conceptions que l'étudiant utilise pour en construire une nouvelle, des opérations mentales qu'il maîtrise, du réseau sémantique dont il dispose et aussi de l'ensemble des signifiants qui lui permettent de l'exprimer. La conception se construirait donc à partir d'un questionnement, qu'il soit implicite ou explicite et par la suite, elle se structurerait étant donné les autres composantes. Les auteurs insistent également sur le fait que l'individu construit ses conceptions à partir "du réel" et donc que son approche n'est pas exclusivement scientifique, mais aussi psychologique, culturelle, politique, économique et même sexuelle. On peut donc croire que le cadre de référence de l'étudiant, sa façon d'appréhender et de résoudre les problèmes (opérations mentales), sa façon de construire un sens (réseau sémantique), de même que les outils qui lui servent à exprimer sa pensée (signifiant), seraient déterminés partiellement par la société de référence mais aussi par son expérience personnelle. Les auteurs mentionnent que les différentes composantes sont en partie superposables, qu'elles fonctionnent en interdépendance et que le découpage qu'ils ont effectué permet une meilleure analyse mais ne reflète pas la complexité de la réalité.

      

Figure 12 : Modélisation des composantes d'une conception selon Giordan et de Vecchi 45 


4.2 La représentation en pédagogie

      Les différents travaux sur les représentations nous éclairent sur leur nature, leur fonction, les différents mécanismes susceptibles de contribuer à leur formation, ainsi que sur leur structure cognitive. La question qui nous préoccupe maintenant, est celle de savoir de quelle façon le concept de représentation peut être utile et pertinent en pédagogie.

      La représentation serait socialement construite et aurait une fonction sociale (communication entre individus), mais les expériences et les caractéristiques individuelles de la personne (personnalités, capacités, fantasmes, etc.) seraient également déterminantes (Giordan et de Vecchi, 1987). Par exemple, la représentation sociale de la science influence certainement les représentations individuelles d'un étudiant sur ce qu'est la science et ce que devrait faire la recherche, mais ses expériences individuelles, son cursus scolaire, ses ambitions de futur chercheur auront également une influence sur sa perception de la science. En pédagogie, les chercheurs s'intéressent aux représentations des étudiants dans le cadre de préoccupations pédagogiques. Que le social ait la primauté sur l'individuel ou non, l'importance pour les pédagogues est de tenter de cerner le contenu des représentations ou le processus de formation de ces dernières et de savoir de quelle façon on peut les utiliser afin de rendre plus efficace l'apprentissage des matières enseignées. Il est évident que si la représentation de l'individu se trouve constamment renforcée par la représentation sociale "ambiante", cette dernière risque d'être difficile à déloger. Cependant, le pédagogue n'a accès qu'à l'individu et ce n'est qu'à partir de représentations de l'individu qu'il peut agir.

      Certains pédagogues ont réalisé, comme nous l'avons mentionné au chapitre 3, que l'apprenant n'est pas une "table rase" sur laquelle il suffit de plaquer ou d'imprimer de nouvelles connaissances. Ce dernier a acquis, bien avant qu'on ne les lui enseigne, une foule de connaissances plus ou moins exactes qu'il a organisées et structurées en un modèle plus ou moins cohérent et qui lui ont permis de comprendre le monde. Ainsi, ces connaissances organisées sont appelées représentations, conceptions initiales, ou préconceptions par certains auteurs et elles s'avèrent être d'une importance capitale dans la réussite ou l'échec d'un enseignement.

      Qu'advient-il si on ne tient pas compte de ces conceptions? Selon certains, l'étudiant retombera inévitablement dans ses erreurs comme s'il n'avait eu aucun enseignement (INRP,1980). Puisque les nouvelles informations n'auront été que plaquées sur les anciennes, ces dernières referont surface dès que l'étudiant fera face à une situation un peu différente qui demandera un transfert de connaissances. Viallet(1976) compare même cette situation à une entreprise de colonisation "...en ma présence, mes élèves imiteraient mes gestes mentaux, en mon absence, ils reproduiraient les leurs." 46  Cette affirmation donne cependant une image bien décevante des possibilités de l'enseignement. Il ne faudrait pas croire, à notre avis, que l'enseignement qui ne tient pas compte des préconceptions des étudiants ne donne jamais rien et qu'au contraire, un enseignement à partir des préconceptions règlerait tous les problèmes de l'enseignant. Il faut ici nuancer ces affirmations et considérer l'utilisation des conceptions des étudiants comme l'une des pistes permettant au pédagogue d'améliorer son enseignement.

      L'utilisation du concept de représentation pourrait permettre au pédagogue de comprendre que l'apprenant n'a pas seulement des connaissances antérieures ou des images et des perceptions séparées et détachées les unes des autres, mais une organisation plus ou moins complète, cohérente et stable qui le guide dans ses jugements et dans ses comportements. Les représentations des étudiants sont donc des outils permettant à l'enseignant de déterminer l'état des connaissances de ses étudiants à propos d'un sujet donné, d'anticiper les difficultés possibles étant donné ces préconceptions et de construire son enseignement en fonction de cela.


4.2.1 Objections à l'étude des représentations

      De Vecchi et Giordan (1988) soulèvent deux objections à l'utilisation des représentations en pédagogie. D'abord, on peut se demander si les conceptions ne seraient pas trop complexes et inextricables pour permettre au pédagogue de dégager le modèle initial de l'étudiant (l'organisation de ses représentations avant un enseignement). Les auteurs admettent que les conceptions qui émergent sont parfois surprenantes. Ils donnent un exemple qui, effectivement, laisse perplexe quant à la possibilité de son utilisation pédagogique. Il s'agit d'un élève qui affirme, en parlant du processus de digestion:

"Dans le foie, il (l'aliment) se mélange avec des os et devient liquide, du gras, puis ça revient en poussière et ça s'en va quand on respire." 47 

      Selon eux, ce genre de remarque est cependant exceptionnel, généralement, les conceptions relèvent d'une certaine logique. Ils affirment toutefois qu'il n'est pas nécessaire d'utiliser toutes les représentations qui émergent mais seulement celles qui semblent avoir une relation avec certaines difficultés de compréhension qu'il faudra surmonter.

      La deuxième objection tient au problème de la très grande variété apparente des conceptions des étudiants. En effet, si chaque individu possède son propre modèle initial et que ce modèle n'a rien à voir avec celui des autres, il est difficile de penser pouvoir en faire une utilisation pédagogique en classe. Selon ces auteurs, cependant, une même conception est souvent décrite par plusieurs manifestations différentes. Ce qui est varié c'est donc la façon d'exprimer la conception et non pas la conception elle-même. Il s'agit de repérer, dans la grande variété de manifestations, les différents types explicatifs (de Vecchi et Giordan, 1988) ou configurations centrales (Audigier, 1988).

      La réponse à ces deux objections peut, à notre avis, être valable à l'intérieur de certaines matières telles la physique, la chimie, la biologie. Il s'agit de matières académiques enseignées dans les écoles et de plus en plus vulgarisées par les médias et pour lesquelles il existe une certaine demande sociale. Puisque les étudiants auront eu un enseignement semblable et que d'une façon générale, il s'agit de sujet sur lesquels le milieu social exige souvent une prise de position, on peut croire qu'ils auront également développé des représentations dont il est possible d'extraire un nombre limité de types explicatifs.

      Pour d'autres domaines, on pourrait espérer repérer des types explicatifs si l'on postule que les représentations des individus sont cantonnées à l'intérieur du cadre de celles véhiculées par le groupe social et pour la communication à l'intérieur du groupe. Cependant, ces types explicatifs pourraient bien n'être que de grands principes généraux avec lesquels le pédagogue aurait bien du mal à travailler. En termes clairs, postuler l'existence de types explicatifs pour regrouper les différentes représentations individuelles nous semble risqué pour le pédagogue. A notre avis, il existe plutôt des représentations diverses et éclectiques qui doivent être utilisées telles quelles. Les regrouper en catégories plus larges nous feraient perdre de l'information qui pourrait s'avérer très riche. Évidemment, tenir compte des représentations individuelles de tous les étudiants afin de construire un enseignement individualisé, est utopique dans la plupart des situations éducatives actuelles.

      Afin d'éviter de perdre l'information en regroupant les représentations individuelles dans de grandes catégories et puisque l'enseignement individualisé (de type clinique en fait) est peu réaliste, nous croyons qu'il serait pertinent que l'action du chercheur en pédagogie soit centrée non pas sur toutes les représentations elles-mêmes, mais plutôt sur celles qui sont reliées à certaines difficultés-types des étudiants. Au lieu de faire l'inventaire des représentations individuelles, de les classer en types explicatifs et d'inférer les difficultés possibles par rapport au contenu que l'on désire enseigner, il serait à notre avis plus efficace d'identifier, en situation réelle, les difficultés des étudiants et d'étudier les représentations sous jacentes afin de comprendre l'origine de ces difficultés. Même si l'origine de la difficulté était multiple, elle concernerait un point relativement précis et restreint de la matière.

      Que l'on décide d'identifier les représentations des étudiants, de les catégoriser en types explicatifs ou que l'on choisisse de se centrer sur les difficultés-types et les représentations qui sont à l'origine de ces difficultés, la question pour le pédagogue est de savoir quoi faire avec ces représentations, comment les utiliser adéquatement afin de permettre à l'étudiant de progresser dans ses apprentissages. Certains travaux proposent des modèles pédagogiques, plus ou moins détaillés et opérationnels, qui sont toutefois construits en fonctions de certaines orientations théoriques qu'il ne faut pas perdre de vue.


4.2.2 Que faire avec les représentations des étudiants ?


4.2.2.1 Les postulats de départ ou la "représentation" des représentations

      D'abord, les représentations des étudiants sont toujours envisagées comme une différence ou une distance entre le savoir "commun" ou "préalable" et le savoir scientifique. Mais cette distance peut être de différentes natures. Le choix du terme utilisé par un auteur pour parler des représentations des étudiants, est souvent un bon indicateur de la nature de cette différence. Il reflète, en effet, l'orientation théorique ou épistémologique de l'auteur et détermine souvent le choix du modèle pédagogique qui sera utilisé.

      Au niveau théorique, Kerlan (1987) identifie deux objets de recherche qui correspondent à des modèles pédagogiques ayant des objectifs différents. On peut, en premier lieu, s'intéresser à l'inventaire des représentations préalables des étudiants. Dans cette optique, on s'intéressera au passage des représentations préalables aux concepts scientifiques et l'on envisagera l'action à entreprendre en termes de rupture, ou de discontinuité (rectification, reconstruction etc.) ou bien en termes de continuité (complément ). On peut aussi, en deuxième lieu, s'intéresser à la fonction remplie par les représentations et à leur construction par les étudiants. On s'intéressera alors aux représentations comme processus de construction des connaissances et les recherches porteront plutôt sur la relation et les différences entre les représentations et le savoir scientifique, sans préoccupation pédagogiques comme telle.

      Au niveau épistémologique, Abimbola (1988) distingue, quant à lui, deux écoles de pensée qui sont à la base du choix des termes utilisés pour parler des représentations et du choix du modèle pédagogique: " l'empirisme logique" et la "nouvelle philosophie de la science" (souvent associée au constructivisme). Nous mentionnerons très brièvement certaines caractéristiques de ces orientations épistémologiques et des styles de modèles pédagogiques qui peuvent y correspondre. L'empirisme logique se caractérise, entre autres, par l'importance accordée à la structure logique des résultats des études scientifiques. Ce sont des critères logiques qui déterminent la validité formelle d'une théorie. Une nouvelle théorie est toujours une amélioration des précédentes. Le savoir scientifique se développe par l'addition de nouveaux énoncés construits à partir d'observations ou d'expériences nouvelles, qui confirment ou infirment les hypothèses déduites des théories précédentes. Les tenants de cette épistémologie verront, selon Abimbola, les représentations des étudiants comme inférieures au savoir scientifique. Ceci suppose que les empiristes reconnaissent l'existence d'une réalité extérieure à l'individu, dont la science tente de se rapprocher (réalité objective). Si la science est "vraie" ou "non-fausse" jusqu'à preuve du contraire, les représentations qui diffèrent de cette sciences sont envisagées comme des "erreurs". Les empiristes utiliseront des termes tels que "wrong knowledge", "misconceptions" ou "mistakes", ou encore "superstitions", "unfounded beliefs" ou "world knowledge".

      Dans ce contexte, le modèle pédagogique choisit devra avoir pour fonction soit de rectifier, de détruire ou de modifier ces "erreurs" et la façon d'éviter ces "misconceptions" serait de mettre sur pied des observations ou des expériences et de les faire suivre de " careful logical procedures" 48  .

      La nouvelle philosophie de la science, définie par Ambibola, se caractérise par le rejet des critères logiques pour établir la validité de la science. La science aurait deux phases: une phase normale et une phase révolutionnaire. Le progrès à l'intérieur de la science se ferait à travers une réorganisation, une révolution à l'intérieur du paradigme dominant, qui résulte d'une insatisfaction par rapport aux théories existantes et à leur capacité d'expliquer les phénomènes. Le savoir scientifique est donc non-cumulatif, puisqu'il résulte d'un changement conceptuel (changement de paradigme) et non de l'accumulation de nouvelles données. Cette option épistémologique est souvent associée au constructivisme qui postule que le savoir est élaboré par l'individu en interaction avec son environnement. Nussbaum (1989) ajoute cependant certaines distinctions à l'intérieur du paradigme qu'Abimbola appelle " constructiviste". Selon Nussbaum, tous les constructivistes soutiennent que les théories sont des constructions de l'esprit humain, mais certaines différences existent au sujet de la manière dont les "meilleures théories" seront sélectionnées. Certains soutiennent que la sélection se fera à partir de critères propres à la discipline ( critères logiques, rationnels, empiriques , exemple: Popper) alors que d'autres soutiennent qu'il n'existe aucun critère "normatif" pour le choix d'une théorie et que cette sélection se fait à partir de critères externes (facteurs sociaux, historiques, psychologiques, exemple: Kunh). Notons que certaines formes de constructivisme se situent quelque part entre ces deux extrêmes (Toulmin, Lakatos, par exemple).

      Les tenants de cette épistémologie constructiviste s'entendent tous pour reconnaître les conceptions des apprenants afin de bâtir les stratégies pédagogiques. Tous s'entendent également pour affirmer que ces stratégies pédagogiques doivent aider les apprenants à construire leur propre signification du savoir. Il s'agit-là de la contribution de l'épistémologie constructiviste en éducation (Nussbaum, 1989). Cependant, la manière dont sera envisagée les conceptions des apprenants dépendra de leur point de vue par rapport à leur critère de sélection de la "meilleure théorie". Les tenants de cette épistémologie considéreront les représentations soit comme des barrières qui empêchent de nouveaux apprentissages (dans le cas où ce sont des critères logiques qui déterminent la "meilleure théorie"); soit comme des représentations initiales à partir desquelles pourront se greffer de nouveaux apprentissages qui ne sont cependant pas déterminés à priori (dans le cas où ce sont des critères psycho-sociaux-historiques qui sélectionnent la "meilleure théorie").

      Dans le premier cas, des termes tels que "misunderstandings", "erroneous ideas" ou "misconceptions" seront utilisés. Le modèle pédagogique préconisé devra permettre d'éliminer ces barrières non pas dans le but de permettre à l'étudiant de réapprendre le savoir scientifique (comme c'est le cas chez les empiristes) mais dans le but de leur permettre de progresser vers de nouveaux apprentissages. Selon une approche poppérienne par exemple, l'étudiant devrait pouvoir tenter de falsifier ses hypothèses de façon à arriver à une conclusion claire et évidente : acceptée ou rejetée (Nussbaum, 1989).

      Dans le second cas, l'objectif du modèle pédagogique utilisé devra être la réconciliation des représentations initiales avec les nouveaux apprentissages. Ce qui permettra le changement des conceptions devra être davantage que l'utilisation de la seule logique, par exemple l'utilisation des pairs ou de la dynamique du groupe. On s'intéressera également au processus qui permet de réconcilier et éventuellement de remplacer les représentations initiales par de nouvelles, mais on ne parle plus de conclusion claire et précise comme dans le cas précédent. Des termes tels que "existing conceptions", prior conceptions" ou bien "alternative frameworks", "alternative conceptions" seront utilisés, selon la tolérance des auteurs vis-à-vis les conceptions initiales, lorsqu'elles sont en désaccord ou non avec le savoir scientifique "reconnu".

      Afin de choisir le modèle pédagogique , il faudrait donc, selon ces travaux, tenir compte de deux aspects: d'abord de l'objet de recherche et ensuite, de la position épistémologique du chercheur et de sa "représentation" des représentations. Le schéma suivant (Figure 13) résume les différents choix mentionnés précédemment.

      

Figure 13 : Orientations possibles dans le choix d'un modèle pédagogique utilisant les représentations des étudiants


4.2.2.2 Le choix d'un modèle pédagogique

      D'une façon générale, les modèles pédagogiques qui se proposent de tenir compte des préconceptions des étudiants se situent à un niveau théorique et donnent, par conséquent, très peu d'indications concrètes permettant d'organiser l'enseignement. Ils énoncent, pour la plupart, un certain nombre de conditions qui sont susceptibles de favoriser un changement de préconceptions chez les étudiants. Nous présenterons ici les grandes lignes de ces différents modèles.

      Un premier groupe de modèles pédagogiques s'inspire, entre autres, des travaux de Posner et al. (1982). Ces modèles visent la réorganisation, par l'étudiant, de ses préconceptions. Ces auteurs mentionnent quatre conditions pour qu'un tel changement soit possible.

      Selon ces travaux, l'étudiant doit être insatisfait de ses préconceptions de départ. Il doit donc devenir conscient de leur incapacité à résoudre un problème ou à expliquer un phénomène (insatisfaction). De plus, il faut que les nouvelles conceptions, celles qui sont proposées par l'enseignant, soient intelligibles, plausibles et qu'elles suggèrent des possibilités de recherches ou d'explications fructueuses dans l'avenir (puissance explicative) si l'on veut qu'elles soient considérées par l'apprenant. Une préconception devient donc insatisfaisante si elle perd sa plausibilité ou son caractère fructueux (Hewson,1989). Ces conditions posent, à notre avis, un certain nombre de problèmes à l'enseignant.

      D'abord, il peut être difficile de créer une insatisfaction par rapport aux préconceptions de départ. Pour ce faire, il faut s'assurer que les deux conceptions (les préconceptions et les nouvelles conceptions proposées), soient intelligibles pour l'étudiant (Hewson et A'Beckett-Hewson, 1984). On ne peut, en effet, choisir entre deux types d'explications que si on les comprend bien toutes les deux. Mais il est possible que l'étudiant ne dispose pas d'une base suffisamment solide (au niveau épistémologique entre autres lorsqu'il est question de la science ou de la méthodologie de la recherche) et que la comparaison des deux conceptions aboutisse à une compartimentalisation du savoir (Hewson et A'Beckett-Hewson, 1984). Les deux conceptions existeront pour l'étudiant sans qu'il y ait conflit, chacune ayant son champ de validité propre, sans pour autant être adéquat.

      Pour que l'insatisfaction puisse émerger et pour que l'étudiant puisse envisager la pertinence et la puissance explicative (traduction libre de "fruitfulness") de la nouvelle conception, White et Gunstone (1989) affirment que l'étudiant doit entreprendre un processus de "meta-apprentissage" (meta-learning). Ils définissent le "meta-apprentissage" comme étant la capacité de l'étudiant à contrôler consciemment son apprentissage. En fait, Gunstone et al. (1992) distinguent deux formes de "puissance explicative". La première forme trouverait son origine dans des facteurs externes à l'étudiant (par exemple la comparaison avec la nature) et elle serait la plus efficace pour créer chez l'étudiant une insatisfaction, l'étudiant pouvant voir dans la réalité, les désavantages de ses préconceptions. Mais cette situation est évidemment très difficile à réaliser en classe. La clé serait donc de favoriser une deuxième forme de "puissance explicative" qui, par la métacognition, permettrait une intégration des nouvelles conceptions à travers un processus de réflexion sur leur signification, ainsi que sur l'identification et la résolution des conflits qui existeront entre ses préconceptions et les nouvelles conceptions proposées. La métacognition permettrait donc à l'étudiant d'effectuer cette réflexion.

      Giordan et Girault (1992) mentionnent également la nécessité d'introduire une série de conflits conceptuels afin de faire naître, chez l'étudiant, une activité élaboratrice. Ils proposent comme moyens pédagogiques, la mise sur pied de confrontations (étudiants-étudiants, étudiants-enseignant, étudiant-réalité, étudiant-information) afin de convaincre l'étudiant que ses préconceptions sont insatisfaisantes.

      L'insatisfaction peut également être créée, lorsque la matière le permet, à partir d'une confrontation "empirique", c'est-à-dire en confrontant l'étudiant à des données qui entrent en contradiction avec ses préconceptions (Resnick, 1989). Cependant selon cet auteur, ce genre de confrontation peut amener l'étudiant à mettre en doute ses préconceptions, favoriser une exploration additionnelle; mais ne peut être utilisée seule, car elle ne permet pas la création d'une conception alternative. Cette confrontation pourrait même ne créer, chez l'étudiant, qu'un sentiment de confusion et d'incapacité par rapport au problème. La confrontation empirique suppose, en effet, que les étudiants se comportent de la même façon que "l'image idéalisée du savant", c'est-à-dire qu'ils utilisent les données empiriques pour construire et modifier, et qu'ils ont donc les capacités et connaissances conceptuelles suffisantes pour faire cet exercice (par exemple, la capacité de raisonner logiquement à partir de prémisses données).

      Ce déséquilibre ou insatisfaction, va donc créer chez l'étudiant la motivation et le besoin de retrouver un équilibre par la recherche de nouvelles explications. C'est ce que Giordan et Girault (1992) appellent des "sites actifs conceptuels" à partir desquels il est possible pour l'étudiant d'intégrer de nouveaux concepts.

      Pour que l'étudiant soit maintenant intéressé aux nouvelles conceptions proposées, il faut également, selon Posner et al. (1982) qu'elles soient intelligibles, plausibles et qu'elles semblent fructueuses pour l'avenir. Au niveau pédagogique, rendre intelligibles les nouvelles conceptions proposées font partie depuis toujours du rôle de l'enseignant. (Gunstone et al., 1992). Différentes stratégies sont possibles selon le style de l'enseignant (vulgarisation, démonstration, application, etc.) afin de rendre compréhensible les nouvelles conceptions proposées. Les préconceptions et les nouvelles conceptions proposées doivent également faire l'objet de clarification par l'étudiant, de confrontation et de différenciation.

      La plausibilité des conceptions proposées pose également peu de problèmes si la crédibilité de l'enseignant est établie. Toutefois, la pression exercée par le groupe social peut, à notre avis, influencer d'une façon importante l'ouverture des étudiants par rapport à un contenu nouveau. Postuler comme une évidence la crédibilité de l'école et de ses enseignants évacue, nous semble-t-il, une dimension qui peut avoir une importance sur l'acquisition d'un nouveau savoir. La puissance explicative des nouvelles conceptions dans l'avenir peut, elle aussi, être difficile à admettre par l'étudiant. Elle est cependant nécessaire pour que l'étudiant accepte de laisser tomber ses préconceptions de départ. L'étudiant acceptera d'adopter exclusivement les nouvelles conceptions que s'il est convaincu qu'elles sont supérieures à ses anciennes et que ses dernières lui sont maintenant inutiles. De plus, les nouvelles connaissances devraient permettre un gain tout en demandant, idéalement, un effort moindre que les précédentes. L'étudiant devra donc être mis en situation d'application de ces nouvelles conceptions afin d'être en mesure de reconnaître leur puissance explicative et leur utilité en terme de rendement. Selon Giordan (1989) l'enseignant devra aider l'étudiant à formaliser ses préconceptions et les nouvelles conceptions pour l'aider dans sa réflexion (symbolisme, schématisation, modélisation etc) et mettre sur pied des situations où il devra mobiliser son nouveau savoir pour pouvoir l'opérationnaliser et en connaître les limites.

      Il peut être utile de mentionner brièvement un courant de recherche en psychologie sociale qui s'intéresse au développement cognitif à travers l'interaction sociale (Doise, Deschamps,Mugny, 1978; Doise, 1989; Mugny, Doise, Perret-Clermont, 1975-76). Bien que n'étant pas élaborée dans une perspective pédagogique, cette théorie, et particulièrement le concept de conflit socio-cognitif, peut permettre de mieux comprendre le potentiel éducatif des interactions entre les étudiants dans un processus de changement conceptuel. D'abord mentionnons qu'il existerait trois types de conflits cognitifs (Mugny, Doise, Perret-Clermont, 1975-76).

      1) Le conflit entre les hypothèses émises par un individu et les observations qu'il effectue et qui entre en contradiction avec ses hypothèses (confrontation empirique permettant de créer une insatisfaction intellectuelle)(Lefebvre et Pinard, 1972, Inhelder, Sinclair, Bovet, 1974).

      2) Le conflit opératoire, où des schèmes différents sont activés chez un même individu, proposant ainsi plusieurs "solutions" possibles mais contradictoires (Inhelder, Bovet, 1974) (opposition successives de "solutions" possibles mais contradictoires).

      3) Le conflit socio-cognitif, où la source du conflit provient du fait qu'un autre individu propose une "solution" contradictoire à la sienne. Le postulat de base de ces recherches est que l'individu tente de réduire la dissonance entre des éléments cognitifs contradictoires. Il y a dissonance lorsqu'il y a présence de deux éléments et que l'un implique la négation de l'autre:

"...deux éléments sont dissonants quand, (...), les individus familiers de la situation sociale étudiée estiment généralement que les deux éléments ne devraient pas être associés dans cette situation" 49  .

      L'individu tenterait donc, lorsqu'il est placé en situation de conflit socio-cognitif, de retrouver un équilibre en tentant de réduire la dissonance soit en ajoutant de nouveaux éléments cognitifs, soit en modifiant les éléments cognitifs existant, ou encore, selon nous, en retirant à l'enseignant tout son crédit. Dans la mesure où l'enseignant n'aurait plus de crédit, où il serait considéré, à tort ou à raison, comme confus ou incompétent, l'étudiant ne serait plus en déséquilibre et serait satisfait de ses préconceptions. On retrouve cette attitude chez des étudiants en difficulté qui, au lieu d'admettre leurs difficultés, rejettent le blâme sur le "mauvais" professeur qui ne sait pas rendre son savoir accessible ou encore préparer ses cours...

      Il y aurait "progrès cognitif", selon les travaux sur le conflit socio-cognitif, lorsque les individus ont pu, à travers des interactions, se décentrer de leur propre point de vue afin de coordonner les différents points de vue et ainsi réduire la dissonance. L'apparition d'un conflit socio-cognitif n'est donc possible que s'il y a confrontation, entre les partenaires, de "solutions" hétérogènes et contradictoires.

      La notion de conflit socio-cognitif ressemble donc à celui de conflit conceptuel (Giordan et Girault 1992) au sens ou l'insatisfaction intellectuelle se créé à partir d'interactions avec autrui. La nuance entre conflit conceptuel et conflit socio-cognitif est difficile à déterminer. L'étude empirique du concept de conflit socio-cognitif est également difficile, du dire même des auteurs mentionnés, puisque le conflit conceptuel résulte souvent, lui aussi, d'une interaction avec autrui. Même lorsque l'individu lui-même possède différentes "solutions" qui se contredisent, ces "solutions" sont souvent le fruit d'interactions immédiates ou antérieures avec autrui. Concrètement, il est donc difficile d'obtenir une situation réelle de conflit socio-cognitif à partir de laquelle on puisse effectuer une étude empirique. Au niveau théorique cependant, une nuance existe entre les deux concepts.

      Le terme "conflit conceptuel" est utilisé par Giordan et Girault pour parler de la création d'une situation de déséquilibre chez l'individu qui le rend plus réceptif à un changement conceptuel. Le conflit n'est pas nécessairement résolu par la réduction de la dissonance entre les individus. Puisque le conflit est vécu personnellement par l'individu (insatisfaction par rapport à ses propres conceptions à cause de celles des autres), sa résolution est également envisagée comme personnelle. Elle consistera à modifier ses conceptions de façon à les rendre adéquates par rapport à la situation vécue et non pas nécessairement adéquate par rapport à celle des autres. La résolution du conflit s'effectue donc par l'individu (avec ou sans le concours des pairs) pour lui-même.

      Le terme "conflit socio-cognitif" comporte, quant à lui, une dimension sociale. Le conflit est vécu personnellement par chacun des individus, mais il constitue en lui-même, une entité incohérente ou génératrice de contradictions. L'inconfort dû à la dissonance vient donc d'une part, du fait que l'individu ne peut avoir une perception cohérente de la situation dont il est question et, d'autre part, du fait que sa propre perception entre en contradiction avec celle d'autrui. C'est donc cette "entité incohérente et génératrice de contradictions" qui doit recouvrer une cohérence pour qu'il y ait réduction de la dissonance. La résolution du conflit intra-individuel des individus, supposerait donc qu'il y ait résolution du conflit inter-individuel, qui elle, amène inévitablement une interaction entre les individus. Dans cette perspective, la dimension sociale n'est pas seulement un facteur extrinsèque pouvant influencer l'individu, mais un élément nécessaire pour permettre à ce dernier d'effectuer des progrès cognitifs individuels. Le conflit socio-cognitif serait efficace parce qu'il permettrait à l'individu de se décentrer de son propre point de vue, de prendre conscience de différents autres points de vue et d'être actif cognitivement (Blaye, 1989.). Mais l'efficacité de ce type de conflit dépend de facteurs tels que le niveau des différents partenaires, la crédibilité de leur discours respectif et leur capacité d'effectuer un travail réel de co-élaboration. En effet, il est possible et courant d'ailleurs, de réduire la dissonance en discréditant le point de vue de l'autre. Si l'autre a tort, c'est donc que j'ai raison...

      D'un point de vue pédagogique, le concept de conflit socio-cognitif nous semble intéressant dans la mesure où il met en relief le potentiel de l'interaction sociale dans l'apprentissage. Cependant, la coordination entre les conflits inter et intra-individuels sont difficiles à déterminer. L'état actuel des connaissances dans ce domaine ne permettent pas non plus au pédagogue, de transformer cette théorie en un modèle pédagogique. Schleifer (1989), à la suite de Perret-Clermont et Mugny(1985), affirme :" Il serait vain de croire que la pédagogie peut déduire directement des règles d'action des recherches de laboratoire en psychologie sociale des constructions cognitives" 50  . Il est évident que les objectifs du psychologue et ceux de l'enseignant sont différents, de même que les conditions dans lesquelles ils oeuvrent (laboratoire vs classe) et les statuts et rôles implicites que leurs fonctions supposent. Il faut donc éviter de ne voir que les aspects prometteurs d'une théorie et analyser avec soin ses effets pervers possibles, ses difficultés d'application, etc.

      Les modèles pédagogiques mentionnés précédemment avaient en commun la préoccupation de partir d'une insatisfaction de l'étudiant par rapport à ses préconceptions. Cette insatisfaction pouvant être créée de différentes manières. Il est cependant possible que certaines matières enseignées ne permettent pas la création d'un conflit conceptuel ou d'une insatisfaction des étudiants par rapport à leurs préconceptions, ou que les étudiants soient dans l'incapacité de prendre conscience des implications des deux conceptions et du conflit qu'elles génèrent. Dans ce cas, certains modèles ont été créés de façon à prendre les conceptions des étudiants comme point de départ afin d'aider ces derniers à s'en dissocier graduellement au profit de nouvelles conceptions.

      Clément (1989) proposent un modèle qui utilise les préconceptions des étudiants qui sont en accord avec le savoir proposé par l'enseignant ("anchoring conceptions" ou "anchors"). Mais peu de stratégies pédagogiques sont précisées. Les auteurs mentionnent uniquement que leur modèle permettrait à l'étudiant de construire un nouveau modèle qui sera comparé à l'ancien afin que ce dernier puisse déterminer lequel des deux est le plus efficace ("fits best the evidence").

      Un autre modèle (Resnick, 1989) postule l'existence de "prémisses phénoménologiques" 51  , définies comme un répertoire d'idées de base (non structurées) qui servent à la construction des préconceptions, et à partir desquelles il serait possible d'identifier des "conceptions-clés". Il s'agirait ensuite d'appliquer ces conceptions-clés à des phénomènes auxquels les étudiants ne croyaient pas pouvoir le faire et à proposer des "expériences de pensées". L'auteur ne mentionne cependant aucun moyen concret pour favoriser le passage des préconceptions à de nouvelles conceptions. Elle admet également, qu'il s'agit là d'un travail long et patient de réorganisation et de restructuration des préconceptions.

      Un autre genre de modèle postule que ce ne sont pas les préconceptions qui font obstacle à l'apprentissage, mais la méconnaissance de leurs différences avec la connaissance scientifique, au niveau de leur mode de fonctionnement, de leur champ de validité et de leurs règles. Audigier (1989) présente ainsi les différences entre les représentations et la science:

      
Tableau I : Différence entre représentation et science selon Audigier  52 
Représentation Science
se donne pour le réel lui-même se donne pour un construit
s'énonce comme une évidence générale précise son champ de validité
ne retient que les exemples qui la confirme s'offre aux exemples qui la mettent en cause
prend la partie pour le tout distingue
mode de pensée binaire où l'analogie joue un grand rôle se construit sur le complexe et sur des systèmes rigoureux de preuves.

      Il s'agit donc, selon ce modèle, de permettre à l'étudiant de différencier ce qui appartient à la science et ce qui appartient à la pensée commune . Le travail portera donc sur la pertinence des préconceptions des étudiants, sur leur champ de validité selon les points de vue ainsi que sur leur statut par rapport au savoir scientifique. Encore une fois cependant, peu de stratégies pédagogiques sont proposées.

      Driver (1989) mentionne également un genre de modèle issu d'une perspective de l'apprentissage qu'elle appelle "situated cognitive view of learning". Il s'agit de modèles qui s'intéressent à apprendre à l'étudiant à distinguer les contextes à l'intérieur desquelles leurs préconceptions peuvent être appropriées.

      L'utilisation d'un modèle pédagogique qui utilise les conceptions des étudiants n'est donc pas évident étant donné le développement actuel de ces modèles. Visiblement, la recherche en ce domaine en est encore à une phase de construction de modèles et non à celle de leur application dans des situations concrètes. A la limite, on pourrait penser que l'on en est encore à discuter idéologie et qu'on est loin de modèles qui illustreraient des actions à poser dans une situation concrète de classe.

      Le choix d'un modèle doit également s'appuyer sur une réflexion à propos du genre de contenu et du genre de conceptions des étudiants. On doit se questionner sur la possibilité de créer une insatisfaction chez les étudiants par rapport à leurs conceptions et sur le genre de situation qui pourraient provoquer un conflit chez les étudiants. Un contenu comme la physique au niveau secondaire pourrait, par exemple, permettre la création de conflits à partir d'une comparaison entre une expérience observable et les hypothèses des étudiants formulées auparavant. Avec un contenu comme la méthodologie de la recherche on ne peut, au plus, qu'envisager la création d'un conflit à partir de confrontations entre les différents points de vue des étudiants, ou encore entre le point de vue de l'étudiant et celui du savoir présenté. Dans ce cas toutefois, le conflit se situant au niveau d'une incohérence logique, donc abstraite, il n'est pas évident que des étudiants non initiés pourraient voir cette incohérence et, surtout, qu'ils pourraient réussir à reconstruire une cohérence logique au niveau de leurs conceptions.

      Si un conflit est difficilement possible, l'utilisation de modèles tels que celui de Clément (1989) qui procède par comparaison entre les anciennes conceptions et les nouvelles par rapport à leur efficacité (si l'efficacité est démontrable), celui de Resnick (1989) qui propose de favoriser un changement de conceptions à partir de la réflexion ou celui d'Audigier (1989) ou de Driver (1989) qui utilisent le champ de validité des conceptions, peuvent être envisagés. La figure 14 présente une vue d'ensemble des modèles pédagogiques dont il a été question.

      

Figure 14 : Modèles pédagogiques utilisant les représentations

      Lorsqu'une première sélection des modèles pédagogiques effectuée, le reste est fonction du style pédagogique, du goût pour l'une ou l'autre organisation et, bien sûr, des contraintes de temps, d'espace, de matériel, etc. qui sont toujours présentes dans une situation éducative.

      Comme nous l'avons mentionné au début de cette section, l'utilisation en pédagogie du concept de représentation n'en est qu'à ses débuts. Pour l'instant, les travaux dans ce domaine ont permis de construire des modèles que l'on pourrait qualifier de théoriques (à la limite de l'idéologie dans certains cas) puisqu'ils énoncent un ensemble de conditions et de stratégies pédagogiques trop générales pour une utilisation efficace des représentations. On est cependant loin de la pratique pédagogique concrète et surtout ... réaliste. En effet, travailler auprès de petits groupes, sur une matière seulement et avec des moyens (financiers et humains) hors de la portée de tout enseignant permet de construire de très beaux modèles d'enseignement qui ne résistent pas aux contraintes de la situation éducative réelle. Toutefois, il ne s'agit pas de les rejeter complètement. Ces modèles constituent une base intéressante à partir de laquelle une pratique pédagogique concrète et réaliste pourrait être élaborée.


4.3 Application au contexte de la recherche

      Après avoir effectué cette revue de la littérature concernant le concept de représentation, il nous semblait important de voir de quelle façon ces éléments théoriques peuvent nous être utiles dans le cadre de la présente recherche. Nous avons d'abord défini notre "représentation" des représentations en lien avec notre conception de l'éducation. Par la suite, nous avons discuté de la spécificité de la méthodologie de la recherche comme contenu de cours enseigné à des étudiants non initiés et finalement, nous avons défini de quelle façon et à quelles fins nous entendons utiliser le concept de représentation.


4.3.1 Notre représentation des représentations

      Le processus de construction des représentations ainsi que la fonction de ces dernières nous intéresse peu dans la mesure où leur utilité pour un enseignant, à court terme, est limitée. Nous nous intéressons donc au contenu des représentations, ainsi qu'à l'organisation de ce contenu. De plus, nous nous considérons plus proche de la nouvelle philosophie de la science que de l'empirisme logique dans notre pratique de recherche. Notre orientation épistémologique est plus instrumentaliste dans la mesure où nous croyons que le savoir scientifique se construit à partir de changements conceptuels et non à partir de l'ajout de nouvelles observations ou de la vérification des théories, étant entendu qu'un changement de paradigme résulte d'abord d'un changement au niveau de l'instrumentation de recherche (outil, technologie etc.) qui permet de rendre opératoire un nouveau concept ou un concept différent. Mais à l'intérieur d'une recherche visant l'amélioration de la pédagogie, le chercheur doit, outre son orientation épistémologique de recherche, faire le choix d'une orientation pédagogique.

      Les contraintes de la situation éducative, telles que nous les avons décrites au chapitre 2, nous oblige à avoir une optique plus pragmatique. La recherche (le monde du savoir en construction) et le monde de l'éducation (le monde du savoir établi ou à tout le moins du savoir pré-déterminé que l'on veut enseigner) ont en effet des contextes, des objectifs et des exigences différentes. Si la nouvelle philosophie de la science n'admet pas qu'il existe une réalité objective que l'on doit découvrir, le chercheur en pédagogie, lui, doit admettre que l'enseignement s'effectue à partir d'un contenu pré-déterminé. Les tenants de la nouvelle philosophie de la science postulent également qu'une meilleure compréhension du processus de changement de paradigme à l'intérieur de la communauté scientifique pourrait guider l'étude du changement conceptuel qui survient lors de l'apprentissage. Pourtant, le processus de recherche qui amène le chercheur à une compréhension plus avancée des phénomènes est très différent du processus d'apprentissage qui amène l'étudiant à cette même compréhension des phénomènes, tant au niveau de ses objectifs que de ses contraintes. A notre avis, l'étude des changements de paradigme pourrait, tout au plus, proposer des pistes de recherche qui devront être effectuées dans le contexte même de l'enseignement. L'épistémologie constructiviste ne peut, à notre avis, être transférée telle quelle dans le contexte de l'enseignement. On doit reconnaître qu'un apprentissage en profondeur exige que l'apprenant se soit approprié ce savoir et qu'il le fait à partir de ses propres représentations, mais on doit également reconnaître que l'enseignement exige de l'apprenant qu'il ait construit, à la fin du cours, un contenu particulier et ce, dans un laps de temps relativement court. Le contexte de la recherche scientifique n'a pas cette contrainte. Millar (1989) résume bien cette dernière affirmation:

"Science education is not about developping personal theories about phenomena but about coming to share (at some level) in consensually held theories." 53 

      Même dans un contexte d'enseignement d'un contenu pré-déterminé (issu de la science établie ou en construction, peu importe), cette affirmation est toujours valable. Il s'agit donc d'un constructivisme nécessairement "orienté" ou "dirigé", pour répondre aux exigences de la situation éducative.

      Le chercheur en pédagogie doit donc tenir compte de sa propre conception de l'éducation mais aussi des contraintes du milieu. Notre conception de l'éducation (cfr. section 2.2) nous oblige à considérer l'enseignement comme un ensemble d'actions visant à permettre à l'étudiant de s'approprier un contenu prédéterminé (Millar, 1989) dans un temps également prédéterminé et donc, à considérer qu'il est nécessaire qu'un passage des représentations initiales à ce contenu soit effectué par l'étudiant.

      Nous nous intéresserons donc, non pas aux inventaires comme tels des représentations , mais aux représentations comme produit d'une activité cognitive d'apprentissage et non pas comme processus de construction des connaissances. Dans cette étude, nous envisagerons les représentations des étudiants comme des "pré-conceptions", c'est-à-dire comme des conceptions qui peuvent être incomplètes ou en désaccord avec le contenu enseigné.


4.3.2 La spécificité de l'enseignement de la méthodologie de la recherche à des étudiants non-initiés

      La plupart des méthodes pédagogiques utilisant les représentations exigent que l'étudiant soit mis en position de conflit et qu'il soit en mesure de développer une insatisfaction par rapport à ses préconceptions. Le conflit peut se situer à plusieurs niveaux:

  • Opposition entre ses préconceptions et la réalité empirique
  • Opposition entre ses préconceptions et celles de ses collègues
  • Opposition entre ses préconceptions et l'information apportée par l'enseignant
  • Opposition entre ses anciennes préconceptions et ses nouvelles.

      La méthodologie de la recherche ne permet cependant pas de confrontation avec la réalité empirique puisqu'il ne s'agit pas ici de phénomènes physiques ou chimiques, mais bien du fruit de la réflexion épistémologique. Par ailleurs, les bases du savoir épistémologique de l'étudiant sont parfois trop instables (dans le cas de novices) pour qu'une réelle discussion soit possible et fructueuse. La prise en compte des implications logiques de différents points de vue peut, en effet, exiger des compétences que les étudiants novices n'ont pas encore acquises.

      Les modèles qui proposent un fonctionnement possible lorsque l'insatisfaction par rapport au contenu ne peut être créé, posent des problèmes similaires. Comparer les anciennes et les nouvelles conceptions afin de voir leur efficacité (Clément et al.,1989) est une tâche très ardue pour un étudiant novice en méthodologie. Comment l'étudiant pourra-t-il juger de l'efficacité d'une conception en méthodologie? De plus, différencier les contextes dans lesquelles les préconceptions sont adéquates (Driver 1989) exige une évaluation de leur pertinence qui peut amener à des réflexions épistémologiques qui vont au-delà des compétences des étudiants. Finalement, différencier la connaissance commune de la connaissance scientifique (Audigier 1989) constitue en soi une activité importante, mais bien loin des objectifs spécifiques du professeur dans la réalité concrète de son cours de 45 heures.

      Il semble donc que dans le cas de l'enseignement à des novices d'un contenu de cours abstrait comme celui de la méthodologie de la recherche, il faille rester bien humble par rapport à la possibilité d'un réel "changement conceptuel" au sens large du terme. Il serait plus réaliste d'envisager plutôt de rendre clair et limpide les éléments de ce premier contact avec la méthodologie de la recherche et de permettre la résolution de difficultés, de blocages et de conflits cognitifs spécifiques. En effet, des stratégies différentes peuvent être nécessaires selon la difficulté ( sa nature, son origine possible et le contenu sur laquelle elle porte) et selon les objectifs visés par le professeur. Ainsi, des stratégies ponctuelles, empruntées à l'un ou l'autre de ces modèles, pourraient servir à régler certaines difficultés préalablement identifiées.


4.3.3 Les représentations comme outils

      La plupart des recherches dans le secteur de l'étude des représentations se concentre sur l'identification des préconceptions des étudiants à partir d'erreurs, de difficultés ou de discussion dans des situations simulées, afin de dégager des représentations "typiques" à partir desquelles il serait possible d'élaborer des stratégies d'intervention plus appropriées . L'objectif de ces recherches est donc d'identifier les préconceptions des étudiants pour pouvoir, par la suite, mieux cerner et comprendre leurs difficultés. Dans la présente recherche, comme nous l'avons mentionné au chapitre 2 (section 2.4), une démarche partant des difficultés, et non des préconceptions elles-mêmes, nous semblait plus appropriée et ce, pour deux raisons.

      D'abord, les étudiants non-initiés à la recherche ont probablement peu de préconceptions explicites concernant les critères de rigueur en méthodologie, n'ayant eu à peu près aucun contact avec ce domaine auparavant. Rappelons que l'on ne développe des représentations que de ce que l'on a déjà entendu parler. Il serait ainsi difficile d'appréhender les préconceptions au sujet des critères de rigueur par le biais de questions directes.

      Une stratégie intéressante aurait été de pouvoir observer les étudiants en situation réelle, c'est-à-dire pendant qu'ils élaborent un projet de recherche. On aurait pu ainsi observer comment ils interprètent les critères de rigueur méthodologique et comment ils en tiennent compte dans leur projet. Ce genre d'observation ou même l'élaboration d'une situation simulée était cependant irréalisable concrètement, à la fois pour des raisons d'organisation et de temps, comme nous le verrons plus loin. Les étudiants ont cependant très certainement des préconceptions plus implicites sur ce qui constitue pour eux une "bonne" recherche et donc des critères implicites d'évaluation de la qualité d'une recherche, de même que des préconceptions au sujet de la science en général et du travail du scientifique. Ces "critères implicites" constituent, à notre avis, des préconceptions qui peuvent influencer l'apprentissage des critères de rigueur méthodologique. Mais étant implicites elles peuvent difficilement être appréhendées par le biais de questions directes. C'est la raison pour laquelle nous avons voulu observer les difficultés des étudiants en les considérant comme indices de la présence de préconceptions erronées.

      La deuxième raison concerne un point dont il a été question dans le chapitre 4 concernant la possibilité de trouver des configurations centrales parmi la grande variétés de représentations. La méthodologie de la recherche est un domaine de connaissance nouveau pour les étudiants auxquels cette recherche s'adresse. La scolarité de ces étudiants ne comporte donc aucune "trame commune" qui permettrait de supposer que leurs préconceptions comportent une dimension similaire. Il est possible cependant, que l'on puisse trouver des similitudes parmi les préconceptions des étudiants au sujet de la science en général , mais il pourrait s'agir de préconceptions très larges qui peut-être auraient un intérêt sociologique quelconque, mais peut-être peu d'intérêt pédagogique immédiat.

      

      Dans ce contexte, centrer notre recherche sur les difficultés des étudiantes nous permet de restreindre l'observation à des points relativement précis de la matière, même si l'éventail des préconceptions concernant ce point peut-être relativement large.

      Les questions qui nous préoccupent concernent donc les difficultés et les erreurs des étudiants dans l'apprentissage des critères de rigueur, ainsi que l'origine possible de ces difficultés. L'objectif de cette recherche n'est donc pas spécifiquement l'identification des préconceptions des étudiants. En effet, le concept de préconceptions ne nous est utile que dans la mesure où il nous permettra d'inférer l'origine possible de ces difficultés et ainsi, proposer des pistes pour les éviter ou les résoudre.


PARTIE III : MÉTHODOLOGIE


CHAPITRE 5: QUESTIONS ET DÉMARCHE DE RECHERCHE


5.1 Questions de recherche

      Les questions de recherche sont de deux ordres. D'abord, nous chercherons à savoir quelles sont les difficultés, objections ou demandes d'explicitation des étudiants pendant les séances de cours, puis nous chercherons à cerner quelles sont les erreurs dans les réponses aux questions des questionnaires. Il s'agit donc ici d'une partie qui vise à expliciter les blocages et les erreurs, de même que les éléments de leur contexte d'apparition. Le deuxième ordre de questions concerne l'interprétation de l'origine de la difficulté. Nous nous sommes donc intéressée aux raisons possibles pour lesquelles de telles difficultés se sont manifestées.

      1° La description

      Quels sont les blocages ou difficultés présentés par les étudiants dans leur apprentissage des critères de rigueur méthodologique lors des séances de cours ou dans les questionnaires de fin de séance ?

  • Quelle est la nature de ces difficultés ?
  • Quel est le contenu concerné ?
  • Comment se manifestent-elles, de quelle manière, dans quel contexte ?

      2° L'interprétation

  • Quelle pourrait être l'origine de ces blocages ou de ces difficultés ?
  • Comment pourrait-on comprendre l'apparition de ces difficultés ?

5.2 Démarche de recherche

      Les recherches qui, comme celle-ci, nécessitent un recueil de données sur le terrain sont toujours tributaires des caractéristiques de ce terrain et des exigences, besoins et objectifs des acteurs. Dans les sections qui suivent, nous explicitons la démarche de recherche suivie tout au long de la recherche en présentant également les contraintes qui nous ont obligée à modifier nos plans initiaux, notamment en ce qui concerne le type d'analyse effectuée sur les données.

      Lors de la description de la démarche, nous n'indiquons que très brièvement le type d'outil et le type d'analyse que nous avons utilisés, afin qu'une vue d'ensemble de la démarche soit possible. Les chapitres 6 et 7 contiennent toutes les informations détaillées sur la construction des outils et les procédures d'analyse et de traitement des données.

      La démarche de notre recherche comprend deux étapes distinctes. D'abord, une première étape, constituée de phases enchaînées et successives de recueil et d'analyse de données sur le terrain, et une seconde étape, constituée du traitement des données et de l'inférence.

      Dans la section qui suit, nous nous attardons successivement à chacune de ces étapes.


5.2.1 Première étape: recueil et analyses successives des données

      La première étape de la recherche s'articule autour de deux moments sur le terrain ( les deux cases ombragées dans la figure 15) : la séance de cours portant sur le chapitre 5 intitulé: "La rigueur méthodologique" et celle sur le chapitre 8 intitulé: " Les démarches empiristes d'une recherche nomothétique". Avant ces séances, des phases successives d'analyse et de recueil de données ont permis de construire le questionnaire administré à la fin de chaque cours. Chacune de ces séances a été vidéofilmée afin de recueillir une trace des discussions à l'intérieur du cours. Le questionnaire administré à la fin de la séance veut recueillir des informations sur les difficultés et les erreurs qui subsistent tout de suite après l'enseignement. La figure 15 indique également les dates de présence sur le terrain.

      La nécessité de travailler en situation réelle de classe, étant donné notre conception de l'éducation et de la recherche, nous a obligée à adapter notre démarche à différentes contraintes. D'abord nous avons dû nous ajuster au contenu de cours du professeur, mais également à son calendrier. Aucun changement n'a été apporté à l'organisation de l'enseignement du professeur de façon à faciliter cette recherche. Quant aux étudiants, ils ont dû remplir trois questionnaires, assez brefs, qui avaient été construits de façon à respecter leur horaire chargé. Exiger d'eux qu'ils complètent un questionnaire détaillé et volumineux aurait pu signifier un refus de collaborer ou encore des réponses bâclées. Respecter les contraintes de la situation éducative signifie, à notre avis, se mouler à l'organisation déjà existante et demander une collaboration raisonnable. Ainsi, notre cueillette de données a dû tenir compte du temps alloué au contenu qui nous intéresse, du nombre d'étudiants inscrits, du local et du matériel habituellement utilisé par le professeur, de même que de tout événement imprévisible pouvant venir perturber le déroulement prévu de la leçon (par exemple, une discussion intéressante lors du cours, mais hors du sujet qui nous intéresse dans cette recherche).

      

Figure 15 : Première étape de la démarche et dates de présence sur le terrain

      Pour construire le questionnaire portant sur le contenu de la séance sur le chapitre 5, nous devions disposer, d'une part, de l'analyse du contenu du cours lui-même et de sa signification et, d'autre part, d'informations sur les connaissances avec lesquelles les étudiants abordent ce contenu. Nous nous attardons plus loin sur la construction des outils qui fournissent ces informations. La figure 16 reprend une section de la figure précédente et présente, sous forme schématique, le travail effectué avant la séance sur le chapitre 5.

      

Figure 16 : Premier moment: Le travail préalable à la séance portant sur le chapitre 5

      Un questionnaire sur les conceptions de la science a été construit, administré, analysé et les résultats ont servi à la construction du questionnaire de fin de séance. À la session d'automne 92, nous avons voulu recueillir , à l'aide de ce questionnaire, les préconceptions de la science en général, d'étudiants qui suivaient le cours ETA 6032, mais avec un autre professeur. Malheureusement la participation des étudiants fut presque nulle. En effet, sur 35 questionnaires distribués, cinq seulement nous sont revenus. L'idéal aurait été de pouvoir administrer ce questionnaire pendant une séance du cours, mais le calendrier du professeur ne le permettait pas. N'ayant pu recueillir les préconceptions de la science des étudiants à l'automne 92, nous l'avons donc fait à l'hiver 93, avec notre "groupe-cible". Dès la première séance, nous avons administré le questionnaire aux étudiants à la fin de la séance, soit le 11 janvier 93 et nous avons récupéré 21 questionnaires.

      Une analyse des réponses à des examens antérieurs administrés à d'autres groupes a également servi d'indices sur les difficultés potentielles, de même que les résultats de notre mémoire de maîtrise qui portait sur la signification des critères de rigueur méthodologique chez des chercheurs et dans des manuels de méthodologie. Le questionnaire sur le chapitre 5 a également été construit en fonction de ce que nous avons appelé le "modèle terminal du chapitre 5". Ce modèle terminal constitue le contenu du chapitre 5 réduit à ce que l'étudiant doit avoir acquis à la fin du cours. Il a été obtenu par l'élimination des redondances, figures de style ou de rhétorique qui font partie de texte du chapitre 5. Vingt jours plus tard, le 1er février 93, la séance sur le chapitre 5 a été enregistrée sur vidéo et le questionnaire de fin de séance a été distribué aux étudiants afin qu'ils y répondent en dehors du cours. Nous aurions préféré administrer ce questionnaire pendant le cours pour éviter que les étudiants ne révisent leurs notes de cours ou encore attendent plusieurs jours avant de le remplir. Malheureusement, l'horaire du professeur ne le permettait pas, ni d'ailleurs l'humeur des étudiants après 20h30. Nous avons donc tout de même demandé aux étudiants de remplir le questionnaire le plus rapidement possible après la séance de cours, sans vérifier leurs notes de cours ou leurs textes. Au début de la séance suivante, nous avons récupéré 16 questionnaires.

      Par la suite, les mêmes outils ont été utilisés pour construire le questionnaire de fin de séance portant sur le chapitre 8 (voir la figure 17). En plus de ces outils, une analyse de l'enregistrement de la séance portant sur le chapitre 5 et une analyse des réponses au questionnaire de fin de séance ont été utilisées. L'examen intra-semestriel ayant eu lieu entre les deux séances, les réponses à cet examen ont également servi d'indices pour la construction du questionnaire portant sur le chapitre 8. Évidemment, cette fois-ci, le questionnaire a été construit en fonction du contenu de la deuxième séance, c'est-à-dire le modèle terminal du chapitre 8. Trente-six jours plus tard, la séance de cours portant sur le chapitre 8 a été vidéofilmée et le questionnaire administré à la fin de la séance (8 mars 1993). La séance suivante, nous avons récupéré 9 questionnaires. Notons que le nombre de questionnaires récupérés est passé de 21 le 11 janvier, à 16 le 1er février, puis à 9 le 8 mars. Quelques abandons survenus entre le 11 janvier et le 1er février expliquent, en partie, la baisse du nombre de questionnaires récupérés. Ces abandons ne sont pas étonnants puisque plusieurs étudiants évaluent, dès le premier cours, la charge de travail demandée et le contenu offert en fonction de leur disponibilité et de leur intérêt. La baisse de questionnaires récupérés entre le 1er février et le 8 mars témoignent, cependant, de l'intérêt pour la recherche des étudiants qui suivent un cours de méthodes de recherche! Si l'on ajoute à cela l'échec de l'administration du questionnaire sur les conceptions de la science à l'automne 92 (à peine 15% des questionnaires récupérés), on peut s'interroger sérieusement sur l'intérêt pour la recherche d'étudiants qui suivent un cours qui leur permettra de faire de la recherche...

      

Figure 17 : Deuxième moment: Le travail préalable à la séance portant sur le chapitre 8

      Cette alternance entre recueil et analyse des données nous a permis de construire des outils de recueil de données complémentaires et contextualisées. L'importance de nous situer à l'intérieur d'un contexte d'apprentissage et d'évaluation réel, tient à l'objectif de cette recherche qui est, rappellons-le, d'effectuer un diagnostic des difficultés des étudiants tenant compte de l'histoire de la communication pédagogique.

      Le calendrier rapproché des séances de cours nous a cependant obligée à effectuer des analyses "indicatives" visant à repérer des indices de difficultés possibles plutôt que de réaliser l'inventaire exhaustif des difficultés présentes dans les outils. En fait, nous nous trouvons dans une situation d'analyse similaire à ce que Huberman et Miles (1991) appellent l'analyse pendant le recueil de données, qui permet souvent de s'assurer de la pertinence des données recueillies:

" ... le chercheur peut alterner un temps de réflexion sur les données déjà collectées et une mise au point de nouvelles stratégies pour en collecter d'autres, souvent de meilleures qualités; ce peut être un moyen efficace pour corriger des défauts systématiques restés inaperçus..." 54 

      Deslauriers (1991) mentionne également que l'analyse n'est pas seulement effectuée à la suite du recueil de données, mais que la rédaction de notes et l'appropriation du matériel pendant le recueil de données, constituent souvent des phases de pré-analyse. Dans le cas d'analyses de ce type, il est clair que le but recherché n'est pas de faire une analyse complète des données, mais bien de réajuster la pertinence du recueil des données, ou encore, de mieux préparer les prochaines présences sur le terrain.


5.2.2 Deuxième étape: Description et interprétation

      La deuxième étape de la démarche visait à répondre spécifiquement aux questions de recherche. Cette deuxième étape est donc divisée en deux phases afin de répondre aux deux ordres de questions prévus (cfr: Questions de recherche à la section 5.1 du présent document). La figure 18 présente un schéma des deux phases de cette étape: la description et l'interprétation.

      

Figure 18 : Deuxième étape de la démarche

      La première phase de cette étape concerne la description des blocages observés au moment des séances de cours ainsi que dans les réponses aux questionnaires.

      Il s'agit en fait de comparer le contenu à acquérir avec le savoir des étudiants, qui se manifeste lors des discussions au moment de la séance (vidéo) ou dans leurs réponses aux questionnaires (voir la figure 19).

      

Figure 19 : Description des difficultés

      L'identification exige une description de la nature des difficultés, de leur contenu ainsi que de la forme de leur manifestation. Les difficultés ont été regroupées par thèmes en fonction de leur écart au modèle terminal. Cette première phase permet donc de répondre au premier ordre de questions qui est le suivant:

      1° La description

      Quels sont les blocages ou difficultés présentés par les étudiants dans leur apprentissage des critères de rigueur méthodologique lors des séances de cours ou dans les questionnaires de fin de séance ?

      Quelle est la nature de ces difficultés ?

  • Quel est le contenu concerné ?
  • Comment se manifestent-elles, de quelle manière, dans quel contexte ?

      La seconde phase a comme objectif de comprendre l'origine possible des difficultés observées (voir figure 20). Cette compréhension résulte de la comparaison des difficultés classées et catégorisées avec différents outils.

      D'abord, le questionnaire exploratoire sur la science a été réutilisé comme indice de certaines préconceptions des étudiants. La littérature sur certains thèmes concernant les difficultés a aussi été utilisée, de même que le contexte d'apparition des difficultés, comme indices d'une source possible de leur apparition 55  .

      Au niveau de la mise en page du contenu, nous avons effectué une spatialisation du texte sous forme de réseau conceptuel, en nous inspirant de l'analyse nodale de Van der Maren (1992-1993). Notre objectif était de représenter les chapitres sous forme de réseau, afin de visualiser l'ensemble de l'organisation du contenu. En effet, à la lumière des travaux de Meyer (1985 et 1989) et de Britton et Black (1985), on peut penser que l'organisation d'un texte peut avoir une incidence sur les difficultés éprouvées par les étudiants. Elle pourrait même susciter certaines préconceptions erronées. Il est donc intéressant de faire ressortir l'organisation des propositions des textes à l'étude afin d'être en mesure de repérer si certaines difficultés peuvent avoir comme origine l'organisation du contenu.

      Ensuite au niveau de la mise en scène, les éléments de la présentation du contenu qui pose problème ont été relevés. Il pouvait s'agir, par exemple, de la présentation magistrale du concept en question, de l'explicitation du texte du chapitre ou encore d'une réponse à un étudiant. L'interaction entre les étudiants et le professeur lors des séances de cours a donc été retenue comme un indice de l'origine des difficultés.

      

Figure 20 : Interprétation de l'origine des difficultés

      Cette deuxième phase a permis de répondre au deuxième ordre de questions soit les suivantes:

      2° L'interprétation

      Quelle pourrait être l'origine de ces blocages ou de ces difficultés ?

  • Comment pourrait-on comprendre l'apparition de ces difficultés ?

CHAPITRE 6 : PREMIÈRE ÉTAPE: RECUEIL ET ANALYSES SUCCESSIVES DES DONNÉES

      Afin d'expliciter les procédures de construction des outils de recueil de données, nous utilisons des extraits de la figure 15, c'est-à-dire celle représentant la première étape de la démarche.


6.1 La construction du questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science

      

Figure 21 : La construction du questionnaire sur les conceptions de la science


6.1.1 Les bases de l'élaboration

      Contrairement aux questionnaires administrés à la fin des séances de cours, le questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science ne se base pas sur un recueil de données antérieures. Ce questionnaire s'inspire, en partie, de l'ouvrage de Désautels et Larochelle (1989) qui concerne les représentations du savoir scientifique d'adolescents du secteur secondaire. Les différents thèmes abordés par ces auteurs sont la nature du savoir scientifique, la production de la connaissance scientifique, la relation entre les lois scientifiques et les lois de la nature, les théories scientifiques, etc.

      L'objectif de ce questionnaire est de recueillir de l'information sur les conceptions des étudiants au sujet de la science. La clientèle qui nous intéresse est constituée d'étudiants novices en ce qui concerne les connaissances méthodologiques comme telles. Toutefois, comme toute personne dans notre société, ils se construisent une représentation au sujet de la science, à travers leur scolarité, les médias, etc. Cette représentation peut être plus ou moins élaborée et, dans certains cas, erronée (Désautels, Larochelle,1989). La conception de la science peut influencer de façon importante celle de la rigueur de la méthode puisque c'est en fonction de la nature que l'on attribue à la science que l'on juge du caractère scientifique ou non des connaissances, des théories ou des recherches. Par exemple, la signification que l'on attribue au concept d'objectivité varie selon la conception que l'on a de la relation entre la recherche et le savoir. On peut définir l'objectivité comme :

" ...la possibilité de voir les choses telles qu'elles sont en réalité, sans que le regard de l'observateur soit obstrué ou déformé par ses préjugés, son idéologie, ses sentiments, ses passions, bref, sa subjectivité." 56  .

      Mais la conception véhiculée par les tenants du constructivisme exige une tout autre définition du concept d'objectivité. Si l'on postule que la connaissance est tributaire du contexte socio-historique de sa production, l'objectivité est plutôt définie en terme d'intersubjectivité :

" C'est à la communauté scientifique, elle-même contingente, et non à la nature, que revient la tâche de fournir matière à réflexion et d'assurer la légitimité des connaissances produites. Le processus d'objectivation est donc social puisqu'il repose sur l'intersubjectivité (le jugement par les pairs) qui est à la base de la communauté scientifique." 57  .

      C'est la raison pour laquelle nous sommes intéressée à interroger le champ des représentations préalables des étudiants concernant la science. À la lumière de l'ouvrage de Désautels et Larochelle (1989), nous avions des raisons de soupçonner que l'expression "scientifique" est souvent reliée à des thèmes tels que la "vérité", la "rigueur" ou la "certitude" et c'est donc en rapport avec ces thèmes que nous avons interrogé les conceptions concernant la science.


6.1.2 Description des questions du questionnaire  58 

      La stratégie utilisée pour la construction du questionnaire devait tenir compte du fait que les étudiants sont novices. Ainsi, sauf pour les questions 1 et 8, nous avons jugé utile de construire des questions qui les amenaient à réagir par rapport à un énoncé plutôt qu'à construire eux-mêmes une réponse cohérente à partir de leurs connaissances. La longueur du questionnaire devait aussi tenir compte du fait qu'il était administré pendant la première séance de cours et qu'il était donc impensable, étant donné le calendrier du professeur, qu'il soit d'une durée de plus d'une heure. Nous avons administré ce questionnaire auparavant à deux collègues de façon à évaluer de façon concrète et réaliste le temps de réponse. Ce questionnaire comporte huit questions en tout. Le tableau ci-dessous présente les thèmes généraux abordés dans chacune des questions.

      
Tableau II : Thèmes abordés dans chacune des questions du questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science
  Objet de la question
Q.01 Critères de qualité d'une recherche en éducation
Q.02 Définition de la science
Q.03 Définition de la science
Q.04 Caractéristiques des théories scientifiques
Q.05 Connaissance scientifique vs connaissance commune
Q.06 Processus d'évolution de la science
Q.07 Construction de la connaissance scientifique
Q.08 Définition des critères de rigueur méthodologique

      Question 1
Si vous aviez à évaluer la qualité d'une recherche en sciences de l'éducation, à partir de quels critères le feriez-vous ? Expliquez chacun d'eux.

      Cette première question vise à recueillir de l'information sur les critères plus ou moins généraux et implicites à partir desquels les étudiants évalueraient une recherche en sciences de l'éducation. Nous voulons, par cette question, connaître la conception des étudiants d'une "bonne" recherche.

      Question 2
Expliquez la signification de chacun des termes ou des expressions soulignés dans la définition suivante:

      La science est une connaissance objective qui établit entre les phénomènes des rapports universels et nécessaires autorisant la prévision de résultats (effets), dont on est capable de maîtriser expérimentalement ou de dégager par l'observation la cause.

      Question 3
Êtes-vous en accord avec la définition de la science énoncée précédemment? Justifiez.

      La deuxième et la troisième question concernent le même énoncé. Cet énoncé est une définition positiviste de la science empirique que nous avons extraite d'un ouvrage d'épistémologie générale 59  . Les étudiants sont invités, dans la question 2, à définir certains des termes de la définition :"connaissance objective", "rapports universels et nécessaires", "maîtriser expérimentalement" et "cause" afin de mieux vérifier leur compréhension de la définition. Par la suite, ils sont invités à donner leur opinion à propos de cette définition et à expliciter leur réponse.

      Question 4
À votre avis, les théories suivantes sont-elles des théories scientifiques ? Justifiez.

      Important: Veuillez inscrire " ? " si vous êtes incapable de répondre à la question parce que vous ne connaissez pas la théorie. Ne répondez donc à la question que pour les théories avec lesquelles vous êtes minimalement familiers.

      La théorie de Piaget:
La théorie de Freud (psychanalyse):
Le marxisme:
Le behaviorisme:
Le constructivisme:

      La question 4 concerne la scientificité des théories. L'étudiant doit indiquer si les théories mentionnées sont ou non des théories scientifiques et justifier leur réponse. Nous pensons retrouver, à travers leurs réponses, les caractéristiques que les étudiants attribuent aux théories "scientifiques" et voir s'ils sont en mesure de faire une distinction entre une théorie scientifique (théorie de Piaget, behaviorisme) , une théorie interprétative (la psychanalyse, le marxisme) et une "méta-théorie" ou orientation épistémologique (le constructivisme). Rappelons que l'étudiant est invité à ne répondre que pour les théories avec lesquelles il est relativement familier.

      Question 5
La science ne peut donner d'explication scientifique aux phénomènes suivants :

  • les phénomènes paranormaux (clairvoyance, médium etc.)
  • les expériences mystiques (les "miracles", etc.)
  • L'origine de l'univers (qu'y avait-il avant le "Big bang" ?)
  • la réincarnation
  • l'existence de Dieu

      À votre avis pour quelle(s) raison(s)?

      La question 5 concerne les caractéristiques des objets de la connaissance scientifique par rapport à ceux de la connaissance commune. L'étudiant doit expliquer pourquoi certains phénomènes ne peuvent être expliqués par la science (phénomènes paranormaux, l'existence de Dieu, etc.). De par la formulation de la question, nous voulons obliger l'étudiant à réfléchir sur l'objet de la science et à formuler sa représentation de ce qui peut être l'objet de la science.

      Question 6
Êtes-vous en accord avec l'énoncé suivant ? Expliquez l'énoncé en vos propres termes et justifiez votre position.

      " La science elle-même est loin d'être tout entière scientifique, au sens où ce mot qualifie un savoir parfaitement objectif ne laissant plus aucune place à la contestation"

      À la question 6, l'étudiant est amené prendre position vis-à-vis d'une affirmation au sujet de la science. Cette affirmation, repérée dans un ouvrage d'épistémologie générale  60  , voulait ouvrir une brèche dans une conception naïve de la science. Autrement dit, la science n'est pas tout à fait objective et elle peut être contestée. L'orientation de la question nous permet d'espérer des réponses au sujet du caractère objectif de la science (ou non objectif), sur la conception de l'objectivité, sur le degré de certitude ou de "vérité" que l'on peut attribuer à la connaissance scientifique et aborde la question de la contestation possible comme forme de production de la connaissance; ce dernier aspect est le thème de la question suivante.

      Question 7
Êtes-vous en accord avec l'énoncé suivant ? Justifiez votre position.

      "La science est une production sociale : son lieu de naissance et d'existence n'est pas un vague monde des idées ou des "vérités scientifiques", mais la société elle-même, dans laquelle le savant est un producteur d'idées, de théories et d'expériences. Sans doute cette production a-t-elle quelque chose de particulier (le savant ne produit pas directement des marchandises ou des machines), mais elle reste soumise aux mêmes conditions sociales que les autres productions" (demande sociale, "modes", influences politiques, exigences provenant des organismes subventionnaires, développements technologiques, état des connaissances dans le domaine etc.)".

      La question 7 concerne la question de la science comme production sociale et utilise une affirmation du même ouvrage d'épistémologie générale 61  . Nous voulons savoir si les étudiants ont une conception de la science qui se traduit en terme de découverte ou de construction et s'ils sont conscients des conditions sociales qui déterminent ou, à tout le moins, influencent la production de la connaissance scientifique.

      Question 8
Les énoncés ci-dessous présentent différentes définitions qui correspondent à l'un ou l'autre des 6 termes suivants:

      
1- validité des mesures 4- validité externe
2- fidélité des mesures 5- objectivité
3- validité interne 6- crédibilité

      Indiquez de quel terme il s'agit en inscrivant le numéro approprié devant chaque énoncé.

  1. Capacité d'un instrument de mesure de reproduire les mêmes résultats lors de circonstances identiques peu importe l'observateur et le nombre de mesures prises.
  2. Qualité de ce qui existe indépendamment de l'esprit (indépendamment du chercheur).
  3. Cohérence entre les différents éléments de la recherche (question de recherche, démarche utilisée, cadre théorique etc.).
  4. Cohérence au niveau du déroulement de la recherche.
  5. Publication dans des revues scientifiques.
  6. Pertinence des données recueillies par rapport au concept qu'elles sont censées représenter.
    Ex: Pertinence de l'observation du sourire des gens (données) pour représenter leur niveau de bonheur (concept).
  7. Conformité d'un indicateur (ce que l'on veut observer ou mesurer) avec sa représentation (les données que nous avons recueillies).
    Ex: Conformité entre le sourire des gens (indicateur du bonheur) et l'observation directe du sourire par le chercheur (données recueillies).
  8. Fait référence à la possibilité de généraliser les résultats d'une recherche à de nouvelles situations.
  9. La personnalité et les attentes du chercheur ne doivent pas intervenir dans la recherche.
  10. Caractéristique d'une technique qui assure de recueillir les mêmes données chaque fois que les mêmes phénomènes se produisent.
  11. Fiabilité et clarté des résultats d'une recherche dont le cadre et la conduite ne sont pas ambigus.
  12. Pertinence des questions de la recherche.

      Finalement, la dernière question concerne de façon plus spécifique les critères de rigueur méthodologiques. L'étudiant doit faire correspondre chacun des termes à l'une ou l'autre des définitions mentionnées. Nous voulons, avec cette question, vérifier les connaissances réelles des étudiants en rapport avec ces concepts étant donné qu'il n'est pas impossible qu'ils aient été confrontés avec l'un de ces critères de rigueur dans leurs études antérieures. Les différentes définitions proposées proviennent d'une recherche effectuée dans le cadre de notre maîtrise 62  où nous avions été amenée à recueillir différentes définitions et explications des critères de rigueur méthodologique à travers des manuels de méthodologie et des entrevues auprès de chercheurs.


6.2 La construction du questionnaire sur le chapitre 5

      

Figure 22 : La construction du questionnaire sur le chapitre 5


6.2.1 Les bases de l'élaboration

      Quatre sources ont inspiré la construction du questionnaire sur le chapitre 5.

      a) Les réponses au questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science

      Le questionnaire exploratoire avait été administré aux étudiants à la première séance de cours et nous en avions récupéré 21 à la séance suivante. Nous avons fait l'inventaire de l'ensemble des réponses et nous avons ensuite repéré, parmi celles-ci, un certain nombre d'erreurs qui nous permettaient d'anticiper des difficultés dans l'apprentissage du chapitre 5.

      Une autre analyse de ces réponses sera entreprise après la collecte de données afin de trouver des pistes d'interprétation aux difficultés d'apprentissage.

      b) Le modèle terminal du chapitre 5

      Le modèle terminal de chacun des chapitres constitue la référence à partir de laquelle nous analysons le matériel. Il s'agit, en fait, du contenu que l'étudiant doit avoir acquis à la fin du cours. Le travail qui permet de retracer ce modèle consiste à réduire le chapitre à son contenu minimum en éliminant les redondances, les figures de styles, les exemples, bref, toute la rhétorique pédagogique de sa présentation écrite. Le modèle terminal du chapitre 5 constitue donc l'essentiel du contenu à acquérir à l'intérieur de ce chapitre.  63 

      c) L'analyse des réponses à des examens antérieurs

      Le professeur nous a remis un bilan des réponses à des examens de l'année précédente pour le même cours. Il s'agissait d'examens composés de questions à choix multiples. Il était donc possible de repérer rapidement les réponses erronées les plus courantes concernant les critères de rigueur et ainsi anticiper des difficultés possibles dans l'apprentissage du chapitre 5. Les réponses à ces examens nous semblaient intéressantes dans la mesure où elles constituent un indice de certaines erreurs qui subsistent au moment où, théoriquement, le contenu du cours devrait être parfaitement maîtrisé.

      d) La signification des critères de rigueur méthodologique

      Notre mémoire de maîtrise portait sur la signification du concept de validité dans des manuels de méthodologie et dans des entrevues auprès de chercheurs en éducation  64  . À l'aide d'une analyse conceptuelle portant sur les critères de rigueur, nous avons été amenée à constater une diversité importante dans la signification qui leur est attribuée. En fait, selon la formation du chercheur, son domaine de recherche et son orientation épistémologique, la signification qu'il attribue au concept peut varier de façon relativement importante. Nous avons repris les résultats de cette analyse afin d'identifier des sources possibles de confusion entre certains concepts.


6.2.2 Description des questions du questionnaire

      Le questionnaire portant sur le chapitre 5 65  a été distribué aux étudiants dès la fin de la séance de cours portant sur ce chapitre, soit le 1er février 93. Nous aurions préféré administrer ce questionnaire sur place pendant la dernière heure de la séance, mais les contraintes du cours ne le permettaient pas. En effet, il était impensable d'utiliser près du tiers d'un cours de 3 heures pour répondre à un questionnaire; de plus, les étudiants étaient visiblement fatigués à 20h30 et pressés de rentrer chez eux. Ces derniers ont donc accepté de répondre au questionnaire à la maison, sans leurs notes de cours et ils nous l'ont remis lors du cours suivant. Nous avons récupéré tous les questionnaires distribués pour un total de 16, le nombre d'étudiants inscrit au cours ayant diminué depuis le premier cours. Le questionnaire comporte 10 questions.

      Question 1
Inscrire le numéro approprié dans chacune des cases vides :

  1. validité des données
  2. fidélité des données
  3. vraisemblance
  4. pertinence

      Expliquer votre choix :

      La première question permet de repérer la confusion possible entre la validité des données et la fidélité des données ainsi que sur le type de relation impliqué par chacun des concepts. Nous avions observé, dans l'analyse des réponses aux examens antérieurs, qu'il y avait parfois confusion entre la validité externe et la fidélité des mesures et nous avions des raisons de croire que la confusion pouvait s'étendre également au concept de validité des mesures.

      En effet, confrontés à la définition suivante:

" La validité externe qui se rapporte aux possibilités d'extension ou de transfert des conclusions et qui consiste à évaluer le rapport au réel des indices"

      plusieurs étudiants la jugeaient exacte alors que la dernière proposition de la phrase (mise en caractère gras) correspond à la définition de la fidélité des mesures et non de la validité externe. Pour la validité externe, on aurait dû lire " le rapport au réel des conclusions", et non pas des indices, d'où la confusion probable des étudiants. La définition de la validité des mesures concerne le " rapport des indices au concept. Aussi, étant donné la similitude des termes utilisés, la confusion nous semblait également possible avec le concept de fidélité des mesures définie comme le "rapport des indices au réel".

      Question 2 :
Des données fidèles sont-elles nécessairement valides ? Expliquer.

      Question 3 :
Des données valides sont-elles nécessairement fidèles ? Expliquer.

      Les questions 2 et 3 cherchent à voir la compréhension des étudiants par rapport à la relation qui existe entre la fidélité des données et la validité des données. Dans notre mémoire de maîtrise 66  , nous avions repéré une ambiguïté dans le discours des auteurs de manuels de méthodologie. En effet, un auteur 67  affirme que la fidélité est nécessaire mais que seule, elle est insuffisante puisqu'un instrument peut très bien être fidèle (mesurer toujours la même chose avec constance, stabilité,etc.) mais ne pas mesurer le concept qu'il est censé mesurer. De plus, un autre auteur 68  ajoute qu'une mesure valide est également fidèle puisqu'elle mesure toujours le même concept, celui pour lequel elle a été conçue. Par ailleurs, le contenu du chapitre 5 affirme qu'une inscription fidèle n'est pas nécessairement valide, et qu'à l'inverse, une inscription valide n'est pas nécessairement fidèle :

" Comme plusieurs inscriptions peuvent produire une bonne approximation d'un événement sans que les chercheurs s'entendent sur ce que ces inscriptions veulent dire, on voit qu'une inscription fidèle n'est pas nécessairement valide. Par ailleurs, ils peuvent s'entendre sur la dénomination d'une trace alors que le système inscripteur n'est pas fiable et ne produit pas cette trace lorsqu'il devrait la produire; une inscription peut donc être valide sans être fidèle. Pour être crédibles, les données d'une recherche doivent provenir d'inscriptions qui sont à la fois fidèles et valides; le chercheur doit s'assurer de ces deux qualités d'une bonne inscription, il ne peut se contenter d'inférer l'une à partir de l'autre. "  69 

      Ces divergences nous semblent suffisantes pour soupçonner la présence de difficultés dans la différenciation de ces deux concepts chez les étudiants.

      Question 4 :
Que peut-on faire pour vérifier la fidélité des données ?

      Question 5 :
Que peut-on faire pour vérifier la validité des données ?

      Les questions 4 et 5 cherchent à voir si les étudiants connaissent les techniques de vérification de la validité et de la fidélité des données, s'ils savent les distinguer, de même que leur capacité à différencier la signification des critères et les techniques permettant leur vérification.

      Question 6 :
On analyse le contexte particulier de sa recherche et de son instrumentation pour respecter quel critère de rigueur ? Expliquer l'importance du respect de ce critère.

      La question 6 concerne la validité externe et est issue d'une réflexion en rapport à la difficulté que nous avons mentionnée à propos de la première question. Elle permet de voir si l'étudiant peut retrouver le critère adéquat à partir de la technique de vérification qui lui est associée et non à partir de sa définition. Ainsi, il n'y a que dans le cas de la validité externe (ou rapport au réel des conclusions) que l'on analyse le contexte particulier de sa recherche et de son instrumentation.

      Question 7:
L'objectivité et la consistance programmatique exigent l'utilisation de stratégies semblables, c'est-à-dire l'explicitation des préconceptions et des a priori du chercheur, mais dans des buts différents. Expliquer dans quels buts cette stratégie est utilisée.

      La question 7 cherche à voir si les étudiants sont en mesure de saisir la différence entre la consistance programmatique et l'objectivité. Nous avons repéré dans le modèle terminal du chapitre que les stratégies générales permettant de vérifier l'objectivité et la consistance programmatique sont similaires, tel que le mentionne l'extrait du chapitre 5 suivant:

" La réponse au problème de l'objectivité suit une stratégie semblable à celle qui permet de répondre au problème de la validité interne. Dans l'approche quantitative, on tentera d'épurer, d'aseptiser la recherche de tout ce qui peut la contaminer, d'où le recours aux expériences de laboratoire et à une instrumentation qui minimise l'intervention de l'humain. Dans l'approche qualitative, convaincus de ne pas pouvoir éliminer tous les biais, les chercheurs tenteront d'obtenir une autre forme de l'objectivité en explicitant les a priori et les limites de la recherche et en déclarant l'estimation qu'ils font de l'effet des biais sur les résultats de la recherche. "p. 5-5.

      L'objectif de ces deux critères de rigueur est cependant différent et il a trait à la signification que l'on attribue à chacun des deux concepts. Dans un cas il s'agit de s'assurer que le programme permet bien d'arriver aux conclusions de la recherche, alors que, dans l'autre cas, il s'agit de neutraliser l'effet du chercheur lui-même sur la recherche.

      Question 8 :
Nommer 3 critères, qui sont souvent implicites, mais qui contribuent à assurer une certaine crédibilité à une recherche.

      La question 8 demande à l'étudiant de nommer trois critères "implicites" qui contribuent à assurer à une recherche une certaine crédibilité. Cette question concerne l'aspect plus "social" de la recherche. Dans notre mémoire de maîtrise, nous avions remarqué qu'aucun manuel de méthodologie ne mentionne les critères plus "sociaux" de crédibilité d'une recherche. Pourtant dans l'analyse des propos des chercheurs en éducation, nous avions pu repérer une grande variété de critères de crédibilité du genre " publication dans une revue prestigieuse" ou encore " subvention", "statut du chercheur" ou "visibilité scientifique". Certains de ces critères sont mentionnés dans le chapitre 5 sous l'expression " Critères latents" . Nous étions intéressée à savoir si les étudiants sont conscients du fait que la crédibilité d'une recherche dépend aussi de critères "psycho-sociaux" plus ou moins externes à la recherche elle-même.

      Un autre indice de difficultés possibles concernant ces critères psycho-sociaux de crédibilité de la recherche nous vient de l'analyse des réponses au questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science. La septième question de ce questionnaire nous permet de constater que les étudiants semblent conscients du fait que le développement de la science est intimement lié à l'évolution de la société de référence. Toutefois, ces derniers parlent de la science comme "produit final", c'est-à-dire comme réponse à une demande sociale et ils discutent peu des phénomènes sociaux qui interviennent dans le processus scientifique lui-même.

      Question 9 :
Expliquer les termes suivants :

  • Modèle :
  • Objet :
  • Théorie:

      Question 10 :
Énoncer la règle qui correspond à chaque chiffre inscrit dans le schéma. et Justifier leur existence (pourquoi telle ou telle règle est-elle nécessaire ?).

      

      Schéma de Van der Maren (1990-91), p. 5-9

      
Règle 1: Règle 3: Règle 5:
Règle 2: Règle 4:  

      Les questions 9 et 10 concernent la question de la correspondance entre objet, modèle et théorie, qui fait partie des critères de rationalité mentionnés dans le chapitre 5. D'abord la question 9 demande aux étudiants de définir les termes "objet", "modèle" et "théorie" afin de savoir s'ils sont en mesure de les distinguer. La question 10 reproduit le schéma présenté dans le chapitre 5 et demande aux étudiants d'identifier les règles représentées par des numéros et d'expliquer l'importance de chacune d'elle.

      Cette question est issue d'une réflexion à propos de l'analyse de l'une des questions des examens antérieurs. Dans cette question, on demandait à l'étudiant de repérer les règles définies correctement dans une liste donnée. L'erreur la plus fréquente se situe au niveau de la réciprocité ou de la non-réciprocité des règles. En effet, il semble y avoir incompréhension du fait que l'objet puisse être plus complexe que son modèle et donc que l'on ait besoin de plusieurs éléments du modèle pour représenter un seul de ses éléments (règle 4). De plus, les résultats d'examen montrent qu'il y a incompréhension du fait que le modèle devient équivoque si un élément du modèle représente plusieurs éléments de l'objet, étant entendu que la présence et l'absence d'un même élément constituent deux états du modèle donc deux éléments distincts.

      Différentes sources de réflexion ont donc permis la construction du questionnaire sur le chapitre 5. Le tableau suivant présente une synthèse de ces sources.

      
Tableau III : Sources de réflexion pour la construction du questionnaire sur le chapitre 5
  Q.explo.science Examens antérieurs Mémoire M.A.Mainville(1989) M.T. 5 Réflexionpersonnelle
Q.01   Confusion entre validité externe et fidélité des mesures.( Examen Nov.91 Q.4)   Similitude des définitions entre validité et fidélité des données  
Q.02     Divergences au niveau de la définition de validité et de fidélité des données, dans des manuels de méthodologie    
Q.03     Voir Q.02    
Q.04         Distinction entre signification des critères et techniques de vérification de ces critères. (Val et Fid.)
Q.05         Voir Q.04
Q.06   Confusion entre validité externe et fidélité des mesures.( Examen Nov.91 Q.4)      
Q.07       Similitude entre la technique de vérification de l'objectivité et celle de la cohérence programmatique  
Q.08 À la question 7, il n'est pas certain que les étudiants comprennent que la science est une production sociale, bien qu'ils comprennent que la société a une influence sur la science.   Les critères psychosociologi-ques de crédibilité sont souvent absents des ouvrages de méthodologie, mais sont présents dans le discours des chercheurs.    
Q.09   Mauvaise compréhension de la relation entre modèle et objet.Examen Nov.91, Q3.      
Q.10   Voir Q.09      


6.3 La construction du questionnaire sur le chapitre 8

      

Figure 23 : La construction du questionnaire sur le chapitre 8


6.3.1 Les bases de l'élaboration

      La construction du questionnaire sur le chapitre 8 s'appuie sur quatre sources.

      a) Modèle terminal du chapitre 8

      Le modèle terminal du chapitre 8 a été constitué de la même manière que celui du chapitre 5 , afin d'identifier le contenu à acquérir  70  .

      b) Analyse de l'enregistrement de la séance

      La séance de cours portant sur le chapitre 5 a été vidéofilmée et retranscrite intégralement sur papier. L'analyse de cet enregistrement vidéo a consisté à repérer les questions posées par les étudiants, de même que les erreurs qui témoignent d'une incompréhension. Le contexte d'apparition de ces questions et erreurs a été conservé de façon à mieux comprendre leur origine.

      c) Analyse des réponses au questionnaire sur le chapitre 5

      Cette analyse a consisté à repérer les erreurs à chacune des questions, de façon à obtenir un bilan provisoire des difficultés dans l'apprentissage de ce chapitre.

      d) Analyse des réponses à l'examen intra-trimestriel

      L'analyse des réponses à l'examen intra-trimestriel a consisté uniquement à repérer les erreurs les plus fréquentes, mais l'éventail des réponses erronées n'a pas été analysé faute de temps.


6.3.2 Description des questions du questionnaire  71 

      Question 1
Quelles différences y a-t-il entre une théorie, un modèle, une hypothèse et une loi ?

      La première question est issue de la combinaison de deux difficultés identifiées au préalable. La première difficulté concernait la confusion possible entre loi, théorie et modèle. Dans l'analyse de l'enregistrement vidéo de la séance sur le chapitre 5, certains étudiants ont eu de la difficulté à différencier un modèle et une théorie. Par exemple, selon eux, un modèle est un mode d'application d'une théorie, une théorie est un ensemble de modèles et un modèle est la base de la théorie. De plus, ils sont incapables de reconnaître un modèle ou une théorie, le modèle piagétien étant, à leur avis, la base de la théorie de Piaget.

      

      Les étudiants ont également de la difficulté à différencier les types de théories et à comprendre l'importance de les différencier (analyse de l'enregistrement vidéo). Dans une discussion, une étudiante a fait mention d'une théorie à son avis, "descriptive" dans le domaine de la toxicologie, théorie qu'elle a appelé " le boire contrôlé" . De toute évidence, il s'agit plutôt d'une théorie interprétative qui inclut des valeurs et une injonction. Cette "théorie" s'opposerait à celle véhiculée par le mouvement des Alcooliques Anonymes qui prône plutôt l'arrêt complet de la consommation de boisson alcoolisée. La théorie générale des systèmes, est également conçue comme une théorie descriptive alors qu'il s'agit d'une méta-théorie, tantôt protocolaire (comment doit être une théorie des systèmes), tantôt formalisante (méta-théorie plus abstraite comme par exemple, " La méthode de la méthode" d'Edgar Morin). Les étudiants ont également du mal à comprendre que les différentes théories n'auront pas les mêmes exigences (isomorphisme ou homomorphisme entre théorie, modèle et objet).

      Nous avons ajouté à cette difficulté dans la différenciation entre loi, théorie et modèle, le concept d'hypothèse qui nous semblait également porteur de difficultés potentielles.

      En recherche nomothétique l'hypothèse est, en quelque sorte, la modélisation d'une théorie (c'est une application concrète déduite de la théorie abstraite). On postule que, étant donné la théorie abstraite, concrètement ceci devrait se vérifier. Mais l'hypothèse est-elle la modélisation d'une loi ou de la théorie ? Un modèle issu d'une théorie est-il toujours une hypothèse à tester ? Les étudiants ayant de la difficulté à différencier les types de théories et le concept de modèle pourraient également buter sur celui d'hypothèse.

      Question 2
Quelles sont les principales différences entre la stratégie statistique et la stratégie monographique en recherche empiriste?

      Quels sont leurs objectifs, qu'est-ce qui les caractérise ?

      Question 3
Replacer les termes suivants dans le schéma

      
recherche spéculative recherche exploratoire stratégie statistique
     
confirmation infirmation enjeux nomothétiques
     
recherche empiriste recherche vérificatoire stratégie monographique
     
stratégie statistique stratégie monographique  

      

      La figure 24 présente un schéma des différents niveaux dont il est question dans les chapitres 5 et 8 et constitue les réponses à la question 3. Ce schéma n'est cependant pas inclus dans ces chapitres, il doit être construit à partir de l'organisation du contenu des chapitres.

      

Figure 24 : Réponses à la question 3 du questionnaire sur le chapitre 8

      Les questions 2 et 3 sont issues d'une réflexion à propos de difficultés possibles dans l'interprétation des tableaux contenus dans le chapitre 5, qui concernent les différents thèmes de la recherche nomothétique. En fait, cinq éléments nous permettent de relever un risque d'ambiguïté.

      D'abord dans le chapitre 5:

      1°un tableau (3.1) présente les formes de recherche et leurs enjeux.

      Enjeux nomothétique :

      recherche spéculative, hypothético-déductive, monographique

      2° Puis en page 3.3, il est écrit:

      "Les recherches nomothétiques sont habituellement soit spéculatives ou théoriques, soit hypothético-déductive ou empirique, soit monographiques."

      D'après ce passage, seule la recherche hypothético-déductive serait empiriste.

      3° "Dans le second cas (hypothético-déductive) , la recherche procède en deux phases. D'abord une phase inductive, exploratoire, (...) puis une phase déductive, ou vérificatoire (...)"

      Donc, seule la recherche hypothético-déductive aurait un versant inductif et un versant déductif.

      4° Puis au chapitre 8, on parle des démarches empiristes de la recherche nomothétique.

      On parle de deux grandes stratégies: stratégie statistique (descriptive et inférentielle) et stratégie monographique.

      Donc, la recherche monographique est, elle aussi, empiriste. Ce qui n'était pas évident plus haut (voir 2° à la page précédente).

      5° Un peu plus loin, on dit que les deux types de stratégies ont un mouvement inductif et un mouvement déductif. Donc la recherche monographique est aussi hypothético-déductive ? (ambiguïté dans l'utilisation des termes).

      Étant donné la complexité des différents niveaux, nous avons cru bon de vérifier si les étudiants éprouvaient de la difficulté à se retrouver dans les méandres des niveaux et classes de recherche. La question 2 porte donc sur le premier niveau à différencier soit la recherche spéculative et la recherche empiriste et la question 3 porte sur l'organisation en organigramme de l'ensemble des niveaux.

      Question 4
Une théorie peut-elle être "vraie" ? Justifiez.

      Cette question est issue de l'analyse d'une discussion lors de la séance sur le chapitre 5. Les étudiants avaient alors discuté du concept de "doute méthodique" comme attitude fondamentale en recherche et de la question de la "vérité". Nous avons constaté lors de cette discussion, que les étudiants ont tendance à envisager les résultats de la science comme des vérités. L'une des questions des étudiants est par exemple :

" Mais à ce moment-là comment on se situerait sur ce qui deviendra des vérités entre guillemets?" ( Verbatim, V5)

      L'étudiant prend la peine de mettre entre guillemets l'expression "vérité", mais il n'est pas si évident qu'il ne s'agit pas pour lui d'une vérité au sens stricte. C'est la raison pour laquelle nous avons voulu permettre aux étudiants de discuter sur ce sujet.

      Question 5
L'énoncé suivant concerne la stratégie statistique qui cherche à infirmer une théorie (le modèle infirmatif). À votre avis, de quel genre de "résultats non significatifs" est-il question dans l'extrait suivant ? "... le modèle infirmatif cherche des résultats non significatifs. "

      Cette question a été conçue de façon à voir de quelle façon les étudiants conçoivent le modèle infirmatif et quelle est leur conception de l'expression "significatif". Le cotexte de l'extrait présenté aux étudiants est le suivant:

" Paradoxalement avec la conception de certains chercheurs, le modèle infirmatif cherche des résultats "non significatifs". La technique consiste à mettre en place une expérience pour laquelle on peut prédire quelle observation possible infirmerait l'hypothèse déduite de la thèse. Pour tester la validité de la thèse, on va tenter d'observer l'infirmation possible; si elle se produit, la thèse ne tient pas, si elle ne se produit pas, la thèse tient jusqu'au moment où une infirmation sera observée. Une seule infirmation suffit, mais elle doit pouvoir être observable, sinon l'épreuve est une supercherie. La mise à l'épreuve peut se faire de deux façons. La tactique la plus forte est l'expérience critique, soit la mise en évidence d'un fait incontestable qui contrevient à la généralité de la prédiction; mais c'est la moins répandue. L'autre procédure suit la démarche de comparaison entre deux situations, comme dans le modèle confirmatif, mais elle diffère en ce que, dans ce cas-ci, c'est la situation du groupe témoin qui est visée. On ne cherche pas à montrer que l'hypothèse (l'effet) se produit dans le groupe expérimental où la variable indépendante est manipulée, on cherche à montrer qu'on observe le même effet, ou un effet qui n'est pas suffisamment différent, dans le groupe témoin. Or,ce qui est prédit par l'hypothèse ne peut pas se produire dans le groupe témoin parce que la variable indépendante y est tenue constante ou nulle. Si l'on n'observe aucune différence significative entre les deux situations (celle qui est censée ne pas varier et celle qui, selon l'hypothèse, devrait varier), alors l'hypothèse est infirmée et l'on doit réviser la thèse. " 72 

      Tel que mentionné dans les premières lignes de cet extrait, la conception du modèle infirmatif présenté ici est contraire à celle couramment présentée, ce qui, à notre avis, pouvait être une source de difficulté. De plus, l'expression "significatif" employée sans compréhension réelle peut devenir synonyme de valide ou vrai ou rigoureux, ce qui nous a amenée à poser cette question.

      Question 6
Quelle différence y a-t-il entre l'hypothèse nulle et l'hypothèse de recherche ?

      Question 7
L'aléatorisation est une tactique permettant au chercheur de constituer des groupes équivalents. Dans quels cas le chercheur a-t-il besoin de groupes équivalents ? Pourquoi a-t-il besoin de groupes équivalents ?

      Ces deux questions ne sont pas basées sur des difficultés observées antérieurement, mais plutôt sur l'analyse du modèle terminal du chapitre 8. La section qui discute de la décision dans une recherche vérificatoire est particulièrement complexe. En effet, cette section (4.3) discute d'abord de la détermination préalable des seuils, ensuite de l'aléatorisation et finalement de l'hypothèse nulle et de l'hypothèse de recherche (différences et fonction dans la prise de décision finale par le chercheur). Les questions 6 et 7 nous permettent de voir comment les étudiants comprennent la différence entre les deux types d'hypothèse et leurs fonctions, de même que le principe et la fonction de l'aléatorisation.

      Question 8
Qu'est-ce que la "validité empiriste" ?

      Étant donné les difficultés présumées lors de la construction du questionnaire sur le chapitre 5 notamment la confusion entre validité des mesures, fidélité des mesures et validité externe, de même que la confusion entre les différents types de théories, nous avons pensé que le concept de validité empiriste pouvait porter les étudiants à confusion. De plus, le concept peut être difficile à cerner puisqu'il ne s'agit ni de la validité de la démarche de la recherche (validité interne), ni de la validité des inscriptions (validité des mesures) , mais plutôt du domaine empirique à l'intérieur duquel la théorie s'applique, c'est-à-dire de son champ de validité. En fait, la validité empiriste désigne simplement la phase empirique de la vérification des théories (après la vérification de la validité logique de ces dernières), c'est-à-dire la confrontation avec le réel, qui peut se faire selon deux stratégies: la confirmation ou l'infirmation.

      Différentes sources de réflexion ont donc permis de construire le questionnaire sur le chapitre 8. Le tableau suivant présente une synthèse des sources utilisées.

      
Tableau IV : Sources de réflexion pour la construction du questionnaire sur le chapitre 8
  Questionnaire 5 Vidéo 5 M.T. 3 M.T. 8
Q.01   Confusion entre Modèle et Théorie
Problème de distinction entre les types de théories
  Différence entre hypothèse et modèle.
Q.02     Organisation du contenu
- Enjeux de rech.
- Démarches
- Stratégies
Organisation du contenu
- Enjeux de rech.
- Démarches
- Stratégies
Q.03     Organisation du contenu
- Enjeux de rech.
- Démarches
- Stratégies
 
Q.04   Discussion au sujet du doute méthodique et de la question de la "vérité" des théories.    
Q.05       Complexité de la stratégie infirmative et ambiguïté possible dans l'expression" significatif".
Q.06       Complexité de la section sur la décision en recherche vérificatoire.
Q.07       Complexité de la section sur la décision en recherche vérificatoire.
Q.08 Distinction difficile entre validité et fidélité des données (Quest.5, Q.01)
et
Confusion entre validité externe et fidélité des données.
     


CHAPITRE 7:
DEUXIÈME ÉTAPE:Description et interprétation

      Afin d'expliciter plus en détail les procédures d'analyse et de traitement des données que nous avons utilisées, nous reprenons des extraits de la figure 18 concernant la deuxième étape de la démarche, afin de permettre de conserver une vue d'ensemble du processus.


7.1 La description et le classement des difficultés

      

Figure 25 : Description des difficultés

      Comme nous l'avons mentionné précédemment, deux séances de cours ont été vidéofilmées, les séances portant sur le chapitre 5 (V5) et celle portant sur le chapitre 8 (V8). Un questionnaire a également été distribué à la fin de chacune de ces séances ( Q5 et Q8).


7.1.1 Segmentation et mise en commun

      Les enregistrements vidéo ont été retranscrits à l'aide d'un traitement de texte sous forme de verbatim en conservant également des traces de ce que le professeur avait inscrit sur le tableau. Par la suite, chaque verbatim a été découpé en blocs, en fonction des sujets traités, ou des discussions. Par exemple, un bloc pouvait contenir, une question d'un étudiant, la réponse du professeur ainsi que l'échange professeur étudiant qui suit cette discussion. Un bloc commence donc lorsqu'un thème est abordé et se termine lorsqu'un nouveau thème apparaît. Par la suite, un découpage plus fin a été effectué afin d'isoler des "sous blocs" ou sous thèmes à l'intérieur des échanges. Le découpage en blocs est évidemment artificiel. Étant donné la formule du cours, la discussion entre professeur et étudiants, de la même façon qu'une conversation entre individus, n'est pas constituée de blocs isolés et sans liens. Un sujet en amène un autre et le lien entre les différents blocs de discussion permet d'avoir une vue d'ensemble qu'il est indispensable de conserver. Cependant, pour les besoins de l'analyse, le découpage était essentiel. Les verbatims des vidéos n'ont cependant subi aucune réduction systématique. À l'occasion, nous avons résumé un extrait ou l'autre, mais en étant toujours très prudente afin de rester le plus proche possible de l'extrait original. La description des difficultés exigeait, en effet, que nous restions très proche du discours des étudiants et du professeur afin d'éviter de faire des inférences abusives.

      En ce qui concerne les questionnaires, le découpage en thème ou sujet est déjà, en quelque sorte, déterminé par les questions posées. Nous avons, par la suite, effectué une analyse du contenu de chaque question, de façon à regrouper les réponses selon leurs similitudes. Encore une fois, nous avons conservé intégralement les réponses des étudiants.

      L'étape suivante a consisté à mettre en commun les données provenant des vidéos et des questionnaires, en les regroupant sur la base de leur similitude de contenu. Certains regroupements portent donc sur la fidélité des données, sur le respect de la situation éducative, sur la question du doute méthodique en recherche etc. La figure suivante, illustre les étapes de la phase de segmentation et de mise en commun.

      

Figure 26 : Phase de segmentation et de mise en commun des données

      La plupart du temps , les données qualitatives doivent faire l'objet d'une réduction pour que l'on puisse en effectuer l'analyse. La quantité de données rend souvent l'analyse impossible. La réduction des données s'effectue à l'aide de procédures de résumé et de codage. Étant donné que l'analyse s'effectue à partir des données codées, il est essentiel de s'assurer de la validité et de la fidélité du codage effectué. Dans le cas présent, le verbatim de l'enregistrement vidéo ainsi que les réponses aux questions des questionnaires ont été utilisés de façon intégrale. Puisqu'aucune procédure de codage n'a été utilisée, nous n'avons pas eu à procéder à des contrôles de validation sur ce matériel.

      


7.1.2 Description des difficultés

      Cette partie de l'analyse a consisté à comparer ce que les étudiants ont écrit ou dit (questionnaire ou vidéo) avec le modèle terminal du cours, c'est-à-dire avec le contenu qu'ils devraient avoir acquis à la fin du cours. Ce que nous avons appelé " difficulté" est donc un écart avec le contenu de ce modèle terminal.

      Cette comparaison avec le modèle terminal n'est cependant pas aussi mécanique qu'il puisse le paraître. D'abord, on doit spécifier que les deux chapitres qui ont fait l'objet de la présente étude, s'insèrent dans un cours de 45 heures qui porte sur un ouvrage complet de 20 chapitres. Ces chapitres 5 et 8 s'insèrent donc dans un continuum dont il nous a fallu tenir compte. Le cours de ce professeur est construit également selon un certain nombre de conceptions dont sa conception du rôle du cours de méthodologie dans le curriculum de formation, sa conception de l'éducation, sa conception de la recherche et de son rôle, sa conception épistémologique, etc. Il est clair que toutes ses conceptions ont influencé la construction et le contenu du cours, mais pas toujours de façon très explicite. Par conséquent, certaines difficultés ont pu être mise à jour en référence à certaines conceptions présentes à l'intérieur ce cours du méthodologie et non seulement en référence à l'un ou l'autre passage très explicite de l'un des deux chapitres. Prenons un exemple. Si un étudiant affirme que la science se construit en vase clos, sans aucune influence extérieure, une telle affirmation constitue, en référence au cours de méthodologie dont il est question, une erreur. Cependant, le modèle terminal du cours ne dit rien de spécifique à ce sujet et l'énoncé n'est donc pas un écart avec ce dernier. C'est plutôt en référence aux conceptions présentes ailleurs dans le cours et implicitement incluses dans les chapitres 5 et 8, que l'on peut juger de cet énoncé.

      Au niveau de la présentation des difficultés, nous avons dû décrire, parfois de façon assez détaillée, l'écart entre l'énoncé et le modèle terminal. Le modèle terminal du cours n'est pas nécessairement un modèle partagé par toute la communauté scientifique. En méthodologie de la recherche comme ailleurs, les consensus ne sont que partiels. Nous avons d'ailleurs, dans la première partie de ce rapport, décrit le travail de transposition didactique qu'effectue le professeur dans le contexte de l'enseignement universitaire et sa liberté académique relative dans la détermination du contenu de ses cours.


7.2 Inférence et interprétation de l'origine des difficultés

      Afin d'expliciter plus en détail les procédures d'analyse et de traitement des données que nous avons utilisées, nous reprenons des extraits de la figure 18, afin de permettre de conserver une vue d'ensemble du processus.

      

Figure 27 : Travail d'inférence à partir de comparaisons


7.2.1 Les outils de comparaison

      Comme illustré dans la figure ci-dessus, les difficultés ont été comparées à un ensemble d'outils qui nous servait d'indices de leur origine possible.

  1. Un questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science
  2. La littérature sur le thème à la source de la difficulté et sur la psychologie cognitive
  3. Le réseau conceptuel du chapitre 5 ( afin de rendre compte de la mise en page du contenu)
  4. Le réseau conceptuel du chapitre 8 ( afin de rendre compte de la mise en page du contenu)
  5. La mise en scène du contenu ( identifiée à partir de l'enregistrement vidéo)

7.2.1.1 Le questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science

      Ce questionnaire avait déjà été analysé une première fois lors de la construction des questionnaires dans la phase de recueil des données. Nous avons repris l'analyse de contenu de ce questionnaire afin de classer les réponses pour chacune des questions.

      Essentiellement, les réponses aux différentes questions ont été regroupées selon leurs similitudes, puis nous avons nommé ces catégories par quelques mots, pour rendre compte de ce qui rapproche les réponses d'un même regroupement . Différentes formes de matrices ont été utilisées afin de représenter les classements effectués. La question 8 a cependant été traitée de façon un peu différente. En effet, comme il s'agissait d'une question fermée (question d'association), nous avons construit un tableau de fréquences de façon à repérer les correspondances entre les énoncés et les critères de rigueur. L'ensemble des résultats ne sera pas présenté ici puisqu'il n'est intéressant que dans la mesure où il apporte des indices sur l'origine de certaines difficultés.  73 

      Un contrôle de validation du codage des réponses à ce questionnaire a été effectué. La vérification interne a consisté à reprendre le codage des réponses des étudiants à chacune des questions et à comparer ce nouveau codage au premier. Comme la liste des codes a été construite au fur et à mesure de l'analyse, à partir de similitudes entre les extraits, le deuxième codage a repris cette procédure du début sans tenir compte du premier codage. La comparaison a ensuite été effectuée entre les deux codages afin d'établir les différences et de réfléchir à des modifications de la grille de codage initiale, pour que cette dernière puisse mieux rendre compte des réponses.

      Par la suite, le codage issu de la comparaison des deux premiers (comparaison interne) a été donné à un juge externe pour fins de vérification. Le juge externe a repris la grille établie et recodé l'ensemble des réponses des étudiants sans tenir compte des codages précédents. Nous avons ensuite comparé le codage issu de la comparaison interne et celui effectué par le juge externe. Toutes les différences ont été repérées et analysées en collaboration avec le juge externe afin d'arriver à un codage final qui respecte le mieux possible le matériel. C'est ce codage final qui a été utilisé pour l'analyse des réponses à ce questionnaire. Les réponses textuelles des étudiants sont également reproduites pendant l'analyse afin que nous puissions nous y référer au besoin.

      Les problèmes éprouvés dans le codage sont deux deux ordres: les problèmes de fidélité regroupent les "erreurs" des codeurs c'est-à-dire les erreurs de codes ou encore les mauvaises compréhension d'extraits de réponse, alors que les problèmes de validité, quant à eux, indiquent des faiblesses de divers ordres dans la grille de codage ou encore une ambiguïté dans les réponses des étudiants.

      La difficulté principale de la catégorisation effectuée à partir des réponses de ce questionnaire peut être expliquée par l'absence d'un cadre conceptuel précis permettant de dégager des catégories de réponses au préalable. Dans le cas présent, il s'agissait d'un questionnaire exploratoire et nous ne pouvions ni ne voulions établir de catégories d'analyses au préalable. Le cadre de référence utilisé pour la catégorisation a donc essentiellement été constitué des objectifs visés par chacune des questions du questionnaire. Ainsi, nous nous sommes réinterrogée au sujet de l'objectif visé par chaque question afin de reconstruire une catégorisation qui permette d'apporter de l'information pertinente.

      Une première difficulté constatée concerne le type de catégorisation. Plusieurs types de catégorisation pouvaient être utilisés, notamment une catégorisation par résumé du contenu du segment et une catégorisation par signification du segment, après interprétation de ce dernier, et plusieurs angles de codage étaient possibles. Une autre difficulté concerne le niveau de précision de la catégorisation. Lorsque la catégorisation incluait un résumé du segment, il était possible de créer autant de catégories que de segments! Alors que lorsque les catégories regroupaient plutôt les opinions (pour ou contre), une catégorisation très simple a pu être constituée ( oui, non, avec ou sans justification).

      La grille, issue du matériel lui-même, comportait parfois des catégories qui n'étaient pas mutuellement exclusives. Les catégories utilisées étaient parfois incluses dans d'autres ou encore constituaient une spécification d'autres catégories. De plus, certaines réponses exigeaient plus d'un code pour que leur sens soit respecté. Dans la plupart des cas, nous n'avions utilisé qu'un seul code pour rendre compte d'un extrait alors que le juge externe a combiné plusieurs codes (souvent deux, quelquefois trois). Nous croyons que cela rend compte de la différence entre les deux démarches. Nous avons effectué un codage des extraits en même temps que la construction d'une grille de codes alors que le juge externe a tenté d'appliquer aux extraits, tous les codes qui pouvaient leur correspondre. Un autre problème concernait l'ambiguïté de certaines réponses des étudiants, pour lesquelles la liste des codes ne fournissait pas de catégories adéquates. Visiblement, certains d'entre eux utilisent des termes flous qui sont difficiles à interpréter en fonction d'une grille de codes relativement pointue.  

      La vérification externe a permis de clarifier un certain nombre d'ambiguïtés au sujet des codes utilisés, de même que de constater des recoupements entre certains codes. De plus, l'ambiguïté de certaines réponses nous a obligée à respecter leur sens strict et à éviter d'inférer des significations. Finalement, la complexité de certaines réponses a exigé que plusieurs codes leur soient attribués. Nous croyons qu'après les phases de vérifications internes et externes, notre codage de matériel était suffisamment solide pour que l'analyse des réponses puisse être effectuée. Toutefois, étant donné que la grille d'analyse comportait certains problèmes qui affectaient sa validité, nous avons préféré conserver les réponses initiales complètes au moment de l'analyse des réponses. Ainsi, nous nous sommes référées aux réponses initiales des étudiants afin de vérifier, au fur et à mesure, la validité des conclusions de l'analyse et l'interprétation de ces réponses.


7.2.1.2 La littérature

      Afin de documenter certaines difficultés, nous avons dû effectuer un certain nombre de lectures sur différents sujets. Plusieurs ouvrages de méthodologie de la recherche ont été consultés afin de pouvoir comparer un point de vue différent de celui du cours avec les difficultés des étudiants. De plus, des ouvrages de psychologie cognitive ont été utilisés afin de réintroduire une psychologie de l'apprentissage permettant d'interpréter les difficultés des étudiants. Ces différentes références sont mentionnées au fur et à mesure de la présentation des résultats, dans la quatrième partie de ce document.


7.2.1.3 Le contexte d'apparition des difficultés

      Le contexte d'apparition des difficultés comporte la mise en page, c'est-à-dire l'organisation et la présentation textuelle du contenu et la mise en scène, c'est-à-dire la présentation du contenu par le professeur lors du cours.

      La mise en page du contenu: Spatialisation

      Afin de rendre compte de l'organisation textuelle du contenu dans les chapitres 5 et 8, nous avons effectué un découpage et une spatialisation de ces textes, en nous inspirant de l'analyse nodale de Van der Maren (1992-1993).

      L'analyse nodale a comme objectif de montrer la structure d'un texte, c'est-à-dire les relations entre les différents énoncés, ces dernières étant constituées en propositions grammaticales. Par la suite, la proposition principale est identifiée et chaque proposition secondaire est ensuite reliée à une autre proposition selon la fonction que cette dernière occupe dans la structure du texte. Van der Maren explique la démarche ainsi:

" ... il s'agit de repérer la proposition centrale d'un passage ou d'un paragraphe (son noyau), puis les marqueurs de relations qui indiquent la fonction de la proposition dans le texte et comment elle est reliée aux autres propositions. L'analyse aboutit à retenir, pour chaque proposition du texte, un doublet comportant l'indication de la relation inter-propositionnelle et les mots clefs de la proposition. " 74 

      Afin de rendre compte de la structure des chapitres, nous voulions pouvoir reproduire le texte intégral, dans l'espace, sous forme de réseau conceptuel. Il était nécessaire de conserver l'intégralité du texte puisque, pour observer certaines difficultés, il faut pouvoir avoir accès aux détails de la formulation du texte. Cependant, le texte sous forme linéaire permet plus difficilement d'observer l'organisation du contenu, ce que permet un schéma complet du texte. Toutefois, l'analyse nodale sur des textes volumineux est une procédure très lourde et, trop sophistiquée pour les besoins de notre analyse. En fait, nous voulions pouvoir examiner l'organisation du contenu des chapitres, afin de déterminer si certaines difficultés pouvaient être expliquées par l'organisation du contenu. En ce sens, l'analyse nodale détaillée n'était pas nécessaire, mais nous nous en sommes tout de même inspirée.

      Afin de construire nos réseaux conceptuels des chapitres, nous avons tout d'abord découpé chaque chapitre en unités de longueur différentes selon le contenu. Il peut s'agir d'une phrase ou deux. Puis, nous avons construit un réseau conceptuel en déplaçant les segments de textes placés dans des boîtes, de façon à représenter les différentes parties du texte. Ensuite, nous avons relié les boîtes par des flèches indiquant leurs relations entre elles. Une partie des fonctions et relations de l'analyse nodale a été utilisée 75  . Un exemple de réseau conceptuel construit grâce à cette procédure est reproduit ci-dessous:

      Extrait du chapitre 5:

" Mais le discours méthodologique risque aussi de verser dans deux travers. Le plus banal consiste à le réduire à une liste de recettes qu'il conviendrait de suivre pas à pas sans avoir à réfléchir à ce qu'on fait : c'est la liste de contrôle ("check-list") sensée assurer à la fois la rigueur et le succès. Cette perversion du discours méthodologique conduit ceux qui la suivent à une illusion tranquille pendant qu'ils sont occupés aux opérations techniques de la recherche : ils croient bien faire. Mais elle les laisse en plan au moment final : aucune liste de contrôle ne fournit les clefs imaginatives qui permettent d'interpréter les résultats. On dira alors de cette recherche qu'il s'agit d'une recherche bien faite mais "plate", banale, sans apport. L'autre perversion est moins innocente : la suite des recettes devient une norme impérieuse qu'il faut suivre si l'on veut atteindre au succès, si l'on veut être publié. Or, le respect d'une telle norme méthodologique n'est utile que lorsqu'il s'agit de recherches conçues comme des répliques vérificatoires de travaux antérieurs. En dehors de ce cas, une trop grande rigidité méthodologique est un impérialisme qui empêche les découvertes : les progrès n'ont jamais été possibles que lorsque des écarts ou des innovations par rapport aux normes méthodologiques permettaient de soutenir de nouvelles hypothèses. " (chap.5, pp 11-12.)

      

Figure 28 : Spatialisation du découpage de l'extrait 76 

      Dans le réseau conceptuel précédent, on constate que le noeud principal de l'extrait concerne l'annonce des deux travers du discours méthodologique ( le nuage au centre, case 1). Nous avons cependant reproduit brièvement la structure en amont de cette proposition ( les cases ovales) afin de montrer qu'elle constitue une restriction d'une autre proposition. Les deux travers du discours méthodologique sont ensuite exposés, à gauche on discute de la "liste de recettes"(case 2) et à droite de la "norme impérieuse" (case 3).

      Prenons d'abord le côté gauche du réseau. La case no 2 est explicitée par la case 4. La liste de recettes est comparée à une liste de contrôle censée être garante du succès. L'illusion tranquille est donc la conséquence d'une telle utilisation de la méthodologie (case 5). La case 6 explicite cette illusion. Cependant, cette liste de recettes laisse les chercheurs en plan au moment final ( case 7 restriction de 6), puisque aucune liste de contrôle ne permet d'interpréter les résultats ( la case 8 explique la case 7). La conséquence de cela, est que l'on dira qu'il s'agit d'une recherche bien faite mais banale ( case 9, conséquence de 8), ce qui est également une conséquence de l'utilisation technique de la méthodologie ( case 6).

      Le réseau permet donc de distinguer l'information qui constitue un noeud dans la rhétorique et celle qui relève du détail. Ainsi, les cases 4, 5 et 7, ne constituent pas des informations fondamentales, elles relèvent plutôt de la rhétorique pédagogique.

      Prenons maintenant la droite du réseau (case 3). La case 10 annonce la case 3 en spécifiant l'importance de cette dernière. La case 11 vient restreindre la portée de ce qui a été dit à la case 3, la norme impérieuse n'est utile que lors des répliques vérificatoires de travaux antérieurs. Conséquence, l'impérialisme méthodologique empêche les découvertes ( case 12). La case 13 vient expliciter ce qui a été dit à la case 12 . Ainsi, on peut constater que le noyau important est le fait que la rigidité méthodologique freine les découvertes en empêchant l'innovation.

      Au départ, notre objectif était d'utiliser l'analyse nodale telle que développée par Van der Maren, afin de rendre compte de l'organisation et de la présentation du contenu des chapitres 5 et 8. À l'aide de cet outil, nous pensions pouvoir comprendre certaines difficultés, en les situant sur le réseau conceptuel. Nous aurions pu constater, par exemple, qu'une définition mal comprise par les étudiants, se situe loin du noyau dans l'analyse nodale du chapitre. Ainsi, cette définition aurait avantage à être rapprochée du noyau, afin que les étudiants puissent y porter davantage d'attention.

      Cependant, nous nous sommes heurtée à certains problèmes dans l'utilisation de cet outil. D'abord, le découpage des chapitres en unités de base pour l'analyse a posé problème. En principe, l'analyse nodale est effectuée à partir des propositions comme unités de base. Van der Maren définit la proposition ainsi:

" Chaque unité d'analyse, la proposition, est définie comme l'ensemble "sujet-verbe-complément" délimité par deux bornes: les signes de ponctuation et les conjonctions." 77 

      L'utilisation d'une unité de base aussi petite pour effectuer l'analyse d'une trentaine de pages d'un contenu complexe et abstrait s'est révélée une tâche gigantesque. Même si nous avions poursuivi cette voie, les réseaux conceptuels résultant de l'analyse auraient été difficilement utilisables étant donné le volume des fichiers informatiques et l'impossibilité d'afficher l'ensemble du réseau. Nous avons donc convenu d'utiliser une unité de base moins fine, pour que les réseaux soient utilisables. Cependant, nous avions maintenant un problème d'homogénéité dans la longueur des unités de base de l'analyse. Dans certains cas, le paragraphe pouvait constituer en lui-même une unité, alors que, dans d'autres cas, un paragraphe devait être scindé en plusieurs unités, à cause de restrictions, de précision ou de conséquences présentes dans le paragraphe. Il devenait donc difficile d'obtenir des réseaux conceptuels stables.

      Un autre problème auquel nous avons été confrontée est celui de la pertinence de l'analyse nodale pour l'analyse du type de données dont nous disposons. Pour que l'analyse nodale puisse être utilisée, il faut disposer d'une structure conceptuelle des connaissances de l'étudiant sur le sujet. En comparant, par exemple, le réseau conceptuel représentant les connaissances de l'étudiant et celui représentant le contenu des chapitres, il aurait été possible d'identifier les manques, les ajouts, bref, les écarts avec le contenu des chapitres. En analysant la fonction et la proximité au noyau central de ces "manques", il aurait été possible de savoir si la présentation du contenu pouvait avoir engendré la difficulté. Cependant, nous ne disposons pas de la structure des connaissances des étudiants. Les données recueillies constituent, en quelque sorte, des portraits restreints de leurs connaissances en rapport à un concept précis, cela étant dû au choix des outils de recueil de données. De plus, nous étions confrontée à un "effet plancher" 78  . En effet, le niveau de difficulté des étudiants était parfois si peu élevé que l'analyse nodale se révélait tout à fait inutile pour comprendre cette difficulté. Pour donner un exemple à ce sujet, prenons le cas d'un étudiant qui confond les définitions des différents enjeux de la recherche ( nomothétique, pragmatique, politique, ontogénique) alors qu'on lui demande de les définir, ou encore, qui fournit des définitions très vagues qui ont trait à l'utilisation des termes dans leur usage courant. De toute évidence, l'étudiant ne maîtrise pas la terminologie, c'est-à-dire qu'il n'a pas retenu la signification de chacun des enjeux. Sans cette connaissance minimale, la compréhension des concepts est difficilement possible 79  . L'analyse nodale est inutile pour comprendre cette difficulté. Pour que l'on puisse constater une difficulté au niveau de la structure conceptuelle du contenu chez l'étudiant, il faut d'abord qu'il maîtrise la terminologie. Pour reprendre les termes du chapitre 4 sur les représentations, on ne développe des représentations que de ce qu'on a déjà entendu parler, de ce qu'on connaît.

      Étant donné les problèmes décrits précédemment, nous avons décidé d'utiliser uniquement la technique de l'analyse nodale afin d'effectuer une spatialisation du contenu des chapitres 80  . Ainsi, il ne s'agit pas d'un outil d'analyse comme tel, mais plutôt d'un support visuel afin de situer, dans leur ensemble, le contenu des chapitres.

      L'utilité de l'analyse nodale, dans le cadre de cette recherche, est donc discutable et la spatialisation du contenu des chapitres à l'aide de réseaux conceptuels, n'est utile qu'à des fins de support visuel. Ainsi, n'étant pas utilisés à des fins d'analyse, les réseaux conceptuels n'ont pas subi de contrôle de validation.

      La mise en scène du contenu

      La mise en scène du contenu constitue la manière dont le professeur expose le contenu ou répond à une question d'un étudiant, bref, " ce qu'il dit oralement" par rapport au contenu des deux chapitres. Ainsi, la mise en scène de la séance portant sur les chapitres a été utilisée en tant que stratégie pédagogique du professeur. L'ensemble du contenu des chapitres n'a cependant pas été abordé dans les séances de cours, puisque la formule du cours consistait à ne travailler qu'à partir du questionnement des étudiants. Certains concepts ont donc fait l'objet de discussion dans le cours alors que d'autres n'ont été traités que par écrit, dans le chapitre. La mise en scène constitue dans certains cas, la réponse du professeur à une question d'un étudiant, mais dans la plupart des cas, elle constitue l'ensemble de l'interaction entre le professeur et les étudiants pendant la séance de cours, sur un thème en particulier. D'une façon générale, la mise en scène a été conservée dans sa version complète et originale puisqu'elle permet de rendre compte du contexte de la discussion à l'intérieur de laquelle s'est manifestée une difficulté. L'extrait suivant présente la question d'un étudiant et la mise en scène ou le contexte de son apparition:

      

Figure 29 : Exemple de mise en scène du contenu

      Les extraits de l'enregistrement vidéo qui concernent la mise en scène ont été utilisés de façon exhaustive. Seuls le verbatim lui-même ainsi que les inscriptions au tableau par le professeur pendant la séance ont été utilisés comme indices de la mise en scène. Ainsi, aucun contrôle de validation n'a été nécessaire puisque aucune réduction ou catégorisation de ce matériel n'a été effectuée.


7.2.2 Le processus d'inférence et d'interprétation

      Le processus d'inférence utilisé dans cette recherche est de type analogique. L'analogie peut être définie comme suit:

" Rapport de similitude entre deux ensembles différents dont les caractéristiques de l'un sont mieux connues, ce qui permet d'imaginer certaines caractéristiques vraisemblables de l'autre ensemble. " 81 

      Dans le contexte de notre recherche, nous avons utilisé l'inférence analogique afin d'interpréter l'origine des difficultés manifestées par les étudiants. Les difficultés, telles que nous les avons recueillies, constituent des "symptômes" d'une mauvaise compréhension. Ne pouvant avoir accès directement à ces "mauvaises compréhensions" afin d'en déterminer l'origine, nous avons interprété la source possible de ces incompréhensions, à partir des comparaisons entre les difficultés des étudiants et les différents outils présentés précédemment. Ce type de raisonnement à partir d'inférences analogiques est présenté dans l'ouvrage de Van der Maren (1995) comme étant un processus qui permet au chercheur de transférer, dans son propre domaine, les conclusions ou les méthodologies utilisées dans un autre domaine, avec certaines précautions.

      Étant de type inductif, le travail d'inférence ne suit pas une démarche formelle. Pour décrire ce processus, l'analogie la plus éclairante serait peut-être celle du détective qui, à partir des indices qu'il réussit à recueillir, essaie de construire une hypothèse plausible et cohérente de l'événement. Dans certains cas, c'est plutôt la similitude entre nos observations et celles des travaux de différents auteurs, qui nous a permis de penser que l'interprétation de leurs observations pourrait aussi s'appliquer à celles que nous avons faites. La figure ci-dessous illustre les deux types de processus:

      

Figure 30 : Processus d'inférence analogique

      À la lecture de ce qui précède, le travail d'inférence semble plus simple qu'il ne l'a été en réalité. D'abord, rappelons que des regroupements de difficultés ont été créés et modifiés au fur et à mesure du travail d'analyse et d'interprétation. Ce processus itératif s'est poursuivi jusqu'à la phase d'interprétation, qui a permis de regrouper certaines catégories de difficultés selon leur similitude quant à leur origine. De plus, les regroupements de difficultés ont comme unité de base le verbatim ou l'extrait de questionnaire original et non un profil d'individu.

      En fait, l'analyse des questionnaires par profil de sujet, c'est-à-dire la description des réponses du même sujet pour tous les outils, a été impossible pour des raisons de déontologie. En effet, étant en situation réelle de classe et donc en situation réelle d'évaluation, il n'a pas été possible de recueillir cette information auprès des sujets qu'après les avoir rassurés sur l'anonymat de leurs réponses. Des contraintes de temps ne nous ont pas permis de mettre sur pied un système de repérage d'individus (numéro d'identification personnel par exemple). Ainsi, il n'a pas été possible de repérer les réponses des mêmes sujets aux différents instruments. L'ensemble des réponses des étudiants a donc été envisagé comme une "banque de données" à partir de laquelle nous avons dégagé des difficultés et des explications possibles de ces difficultés. Nous ne pouvons donc affirmer, de façon certaine, qu'il existe des liens de causalités entre les difficultés observées et leur origine inférée. En effet, l'inférence analogique ne permet, au départ, que des hypothèses de transfert dans le nouveau domaine ( Van der Maren, 1995), en l'occurrence, de l'explication possible de l'origine d'une difficulté. La crédibilité de l'interprétation produite provient cependant de la somme des arguments en sa faveur ainsi que de sa cohérence.


PARTIE IV : ANALYSE DES RÉSULTATS


CHAPITRE 8:
DESCRIPTION DES DIFFICULTÉS ET INTERPRÉTATION


Introduction

      Cette section présente le résultat des analyses et leurs interprétations. Tel que mentionné dans la démarche de recherche (cfr chapitre 7), nous avons procédé en deux phases, d'abord l'identification et le classement des difficultés et ensuite, une interprétation par inférence. Concrètement, nous avons donc procédé à partir des données brutes ( verbatims des vidéos, réponses aux questionnaires) pour ensuite construire des regroupements par similitudes de contenu, de formes, ou encore selon une origine possible de la difficulté, jusqu'à un classement final en six grandes catégories. Le travail d'analyse a donc procédé de façon inductive, partant des données brutes jusqu'aux interprétations.

      La présentation des résultats ne suit cependant pas la démarche qui a conduit à leur élaboration. La présentation présente plutôt le classement final des difficultés. Ainsi, nous traiterons d'abord des difficultés se rapportant au statut des données, à la décision dans la recherche vérificatoire, à la monographie, à la question des théories, des modèles, des hypothèses et des lois, puis nous traiterons des difficultés liées à un malentendu terminologique et à celles liées à un manque d'étude préalable des textes.

      La structure de présentation des difficultés est à peu près identique tout au long du chapitre. Nous présentons les données brutes où se manifeste la difficulté ainsi que le contenu du chapitre concernant cette difficulté, afin de faire ressortir l'écart entre les deux. L'interprétation de la difficulté est parfois décrite tout de suite après la difficulté, dans le cas où elle lui est particulière, ou alors à la fin d'une section décrivant plusieurs difficultés, lorsque cette interprétation se rapporte à un ensemble de difficultés.

      Certaines difficultés ou groupes de difficultés se retrouvent dans plus d'une catégorie. De fait, certaines d'entre elles peuvent avoir plus d'une origine possible, elles peuvent être similaires à certaines par leur forme et à d'autres par leur contenu. Lorsqu'une difficulté est reprise à un autre endroit sous une autre étiquette, le lecteur en sera averti de façon à ce qu'il puisse s'y référer au besoin.


8.1 Le statut des données

      Visiblement, certains étudiants ont des connaissances antérieures concernant les concepts de validité et de fidélité des données. Cependant, ce qu'ils rapportent comme signification de ces concepts est très différent de ce qui leur a été enseigné dans le cadre du cours.


8.1.1 Description des difficultés

      Les difficultés des étudiants concernant la fidélité des données ont été regroupées en quatre catégories: la fidélité, la validité, la relation entre ces deux concepts ainsi que la confusion entre ces deux concepts.


8.1.1.1 Fidélité des données

      Le modèle terminal du cours qui concerne la fidélité des données présente une définition du concept très large, en ce sens qu'elle peut être valable pour tous les types de données:

Chapitre 5
«  Rapport au réel des traces et des indices que nous relevons, des perceptions que nous en avons, que ces traces soient instrumentées ou non. «  (chap.5, p.1, paragraphe 5.)

      Cette définition n'est donc pas une définition technique, il s'agit plutôt de la signification générale du concept de fidélité des données. De plus, dans le chapitre 5, la technique proposée pour vérifier la fidélité est la triangulation des données, qui s'intéresse moins à la fidélité des instruments de mesure, qu'à la fidélité des données elle-même, en effectuant un croisement des données provenant de plusieurs sources, de façon à permettre une meilleure approximation possible du réel. La triangulation peut aussi permettre de connaître la marge d'erreur de l'inscription que l'on retiendra comme l'approximation de l'événement observé, et de tenir compte de cette marge d'erreur dans les interprétations que l'on fera ensuite. Il s'agit donc d'une technique générale, qui est valable pour tous les types de données.

      

Figure 31 : Schéma de la triangulation selon le chapitre 5 du cours

      Le schéma ci-dessus représente le processus de triangulation. Trois mesures sont prises à l'aide d'instruments qui mesurent tous la réalité avec une certaine distorsion. Les données les plus fidèles seront celles qui apparaîtront avec les trois instruments.

      La répétition ou reproduction

Q5.02 82  Des données fidèles sont-elles nécessairement valides?

  • Non, elles peuvent être fidèles, c'est-à-dire se reproduire souvent dans un même contexte tout en étant hors sujet.
  • Non, mon instrument peut être très constant, très fidèle, par contre il se peut que la couleur des yeux des étudiants( l'inscription) ne soit pas du tout pertinente avec la question posée, qui pourrait traiter de la performance.
  • Non, parce que la fidélité réside dans la répétition, alors qu'on ne peut pas avoir la même chose deux fois.
  • Données peuvent se reproduire souvent dans un même contexte tout en étant hors du sujet.

Q5.03 Des données valides sont-elles nécessairement fidèles?

  • Non, elles peuvent concerner le sujet de recherche sans toutefois pouvoir indiquer une certaine constance dans son apparition.

      Les indices retenus pour rendre compte de la signification accordée par les étudiants au concept de fidélité concernent des questions sur la relation entre fidélité et validité ( Q5.02 et Q5.03). L'étudiant devant distinguer les deux concepts, la signification accordée à chacun d'eux apparaît plus clairement que lorsque la question de leur définition est posée directement ( voir les réponses à Q5.01).

      La signification retenue par les étudiants est plus procédurale que conceptuelle. En effet, les concepts de reproduction et de répétition font référence aux techniques de vérification de la fidélité. Il est important ici de spécifier que l'utilisation du coefficient de stabilité, par exemple, pour parler de la fidélité, ne constitue pas en soi une erreur. Cependant, en référence au contenu du cours qui propose une perspective plus globale, le discours de ces étudiants est réducteur. Ces réponses contiennent, outre un certain nombre de problèmes dont il sera question ultérieurement, une composante qui rappelle la constance des instruments de mesure ou des données ou la possibilité de reproduction comme signification de la fidélité.

      La question de la répétition et de la reproduction fait clairement référence aux méthodes de calcul de ces coefficients, puisque ces dernières supposent toutes la répétition de l'administration d'un questionnaire (méthode test-retest), l'administration d'un second test parallèle au premier (méthode des tests parallèles) et la comparaison de leurs résultats 83  . Il est donc question davantage de la fidélité des instruments de mesure que de celle des données elles-mêmes. D'ailleurs à ce sujet, une réponse concernant la façon de vérifier la fidélité fait explicitement référence au coefficient de stabilité (ou constance), en accord avec une perspective procédurale concernant la fidélité des instruments de mesure.

Q5.04 Que peut-on faire pour vérifier la fidélité des données?

  • La fidélité des données peut être vérifiée:
    1- en
    retestant nos données pour vérifier leur stabilité dans le temps.
    2- en vérifiant la
    stabilité des mesures prises par plusieurs juges.

      La question de la stabilité dans le temps est définie dans le cadre de la vérification des qualités métrologiques des tests. La terminologie utilisée par l'étudiant (retester les données) est toutefois un peu obscure. S'agit-il de reprendre une mesure avec le même instrument ou d'autre chose? Quant à la question de la stabilité des mesures prises par plusieurs juges, s'il est question de concordance entre les juges il s'agit plutôt de la fidélité inter-observateurs, s'il s'agit de la stabilité du codage effectué par le même juge il s'agira alors de la fidélité intra-observateur, bref, une variante des techniques permettant le calcul du coefficient d'équivalence.

      

      La réplication

Q5.04 Que peut-on faire pour vérifier la fidélité des données?

  • Répétition de l'expérience
  • Répéter l'expérimentation.
  • Refaire la recherche, l'expérimentation, le projet pour la deuxième fois.

      Dans les trois extraits, il n'est pas question de répéter une observation ou une mesure mais plutôt de refaire un projet de recherche, une expérimentation, ce qui constitue une mauvaise interprétation du concept de fidélité. Le sens de ces réponses se rapproche donc plutôt de la réplication que de la stabilité par la méthode test-retest par exemple. Il n'est donc pas question de fidélité, ni même des inscriptions. Comme on l'a vu, les étudiants utilisent le concept de répétabilité qui est plus présent dans le contexte de la recherche expérimentale, mais ce concept est mal interprété par certains puisqu'il est parfois utilisé au sens de "réplication". La réplication étant un concept utilisé en recherche expérimentale qui se définit plutôt comme suit:

" Action de répéter une expérience, soit à des fins de vérifications, soit en vue d'étudier l'influence des conditions particulières sur les résultats expérimentaux obtenus en d'autres lieux ou en d'autres temps. (...) Un compte-rendu d'expérience devrait toujours comporter suffisamment d'éléments pour que l'expérience puisse être répétée à volonté." 84 

      On est donc relativement loin de la question de la fidélité et même de celle des inscriptions en recherche, il s'agit d'un autre niveau de procédure, qui vise d'autres objectifs. Cette réponse est également assez intrigante puisque les étudiants ne semblent pas voir l'aberration de leur réponse. Selon leur réponse, il faudrait refaire chaque expérimentation, expérience ou recherche une deuxième fois pour s'assurer de la fidélité de nos données .

      Le coefficient de fidélité

      V5.04 ( Discussion au sujet de la fidélité et du coefficient de fidélité)
J'ai lu que ça prenait 50% et ailleurs 70% c'était trop
Qu'est-ce que ça prend ?

      Dans le chapitre 5, on ne parle pas de minimum quant au coefficient de fidélité, l'accent est mis sur l'importance de tenir compte du fait que l'inscription est une approximation du réel et sur la triangulation qui permet de connaître la marge d'erreur et d'en tenir compte dans nos interprétations:

Chapitre 5
Le rapport au réel ne peut être qu'optimal, car les déformations ou les biais du système inscripteur peuvent produire soit une fidélité faible, soit une fidélité trop forte

Une faible fidélité indique que l'observation et l'enregistrement des inscriptions ne sont pas indépendants de variations accidentelles ou systématiques qui les perturbent.

Une fidélité parfaite pourrait bien n'être que "donquichottesque". Cette fidélité exceptionnelle est celle que l'on obtient avec un outil totalement biaisé qui fournit toujours la même mesure .

Ce qui est essentiel, c'est d'effectuer plusieurs inscriptions, de les croiser (ou de les trianguler) afin de connaître la marge d'erreur de l'inscription que l'on retiendra comme l'approximation de l'événement observé, et de tenir compte de cette marge d'erreur dans les interprétations que l'on fera ensuite." (chap.5, p.2, paragraphe 2.)

      Pourtant une discussion relativement longue dans le cours sur le chapitre 5 a eu lieu concernant le coefficient de fidélité. Bien que le professeur ait repris son explication sur l'importance de comprendre la provenance du coefficient de fidélité plutôt que de ne l'utiliser que comme critère de décision, la question " Combien ça prend ?" reflète le fait que les étudiants cherchent un critère externe précis (coefficient) qui permettrait de prendre une décision au sujet de la fidélité des données.


8.1.1.2 Validité des données

      Le cours présente une définition assez générale du concept de validité des données:

Chapitre 5
Il ne suffit donc pas que les inscriptions entretiennent un rapport optimal de fidélité avec l'événement, il faut aussi que ces inscriptions soient en rapport avec ce que l'on cherche à dire à propos de cet événement: c'est le problème de la validité. La validité des inscriptions renvoie à la question du rapport des indices et des traces avec le concept qui permet de commenter l'observation.(chap.5, p.2, paragraphe 3)

      La validité de construit

      Q5.05 La validité des données (validité de construit), peut être vérifiée en les mettant en relation avec une variable-critère qui, elle, correspond à un construit établit (ou presque).

      Dans cet extrait il n'est pas question de rapport de l'inscription au concept, mais plutôt de la validité de construit selon la réponse de l'étudiant, encore qu'il faille se demander s'il ne confond pas cette dernière avec la validité de concordance si l'on se fie à certains auteurs 85  .


8.1.1.3 La relation entre fidélité et validité des données

      

      Selon le contenu de cours, la fidélité ne peut être évaluée à partir de la validité des données, pas plus que l'inverse.

Chapitre 5
Comme plusieurs inscriptions peuvent produire une bonne approximation d'un événement sans que les chercheurs s'entendent sur ce que ces inscriptions veulent dire; on voit qu'une inscription fidèle n'est pas nécessairement valide.

Par ailleurs, ils peuvent s'entendre sur la dénomination d'une trace alors que le système inscripteur n'est pas fiable et ne produit pas cette trace lorsqu'il devrait la produire; une inscription peut donc être valide sans être fidèle. (chap.5, p.3, paragraphe 2.)

      Ainsi, on ne parle pas spécifiquement des tests, ni d'une méthode en particulier. Ce qui apparaît c'est que l'on présente une approche qui peut être utilisée pour n'importe quelle sorte de données (suscitées, provoquées, invoquées) et l'auteur reste plus au niveau conceptuel qu'au niveau des techniques ou des procédures. Dans ce cas-ci, on ne peut inférer la fidélité à partir de la validité et l'inverse non plus. En d'autres termes, des inscriptions peuvent représenter la réalité de façon fiable (fidèle), mais il est possible qu'il n'y ait pas de consensus dans la communauté de chercheurs au sujet de ce que ces inscriptions veulent dire (pas valides ) .

      Les tests d'intelligence sont un exemple de ce fait. Ils mesurent quelque chose de façon constante, mais ce "quelque chose" a été nommé de différentes façons ( intelligence, quotient intellectuel, etc) et la définition de ces concepts ne fait pas encore l'objet de consensus. De même, il peut y avoir consensus sur la signification d'une inscription (valide) mais ces inscriptions peuvent avoir été produites par des instruments peu fidèles. Par exemple, les journaux de stage des étudiants qui servent à voir l'évolution de leur réflexion par rapport à leur pratique, peuvent constituer des données valides si la communauté de chercheurs s'entend sur le fait que ces journaux peuvent constituer des données intéressantes pour rendre compte de ce qu'on appellerait la "réflexion sur la pratique professionnelle". Mais savoir cela ne nous donne aucune indication sur la fidélité de ces données (sur leur rapport à la réalité). Le problème de savoir si les journaux de stage produisent des données valides pour parler de la réflexion sur la pratique est différent du problème de savoir si ces journaux reflètent de façon fidèle la réflexion sur la pratique telle que les étudiants la vivent. D'où l'importance d'effectuer une triangulation avec des données provenant d'autres sources afin de s'assurer d'une bonne approximation du réel ou pour pouvoir connaître la marge d'erreur et en tenir compte dans nos interprétations.

      S'il y a validité alors il y a fidélité

      Q5.03 Oui, validité et fidélité vont le plus souvent ensemble

      Q5.03 les données sont au moins aussi fidèles qu'elles sont valides

      Q5.02 La fidélité n'est pas indépendante de la validité alors si instrument valide, il sera vraisemblablement fidèle.

      Malgré le contenu de cours, trois étudiants affirment que des données valides sont fidèles également. Cela n'est vrai que lorsque l'on est en présence de données métriques provoquées .

      En effet, selon certains auteurs 86  , si nous savons qu'un instrument a une bonne validité, nous n'aurons pas à nous inquiéter de sa fidélité, puisque la validité concerne les erreurs constantes et les erreurs dues au hasard alors que la fidélité concerne seulement les erreurs dues au hasard. Ainsi, si l'on peut affirmer qu'un instrument produit des données valides, il est évident qu'il produit des données qui ont une certaine stabilité. Mais cela n'est valable que dans ce cas seulement.


8.1.1.4 Confusion validité et fidélité des données

      Quand on veut " mesurer ce qu'on veut mesurer"

      Q5.05: Que peut-on faire pour vérifier la validité des données?* Vérifier si ce qu'on a mesurer est ce qu'on veut mesurer i.e. la relation entre les données et la réalité.

      Q5.02: Des données fidèles sont-elles nécessairement valides?

  • Données peuvent être très précises mais ne pas être des mesures valides de ce qu'on veut mesurer.
  • La fidélité réside dans la répétition, alors qu'on ne peut pas avoir la même chose deux fois. Alors même si on peut avoir la même chose ce n'est pas nécessairement dire qu'on a mesuré ce qu'on veut mesurer.

      Si l'on analyse bien l'expression "mesurer ce que l'on veut mesurer", on constate qu'elle comporte une ambiguïté. En effet, " ce que l'on veut mesurer" peut être le concept que l'on a en tête, il s'agirait alors de la validité des données ou encore la réalité du terrain ( il s'agirait alors de la fidélité des données). Toutefois, on définit couramment la validité des données par la phrase suivante: "L'instrument mesure bien ce qu'il est censé mesurer » . Dans une recherche antérieure, nous avons constaté que, quatre des sept auteurs que nous avons étudiés, présentaient la validité des données de cette façon 87  . En fait, nous ne savons pas si les étudiants font une erreur en utilisant cette expression, ne sachant pas à quoi ils font référence exactement. Nous constatons cependant l'ambiguïté soulevée par l'expression. Cette difficulté sera reprise dans la section 8.5 qui traite des difficultés dues à des malentendus terminologiques.


8.1.2 Interprétation des difficultés

      Nous avons constaté que certains étudiants définissent la fidélité en utilisant les concepts de répétition et de réplication, que la question du coefficient de fidélité est importante comme seuil de décision, que la validité est définie par un étudiant comme la validité de construit (ou de concordance), que la relation entre la validité et la fidélité est confuse et finalement, que l'expression "mesurer ce qu'on veut mesurer" véhicule une ambiguïté qui pourrait amener une confusion entre validité et fidélité.

      Les étudiants semblent avoir une perspective plus procédurale que conceptuelle au niveau de la signification qu'ils accordent à la fidélité et à la validité. En effet, on a constaté qu'ils utilisent parfois les techniques de vérification de ces critères de rigueur comme signification du concept lui-même. Ainsi, ils retiendraient surtout le "comment faire" pour vérifier le respect de ces critères. Étant donné qu'ils envisagent de rédiger un mémoire ou une thèse, donc une certaine application, cette constatation ne constitue pas en soi un problème, sauf dans le cas où les techniques seraient mal utilisées, à cause d'une mauvaise compréhension de la signification du concept lui-même 88  .

      Visiblement, l'influence de la psychométrie est aussi importante dans les conceptions des étudiants au sujet de ces concepts. Nous croyons donc qu'elles peuvent avoir leur origine dans une surgénéralisation, par les étudiants, des connaissances qu'ils ont acquises lors de cours de docimologie notamment. En effet, la majorité de la clientèle aux 2e et 3e cycles en éducation est composée d'enseignants en exercice ou d'anciens enseignants, qui ont très probablement tous suivis un cours de ce genre, soit en formation initiale, soit en perfectionnement.

      D'ailleurs, les réponses à la question 8 du questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science montrent que les étudiants reconnaissent mieux les définitions de validité et de fidélité qui correspondent à celles véhiculées en docimologie. Toutefois, la confusion entre validité et fidélité était bien présente à ce moment.

      À la question 8 qui portait sur une tâche d'identification "d'énoncés anonymes" ( tâche d'association), les étudiants ont confondu à quelques reprises la validité et la fidélité des données. Le tableau ci-dessous concerne la question 8 du questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science. Les étudiants devaient associer le concept de fidélité ou validité des données avec chacun des énoncés qui leur étaient proposés. Ainsi par exemple, à 5 reprises les étudiants ont associé correctement l'énoncé 06 qui porte sur la validité des données et, à 5 autres, certains l'ont associé à la fidélité des données. Les réponses correctes sont en caractères gras. On peut constater qu'à 23 reprises, la fidélité et la validité ont été confondues entre elles ( 5+6+8+4).

      
Tableau V : Questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science - Quest. 8 89 
  Énoncé Énoncé Énoncé Énoncé
06 - 01 Validité 01 - 02 Fidélité 07- 02 Fidélité 10- 02 Fidélité
Pertinence des données recueillies par rapport au concept qu'elles sont censées représenter Capacité d'un instrument de mesure de reproduire les mêmes résultats lors de circonstances identiques peu importe l'observateur et le nombre de mesures prises. Conformité d'un indicateur (ce que l'on veut observer ou mesurer) avec sa représentation (les données que nous avons recueillies). Caractéristique d'une technique qui assure de recueillir les mêmes données chaque fois que les mêmes phénomènes se produisent.
Val. des données 5 réponses 6 réponses 8 réponses 4 réponses
Fid. des données 5 réponses 13 réponses 2 réponses 13 réponses

      Il est intéressant de constater que les deux définitions de la fidélité qui proviennent du domaine psychométrique et qui parlent de constance et de stabilité ( énoncés 01-02 et 10-02 ) sont les mieux reconnues et de loin ( 13 réponses pour chaque énoncé). Notons que l'énoncé le moins bien reconnu ( 07-02: 2 réponses), est celui qui est confondu le plus souvent avec la validité des données et qu'il est aussi celui qui ressemble le plus à l'énoncé (06-01) concernant la validité.

      Les cours de docimologie concernent plus particulièrement les données provoquées ( tests et questionnaires) et sont donc basés sur des théories de la mesure. Les références à la reproduction des résultats ainsi qu'à la validité de construit nous permettent de faire des rapprochements avec le contenu d'un manuel de mesure et évaluation. Dans un ouvrage sur ce sujet 90  encore utilisé dans les cours de mesure et évaluation, l'auteur définit la validité comme étant : " ... la perfection avec laquelle un instrument réussit à mesurer la (ou les) variable(s) qu'il se propose de mesurer. " Elle comprend deux critères: la constance de la mesure (appelée fidélité) et la pertinence ( empirique ou logique) d'un test ou d'un examen. L'évaluation de la fidélité d'un test exige, selon l'auteur, que l' instrument mesure « quelque chose » avec constance, avec continuité ou avec stabilité. Un coefficient de fidélité peut être obtenu par un calcul de la corrélation entre deux séries de mesures:

  • deux formes équivalentes d'un même test
  • deux administrations espacées d'un même test
  • le même test divisé en deux parties.

      et ce coefficient devrait être d'au moins 0,60 pour qu'il soit considéré comme acceptable.

      Quand à la pertinence d'un test, elle peut être empirique et démontrée par une relation significative et vérifiable entre les résultats obtenus avec ce test et des résultats obtenus par d'autres tests déjà standardisés ( ces résultats se nomment résultats témoins ou "criterion scores"). Lorsque des résultats témoins ne sont pas disponibles, ce qui est souvent le cas en éducation, la pertinence logique du test peut être évaluée par la démonstration que le test exige des sujets des connaissances ( habiletés et autres) identiques celles des objectifs du cours. Ce type de pertinence ne peut cependant pas être évalué mathématiquement. Toutefois, l'auteur mentionne que si le professeur peut montrer la pertinence de son test et qu'il obtient un coefficient de fidélité d'au moins 0,60, il peut croire en la validité de son test.

      La perspective de certains étudiants concernant la validité et la fidélité des données est donc réductrice. La validité et la fidélité des données semblent correspondre à celles des instruments de mesure ou des tests, tels que décrits en exemple précédemment. Tardif (1992) parle de surgénéralisation dans le cadre de l'acquisition des connaissances conditionnelles. En fait, la surgénéralisation consiste en " une erreur dans la reconnaissance ou la classification puisque toutes les conditions distinctives nécessaires ne sont pas présentes dans la représentation productionnelle"  91  . L'étudiant devrait alors développer une stratégie de discrimination qui viendrait réduire le nombre de cas où la représentation productionnelle s'applique. Dans le cas qui nous intéresse, certains étudiants ont peut-être pensé que leur conception de la validité et de la fidélité était juste peu importe le type de données. Pourtant, le chapitre 4 présente déjà une distinction entre les types de données (provoquées, invoquées, suscitées). Il est toutefois possible que les étudiants ne sachent pas que les concepts de fidélité et de validité ont des extensions différentes selon le contexte d'utilisation et le type de données utilisées, ils ont probablement cru que leur définition de ces concepts était une définition générale. Il est étonnant cependant, de constater que, malgré le contenu du cours passablement différent de leurs conceptions, ces étudiants n'aient pas relevé cet écart. Les difficultés rapportées ici ont été diagnostiquées lors de l'analyse des questionnaires et ne sont apparues qu'une fois ( pour la question du coefficient de fidélité) dans la séance de cours. Apparemment, même après le cours sur le chapitre 5, les anciennes conceptions reprennent le dessus chez certains étudiants.

      Il faudrait probablement établir avec les étudiants le cadre de validité de leurs connaissances ou si l'on veut, développer des stratégies de discrimination chez les étudiants, en rapport avec ces concepts. Par exemple, la réplication est effectivement une répétition, mais elle n'est pas une répétition de l'observation et l'objectif de cette technique est tout autre. La stabilité de l'instrument de mesure est aussi un critère de rigueur valable, mais dans le cadre de la fidélité d'un instrument de mesure (données provoquées) seulement et comme technique de vérification de la fidélité, pas comme définition conceptuelle.


8.2 La décision dans la recherche vérificatoire

      La décision dans la recherche vérificatoire semble poser problème à certains étudiants. De toute évidence, il s'agit d'un processus très abstrait, difficile à conceptualiser et même à formuler de façon claire. La version de 1992-93 du chapitre 8 comportait, au sujet de la question de l'hypothèse nulle, des ambiguïtés qui ont pu être résolues grâce à la consultation de la version de 1995 du chapitre et à la consultation de l'auteur lui-même. La version de 1995 comporte des remaniements majeurs concernant la présentation de la décision dans la recherche vérificatoire. Il est donc possible que la présentation textuelle de ce contenu dans le document de 1992-93 puisse être invoquée pour comprendre les problèmes des étudiants. Cependant, la présentation n'explique pas tout, puisque les difficultés auraient pu être résolues lors des discussions de cours, ce qui n'a pas semblé être le cas. Afin d'être en mesure de présenter de façon claire le point de vue du chapitre 8 sur la question de l'hypothèse nulle, nous avons utilisé des extraits du chapitre 8 de la version de 1995. La version originale de ce chapitre est présentée à l'annexe XI.

      Les problèmes éprouvés par les étudiants concernent la signification et l'utilisation de l'hypothèse nulle.


8.2.1 Description des difficultés

      Visiblement, un étudiant en particulier, a des connaissances antérieures très fortes au sujet de la question de l'utilisation de l'hypothèse nulle. Le problème se situe au niveau du raisonnement et de la signification du hasard dans le test d'hypothèse nulle, mais aussi au niveau de l'utilisation de cette hypothèse.

      Cette difficulté est traitée d'abord en ce qui a trait au problème du raisonnement qu'elle pose, dans le thème: " Signification du test statistique" et elle sera reprise ensuite pour la question de son utilisation, dans le thème :" Utilisation de Ho pour prendre une décision au sujet de l'effet du traitement".


8.2.1.1 Signification du test statistique

      

      Il s'agit là d'un problème complexe et abstrait. Essentiellement, nous croyons que la difficulté se situe au niveau d'une divergence au sujet du rôle de l'aléatorisation. Que signifie l'effet du hasard sur les différences observées?

      Reprenons d'abord certains extraits du chapitre 8 afin de comprendre la question de l'hypothèse nulle. La description du chapitre 8 est basée sur le plan de recherche expérimental le plus classique 92  , soit:

      
G E O1 X O3
G C O2 --- O4

Chapitre 8
" (...) En fait, par l'aléatorisation, c'est-à-dire par une extraction au hasard de la population et par une allocation des sujets au hasard dans les groupes, on construit des groupes qui ne sont pas identiques mais qui sont probablement équivalents, parce qu'ils sont de bons portraits d'une même population. On dispose alors d'une hypothèse nulle étant donné le hasard (Ho|A) qui implique que (=>) la différence sera équivalente à zéro (D@ 0) étant donné le hasard (|A), soit, Ho|A=>D@ 0|A. Autrement dit, la différence entre la population et les échantillons est si petite et si peu probable, étant donné le hasard, que les échantillons sont de bons portraits, ou des modèles réduits, de la population. Leur similitude avec la population et entre eux est approximative, la probabilité d'une différence étant simplement due aux aléas de l'échantillonnage.(Version 1995, chap.8, p.207-208)

Comme les sondeurs, les chercheurs doivent estimer, dès le départ, deux éléments. Ils ont dû décider d'un seuil sur la marge d'erreur: quelle différence entre les échantillons est suffisante pour indiquer une différence avec la population, c'est-à-dire à partir de quelle ampleur la marge d'erreur n'est plus une erreur d'échantillonnage mais une différence. Ensuite, ils ont dû décider quel seuil de probabilité associée à l'erreur est acceptable. Par exemple, dire que la probabilité admise est de 5% (p=0,05) pour un écart "x", veut dire étant entendu que l'écart "x" est admis comme ne donnant pas une différence notoire, si l'on tire au hasard 100 échantillons de taille"n" de la population, on en trouvera 95 qui lui ressemblent (écart inférieur ou égal à "x") alors que les 5 autres échantillons extraits du même ensemble manifestent un écart plus grand que "x". Si la probabilité associée à l'écart observé est supérieure au seuil décidé, par exemple 20%, cela veut dire que dans 20 tirages aléatoires sur 100, on risque de trouver des résultats manifestant un écart plus grand avec la population que l'écart observé. Dans le cas d'une aléatorisation, mais dans ce cas seulement, le test statistique vérifie l'effet de l'échantillonnage sur les résultats étant donné le hasard: il indique la probabilité selon laquelle les échantillons sont de bons portraits de la population. Si la probabilité associée à une différence observée reste inférieure au seuil décidé (par exemple 5%), on considère que la différence est due uniquement aux aléas de l'échantillonnage, alors que si elle est supérieure au seuil, on admet que sa probabilité aléatoire est trop élevée pour due à l'échantillonnage: d'autres variables doivent avoir joué pour créer l'écart observé. " (Version 1995, chap.8, p.208-209.

      LA DÉCISION ( Figure 8.8)

      Ha | T ( décision au sujet de l'hypothèse alternative) :
* Si D (O3-O4) @ 0 | T alors rejet de H1 | T
* Si D (O3 - O4) > 0 | T alors acceptation de H1 | T

      Ho|A ( décision au sujet de l'hypothèse nulle ) :
* Si probabilité de [ D(O3-O4) > 0 | A ]< seuil
alors DO3-O4 est due à l'aléatorisation

      * Si probabilité de [ D(O3-O4) > 0 | A ] > seuil
alors erreur probable et indécision: DO3-O4 peut-être due à n'importe quoi entre autres à des variables non-contrôlées par l'aléatorisation.
Version 1995, chap.8, p. 16, Figure 8.5, p. 210.

      "C'est seulement lorsque la probabilité associée est significative ( @ 0|A avec p< seuil) que l'on admet que la différence est seulement due à l'aléatorisation. Dans ce cas, le hasard ayant un effet nul, la différence observée est probablement dépendante des éléments du plan de recherche."
Version 1995, chap.8, p.211.

      Le chapitre tente de présenter la décision dans la recherche expérimentale d'un point de vue méthodologique et épistémologique plutôt que d'un point de vue procédural ou statistique. Essentiellement, le chapitre 8 affirme la nécessité de séparer complètement les deux types de raisonnements, celui concernant la théorie (H1|T) et celui concernant l'effet de l'aléatorisation (H0 |A). Ho ne serait concernée que par l'effet du hasard sur les échantillons, alors que H1 ne serait concernée que par l'effet du traitement.

      Afin de comprendre la difficulté de l'étudiant, nous reproduisons ses interventions ci-dessous ainsi qu'un résumé permettant de saisir l'essentiel de son discours. Les chiffres ne sont que des indications afin de repérer les passages qui ont été résumés.

      Interventions de l'étudiant (V8.01.1)

      6-Ça en vient au deuxième aspect, au test d'hypothèse en tant que tel?

      Parce que la je me demande s'il n'y a pas une erreur dans le texte. Le deuxième petit paragraphe dans le bas, on parle de Ho sachant qu'il y a eu aléatorisation, c'est la probabilité qu'il y ait une différence, plus petite que le seuil de signification, alors la différence est dû a l'aléatorisation c'est pas plutôt dû au traitement?

      (...)

      7-Il y a quelque chose soit dans la façon dont c'est présenté, ou il y a réellement quelque chose. Moi je suis habitué ... la probabilité que la différence soit supérieure à zéro, un test directionnel, si elle est plus grande que zéro et que la probabilité reliée à ça est inférieure à un seuil de signification, ce que je dis c'est que c'est dû au traitement c'est comme ça que dans les tests statistiques on va essayer d'aller

      (...)

      8-Parce que si c'est dû au hasard ça peut arriver mais c'est fort peu probable la probabilité.

      (...)

      9-Oui mais est-ce qu'il existe une différence ...

      (...)

      10- Il y a une partie qui est claire, je suis d'accord avec ... bon si la différence est insignifiante ça donne rien de montrer que c'est significatif. Ça ça va. mais c'est le principe derrière... qu'on rejette une hypothèse nulle comme c'est représenté ici, donc en bout de ligne on interprète que c'est dû à un traitement.

      (...)

      11-Et encore moi je ne comprends pas encore pourquoi ce serait pas ça..

      (...)

      12-Je reviendrai personnellement la dessus parce que moi ... il y a des choses que je ne comprends pas.

      (...)

      13-Ce qu'on dit généralement c'est que la probabilité qu'ils ne soient pas égaux c'est-à-dire la probabilité qu'ils soient égaux (...) si c'est dû à l'aléatorisation. Si c'est pas dû à ça, donc ce serait dû au traitement.

Résumé des points essentiels

6) Étant donné Ho | A Si probabilité (différence observée) < seuil alors D due au traitement, pas à l'aléatorisation

7) Si probabilité (différence ³0) < seuil de signification alors Ddue au traitement

10) Si Dinsignifiante (| étant donné le traitement) alors on n'a pas besoin de s'occuper de savoir si c'est significatif . Mais si on rejette Ho alors on interprète en bout de ligne que c'est dû au traitement.

13) La probabilité que les groupes soient égaux, si ce n'est pas dû à l'aléatorisation alors elle est due au traitement.

      Le tableau suivant relève la principale opposition entre le discours de l'étudiant et celui du chapitre 8.

      
Tableau VI : Comparaison des points de vue (Étudiant-chapitre 8)
Chapitre 8 Étudiant
" (...) C'est seulement lorsque la probabilité associée est significative
(@ 0|A avec p < ; seuil) que l'on admet que la différence est seulement due à l'aléatorisation. "
" Ce qu'on dit généralement c'est que la probabilité qu'ils ne soient pas égaux c'est-à-dire la probabilité qu'ils soient égaux (...) si c'est dû à l'aléatorisation. Si c'est pas dû à ça, donc ce serait dû au traitement. "
Donc, si la différence est due à l'aléatorisation, les groupes sont considérés équivalents et les résultats sont statistiquement significatifs. Donc, si la différence n'est pas due à l'aléatorisation alors elle serait due au traitement.
On accepte Ho |A On rejette Ho |T

      À première vue, on constate que le chapitre 8 accepte l'effet du hasard et conclut que les résultats sont significatifs, alors que l'étudiant croit devoir rejeter l'effet du hasard afin de conclure que les résultats sont significatifs. Nous croyons que cet écart est dû à une divergence au sujet de l'utilisation du hasard dans le processus de décision, ainsi qu'une différence importante de point de vue au niveau du raisonnement .

      Le chapitre 8 utilise Ho uniquement pour tester l'effet du hasard sur la construction des échantillons. On veut vérifier si l'aléatorisation a bien fonctionné, si nos groupes sont de bons portraits de la population et, ainsi, savoir si nous pouvons, sans trop nous tromper, inférer les résultats à la population de référence. Ho|A ne permet donc aucune décision concernant l'hypothèse de travail. Le chapitre 8 postule l'existence d'une différence entre (03-04), qui est plus grande que zéro ( D(03-04)>0) qui ne serait que le reflet d'une marge d'erreur. De fait, si les groupes proviennent d'une même population, la différence observée ne serait qu'une marge d'erreur par rapport à la population. Le test d'hypothèse nulle calcule la probabilité de cette marge d'erreur. Si la probabilité d'apparition de la marge d'erreur est grande ( si probabilité [D(03-04)>0|A ] > seuil) on considère que l'inférence à la population est risquée, puisque le risque de se trouver avec des échantillons qui sont de mauvais portraits de la population est grand. On doit rejeter l'hypothèse nulle ( qui affirmait que les groupes étaient de bons portraits de la population) et on considère que l'aléatorisation a mal fonctionné. Si l'apparition de la marge d'erreur est peu probable (si probabilité [D(03-04)>0|A ] < seuil) alors on considère que la marge d'erreur est acceptable. On considère que nos groupes sont de bons portraits de la population de référence et qu'on pourra inférer les résultats obtenus à la population sans trop de risque de se tromper. Ce n'est donc que dans ce cas que les résultats seront considérés comme étant statistiquement significatifs. Aucune décision n'est prise quant à l'hypothèse de travail, qui fait l'objet d'une décision qui précède celle sur l'effet du hasard dans la construction des échantillons, la question étant alors savoir si la différence observée est théoriquement significative.

      Ainsi, selon le chapitre 8, la différence entre (03-04) est considérée comme une marge d'erreur dans la construction des échantillons. Si la marge d'erreur est peu probable, elle est seulement due à l'aléatorisation.

      Le point de vue de l'étudiant est fort différent de celui du chapitre 8 et il se rapproche, à certains égard de celui de Carver (1978). Le test de l'hypothèse nulle est envisagé par l'étudiant comme la probabilité d'obtenir une différence telle que celle observée entre (03-04) étant donné l'aléatorisation. Ainsi, si la probabilité d'observer cette différence entre (03-04) est très élevée, les résultats ne peuvent pas être statistiquement significatifs, puisque le hasard a pu être la cause de cette différence. Si la probabilité d'observer cette différence entre (03-04) est très faible, alors le hasard n'a probablement pas créé cette différence, elle doit être expliquée par le traitement (en fait, la différence pourrait alors être due à des variables parasites également, mais nous reviendrons à cette erreur de l'étudiant dans la section suivante).

      Point de vue de Carver (1978)

" Under the null hypothesis it can be predicted that the mean of the experimental group will differ from the mean of the control group only to the extent that sampling fluctuations inevitably occur when samples are drawn from a common population. "Carver (1978), p. 381

"If differences as large or larger than the one we found occur very rarely using our straw-man hypothesis (null hypothesis), then we will reject it: sampling, or chance, is no longer considered a good explanation for the cause of the difference between the means. Rejecting this straw-man hypothesis or null hypothesis, is the same as rejecting the idea that the two groups are essentially equivalent. Researchers usually want to reject the idea that the two means are essentially equivalent or represent the same population."(Carver (1978,)p.381.)

" A statistically significant result means that the probability is low that we would get the type of result we got, given that null hypothesis is true." Carver (1978,)p.383.

      Ainsi, selon Carver, la différence dont on veut calculer la probabilité est la différence entre la moyenne du groupe expérimental et celle du groupe contrôle, suite au traitement. On cherche à démontrer que la différence de moyennes entre les deux groupes est simplement due aux aléas de l'échantillonnage alors que les groupes ont été aléatorisés. Si la probabilité d'obtenir cette différence observée est très petite, on ne peut pas considérer qu'elle est due aux aléas de l'échantillonnage. Ainsi, on ne peut plus admettre que les deux groupes, après l'expérimentation, font partie de la même population, ils font donc partie, très probablement, de populations différentes. Si la probabilité est élevée, c'est qu'il est très probable d'obtenir une différence telle que celle observée étant donné l'aléatorisation. Ainsi, la différence observée peut-être due à n'importe quoi ( hasard, traitement, variables parasites, etc).

      Comme le montre le tableau suivant, deux différences principales existent entre le chapitre 8 et l'interprétation de Carver, l'une au sujet de la question de la population de référence et l'autre concernant l'utilisation du hasard.

      
Tableau VII : Différences entre le chapitre 8 et Carver (1978)
Chapitre 8 Carver (1978)
Si probabilité [D(03-04)> ;0|A ] < ; seuil
alors D(03-04) (considérée comme la marge d'erreur) est seulement due à l'aléatorisation (c'est-à-dire à des problèmes normaux et insignifiants dans le processus d'aléatorisation).
Si la probabilité [ D(03-04) ³x ]< ; seuil |A
x= la différence des moyennes observées entre (03-04).
Ainsi, la marge d'erreur est acceptée et l'inférence à la population est permise. Si petite probabilité, les deux groupes sont de bons portraits d'une même population. Alors la D(03-04) ne peut pas être due à l'aléatorisation, elle doit être due à autre chose (traitement ou variable parasite). Les deux groupes font partie de populations différentes (après le traitement).
L'hypothèse nulle est donc acceptée puisque les deux groupes sont de bons portraits de la population et que leur différence est seulement due aux aléas de l'échantillonnage. L'hypothèse nulle est donc rejetée, la probabilité que Ge et Gc fasse partie de la même population, après le traitement, étant trop faible.

      D'abord, la perspective du chapitre 8 n'admet pas que les deux groupes, après traitement, puissent faire partie de populations différentes puisqu'une seule population est à la source de leur construction ( c'est l'hypothèse nulle). Ainsi, le chapitre 8, se restreint à connaître la probabilité d'apparition de la marge d'erreur entre les groupes, de façon à pouvoir décider si l'inférence à la population de référence est possible ou non. Le chapitre 8 n'admet pas, non plus, que le hasard soit utilisé à la fois comme postulat permettant d'établir que les groupes font partie d'une même population et comme test permettant d'établir qu'ils ne font pas partie de la même population. Cette décision relevant, d'ailleurs d'une décision concernant l'hypothèse de travail et non de l'hypothèse nulle qui, rappellons-le, ne concerne que l'effet du hasard sur les échantillons et non de l'effet du traitement. Autrement dit, le raisonnement de Carver servirait à établir que les groupes font partie de populations différentes étant donné qu'ils ont été tirés d'une même population de référence!

      La complexité du raisonnement et de la signification de l'hypothèse nulle explique en grande partie la difficulté de l'étudiant. En fait, chacun des points de vue, celui du chapitre 8 et celui de Carver, ne peut se comprendre qu'à l'intérieur de sa propre logique. En effet, ils sont, sous certains aspects, en désaccord assez évident. Ainsi, l'étudiant ayant des conceptions semblables à ce que propose Carver, peut difficilement admettre le raisonnement du chapitre 8 à moins sortir de sa propre logique, ce qui n'est pas évident. Le premier réflexe étant évidemment de conclure à une erreur dans la présentation du test d'hypothèse nulle dans le chapitre 8, puis ensuite, de tenter de concilier ces deux logiques.


8.2.1.2 Utilisation de Ho pour prendre une décision au sujet de l'effet du traitement:

      Cette difficulté concerne les mêmes extraits d'enregistrement vidéo que précédemment. La dimension analysée ici est celle de l'utilisation du test d'hypothèse nulle. Rappelons les points essentiels des interventions de l'étudiant:

Résumé des points essentiels de l'intervention de l'étudiant

6) Étant donné Ho | A Si probabilité (différence observée) < seuil alors D due au traitement, pas à l'aléatorisation

7) Si probabilité (différence ³0 ) < seuil de signification alors D due au traitement

10) Si Dinsignifiante (étant donné le traitement) alors on n'a pas besoin de s'occuper de savoir si c'est significatif . Mais si on rejette Ho alors on interprète en bout de ligne que c'est dû au traitement.

13) La probabilité que les groupes soient égaux, si ce n'est pas dû à l'aléatorisation alors elle est due au traitement.

      Selon le raisonnement de l'étudiant, si la différence entre (03-04) est statistiquement significative, donc si le hasard n'a pas contribué à son apparition, alors elle est le résultat de l'effet du traitement administré au groupe expérimental. Nous avons vu que Carver(1978), contrairement au chapitre 8, essaie de réfuter l'effet du hasard dans l'apparition d'une différence entre les moyennes des groupes après le traitement. Cependant, ce dernier nous met en garde contre toute décision basée uniquement sur un seuil de signification statistique et invoque le recours à un seuil de signification théorique.

      Selon le chapitre 8, l'étudiant escamote une partie du processus de décision dans la recherche vérificatoire. En effet, deux décisions sont nécessaires au sujet de la différence observée entre (03-04). La première concerne leur signification "théorique", c'est-à-dire que l'on doit déterminer si l'ampleur de la différence est suffisamment importante pour que l'on puisse conclure à une différence réelle. Cette décision doit être prise à partir d'un seuil de signification théorique déterminé à partir de la théorie et choisi avant l'expérimentation. La deuxième décision ne concerne que l'effet du hasard dans la constitution des échantillons.


8.2.1.3 La signification de «  nulle " dans "hypothèse nulle "

      Les réponses à la question 6 du questionnaire sur le chapitre 8, montrent encore certaines confusions entre l'hypothèse de recherche et l'hypothèse nulle. En effet, comme le montre le tableau ci-dessous, trois réponses comportent des confusions qui semblent attribuer à l'expression "nulle", un sens de négation ou d'absence de quelque chose.

Q8.06 Quelle différence y a-t-il entre l'hypothèse nulle et l'hypothèse de recherche ?

  • Ho = hypothèse sans traitement , HR = hypothèse avec traitement
  • Une hypothèse de recherche est l'hypothèse qui intéresse le chercheur et qui est déduite. L'hypothèse nulle est l'hypothèse qui dit que l'hypothèse de recherche est fausse.
  • Une hypothèse est nulle pas de différence qui intervient au post-test. L'hypothèse de recherche est une hypothèse déduite par les résultats.

      Dans la première réponse, l'hypothèse nulle (Ho) est définie comme une hypothèse sans traitement sans que l'on puisse savoir sur quoi l'étudiant fait porter cette hypothèse. Dans la deuxième réponse, l'hypothèse nulle est envisagée comme celle qui déterminera si l'hypothèse de recherche est fausse. Elle semble donc se superposer à cette dernière, comme si elle était un test de l'hypothèse de recherche. Cette affirmation n'est pas exacte. Cependant, le test de l'hypothèse nulle détermine l'effet du hasard sur le résultat et, indirectement, le crédit que l'on peut accorder au résultat observé entre les deux groupes. Ainsi, l'hypothèse nulle ne "teste" pas la vérité de l'hypothèse de recherche, mais elle détermine l'effet possible du hasard dans le processus. La troisième réponse parle de l'hypothèse nulle comme étant le résultat d'une différence nulle entre les groupes lors du post-test, ce qui est erroné également. Pire encore, l'hypothèse de recherche serait déduite par les résultats, c'est-à-dire qu'elle serait déterminée après-coup, à partir des résultats obtenus, ce qui va à l'encontre du processus même de vérification expérimentale.

      On peut penser qu'en plus des problèmes conceptuels que pose la différence entre hypothèse nulle et hypothèse de recherche, l'expression " hypothèse nulle" elle-même pourrait être à la source de malentendus. Le qualificatif de "nulle" pouvant s'appliquer aussi bien à l'effet du hasard ou du traitement, l'étudiant doit avoir une bonne compréhension du processus de décision pour ne pas confondre les deux.


8.2.2 Interprétation des difficultés

      L'analyse des difficultés concernant la question de la décision dans la recherche vérificatoire nous amène ainsi à trois constats. D'abord, une confusion est présente au sujet de l'effet du hasard dans le test statistique et complique la compréhension du processus de décision. Ensuite, on constate une mauvaise utilisation du test statistique, qui consiste à prendre une décision au sujet de la théorie. Finalement, on constate une confusion entre les termes "hypothèse nulle" et "hypothèse de recherche" lorsqu'on demande aux étudiants de les distinguer, ce qui nous amène à croire que le processus de décision dans la recherche vérificatoire n'est pas bien assimilé par les étudiants.

      Complexité du contenu, divergence de points de vue, ambiguïté et manque de préparation

      L'une des explications possible de ces difficultés réside dans l'enchevêtrement de plusieurs causes. L'une d'entre elle concerne la complexité du contenu lui-même et dans la divergence de points de vue au sujet du test de l'hypothèse nulle. Chacun des points de vue étant difficile à comprendre en soi, la comparaison entre eux multiplie la difficulté. La présence d'ambiguïtés dans la version de 1992-93 des notes de cours peut aussi être invoquée pour comprendre la difficulté de l'étudiant. Finalement, une autre cause réside peut-être dans une préparation insuffisante des étudiants à cette séance de cours. Si on regarde en particulier la distinction que font les étudiants entre l'hypothèse nulle et l'hypothèse de travail, on se demande dans quelle mesure le travail d'analyse du texte préalable au cours avait été effectué.

      La difficulté d'un raisonnement basé sur la réfutation

      Le test de l'hypothèse nulle, telle que considéré par l'étudiant et par Carver, consiste en un raisonnement par réfutation. En effet, si la probabilité que la différence entre (O3-O4) soit plus grande ou égale à zéro étant donné le hasard est plus petite que le seuil déterminé [ Si probabilité de [ D(O3-O4) ³x < seuil |A ], alors la différence entre O3-O4 ne peut pas être due aux aléas de l'échantillonnage, il y a rejet de l'hypothèse nulle et on considère que les résultats sont statistiquement significatifs. Ainsi, si l'on rejette l'hypothèse nulle, les résultats sont statistiquement significatifs.

      Dans le chapitre 8, la stratégie de la vérification infirmative utilise le même genre de raisonnement. On construit des hypothèses alternatives que l'on tente ensuite d'infirmer. La stratégie infirmative cherche à prouver que la thèse ne s'applique pas avec la généralité qu'on lui prête. Si elle échoue, la thèse est toujours valide, si elle réussit, la connaissance scientifique progresse puisque l'on doit réduire le champ de validité d'une théorie. La théorie n'est plus vraie pour certaines situations, mais on connaît mieux le phénomène étudié.

      Un rapprochement intéressant peut être fait entre ce type de raisonnement par réfutation et certaines explications de la psychologie cognitive 93  . Un premier élément intéressant concerne ce que Richard(1990) décrit comme étant un biais de confirmation:

" ... Ce phénomène s'apparente à ce qu'on a appelé le biais de confirmation décrit en particulier par Watson (1977), qui consiste à chercher, pour tester une hypothèse, une situation compatible avec cette hypothèse, c'est-à-dire une confirmation par une information OUI."  94 

      Cela explique, par exemple, qu'il est plus facile de confirmer une hypothèse en utilisant une situation où, si l'hypothèse est vraie, cette dernière puisse se produire, que de rechercher des situations où l'hypothèse attendue soit absente ou encore, des cas où une hypothèse alternative concurrente apparaisse. Selon Caverni, J-P. et al (1990)

" Le biais de confirmation est souvent considéré comme une caractéristique importante du comportement humain; il est décrit comme une tendance de la part des sujets à rechercher l'information permettant de confirmer une hypothèse plutôt que celle permettant de l'infirmer".  95 

      Richard(1990) conclut :

" Ainsi, dans la vérification d'une relation, la confirmation directe apportée par la réalisation de la co-occurence des termes d'une relation présente un caractère privilégié et entraîne un degré de conviction plus important que la confirmation indirecte apportée par l'invalidation de l'hypothèse alternative. "  96 

      C'est ce biais cognitif qui, selon Richard, expliquerait la difficulté du raisonnement déductif basé sur la réfutation. Ainsi, le raisonnement par exclusion, qui consiste à conclure à la vérité d'une proposition à partir de la réfutation d'une proposition opposée, constituerait un raisonnement peu naturel.

      De la même façon, les syllogismes conditionnels posent des difficultés de raisonnement. Pour l'illustrer, Richard mentionne une expérience (Poltizer, 1981) où les sujets devaient indiquer dans quels cas, parmi les quatre présentés, la relation si p alors q ( si je mets ma veste, je mets ma cravate ) se vérifie:

      Tableau VIII : Exemple de syllogisme conditionnel ( Richard, 1995)

      
Si je mets ma veste , je mets ma cravate Si p => ; q Réponse correcte
1° j'ai une veste et une cravate p q vrai
2° j'ai une veste et pas de cravate p non q faux
3° je n'ai pas de veste et j'ai une cravate non p q vrai
4° je n'ai pas de veste et je n'ai pas de cravate non p non q vrai

      Tous les sujets donnent une réponse correcte à l'éventualité 2. Pour la majorité des sujets,

      les réponses à l'éventualité 1 celle où il y a co-occurence des événements est la plus facile à trouver, vient ensuite l'éventualité 4, celle où il y a co-absence des événements. Très peu de sujets mentionnent l'éventualité 3, qui exige une inférence à partir d'une information négative.

      Une considération est cependant intéressante, celle de la familiarité du sujet avec la situation proposée. Il apparaît en effet que, comme les sujets ont tendance à chercher une situation où la proposition s'applique, plus les sujets sont familiers avec la situation proposée, plus ils sont en mesure d'évoquer la situation 3° ( non p et q) parce qu'elle correspond à un cas où la règle n'est pas transgressée 97  . Ainsi, les individus auraient tendance à utiliser un schéma pragmatique existant et correspondant à la situation, avant de faire appel à des règles syntaxiques.

      À ce propos, il est intéressant de mentionner certaines études en psychologie cognitive 98  sur la déduction, qui montrent que les interprétations pragmatiques du sujet peuvent interférer dans leur compréhension. Suite à une étude sur les propositions catégoriques de la logique classique, les chercheurs ont mis en lumière une difficulté des sujets à évaluer la validité des déductions utilisant "tout" et "certains", de même que " aucun" et "certains... ne... pas". Les auteurs expliquent que les sujets ajoutent un sens pragmatique au sens logique de "certains" ou "certains...ne...pas". En logique, ces expressions signifient "au moins un" mais ne donnent aucune autre indication. Les sujets quant à eux, ajoutent "mais pas tous", convaincus que, si l'énonciateur avait voulu dire "tous", c'est ce terme qu'il aurait employé. Ainsi, le sens pragmatique ( linguistique ou encore expérientiel), peut donc entrer en conflit avec le sens "spécialisé" de certains termes ou concepts. On pourrait donc postuler que, lorsqu'ils sont confrontés à un concept spécialisé qu'ils ne maîtrisent pas (comme cela semble être le cas des concepts d'hypothèse nulle et d'hypothèse de recherche), les étudiants lui attribuent une signification en référence à leur propre expérience ou encore au sens commun du concept.

      La présence d'un biais de confirmation (qui consiste à privilégier une situation où l'hypothèse se vérifie afin de la mettre à l'épreuve) et la difficulté des syllogismes conditionnels, (particulièrement la forme "Si non P , alors q" qui exige une inférence à partir d'une information négative) , montrent que le raisonnement par exclusion comporte une difficulté particulière. Ainsi, nous pensons que la présence d'une conception, chez l'étudiant, d'une conception de l'hypothèse nulle qui implique un raisonnement par réfutation et la présence, dans le chapitre 8, d'un raisonnement semblable en ce qui concerne la vérification infirmative, peuvent expliquer certaines difficultés chez les étudiants. De plus, la décision au sujet de l'hypothèse nulle exige un raisonnement abstrait, dans des situations qui sont peu familières avec des situations vécues et les étudiants ne bénéficient pas de schémas pragmatiques préalables.

      La démarche scientifique corrompue

      L'utilisation du test statistique afin de prendre une décision au sujet du traitement administré au groupe expérimental est une erreur courante mentionnée par Carver(1978). Ce dernier parle de " corrupt scientific method", pour qualifier un tel procédé et il l'illustre par le schéma suivant:

      

Figure 32 : La méthode scientifique selon Carver (1978)

      Selon Carver, cette stratégie est utilisée, entre autres, parce que les chercheurs sont souvent dans l'impossibilité, à cause de la faiblesse des théories qu'ils utilisent, de prendre une décision théorique au sujet de l'importance de la différence observée. L'hypothèse nulle constitue donc une procédure de décision, mais elle est tout à fait inadéquate pour décider de la signification théorique. En termes statistiques, il est d'ailleurs possible qu'une différence importante ne soit pas statistiquement significative et à l'inverse, qu'une différence minime soit statistiquement significative, selon le nombre de sujets utilisés dans les échantillons 99  .

      Le chapitre 8 dénonce également cette tendance. L'hypothèse nulle se formulant de façon semblable à l'hypothèse alternative, Ho: D(04-03) = 0 | A et Ha: D (04-03) = 0 | T. Il y aurait eu glissement étant donné la fâcheuse habitude de certains chercheurs de chercher, dans les statistiques, des moyens de prendre les décisions à leur place...

      C'est donc une tendance relativement courante, semble-t-il, que d'utiliser le test de l'hypothèse nulle pour prendre une décision au sujet du traitement. Il n'est pas certain que la démonstration du professeur aura convaincu l'étudiant. Une démonstration uniquement sous forme d'argumentation était probablement insuffisante, mais même si une démonstration par la statistique aurait peut-être pu être plus persuasive, elle aurait certainement débordé le cadre du cours et probablement perturbé beaucoup les autres étudiants qui, rappellons-le, ne sont pas intervenus lors de cette discussion.

      


8.3 La monographie


8.3.1 Description des difficultés


8.3.1.1 La généralisabilité de la monographie

      La monographie , en tant que recherche scientifique, semble poser problème à certains étudiants. Il semble que le statut de " recherche scientifique" aille de pair avec l'une des exigences fondamentales de la recherche scientifique positiviste empiriste, celle de la généralisabilité des résultats.

      Lors de la séance portant sur le chapitre 8, une discussion importante a eu lieu concernant la généralisabilité des résultats de la monographie. À travers cette discussion, nous avons repéré un certain nombre de difficultés plus spécifiques mais toujours en lien avec la monographie. Afin de rendre compte de la dynamique de la discussion entre les étudiants et le professeur, nous avons disposé le verbatim de cette discussion dans le tableau IX en le découpant en sections, représentant autant de difficultés spécifiques. Le verbatim est presque exhaustif, certains passages redondants ont cependant été éliminés pour des questions d'espace. Le Tableau IX présente donc, dans la colonne de droite, des extraits de l'enregistrement vidéo dans l'ordre chronologique et dans la colonne de gauche, une brève description de la difficulté .

      
Tableau IX : Difficultés concernant la généralisabilité de la monographie
Description de la difficulté Extrait du vidéo de la séquence sur le Chapitre 8
Diff.-A
Généralisabilité = validité = valeur de la monographie

L'étudiante semble associer la généralisabilité à la validité de la recherche. Une recherche non-généralisable aurait peu de valeur. La validité est donc associée à la " valeur" (bonne recherche ou mauvaise recherche).
Étudiante:
Est-ce que vous pourriez... moi je ne comprends pas très bien la monographie. Et puis (...)
J'aimerais que vous puissiez me parler de la possibilité de généralisation comment on peut...
Et la validité de la monographie ?

Professeur
La différence entre une démarche statistique et une démarche de type monographique ou l'étude de cas, on pourrait dire que d'une certaine façon, la démarche statistique va s'intéresser à la manière dont un processus se déroule à la manière dont certains traits se répartissent dans la population. Ce que j'essaie de faire c'est décrire les traits d'un certain nombre d'individus ou de situations. Parce qu'on parle habituellement, d'individus mais ça peut être des situations (des écoles, des classes, des cours). Ce que l'on va plutôt tenter dans la monographie c'est non pas d'examiner le comment les traits se répartissent chez les individus mais c'est d'examiner comment les traits se situent chez un individu. Ce qui va intéresser la monographie c'est la structure du phénomène, d'un phénomène et dans ce sens-la, pour la monographie, un seul cas suffit. A la limite dans cette perspective, je n'ai même pas besoin de faire l'observation d'un individu. Si comme chercheur je me trouve dans la situation où le phénomène que je veux étudier se présente, il me suffit de m'étudier dans ce phénomène. Et c'est là que l'on va voir, en terme de méthodes de constitution de données, dans certains cas, ce qui va être important pour le chercheur c'est de participer à une situation, de faire une participation observante, il vit dans un milieu pour ressentir les choses et l'observation de comportements d'individus est accessoire parce que dans la mesure où lui-même est complètement immergé dans la situation, il a accès à la situation à travers sa propre expérience de la situation . Mais c'est clair qu'à ce moment-là il ne peut pas parler, il ne peut pas généraliser aux autres individus. Ce à propos de quoi il parle c'est d'un processus qui est arrivé qui s'est présenté chez un individu et il tente d'expliquer ce processus-là chez l'individu.
Diff.-B
Difficulté à cerner l'unité de base de la recherche monographique (une situation = plusieurs individus, donc plusieurs cas ).

L'étudiant croit qu'il est possible de généraliser à partir d'une situation même si on ne peut pas le faire à partir d'un individu. Le raisonnement de l'étudiant semble être le suivant : si la monographie porte sur une situation, la situation comporte plusieurs individus donc, ce serait généralisable.
Étudiant
Mais ça ne se situe pas seulement sur un individu ça peut se situer au niveau d'une situation


Professeur
Ça peut être une situation
Étudiant
Si avec la situation il peut généraliser ...
Professeur
Non, il ne peut pas généraliser
Je ne peux pas généraliser, je peux juste dire que tel processus se présente dans certaines circonstances et que quand il se présente il se déroule de telle manière, il a telle dynamique , il faut que je décrive à la limite un processus, qui a été associé à un individu à une situation. mais je ne peux pas, à partir de la description très précise d'une dynamique , dire que cette dynamique est celle que tout le monde vit dans la même situation
Étudiant
Avec des caractéristiques à peu près semblables, on pourrait dire que la situation va se présenter comme telle.
Professeur
Non, pas la situation. Si le processus que j'ai décrit est enclenché, lui va se dérouler de cette manière-là. Mais je ne peux pas faire de prédiction sur la situation, je ne peux pas faire de prédiction sur les individus. Je peux simplement dire que tel processus, lorsqu'il se présente, se déroule de telle manière. L'étude de cas est centrée sur une dynamique interne. Par définition c'est interne à la situation. Si cette situation-là se présente, si ce processus-là s'enclenche, alors il se déroule de cette manière.
Diff-C
Constat d'un manque de consensus sur la question de la généralisabilité des résultats de la monographie.

L'étudiant semble prendre conscience qu'il y a des contradictions entre auteurs au sujet de la généralisabilité de la monographie.
ÉtudiantAlors toute cette étude qui a été faite avec Auteur X, alors vous n'êtes pas d'accord avec ? Quand vous parlez de généralisation.ProfesseurJe ne peux pas généraliser en dehors du contexte précis de la situation enclenchée. Faut être très prudent du côté de la généralisation. Vous pouvez très bien décrire le processus qui se présente, mais ce processus étant décrit, il ne vaut que dans les cas où il se produit. Vous ne pouvez pas faire de généralisation à des processus similaires ou à des situations qui seraient semblables. C'est dans cette situation-là, ça se déroule comme ça. Quand il y a tel et tel ingrédients alors ça se déroule comme ça. (...)
Ça vaut la peine de le faire et de se limiter à ça. D'ailleurs on parle de moins en moins de généralisation , on se contente de parler de transfert des conclusions en tenant compte de la représentativité des échantillons d'individus, de situations, de mesures, qui ont pu être effectuées.
Diff. - D

Différence entre prédiction et hypothèse.

La monographie ne permet pas de prédire ce qui va se passer à partir de généralisations, mais elle permet de construire des hypothèses.
Il y a une nuance entre hypothèses et prédictions: elles peuvent avoir la même forme (affirmation), mais les hypothèses doivent faire l'objet d'une vérification et servent à des fins de validation de théories, alors que les prédictions peuvent servir à l'action .
Étudiante
Mais est-ce que à partir d'une étude monographique, je peux sortir des hypothèses.

Professeur
Vous pouvez sortir des hypothèses oui. Qui elles pourraient être mises à l'épreuve dans des situations plus généralisables . D'ailleurs vous pourrez faire une monographie, faire des hypothèses que vous pourrez mettre à l'épreuve dans des échantillons qui représentent certaines situations et à partir de la mise à l'épreuve sur des échantillons représentatifs de certaines situations, vous pourrez faire à ce moment-là- des prédictions conditionnelles mais pas à partir de votre monographie. La monographie est une étude de la dynamique interne.
Diff.-E
Généralisation des résultats vs les résultats s'appliquent " en général"


Manque de compréhension des exigences logiques de la vérification empirique. La science ne s'intéresse pas à savoir si la théorie fonctionne "habituellement " mais plutôt de connaître exactement son champ de validation. S'il existe un cas où la théorie ne fonctionne pas, on doit restreindre le champ de validité de la théorie.
Étudiant (...)

Professeur
Oui ça vous pouvez faire une étude vérificatoire via une monographie. Vous pouvez faire ça dans la mesure où si dans le cas que vous étudiez, un cas, vous pouvez montrer que la théorie ne s'applique pas, vous jetez la théorie par terre. Il vous suffit de trouver un cas où la situation ne s'applique pas pour mettre la théorie en cause. Et de fait, dans cette perspective, l'étude de cas peut être suffisante donc, on peut faire une recherche vérificatoire par étude de cas. Sauf que si le cas que j'ai est un cas qui va avec la théorie, je ne peux pas dire grand chose. Sinon que dans ce cas-là la théorie a l'air de marcher.
C'est ce qui est paradoxal. Je ne peux généraliser que dans la mesure où la théorie est en échec. Là je peux dire qu'elle ne fonctionne pas de manière générale.

Étudiante
Mais on peut dire qu'elle fonctionne aussi en général.

Professeur
Elle fonctionne peut-être dans certains cas mais pas de manière générale. J'ai toujours plus de chances de pouvoir produire un énoncé intéressant quand je peux limiter le discours et non pas quand je peux...
Au plus vous êtes tentés de tenir des discours universels, au plus vous avez des chances de vous tromper. Au plus vous parvenez à définir les conditions sous lesquels l'énoncé s'applique, au plus vous avez des chances de ne pas rencontrer ... Donc votre intérêt n'est pas de généraliser. Votre intérêt est de limiter la prétention de vos énoncés. Au plus vous limitez la prétention de vos énoncés, au plus vous serez précis.
Diff.-F
Constat d'un manque de consensus sur la question de la généralisabilité des résultats de la monographie

L'étudiant semble prendre conscience qu'il y a des contradictions entre auteurs au sujet de la généralisabilité de la monographie.
Étudiante
Oui mais j'entends plusieurs sons de cloches. on me demande à partir d'une monographie de généraliser et vous vous me dites le contraire.
Alors...

Professeur
Éviter de répondre à la tentation de généralisation. Généraliser à partir d'une monographie, je peux vous trouver autant de cas qu'il le faut qui vont contredire votre monographie. Au plus je rentre dans une étude de cas, au plus je vais trouver des contradictions avec votre monographie.
Si on vous demande de généraliser, dites-leur. Si on regarde les résultats, si on fait des inférences, conceptuelles, on peut penser que.
Mais vous ne pouvez pas leur dire, je veux faire des prédictions, je veux généraliser. Je peux réfléchir. Je peux penser, une théorie est faite pour penser. Elle n'est pas faite pour l'action. Elle se plante chaque fois qu'elle est dans l'action.

Étudiante
Est-ce que l'argumentation de ....Auteur X..
ils disent qu'à partir du moment où c'est un petit village donc un milieu fermé, les caractéristiques que l'on pourra sortir des observations pourront se généraliser à d'autres villages puisque c'est un milieu très fermé.

Professeur
Les caractéristiques ne pourront pas être appliquées à d'autres villages. Si on trouve un village ayant des caractéristiques semblables, dans lequel un processus X qui était le processus étudié dans le village A se met en route, alors peut-être que ce processus se déroulera, mais c'est pas les caractéristiques que j'infère.
Je tiens compte des caractéristiques et je me dis " Si les caractéristiques d'une situation dans laquelle j'ai observé des phénomènes, sont présentes dans l'autre situation, peut-être que, le phénomène se mettant en route, il va se dérouler comme il s'est déroulé. Mais je ne généralise pas à aucune population. Au contraire, je suis conditionnel.

      Les difficultés des étudiants concernant la monographie tournent donc autour de deux axes. D'une part, on constate que trois conceptions de la généralisabilité des résultats d'une recherche sont en présence dans ces extraits (Diff.A-B-D-E). Un deuxième axe concerne plutôt le constat, par certains étudiants, du manque de consensus au sujet de la question de la généralisabilité de la monographie ( Diff. C-F).

      Premier axe: différentes conceptions de la généralisabilité

      En ce qui concerne le premier axe, il semble que l'un des étudiants soit convaincu, par la lecture d'un ouvrage sur la monographie, que les résultats de la monographie pouvaient être généralisés à partir de la démonstration que le cas étudié est un cas type, ou un cas représentatif de l'ensemble des cas. Autrement dit, il s'agirait du même raisonnement que celui de la démarche statistique qui, à partir de la démonstration de la représentativité d'un échantillon d'une population, généralise les résultats à l'ensemble de la population de référence. Il s'agit donc ici d'une conception de la généralisation qui s'apparente à celle décrite dans la stratégie statistique (chapitre 8).

      Mais la "généralisation" des résultats de la monographie, selon le chapitre 8, procède d'une autre logique que celle qui prévaut dans la stratégie statistique. À la lecture de l'extrait du chapitre 8 ci-dessous, on pourrait croire que les résultats d'une monographie, s'ils sont "fondamentaux et essentiels" peuvent être généralisés à d'autres situations semblables.

Chapitre 8

Dans une stratégie monographique la généralité des conclusions est recherchée non pas par l'abondance des informations obtenues sur un seul sujet, mais par la réduction de la totalité des informations aux informations essentielles ou fondamentales.

Ces informations seraient communes à tous une fois qu'on les a dégagées de ce qui est particulier au sujet qui a fourni l'information et de ce qui relève du contexte dans lequel le sujet se trouvait à ce moment-là.

Dans l'étude de cas ou dans l'étude clinique, le chercheur essaye d'obtenir le plus possible d'informations sur le sujet de la recherche, sur sa situation, sur son contexte et son histoire, afin de disposer de toutes les informations nécessaires afin de pouvoir y distinguer les données fondamentales (transcendantales) et les données contingentes (contextuelles, épisodiques)._ (Chap.8, p.3, paragraphe 2.)

      Dans cet extrait, la généralisation des résultats n'est pas une généralisation par inférence, mais une généralisation par abstraction, comme celle dont il est question en phénoménologie. Le chercheur doit décanter ce qui est épisodique, idiosyncratique (réduction phénoménologique), afin de dégager les données essentielles (transcendantales). Ainsi, les traits généraux essentiels d'un cas peuvent être identiques aux traits généraux d'un autre cas.

      De plus, si on observe la réponse du professeur dans les extraits de l'enregistrement vidéo, on constate qu'il fait référence à une troisième conceptions de la généralisabilité, soit celle du transfert conditionnel. Dans cette perspective, les résultats peuvent être transférés à d'autres situations, dans la mesure où certaines conditions sont respectées à l'intérieur de la nouvelle situation.

      Le chapitre 8 comporte donc une ambiguïté au sujet de la généralisabilité de la monographie, puisque la distinction entre les trois façons de l'envisager n'est pas pointée de façon évidente. Ainsi, l'étudiante envisage la généralisabilité en termes d'inférence (stratégie statistique), le chapitre 8 l'envisage en terme d'abstraction (phénoménologie), alors que le professeur parle de transfert conditionnel. L'ambiguïté concernant la généralisabilité des résultats de la monographie n'a donc pas été levée complètement lors du cours.

      La généralisabilité des résultats d'une recherche semble donc être envisagée par certains étudiants, comme une possibilité de prédiction à l'échelle de la population de référence. La référence en terme de généralisation, est donc celle de la stratégie statistique. Dans l'interprétation, nous allons essayer de comprendre son origine.

      Deuxième axe: Le manque de consensus au sujet de la généralisabilité

      Le deuxième axe de difficulté concerne le constat, par un étudiant, du manque de consensus entre les chercheurs au sujet de la généralisabilité des résultats de la monographie. L'auteur qu'il a lu et son directeur de recherche affirmant que la généralisation est possible, alors que le professeur affirme qu'elle ne l'est pas, du moins dans la conception de type inférentielle. Comme nous l'avons mentionné ci-dessus, l'ambiguïté n'a pas été levée complètement à ce sujet. Cela pose, pour l'étudiant, un problème important s'il envisage, comme cela semble être le cas (voir Diff.-F), de faire une monographie comme mémoire ou comme thèse. Au delà des discussions des méthodologues au sujet de la généralisabilité des résultats de la monographie, que doit-il conclure pour sa propre recherche?


8.3.2 Interprétation des difficultés

      L'analyse des questions 3 et 5 du questionnaire exploratoire sur la science nous a permis de faire ressortir que certains étudiants ont une conception épistémologique qui se rapproche du positivisme empirique. Cela pourrait expliquer le fait que certains étudiants envisagent la généralisabilité des résultats comme une possibilité d'inférence des résultats à une population de référence ( comme dans la stratégie statistique) et qu'il s'agisse là d'un critère de rigueur essentiel à la recherche.


8.3.2.1 La conception positiviste empiriste de certains étudiants

      Certaines réponses à la question 3 du questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science nous ont permis de constater que quelques étudiants partagent une épistémologie de type positiviste empirique.

      L'analyse des réponses à la question 2 n'est pas développée ici. Elle a cependant permis de constater que les étudiants , pour la très grande majorité, semblent avoir compris le sens de la définition 100  . La définition de la science proposée est de type positiviste empiriste. En demandant l'opinion des étudiants à la question 3, nous voulions savoir s'ils partagent cette définition.

      Questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science

      Question 2
Expliquez la signification de chacun des termes ou des expressions soulignés dans la définition suivante:

      " La science est une connaissance objective qui établit entre les phénomènes des rapports universels et nécessaires autorisant la prévision de résultats (effets), dont on est capable de maîtriser expérimentalement ou de dégager par l'observation la cause. "

      Question 3
Etes-vous en accord avec la définition de la science énoncée précédemment? Justifiez.

      

      
Tableau X : Questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science - Question 3
Catégories Nombre de réponses
01,01 O Si...-Si on parle de science positive c-à-d où l'objet est isolable 1
01,02 O Si...- Si on parle de science positive, pas en éduc car sujets ont une mémoire et sont irréversibles 1
01,03 O Si... - Possible mais doute que ce soit possible en éducation où rech est subjective 2
01,05 O Si...-Si l'objet de science est lien de causalité, mais que fait-on avec rech.descriptives, explo, oeuvres d'arts ou recensions d'écrits? ( Elle-il commente la définition mais ne répond pas à la question) 1
02,01 N-Vrai sur papier, mais science pas toujours connaissances objectives 1
02,02 N- Connaissance est souvent biaisée 1
02,03 N- Science comporte encore de la subjectivité 1
02,04 N- La science ne peut pas tout contrôler (Définition n'est pas vraie intégralement) 1
02,05 N - Si c'était vrai, pas de place pour la découverte 1
02,06 N- Science n'a pas encore déterminé certaines causes 1
02,07 N-Car selon déf. science = perspective méthodes seulement 1
02,08 N- Car Rapp.univ.et nécessaires signifie « vérificabilité«  condamnée par Popper et remplacée par « testabilité«  ( confirmation vs infirmation?) 1
03,01 O- Parce que tout ce qui n'est pas vérifiable objectivement n'est pas scientifique (vérifié avec expérimentations) 1
03,02 O - Aussi longtemps que chose est justifiable et reproductible.Mais peut être modifiée aussi. (Ne répond pas à la question : parle de ce qu'est un énoncé scientifique, mais ne se branche pas sur la définition de la science.) 1
oui. Aussi longtemps qu'une chose est justifiable, reproductible, cela tient mais peut être aussi modifiée. (S-12) [ ambiguïté ]
03,03 O- Il n'y a pas de subjectivité dans la science 1

      Les réponses codées 01 comportent des restrictions. En fait, les étudiants sont d'accord avec la définition si on l'applique à la science positive et ils émettent des doutes sur sa pertinence en sciences de l'éducation. Finalement, on peut dire que cette définition positiviste empirique de la science ne correspond pas, pour eux, à la recherche effectuée en science de l'éducation, mais cela ne nous permet pas de déterminer s'ils partagent ou non cette épistémologie. Ces réponses peuvent cependant comporter un biais. Le questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science a été distribué aux étudiants à la fin de la première séance de cours. Cette première séance portait sur le chapitre 1, soit sur les présupposés épistémologiques du professeur. La section 4 de ce chapitre porte le titre suivant: " Une science pour l'éducation: pas une science positive mais une science morale". Le professeur insistait alors sur le fait que l'éducation n'est pas une science au sens positiviste. Ainsi, le terme "science positive" provient très probablement du discours du professeur.

      Les réponses portant le code 03 sont en accord avec la définition, bien que la réponse du sujet S-12 soit un peu ambiguë. Ce qui n'est pas vérifiable objectivement n'est pas scientifique, ce qui comporte de la subjectivité non plus ( 3 sujets) . On peut donc affirmer que, dans 2 cas, les étudiants ont une position positiviste empirique.

      Les réponses codées 02 sont des réponses où les étudiants affirment qu'ils sont en désaccord avec la définition proposée. Cependant, cinq (5) des justifications mentionnées nous montrent que les étudiants ne remettent pas en question la définition, mais plutôt la capacité de la science à la respecter! En effet, les justifications suivantes montrent que les étudiants semblent conclure à l'incapacité de la science à respecter les éléments de la définition. Ainsi dans 5 cas, la conception de la science qui constitue la référence ( l'idéal à atteindre peut-être) est la conception positiviste empirique.

      En conclusion, 2 sujets (codés 03,01 et 03,03) semblent avoir clairement une position positiviste empirique vis-à-vis de la science. Cinq autres ( Codés 02,01-02,02-02,03-02,04-02,06), semblent en désaccord parce que la science peut difficilement respecter les exigences de la définition, mais la référence semble être cette définition. Sans affirmer que ces 7 étudiants partagent une épistémologie clairement positiviste empirique, on peut penser qu'il s'agit à tout le moins de leur modèle de référence.

      La question 5, quant à elle, concerne la nature de la connaissance scientifique. L'étudiant doit expliquer pourquoi certains phénomènes ne peuvent être expliqués par la science (phénomènes paranormaux, existence de Dieu, etc.). En fait, il s'agit d'une question qui s'intéresse à l'objet de la science lui-même. De par la formulation de la question, nous voulions obliger l'étudiant à réfléchir sur l'objet de la science et à formuler sa représentation de ce qui peut être objet de la science.

      Question 5
La science ne peut donner d'explication scientifique aux phénomènes suivants :

  • les phénomènes paranormaux (clairvoyance, médium etc.)
  • les expériences mystiques (les "miracles", etc.)
  • l'origine de l'univers (Qu'y avait-il avant le "Big Bang" ?)
  • la réincarnation
  • l'existence de Dieu

      À votre avis pour quelle(s) raison(s)?

      
Tableau XI : Questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science - Question 5  101 
Nombre de réponses Catégories de réponses
2 01,01 Impossibilité de réplication - recréer phénomène en laboratoire et obtenir mêmes résultats
2 01,02 Impossibilité de réplication - Impossibilité de contrôle
3 02 Impossible de trouver la cause de ces phénomènes, impossible de prouver leur existence
2 03 Impossible de procéder à une expérimentation
8 04 Phénomènes invisibles, pas mesurables, pas quantifiables
1 05 Observation objective est impossible
1 06 Impossible de définir le problème ou le phénomène
3 07 Grandes orientations, religions.
1 08 Pas des sciences positives
4 09 Réponses ambiguës ou manquant de précision

      À partir des justifications fournies par les étudiants, on peut donc conclure que, pour qu'un objet puisse être étudié par la science, on doit pouvoir répliquer l'expérimentation, recréer le phénomène en laboratoire ( 01,01, 01,02 et 03) ; on doit pouvoir prouver leur existence, trouver leur cause (02); on doit finalement le mesurer, le quantifier ou l'observer de façon objective ( 04 et 05). L'ensemble de ces justifications se rapporte clairement à l'épistémologie positiviste de la science et nous amène à croire qu'elle serait partagée par plusieurs étudiants, puisque 18 réponses s'y rapportent.

      Toutefois, cette question comporte une faiblesse importante. Elle suivait la question suivait la question 2 qui, comme nous l'avons vu précédemment, demandait à l'étudiant de dire s'il était en accord avec une définition de la science qui lui était présentée. Comme nous l'avons vu, cette définition était plutôt positiviste empirique. Il est donc possible que les étudiants aient utilisé cette définition comme modèle de référence afin d'élaborer leurs arguments. Si on reprend la définition proposée à la question 2, on peut voir des similitudes avec les réponses des étudiants, notamment en ce qui concerne les catégories 02 ( trouver la cause), 03 ( maîtriser expérimentalement).

      Malgré cela, l'analyse des questions 3 et 5 du questionnaire exploratoire nous permet d'affirmer que la conception positiviste empirique de la science est présente chez certains étudiants. Cette conception épistémologique pourrait être à l'origine d'une difficulté à envisager la monographie comme une recherche scientifique. En effet, l'évaluation de la validité d'une monographie relève d'une toute autre logique épistémologique que celle du positivisme empirique.

      


8.3.2.2 Le problème du consensus en méthodologie de la recherche

      Le constat du manque de consensus dans la communauté scientifique en ce qui concerne la généralisabilité dans la monographie, suggère que l'étudiant est peu familier avec le processus de " construction de la science", c'est-à-dire avec son mode de production et les mécanismes sociaux qui lui sont sous-jacents et qu'il envisage la méthodologie comme une liste de recettes immuables. Pourtant, la méthodologie comme n'importe quel autre secteur de la connaissance, progresse à partir de confrontations entre les membres de la communauté scientifique 102  et elle est donc en constante évolution. De plus, plusieurs épistémologies de recherche véhiculent des points de vue méthodologiques différents et des conceptions de la recherche différentes, ce qui peut évidemment rendre l'étudiant confus.


8.4 Loi, hypothèse, théorie, modèle: Des concepts mal définis et mal distingués


8.4.1 Description des difficultés

      Les difficultés concernant les concepts de loi, hypothèse, théorie, modèle et loi, sont regroupées en trois grandes catégories:

  • Distinction : Modèle, Théorie, Hypothèse, Loi;
  • Les cinq règles de correspondance formelle entre T-M-O;
  • Distinction entre modèle et théorie.

8.4.1.1 Distinction: Modèle, Théorie, Hypothèse, Loi

      Modèle = opérationnalisation de la théorie ( dans le sens théorie-> objet)

      Une première difficulté concerne la définition d'un modèle. Selon le chapitre 5, un modèle se définit comme:

Chapitre 5
Le modèle se définit comme une opérationnalisation particulière de la théorie afin de l'appliquer à un objet (dans le sens: théorie->objet) ou comme une première réduction d'un objet à ses caractéristiques principales en vue de le théoriser (dans le sens: objet->théorie).

Le modèle est une conceptualisation intermédiaire entre l'objet concret et la théorie: le modèle est une représentation simplifiée et conceptuelle de l'objet alors que la théorie est la formulation abstraite et générale du modèle. (chap.5, p. 7, paragraphe 3.)

      Un modèle est donc un outil conceptuel intermédiaire entre l'objet lui-même et la théorie qui sera construire, ou qui a été construite à son sujet ( T <-> M <-> O ). Pourtant, comme le montrent les réponses des étudiants à une question du questionnaire 5, ces derniers définissent l'objet, dans 6 cas sur 11, dans le sens théorie -> objet uniquement.

      
Tableau XII : Description des réponses de la question 9 du questionnaire 5 Q5.09 : Expliquer les termes suivants : Modèle - Objet - Théorie
T -> ; O
ou
T < ;-O
Définition d'objet (Q5.09) Définition de modèle (Q5.09) Définition de théorie (Q5.09)
T -> ; O
T < ;- O
Sujet, situation étudiée « Pratiques » particulières qui peuvent être appliquées, réappliquées dans diverses situations. Modèles qui sont théorisés, qui sont traduits à un niveau d'abstraction
T -> ; O
T < ;- O
Ce que l'on veut étudier Concrétisation d'un concept (rationnel, manipulable) Généralisation dans un contexte de l'objet.
T -> ; O
T < ;- O
Réalité concrète Représentation conceptuelle de l'objet. Opérationalisation particulière de la théorie Formulation abstraite et générale du modèle.
T -> ; O Dans un modèle, des objets sont mis en relation. Un modèle est une opérationalisation d'une théorie. Ainsi à partir des théories du traitement de l'information il est possible d'élaborer un modèle du traitement des phrases sous formes négatives. Une théorie est générale et permet d'expliquer par déduction des phénomènes. Des modèles sont déduits.
T -> ; O La matière, la substance. Représentation simplifiée de la théorie, cela peut-être un schéma, une formule mathématiques (modèle) Formulation abstraite et générale applicable à une partie (portion de l'univers) une théorie est bonne pour expliquer des phénomènes.
T -> ; O La réalité ou la référence concrète Une opérationalisation d'une théorie Un énoncé abstrait et qui est au-dessus des deux précédents.
T -> ; O Ce sur quoi porte la théorie par le modèle Application d'une théorie à un objet Représentation abstraite de la réalité.
T -> ; O Ce qui est étudié, observé, le thème Ce qui est construit à partir d'une théorie Énoncé général, tenu pour vrai, vérifiable dans certains contextes et pour certains objets
T -> ; O Indices observables et mesurables. A des variables, opérationnalisation. Ex: le concept de nombres chez Piaget. Abstraite ex: théorie de Piaget
? Quelque chose de matériel qui affecte la vue Quelque chose qui sert d'imitation Ensemble d'idées abstraites (tout ce qui est abstrait)
? Ce qu'on étudie Plus spécifique Plus général, plusieurs modèles.

      Ainsi, les trois premiers étudiants dans le tableau ci-dessus, définissent le modèle dans le sens T->O, mais ils définissent cependant la théorie dans le sens T <- O. Chez les six étudiants suivants, cependant, on constate que la définition de modèle est toujours effectuée dans le sens T -> O, même si la théorie est définie en termes d'énoncés généraux et abstraits.

      L'analyse des réponses à la question 1 du questionnaire 8 montre également, entre autres, une propension des étudiants à définir le modèle presqu'exclusivement dans le sens T-> O. Mais elle montre également, une difficulté des étudiants à distinguer loi et théorie , de même que modèle et hypothèse.

      

      Le tableau des pages suivantes présente donc les réponses à la question 1 du questionnaire 8. Dans cette question, on demandait aux étudiants ce qui distingue une théorie, un modèle, une hypothèse et une loi. Tous les étudiants ont répondu en donnant une définition de chacun des concepts, parfois en liens avec les autres, parfois pas.

      La première colonne à gauche du tableau présente un bilan des lignes, où les définitions sont schématisées selon leur sens. Ainsi, T -> O signifie que les réponses du sujet montrent une compréhension des concepts qui va dans le sens de la déduction, c'est-à-dire de la théorie vers l'objet. La dernière ligne du tableau présente également des bilans de colonnes, qui donnent un portrait rapide de l'ensemble des réponses des sujets pour chacun des concepts.

      Tableau Fichier Ana Q8.01

      (2 pages)

      
Tableau XIII : Description des réponses à la question 1 du questionnaire 8
Tableau non disponible

      Si on regarde le bilan de la colonne au sujet du modèle, on constate que tous les étudiants définissent le modèle dans le sens T -> O. Cependant, le bilan des lignes nous permet de constater que les sujet (4) et (7) définissent la théorie dans le sens T <- O également.

      Confusion entre Théorie et Loi et entre Modèle et Hypothèse

      Si on regarde toujours le tableau précédent, au bilan de la colonne au sujet de l'hypothèse et au sujet de la loi, on constate d'abord que le concept de loi est mal compris et que la définition qui lui est attribuée ressemble à celle de théorie.

      Ensuite, le sujet (8) affirme que le modèle est à la théorie, ce que l'hypothèse est à la loi. Autrement dit, il s'agirait de deux systèmes d'organisation différents, l'hypothèse étant un construit permettant d'établir les restrictions du champ de validité d'une loi.


8.4.1.2 Les 5 règles de correspondance formelle entre objet (O)-modèle (M)-théorie (T)

      L'un des critères latents d'estimation consiste en critères de rationalité dont celui qui a pour titre "Correspondance formelle entre objet, modèle et théorie". Il s'agit des règles de construction des modèles et des théories d'un objet. En effet, les modèles construits doivent être isomorphes à la théorie et homomorphes à l'objet, et ce, pour que la vérification de la théorie soit possible 103  . Les règles sont énoncées dans l'extrait du chapitre 5 suivant:

Chapitre 5
Correspondance formelle entre, objet, modèle et théorie

Consiste en l'exigence pour les théories et les modèles construits d'un objet ou d'une situation d'avoir un rapport à la réalité concrète de cet objet ou de cette situation, sans quoi aucun fait ne pourra les mettre en cause ni exiger une correction de leur formulation ou la reconnaissance d'une limite. Cette exigence est essentielle dans les recherches aux enjeux nomothétiques car elle est une condition nécessaire à la vérification.

De manière générale, théorie et modèle doivent être isomorphes, tandis que le modèle et l'objet n'ont qu'une relation homomorphe .(chap.5, p.7, paragraphe 2.)

L'exigence d'une correspondance formelle de la théorie au modèle et du modèle à l'objet s'exprime par cinq règles que l'on peut aussi représenter graphiquement . Chap.5, p.8, paragraphe 2.

1° A chaque élément du modèle correspond un élément et un seul élément de la théorie, et réciproquement. Cette règle découle des définitions et explicite l'exigence de l'isomorphisme de la théorie à ses représentations opérationnelles (modèles). (chap.5, p.9, paragraphe 1)

2° À chaque élément du modèle correspond un et un seul élément de l'objet, mais cette relation n'est pas réciproque. Cette règle précise que le modèle ne doit pas ajouter à l'objet des caractéristiques qu'il ne possède pas. (Chap.5, p.9, paragraphe 2)

3° Tout élément de l'objet n'a pas nécessairement son correspondant dans le modèle. Ceci exprime le fait que la réalité dépasse la théorie et le modèle, bien que leur objectif soit de représenter au mieux l'objet. Reste cependant que tout nouveau modèle doit représenter l'objet mieux que ses prédécesseurs. (chap.5, p.9, paragraphe 3)

4° À un élément de l'objet peuvent correspondre plusieurs éléments du modèle. Ceci exprime le fait que la complexité des éléments constitutifs de l'objet peut exiger plusieurs éléments du modèle pour rendre compte d'un élément de l'objet. Cela peut aussi vouloir dire qu'il faut souvent recourir à plusieurs modèles et théories pour rendre compte de la complexité d'un objet. (chap.5, p.10, paragraphe 1)

5° La présence et l'absence d'un même élément dans l'objet ne peuvent pas correspondre à un seul élément du modèle, sans quoi le modèle devient une représentation équivoque de l'objet. Pour la même raison, deux éléments différenciés de l'objet ne peuvent pas correspondre à un seul élément du modèle. Or, si le modèle devient une image équivoque de l'objet il aura tendance à devenir une interprétation passe-partout, un dogme qui résiste à la réfutation.(chap.5, p.10, paragraphe 2)

      L'analyse des réponses à la question 10 du questionnaire 5 montre que les étudiants ont de la difficulté à comprendre ces règles de correspondance. La question 10 présentait aux étudiants, un schéma identique à celui qu'ils avaient dans leur chapitre et sur lequel étaient représentées les 5 règles. Chacune des flèches représentant une relation était numérotée et ils devaient énoncer cette règle.

      

Figure 33 : Schéma présenté à la question 10 du questionnaire 5  104 

      Six étudiants seulement ont répondu à cette question et les réponses peuvent être regroupées comme suit:

      
Tableau XIV : Description des réponses à la question 10 du questionnaire 5
Catégories Description des réponses Q5.10
Compréhension réelle des 5 règles Étudiant 4: Décrit les relations à peu près correctement et donne des justifications valables.

1) À chaque élément du modèle correspond un élément de la théorie. La réciproque est aussi vraie. La relation entre modèle et théorie est une relation d'isomorphisme. La théorie et le modèle ne sont pas au niveau de la réalité. Ils correspondent à des constructions qui tentent d'expliquer la réalité.
2) À chaque élément du modèle correspond un élément de l'objet. La réciproque n'est pas vraie.
3) Tout élément de l'objet n'a pas nécessairement son correspondant dans le modèle. L'objet fait partie de la réalité. Or la réalité est très complexe. S'il fallait faire correspondre tous les éléments de l'objet dans le modèle, on n'arriverait jamais à construire un modèle, tellement il serait complexe.
4) À un élément de l'objet peuvent correspondre plusieurs éléments du modèle. Ça veut dire qu'il faut parfois avoir recours à plusieurs théories, plusieurs modèles pour décrire un objet. Il faut se souvenir qu'un objet fait partie d'une réalité très complexe.
5) Deux éléments différenciés de l'objet ne peuvent pas correspondre à un seul élément du modèle.
Rappel en utilisant le schéma mais aucune compréhension témoignée Étudiant 1: Décrit les relations à peu près correctement mais ne donne aucune explication

1) À chaque élément du modèle correspond 1 seul élément de la théorie
2) À chaque élément du modèle correspond 1 seul élément de l'objet
3) Tout élément de l'objet ne doit pas forcément trouver correspondant dans le modèle.
4) À un élément de l'objet peuvent correspondre beaucoup d'objets du modèle
5) Deux éléments différents de l'objet ne peuvent pas exister dans le modèle
  Étudiant 2 : Comme si le modèle incluait l'objet et la théorie incluait le modèle.

1) On peut partir de la théorie au modèle ou l'inverse.
2)On part du modèle à l'objet
3) Le même objet a plusieurs facettes
4) Les objets du modèle font partie de l'objet réel
5) Différentes facettes de l'objet réel, on peut les trouver au modèle.
Confusions :


Confusion entre induction-déduction et réciprocité des règles de correspondance formelle
Étudiant 3 : Réciprocité de la relation signifierait que le modèle peut être déduit de la théorie et la théorie induite du modèle.

Relation unidirectionnelle signifierait que seule Induction est possible (Fonction de la modélisation en recherche)

1) Théorie et modèle sont isomorphes. Le modèle peut-être déduit directement de la théorie et la théorie peut être induite du modèle. Il y a relation directe entre les éléments de la théorie et les éléments du modèle.
2) Un modèle peut s'appliquer à des objets et en expliquer les relations. Cependant, le lien entre objet et modèle est unidirectionnel car il n'y a qu'un lien inductif de l'objet au modèle. Les éléments du modèle peuvent mais pas nécessairement correspondre à l'objet.
3) Un objet peut correspondre à tous les éléments d'un modèle
4) Un modèle peut avoir des éléments qui correspondent à un seul objet.
5) Un objet n'est pas expliqué par un modèle. Relation unidirectionnelle entre modèle et objet. Il n'est pas nécessaire, ou certain, qu'un objet ait un élément correspondant d'un modèle ou d'une théorie.
Confusion entre règles de correspondance formelle et critères de rigueur méthodologique Étudiant 5 : Hors-contexte, utilise les 5 critères de rigueur (validité, fidélité etc.)
La validité de la réponse est douteuse parce qu'exactement comme dans le chapitre. Étudiant 6 : Complète. Règles et explications tels quels comme dans le chapitre.

      Après analyse des réponses à la question 10 du questionnaire 5, nous constatons que les étudiants maîtrisent mal ces règles de correspondance formelle entre objet, modèle et théorie. En fait, un seul ( si on exclu la réponse de l'étudiant 6) réussit convenablement à répondre à la question alors que des éléments facilitateurs (schéma, flèches déjà identifiées) étaient présents dans la question. Il s'agit de règles abstraites qui, si elles ne sont pas soutenues par une compréhension solide des concepts en jeu et de leur relation, exigent un apprentissage quasi "par coeur". Or, comme nous l'avons vu plus haut, des confusions sont présentes chez les étudiants par rapport aux concepts de modèle, de théorie, de loi et d'hypothèse, ce qui ne facilite pas leur travail.

      Finalement une dernière grande catégorie de difficultés regroupent celles qui ont trait à la difficulté d'appliquer concrètement les différentes définitions acquises dans le cours, afin de distinguer les constructions théoriques qui constituent des modèles de celles qui constituent des théories.


8.4.1.3 Distinction entre modèles et théories

      Le tableau qui suit résume une partie de la discussion de la séance sur le chapitre 5, qui portait sur la question des modèles et des théories. Les étudiants devaient, dans leur préparation du chapitre avant le cours, appliquer les nouvelles connaissances en méthodologie, à leur propre champ d'intérêt ou de pratique professionnelle. Ainsi une étudiante avait essayé de repérer des modèles et des théories, à l'intérieur de son champ de compétence professionnel qui est la toxicologie. Le résumé a été découpé en quatre sections qui représentent autant de difficultés.

      
Tableau XV : Description des interventions ( V5.07)

Distinction entre les différents types de théories:
descriptives, interprétatives, prescriptives, etc.
( Chapitre 3)
V5.07.1
Dans les théories du développement il y a des modèles : Modèle piagétien, modèle humaniste
En toxicologie il y a : des théories " boire contrôlé" et " abstinence" sont des théories dont découlent des modèles (psychosocial, AA, médical , etc.).

Une théorie englobe donc plusieurs modèles :
La théorie de l'abstinence c'est bien une théorie puisqu'elle englobe plusieurs modèles (psychosocial, AA, modèle médical etc).
Regardons la définition de théorie dans le chapitre et abstinence correspond à ça.

Le Professeur intervient pour demander si on ne serait pas en présence d'autre chose que d'une théorie scientifique.

L'étudiante reprend la définition de théorie du chapitre 5 et affirme que l'abstinence est bien une théorie, pour finalement admettre qu'il s'agissait plutôt d'une théorie prescriptive.
Distinction entre modèle et théorie V5.07.2.
Piaget c'est à la fois un modèle et une théorie. C'est une théorie qu'on essaie de voir sous un certain angle, qui est le modèle .
Modèle piagétien = base de la théorie de Piaget

Le Professeur explique la différence entre modèle et théorie à l'aide de la théorie de Piaget.

V5.07.3
L'étudiante pensait qu'on y allait de façon convergente.

V5.07.4.
L'étudiante constate qu'on utilise de façon indifférenciée modèle et théorie.
Un modèle serait une application de quelque chose de plus large qui est la théorie et la théorie serait un modèle de quelque chose de plus large encore.

Le professeur explique que la théorie est un modèle abstrait tout à fait général et que le modèle est une spécification par rapport à un domaine particulier, qui permettra de faire des simulations .
Distinction entre modèles induits et modèles déduits
V5.07.5
Un autre étudiant se demande si le modèle permet de théoriser .

Le professeur explique que, dans la démarche inductive, un certains nombre d'éléments seront induits au niveau d'un modèle. Les hypothèses induites dans une perspective exploratoire seraient des quasi-modèles. Un ensemble de modèles pourra constituer une théorie. Mais il y a aussi des modèles déduits.
Distinction entre les différents types de théories:
descriptives, interprétatives, prescriptives, etc.
( Chapitre 3)
V5.07.6
Un étudiant se demande si la théorie générale des systèmes est une théorie descriptive. Il croit que oui, parce qu'on fait une analyse à partir de ça, c'est une théorie qui sert à décrire.

Le professeur explique qu'il s'agit d'une méta-théorie qui décrit le protocole de toute théorie systémique. C'est donc la fonction de la théorie qu'il est important d'examiner.

      Ce résumé de la discussion comporte la manifestation de trois difficultés différentes. D'abord, une difficulté qui a trait à la distinction entre les différents types de théories. Au chapitre 3, le professeur indique l'importance de distinguer 5 types de théories:

  • les théories descriptives ou empiriques
  • les théories interprétatives ou herméneutiques
  • les théories prescriptives
  • les théories stratégiques
  • les métathéories.

      En effet, les types de théories ont des exigences de validité différentes, qui sont associées à leur prétention. Ainsi, on ne demande pas, par exemple, aux théories interprétatives, de décrire la réalité, ces dernières étant construites pour fournir une interprétation de la réalité. La distinction entre modèle et théorie, telle que mentionnée dans le chapitre 5, concerne la recherche nomothétique, donc, les théories descriptives ( ou empiriques), mais cette information ne semble pas avoir été retenue par les étudiants, bien qu'elle soit inscrite de façon explicite. La difficulté vient donc du fait que les étudiants confondent les types de théories entre elles.

      Toutefois, les étudiants confondent également les concepts de théorie et de modèle, ce qui constitue la deuxième difficulté. Comme l'a mentionné lui-même l'étudiant, les termes modèles et théories sont souvent utilisés de façon interchangeable. Ainsi il est courant de parler du modèle humaniste, de théorie du développement et d'approche piagétienne. La difficulté réside probablement dans le fait que l'étudiant manque de repères afin de savoir si ce qu'il a en tête est plus ou moins abstrait qu'une autre entité. Dans ce sens, les définitions formelles de théorie et modèle au chapitre 5, ne fournissent pas les informations nécessaires à cet égard. Ainsi, savoir que le modèle est une opérationnalisation de la théorie ne peut nous servir que si , au minimum, on connaît très bien la théorie en question.

      Finalement, la dernière difficulté porte sur le fait qu'un étudiant demande si un modèle peut permettre de théoriser. On voit ici que l'étudiant envisage la relation entre théorie et modèle dans le sens T->M, c'est-à-dire dans le sens de la déduction, mais que le raisonnement inductif, c'est-à-dire le sens T<-M est moins bien compris. Encore une fois, on constate que la question de l'induction de théories à partir de modèles semble constituer quelque chose de nouveau pour les étudiants.

      


8.4.2 Interprétation des difficultés

      Bien que les difficultés mentionnées précédemment concernent les mêmes concepts, elles nous semblent provenir d'origines différentes.

Définition de modèle dans le sens T -> O seulement

Difficulté au sujet des modèles induits

( mauvaise compréhension du modèle dans le sens T <- M )

      La difficulté des étudiants à comprendre le concept de modèle induit et leur propension à définir le modèle par un raisonnement déductif ( T -> O), suggèrent qu'ils envisagent les théories comme étant des entités qui préexistent à l'activité du chercheur et qui ne seraient donc pas construites par l'activité des chercheurs ( sens T<-O), ou encore, qu'elles seraient le résultat d'une construction conceptuelle sans lien avec des données empiriques. De fait, si la théorie est le fruit de l'esprit du chercheur mais qu'elle n'est pas fondée sur des faits empiriques, la théorie est un "en-soi" et le modèle induit à partir de la réalité n'a pas d'utilité.

      Il est toutefois intéressant de remarquer que, dans la présentation des règles de correspondance O-M-T, la question des modèles induits n'apparaît pas dans le schéma. Si on observe le schéma de la question Q5.10, à la page 193, on constate que les seules flèches qui vont dans le sens d'une induction du modèle à partir de l'objet, indiquent des relations interdites 105  . En fait, il s'agit d'un schéma qui indique les relations T-M-O qui sont nécessaires pour que la vérification de la théorie soit possible. Mais cela n'exclut pas l'existence des modèles induits qui servent à l'élaboration des théories. Ainsi, il est possible que l'attention des étudiants se soit centrée sur le schéma et qu'ils aient ainsi perdu de vue l'existence du mouvement inverse de celui présenté dans le schéma.

      

Problème de distinction entre Modèle et Théorie ( Application)

Problème de distinction entre les 5 types de théories

      Le problème de la distinction entre modèle et théorie ainsi que celui de la distinction entre les 5 types de théories, semblent provenir d'une difficulté à appliquer les définitions à des théories existantes. Par exemple, on peut très bien savoir ce qu'est une théorie interprétative, mais avoir de la difficulté à déterminer si la théorie de Freud est une théorie interprétative, prescriptive ou autres. Par ailleurs, le modèle étant une opérationnalisation particulière de la théorie, comment distinguer le modèle de la théorie elle-même lorsqu'on a affaire à un nombre restreint d'énoncés théoriques? Finalement, il s'agirait là d'un troisième niveau d'apprentissage.

      Un premier niveau consisterait en la compréhension de chacun des concepts, ainsi que de leurs distinctions:

  • Distinguer modèle et théorie à partir de leurs définitions
  • Distinguer les 5 types de théories à partir de leurs définitions

      Un deuxième niveau concerne la capacité à trouver des exemples de chacun de ces concepts:

  • Exemple: distinguer la théorie de Piaget, d'un modèle piagétien issu de la théorie
  • Exemple: le behaviorisme est une théorie descriptive, la psychanalyse est une théorie interprétative, etc.

      Finalement un troisième niveau consiste à être en mesure de déterminer à quoi correspond une théorie ou un modèle ou à déterminer le type théorique d'une théorie particulière:

  • Tel ensemble d'énoncés correspont-il à un modèle ou à une théorie ?
  • La théorie de l'information est une théorie de quel type ?

      Pour arriver à ce troisième niveau de compréhension, l'étudiant doit donc maîtriser parfaitement les concepts, mais il doit maîtriser également la théorie ou le modèle dont il est question. En effet, comment déterminer le type théorique d'une théorie que l'on connaît peu ou mal ? De plus, les théories sont souvent plutôt d'un certain type, mais rarement exclusivement de ce type.

      Ainsi, la compréhension des étudiants concernant les distinctions entre modèle et théorie et entre les 5 types théoriques reste au premier niveau, c'est-à-dire, celui de la distinction dans l'abstrait.

Confusion entre Théorie - Loi et Modèle - Hypothèse

Manque de maîtrise des 5 règles de correspondance formelle T-M-O

      La confusion entre Théorie-Loi et Modèle-Hypothèse ainsi que le manque de maîtrise des 5 règles de correspondance T->M -> O, suggèrent que les étudiants n'ont pas assez travaillé le chapitre avant de se présenter au cours, particulièrement en ce qui concerne les 5 règles de correspondance. Les 5 règles, telles que présentées au chapitre 5, sont définies de façon abstraite et c'est donc le premier niveau de compréhension, tel que décrit précédemment, qui n'est pas maîtrisé. Pire encore, la question qui a permis d'observer cette difficulté (Q5.10) demandait un simple énoncé des règles à partir des relations déjà tracées dans le schéma. Il ne s'agit donc pas d'un problème de compréhension comme tel mais plutôt d'un problème de rappel pur et simple. Toutefois, la compréhension des 5 règles aurait pu grandement faciliter le rappel puisqu'elles pouvaient être déduites à partir du schéma présenté.


8.5 Des malentendus terminologiques

      Ces difficultés semblent avoir pour origine, un malentendu au sujet d'un concept ou d'une expression. La plupart du temps, il s'agit de l'utilisation du sens commun associé à un concept et non à son sens technique ou, encore, de la mauvaise utilisation d'un concept apprit antérieurement.


8.5.1 Généralisation des résultats ou résultats qui s'appliquent " en général"

      Cette difficulté a été traitée sous un autre aspect à la section 8.3.


8.5.1.1 Description des difficultés

      Nous nous référons au tableau IX de la page 174. Il s'agit d'un manque de compréhension des exigences logiques de la vérification empirique. La science ne s'intéresse pas à savoir si la théorie fonctionne "habituellement" mais plutôt de connaître exactement son champ de validation. S'il existe un cas où la théorie ne fonctionne pas, on doit restreindre le champ de la théorie.


8.5.1.2 Interprétation des difficultés

      Il s'agit de la confusion entre l'expression courante « en général » avec celle, en recherche, de « généralisation » . L'étudiant utilise sa connaissance commune pour définir la généralisabilité qui a un, et même plusieurs sens particuliers en méthodologie. Le conflit possible entre une interprétation pragmatique et "spécialisée" de concepts a déjà été mentionné auparavant et peut être invoqué ici pour expliquer ce malentendu.  106 

      L'expression courante, " l'événement X se produit en général", signifie que l'événement se produit habituellement, dans la plupart des cas, et laisse entendre qu'il peut y avoir des cas où l'événement ne se produit pas sans que la validité de l'affirmation n'en soit entachée. La généralité peut ainsi avoir été induite à partir de l'observation de quelques cas, par exemple, l'affirmation que les autobus en provenance de Québec arrivent au terminus en général à 8 heures.

      L'expression " généralisation des résultats" comporte, quant à elle, une nécessité d'universalité. En effet, généraliser des résultats obtenus à partir d'un échantillon signifie que le chercheur croit pouvoir affirmer que ces résultats sont également valides pour l'ensemble de la population de référence qui a servi à construire ses échantillons. Évidemment, il s'agit là d'une inférence où la probabilité d'une erreur est toujours présente. Concrètement, il serait donc exact d'affirmer que les résultats ne s'appliquent probablement pas à toute la population de référence ( à moins d'une probabilité d'erreur d'inférence nulle, ce qui est pratiquement impossible). On pourrait donc, en principe, affirmer que la théorie (ou les résultats) s'applique " en général". Mais cette façon de procéder ne peut faire avancer la connaissance scientifique.

      Paradoxalement, la connaissance scientifique avance plus rapidement par la négative. Il suffit qu'un chercheur obtienne des résultats qui montrent qu'il existe une situation dans laquelle les résultats précédents ne sont pas valides pour que l'on puisse affirmer sans l'ombre d'un doute que la théorie "ne s'applique pas de manière générale". La recherche scientifique doit donc déterminer le champ de validité des théories, et ce, de la façon la plus précise possible.

      Nous avons décrit précédemment la difficulté que semble poser le raisonnement par la réfutation, nous en voyons donc ici, une autre illustration 107  . D'abord, le raisonnement par la "négative" n'est pas un type de raisonnement spontané chez les individus et, ensuite, les situations de la vie courante peuvent avoir renforcé cette tendance chez les étudiants. Il est, en effet, tout à fait correct de dire que l'autobus arrive en général à huit heures, mais qu'une théorie soit valide en général n'intéresse nullement la science. Le degré de précision exigé de la recherche scientifique n'est pas le même que celui qui est nécessaire dans la vie courante.


8.5.2 La signification de " Résultats significatifs "


8.5.2.1 Description des difficultés

      La réponse ci-dessous montre que l'étudiant a mal compris la signification de l'expression "significatif".   En effet, l'hypothèse nulle a pour fonction de déterminer si les résultats obtenus sont statistiquement significatifs ou non. L'énoncé de la question laisse croire que l'étudiant interprète qu'autre chose que le test de l'hypothèse nulle déterminera la signification des résultats. L'étudiant pourrait avoir interprété l'expression "résultats non significatifs" comme " résultats insignifiants".

      Q8.06 : Hypothèse nulle = on vérifie si les résultats non significatifs ne sont pas dus au fait que les deux groupes au départ sont différents. L'hypothèse nulle présume que la différence entre les deux groupes est nulle. L'hypothèse de recherche: soupçonner qu'un facteur, un traitement influence par exemple l'apprentissage.


8.5.2.2 Interprétation des difficultés

      Cette difficulté pourrait s'expliquer par une utilisation abusive de l'expression "significatifs". Blais (1991) affirme que l'expression "échantillon représentatif" est " souvent employée dans un but rhétorique pour marquer le sceau de l'approbation (ou de la honte lorsque c'est non représentatif) et pour quelquefois ajouter une aura de scientificité" 108  . Nous pensons qu'il pourrait en être de même pour l'expression " significatif", et ce pour deux raisons.

      D'abord, une première raison qui concerne les conflits possibles entre le sens pragmatique d'un concept et son sens "spécialisé", tel qu'explicité ci-dessus. Dans ce cas, "significatif" pourrait avoir le sens de "éloquent", "expressif", "révélateur", synonyme du langage courant. Ainsi l'expression "résultats significatifs" pourrait parfaitement être utilisée pour parler de la décision concernant l'hypothèse de travail, si l'on ne spécifie pas à quoi se rapporte cette signification.

      Cependant, le concept de "signification statistique" est mal compris même à l'intérieur de la communauté scientifique. En effet, le sens de la signification statistique fait aussi l'objet de "fantaisie" chez les chercheurs eux-mêmes 109  . La première fantaisie concerne une interprétation de la signification statistique comme probabilité que les résultats soient réplicables lors d'une expérimentation similaire. La deuxième concerne la probabilité que l'hypothèse de recherche soit vraie et, selon la troisième, indique la probabilité que les résultats de la recherche soient dus à la chance. Ces trois interprétations erronées concernent toutes une décision par rapport à l'hypothèse de recherche.

      La difficulté des étudiants peut donc être due à une confusion possible avec le sens pragmatique de ce terme, ou n'être que la reprise, à la suite de travaux antérieurs, d'une des trois fantaisies courantes par rapport à la signification statistique.


8.5.3 Quand on veut " mesurer ce qu'on veut mesurer" 110 


8.5.3.1 Description des difficultés

      Q5.05 : Que peut-on faire pour vérifier la validité des données? Vérifier si ce qu'on a mesurer est ce qu'on veut mesurer i.e. la relation entre les données et la réalité.

      Q5.02 : Des données fidèles sont-elles nécessairement valides?

  • Données peuvent être très précises mais ne pas être des mesures valides de ce qu'on veut mesurer.
  • La fidélité réside dans la répétition, alors qu'on ne peut pas avoir la même chose deux fois. Alors même si on peut avoir la même chose ce n'est pas nécessairement dire qu'on a mesuré ce qu'on veut mesurer.

      Les étudiants concernés ici ont utilisé une forme de l'expression " mesurer ce qu'on veut mesurer" en rapport avec le concept de validité des données. La première réponse comporte cependant une confusion puisque l'étudiant associe "ce qu'on veut mesurer" à la réalité, ce qui concerne le concept de fidélité. Dans les deux autres cas, l'étudiant semble associer correctement "ce qu'on veut mesurer" au concept, ce qui concerne bien la validité. L'expression "mesurer ce qu'on veut mesurer" pour définir la validité est correcte en soi mais, comme on le voit dans la première réponse, elle véhicule une ambiguïté importante.

      Si on regarde le schéma suivant qui représente les concepts de fidélité et de validité tels qu'enseignés dans le cours, on constate que la référence à "ce qu'on veut mesurer" peut être double: parle-t-on du concept ou de la réalité?

      

Figure 34 : Schéma illustratif de la relation entre validité et fidélité


8.5.3.2 Interprétation des difficultés

      L'expression "mesurer ce qu'on veut mesurer" correspond pourtant à la terminologie utilisée par certains auteurs de manuels de méthodologie. En effet, dans une recherche antérieure, cinq des sept manuels de méthodologie analysés définissent la validité des mesures comme la capacité de l'instrument, de l'indicateur ou de la mesure, de "mesurer ce qu'on veut mesurer" 111  . Ceci correspond également à une vision "psychométrique" de la validité et de la fidélité, puisque ces auteurs définissent également la fidélité par la constance, l'équivalence et l'homogénéité des instruments de mesure. Dans ce contexte, la définition de la validité comme étant la capacité de l'instrument de mesure de "mesurer ce qu'il est censé mesurer" est correcte puisque la fidélité ne recouvre pas cette signification.

      Dans le contexte du cours où les définitions de ces termes sont beaucoup plus larges, la définition de la validité par l'expression "mesurer ce qu'on veut mesurer" porte à confusion, puisque les inscriptions ont alors deux référents, l'un au concept et l'autre à la réalité. Selon notre interprétation, les étudiants utiliseraient donc une définition de la validité entendue ailleurs qu'au cours de méthodologie, mais étant donné les définitions de fidélité et de validité proposées, cette définition devient ambiguë.


8.6 L'étude préalable des textes: un travail de surface

      Le cours était, rappelons-le, organisé de la façon suivante. L'étudiant devait lire un chapitre déterminé avant la séance de cours portant sur ce chapitre. La lecture attendue devait être une lecture approfondie, une étude plus précisément, qui devait permettre à l'étudiant de maîtriser les concepts du chapitre et ainsi que d'identifier ses incompréhensions. L'essentiel du cours était constitué de discussions à partir des difficultés éprouvées par les étudiants. Aucun des chapitres n'a donc été présenté de façon intégrale par le professeur, étant entendu que ce travail avait déjà été effectué par l'étudiant au préalable. L'étude rigoureuse des chapitres était donc un préalable indispensable pour que le niveau de maîtrise du contenu des chapitres soit suffisant.

      Malheureusement, plusieurs difficultés constatées dans notre analyse suggèrent que ce travail n'a pas été fait par tous les étudiants ou alors pas de façon suffisamment rigoureuse. Ces difficultés sont regroupées sous deux thèmes:

      * Du manque de précision

      * De l'organisation conceptuelle.


8.6.1 Du manque de précision

      Ce thème regroupe quatre difficultés. La première, concernant le problème de l'inscription, est une nouvelle difficulté alors que les trois suivantes ont été traitées dans l'une des sections précédentes du présent chapitre.


8.6.1.1 Qui produit ou reproduit quoi ? : le problème de l'inscription

      Certaines difficultés semblent avoir pour origine un manque de précision dans les termes utilisés. Les inversions de termes sont fréquentes et il semble clair que les concepts sont acquis de façon très superficielle.


8.6.1.1.1 Description des difficultés

      La fidélité du phénomène : le phénomène se reproduit

      Q5.04 : Comment peut-on vérifier la fidélité?

      Voir si le phénomène peut se reproduire.

      Q5.01 : Définition

      Fidélité: si je reproduis la même situation je devrais avoir une situation similaire donc, vraisemblance.

      V5.02 Étudiant: Quand on regarde les 8 critères de la situation éducative qui est la (...) prise de décision en situation d'urgence, comment on peut parler de fidélité ? J'imagine que je suis en train de faire une recherche, et je regarde le nombre de situations d'urgence dans une période x, c'est ça mon but et là je dois respecter un critère de fidélité, mais je sais très bien que la même situation ne se reproduira pas deux fois.

      L'événement produit l'inscription

      Q5.05 Que peut-on faire pour vérifier la validité des données

      Vérifier la validité des données implique le consensus de plusieurs chercheurs qui s'entendent sur le fait qu'un événement produit bien telle trace et non pas une autre.

      Q5.03 Des données valides sont-elles nécessairement fidèles?

      Parfois l'événement ne produit pas la trace qu'il devrait produire, donc valides mais pas fidèles

      L'inscription produit l'événement

      Q5.02: Des fidèles sont-elles nécessairement valides?

      La validité est un problème de consensus entre les chercheurs. Comme un même événement peut être produit par plusieurs inscriptions, une inscription fidèle n'est pas nécessairement valide.

      Les inscriptions se reproduisent toutes seules

      Q5.02: Des fidèles sont-elles nécessairement valides?

      Données peuvent se reproduire souvent dans un même contexte tout en étant hors du sujet.

      Les quatres difficultés peuvent être représentées par le schéma suivant :

      

Figure 35 : Schéma de la difficulté. Qui produit ou reproduit quoi ? : le problème de l'inscription

      Visiblement, ces confusions ont leur origine au niveau du sens qui unit la relation entre les phénomènes et les inscriptions. Ainsi, toute la question du statut des données est, comme nous l'avons vu, une source importante de confusion.

      Outre la question de la validité et de la fidélité des données, il semble y avoir un problème au niveau du lien qui unit l'inscription au phénomène, sans que n'intervienne le système inscripteur. L'idée de production du phénomène ou de l'inscription n'est pas issue du chapitre lui-même. Nous avons repéré à travers les deux chapitres 5 et 8, l'ensemble des extraits où le verbe "produire"ou un dérivé de ce mot était utilisé 112  . D'abord dans le chapitre 8, on parle de produire des connaissances, des résultats ou des énoncés théoriques dans le contexte où l'on parle des différentes stratégies de recherche. Il est ici question du produit de la recherche elle-même. Puis on parle aussi de "produire un effet", lorsqu'il est question de l'expérimentation.

      Dans le chapitre 5, on parle également d'énoncés théoriques produits par la recherche, mais on parle aussi " d'inscriptions produites":

Chapitre 5:

(...) la première des exigences est que les inscriptions produites aient un rapport optimal avec la réalité des événements ou des traits dont on prétend relever l'occurrence. C'est, dans le langage classique, poser la question de la fidélité des données. (chap.5, p.1, paragraphe 6.)

Comme plusieurs inscriptions peuvent produire une bonne approximation d'un événement sans que les chercheurs s'entendent sur ce que ces inscriptions veulent dire; on voit qu'une inscription fidèle n'est pas nécessairement valide.(chap.5, p.3, paragraphe 2.)

Par ailleurs, ils peuvent s'entendre sur la dénomination d'une trace alors que le système inscripteur n'est pas fiable et ne produit pas cette trace lorsqu'il devrait la produire; une inscription peut donc être valide sans être fidèle.(chap.5, p.3, paragraphe 2.)

      Mais contrairement à ce qui est rapporté par certains étudiants, l'inscription n'est pas produite par le phénomène ( et le contraire non plus), c'est plutôt le système inscripteur qui produit l'inscription qui elle, est une trace du phénomène. Le chapitre 3 de l'ouvrage décrit bien la relation qui existe entre ces concepts:

Chapitre 3

" Utiliser des appareils et des procédures fournissant une trace matérielle de l'objet des énoncés. C'est la fonction de l'instrumentation, que celle-ci aboutisse ou non à des mesures, à des tableaux, à des graphiques, à des images, à des listes de mots. Latour et Woolgar (1988) appellent ces traces les "inscriptions" de l'objet, ils nomment "inscripteurs" le système grâce auquel ces traces sont produites. " (chap. 3, p. 1, paragraphe 5.)

      La relation entre phénomène, système inscripteur et inscriptions peut être représentée selon le schéma ci-dessous.

      

Figure 36 : Relation entre phénomène, système inscripteur et inscriptions

      C'est donc le système inscripteur qui, appliqué à un phénomène ou un événement, produit des inscriptions qui elles, doivent être fidèles par rapport à l'événement dont elles sont censées rendre compte et valides par rapport au concept qui permet de les nommer. Il n'est donc pas erroné de dire que les inscriptions "produisent quelque chose". Dans la mesure où elles constituent une approximation du réel, les inscriptions produisent une approximation du réel qui est plus ou moins fidèle à la réalité et plus ou moins valide par rapport au concept dont elles sont censées rendre compte.


8.6.1.1.2 Interprétation des difficultés

      L'origine de cette difficulté est difficile à interpréter avec certitude. Cependant, on peut penser que les étudiants ont de la difficulté à comprendre cette terminologie "instrumentation, système inscripteur, inscriptions, traces, etc" qui n'est pas, en plus, une terminologie classique en recherche. En effet, cette terminologie provient de la sociologie des sciences avec des travaux comme ceux de Latour et Woolgar et est encore peu utilisée dans les manuels de méthodologie plus traditionnels.

      Cette difficulté suggère également que le travail d'analyse conceptuelle du chapitre n'a pas été fait en profondeur. L'utilisation de la terminologie du chapitre montre cependant qu'ils l'ont lu, mais le manque de précision de leur discours indique aussi qu'ils le maîtrisent peu.

      Finalement, l'absence de référence au système inscripteur suggère que ces étudiants ne tiennent pas compte du rôle du chercheur dans la construction des inscriptions, comme si la trace n'était pas construite mais donnée.


8.6.1.2 Le statut des données

      Ces difficultés ont été traitées à la section 8.1, mais elles peuvent aussi, certainement en partie, être expliquées par un manque de travail en profondeur du chapitre 5. Comme nous l'avons constaté, les définitions dominantes chez certains étudiants correspondent à celles de la docimologie et elles sont très différentes de celles présentées dans le chapitre 5. Nous pensons que, si le travail d'étude du texte avait été effectué de façon rigoureuse, ces étudiants auraient identifié des écarts entre les définitions présentées et celles qui semblent constituer leur préconceptions à ce sujet.


8.6.1.3 La décision dans la recherche vérificatoire

      Ces difficultés ont été traitées à la section 8.2, mais elle peuvent aussi être expliquées, en partie par un manque de préparation au cours. Comme nous l'avons soulevé, il s'agit d'un contenu très abstrait, mais certains étudiants ne maîtrisent pas même la terminologie, tels les concepts d'hypothèse nulle et d'hypothèse de travail (ou de recherche). Bien que ce contenu soit difficile, nous pensons qu'une meilleure préparation aurait pu permettre aux étudiants de dégager plus clairement leurs incompréhensions et ainsi, de tirer un meilleur avantage du temps au cours.


8.6.1.4 Loi. hypothèse, théorie, modèle: des concepts mal définis et mal distingués

      Ces difficultés ont été traitées à la section 8.4. Elles peuvent également être expliquée par un manque de préparation avant le cours. La maîtrise des 5 règles correspondait à un problème de rappel, les règles pouvant être inférées à partir du schéma présenté. Si l'étudiant avait davantage étudié le texte, il aurait probablement pu rappeler davantage d'information.


8.6.2 De l'organisation conceptuelle


8.6.2.1 Confusion entre validité théorique des énoncés et consistance programmatique:


8.6.2.1.1 Description de la difficulté

      La difficulté observée montre une confusion au niveau de l'objet sur lequel porte le critère.

      V5.03
Étudiant
On parlait des 5 critères de rigueur et on parlait des critères latents, dans les critères latents on parle de rationalité, à ce moment-là quand on parle de validité théorique des énoncés justement je trouvais que ça ressemblait beaucoup à la consistance interne, à la consistance programmatique. C'est parce que les données ont été traitées qu'on peut faire la différence ?

      La validité théorique des énoncés porte sur l'enchaînement logique des énoncés qui forment les théories. Elle fait partie des critères de rationalité mentionnés dans le chapitre 5. La vérification de la validité théorique précède la vérification de la validité empirique des théories. En d'autres termes, on doit s'assurer que la théorie que l'on se propose de vérifier est valide d'un point de vue logique, avant d'en entreprendre la vérification empirique. La consistance programmatique, quant à elle, porte sur la consistance de l'ensemble du programme de recherche. La consistance renvoie à la solidité, à la dureté. De plus, en logique, elle signifie que deux formules contraires ne peuvent être démontrées à la fois dans un même système 113  . Par consistance, l'auteur n'entend pas seulement cohérence ou solidité logique, mais aussi consistance psycho-socio-logique, puisque les critères qui permettent d'évaluer la cohérence ( et la crédibilité) d'une démarche dépendent beaucoup des conceptions du chercheur lui-même et de la communauté scientifique. Il y a donc une dimension logique, mais aussi psychologique et sociale dans la consistance du programme de recherche.


8.6.2.1.2 Interprétation de la difficulté

      Le trait commun entre ces deux concepts concerne l'aspect "logique" ou du moins "consistance" associé à la logique qui est sous-entendu. La difficulté semble concerner l'objet sur lequel porte l'aspect logique. La consistance programmatique concerne l'ensemble du programme de recherche alors que la validité théorique concerne les énoncés théoriques qui forment les théories.

      Certaines inférences sont donc nécessaires ici à la compréhension. L'étudiant ayant éprouvé cette difficulté a donc probablement établi une similitude entre validité théorique des énoncés et consistance programmatique sur la base de l'élément "logique" ou "consistance" qui leur est commun, sans toutefois établir ce qui distingue ces concepts. Lorsqu'il mentionne que la différence entre les deux tient au fait que dans un cas, les données sont traitées et pas dans l'autre, on peut penser que l'étudiant a cru qu'il y avait un élément de linéarité dans la présentation des critères de rigueur dans le chapitre 5. Pourtant, le chapitre 5 regroupe les critères de rigueur, non pas selon leur ordre d'utilisation dans une recherche, mais selon leur nature. Ainsi, les cinq critères de rigueur formels sont regroupés (Rapport au réel des inscriptions, rapport au concept des inscriptions, consistance programmatique, rapport des conclusions au réel, indépendance de la démarche à l'égard des biais subjectifs et techniques) et les critères latents d'estimation de la validité d'une recherche sont aussi regroupés ensemble ( sous quatre aspects). Il est probable que les étudiants soient restés dans une perspective linéaire lors de l'étude de ce chapitre.

      On peut donc se demander si un problème d'organisation conceptuelle ne se poserait pas ici. De fait, la réponse du professeur à la question de l'étudiant dans le cours, montre qu'il a interprété cette difficulté de cette façon, puisqu'il présente, à deux reprises , une vue d'ensemble des critères de rigueur.

      Comme le montre l'encadré de la page suivante, le professeur débute par les critères qui concernent le matériel, puis il poursuit en décrivant les phases de la recherche. Suite à une question, le professeur reprend son explication d'une autre manière, après avoir répondu à la question portant sur la différence entre analyse et traitement. Le professeur annonce trois moments dans la recherche. Ce qui concerne les inscriptions (validité et fidélité), la partie manipulation, analyse et traitement, et les conclusions. La consistance programmatique, la validité interne, la validité externe et l'objectivité concernent les trois moments de la recherche. Le professeur aborde ensuite la question de la validité théorique des conclusions, puis, il fait un survol des critères latents d'estimation de la validité d'une recherche.

      Résumé et description de la mise en scène (à partir des réponse à V5.03)

      

      En observant la table des matières complète du chapitre 5, on observe que la validité théorique des énoncés fait partie des critères de rationalité, qui sont des critères latents d'estimation de la validité de la recherche, alors que la consistance programmatique fait partie des critères de rigueur méthodologique. On voit ainsi que la distinction que l'étudiant fait à propos du traitement des données est hors contexte puisque le chapitre n'établit pas la distinction des critères de rigueur en fonction de l'avancement d'une recherche. Cependant, il est vrai que la validité théorique des énoncés doit être vérifiée au début de la recherche, avant la vérification empiriste, mais la consistance programmatique est un critère de rigueur qui concerne l'ensemble de la démarche, du début à la fin.

      

Figure 37 : Schéma général du chapitre 5

      Cette difficulté suggère donc la présence d'un problème d'organisation conceptuelle du contenu, de la part de l'étudiant. Cette difficulté peut-être imputable à un manque d'analyse du contenu du chapitre. En effet, si l'étudiant avait décortiqué le chapitre et, par exemple, construit des schémas, il aurait probablement compris la distinction entre les deux critères.

      Toutefois, nous croyons que ce problème peut être présent à cause de l'organisation du contenu lui-même. Le chapitre 5 est un chapitre qui regroupe les critères de rigueur méthodologique mais qui ne tient pas compte de l'évolution chronologique d'une recherche. Il fait partie d'une section appelée "Épistémologie" et d'un point de vue de chercheur, sa place auprès d'un chapitre sur les présupposés de l'auteur, sur le statut des savoirs, sur les enjeux et les discours de la recherche, ainsi que sur la distinction entre qualitatif et quantitatif est tout-à-fait justifiée. Pourtant, d'un point de vue pédagogique, la présentation des critères de rigueur en parallèle avec l'évolution d'une recherche serait peut-être plus accessible pour les étudiants. Par contre, il y aurait un risque de retomber dans le piège de la perspective procédurale, où l'on associerait le critère de rigueur à son utilisation et non à sa signification, alors que la perspective du cours cherche à enseigner le "pourquoi" et non pas essentiellement le "comment".

      


8.6.2.2 Les modèles induits et les modèles déduits

      Le concept de modèle a été traité sous un autre aspect à la section 8.4


8.6.2.2.1 Description de la difficulté

      Dans ces trois extraits du verbatim de l'enregistrement vidéo du cours sur le chapitre 5, on observe un problème d'organisation du contenu au sujet de la question de la modélisation. La question de l'étudiant dans V5.07 indique qu'il ne voit pas l'existence de modèles induits alors que les questions des extraits V5.01.2 et V5.11 indiquent que l'étudiant est confus au niveau du champ de validité des règles de correspondance entre objet, modèle et théorie.

      
Verbatim V5.01.2
 
Étudiant
Si on parle de ? [ il fait référence au schéma sur la correspondance O-M-T ]
 
Professeur
Non le modèle qui est développé là dans la figure 3, est essentiellement construit en ce qui concerne la recherche nomothétique. Ce sont les critères qui doivent être respectés pour qu'on puissent vérifier une théorie.
Si il n'y a pas un rapport isomorphe entre la théorie et le modèle de l'objet qui va me permettre de vérifier cette théorie, dès le départ je risque de ne pas pouvoir vérifier la théorie. Il manque quelque chose pour que la vérification puisse se faire. C'est une autre façon d'exprimer la déduction logique qui doit être faite des hypothèses à partir de la théorie quand je veux vérifier une théorie. Mais ça ne vaut essentiellement que dans ce cas-là. C'est quelque chose qui sera essentiel si je veux théoriser et si je veux pouvoir vérifier une théorie.

      
Verbatim V5.07 [ Contexte: différence entre modèle et théorie]
 
Professeur
Oui, mais j'ai besoin du modèle, de la théorie, la théorie j'envisage de l'appliquer à un domaine pour construire un modèle. C'est toujours une concrétisation, une opérationalisation. Dans ce cas là c'est la conservation des quantités.
(...)
 
Étudiant
Le modèle permet de théoriser ?
 
Professeur:
Dans la démarche inductive, on va partir d'un certain nombres d'événements qui vont être induits au niveau d'un modèle. Les hypothèses induites dans une perspective exploratoire, inductive, sont des quasi-modèles. Un ensemble de modèles mis ensemble, dont on va dégager une structure commune, vont constituer une théorie.
 
Étudiant:
(...)?
 
Professeur:
C'est ça, il y a des modèles construits, induits et des modèles déduits. Quand on parle des exigences d'isomorphisme, c'est pour les modèles déduits. Vous voyez là aussi que, quand on est dans le mouvement inductif, il va y a avoir une perte entre les modèles induits à partir du réel et la théorie générale. Donc, je n'aurai plus d'isomorphisme, puisque j'aurai des éléments qui se trouvent dans les modèles que je ne trouverai pas dans la théorie qui est à un niveau plus général.

      
Verbatim V5.11 [ Règles de correspondance Objet-Modèle-Théorie]
 
Étudiant:
Je voudrais juste une confirmation ou une infirmation. Le modèle qui est (...) Votre modèle , enfin bon la représentation graphique, ça vaut pour quoi?
 
Professeur
Essentiellement les théories descriptives et dans une perspective déductive. C'est les modèles déduits.
 
Étudiant
Donc c'est les enjeux nomothétiques.


8.6.2.2.2 Interprétation des difficultés

      Si on observe le schéma du contenu de cours (ci-dessous) on réalise à quel point l'organisation du contenu,à ce stade-ci, est complexe. Ce schéma a été construit à partir d'informations contenues dans les chapitres 3 ,5, 6 et 8 .

      

Figure 38 : Schéma partiel de l'organisation du contenu des chapitres 3, 5, 6 et 8

      À deux reprises dans le chapitre 5, on mentionne que les règles de correspondance O-M-T sont valables pour la recherche vérificatoire. À la page 5-7 avant la présentation du schéma des règles, on dit:

Chapitre 5
Cette exigence est essentielle dans les recherches aux enjeux nomothétiques car elle est une condition nécessaire à la vérification.(chap.5, p.7, paragraphe 2.)

      

      Après la présentation des règles, on rappelle à l'étudiant que ces dernières sont valables pour la recherche nomothétique, sans toutefois spécifier si elles sont valables pour l'exploration ou la vérification:

Chapitre 5
Le respect des cinq règles est essentiel dans la recherche nomothétique.(chap.5, p.10, paragraphe 3.)

      Pour comprendre les règles de la correspondance entre objet, modèle et théorie, l'étudiant doit donc savoir qu'elles ne sont valables que dans le cas de la recherche vérificatoire qui concerne l'explication des faits par une théorie du général, ainsi que l'étude de cas vérificatoire. Cette démarche vérificatoire constitue, quant à elle, l'un des deux versants de la recherche à enjeux nomothétique.

      L'étudiant aurait donc besoin, en principe, d'avoir établit des liens entre les concepts des différents chapitres pour pouvoir savoir à quoi correspondent les 5 règles de la correspondance entre objet, modèle et théorie et pour pouvoir également comprendre qu'il existe des modèles induits et des modèles déduits. Seul un travail d'étude qui intègre les chapitres 5,3,6 et 8 pouvait permettre à l'étudiant de bien saisir la nécessité de ces cinq règles de correspondance. Toutefois, le chapitre 5 précède le chapitre 8 qui, pourtant, est nécessaire à la compréhension des règles. L'explication de cette organisation du contenu est la même que celle qui vaut pour la difficulté précédente, c'est-à-dire qu'il s'agit d'un regroupement des critères de rigueur méthodologiques indépendamment du moment chronologique de leur utilisation.

      L'organisation des enjeux, types et stratégies de recherche

      Un autre élément nous permet de penser que les étudiants ont des difficultés d'organisation conceptuelle, est leur réponse à la question 3 du Questionnaire sur le chapitre 8. Dans cette question, nous voulions vérifier si les étudiants maîtrisaient bien l'organisation du contenu du chapitre qu'ils avaient vu en classe. Ainsi nous leur avons demandé de remplir un schéma en replaçant les termes dans les cases vides. La réponse à cette question pouvait prendre deux formes équivalentes:

      

Figure 39 : Réponses correctes à la question 3 du questionnaire 8

      Le bilan des réponses à cette question indique que les étudiants ont, dans certains cas, de la difficulté à organiser le contenu du chapitre. Trois réponses seulement se sont avérées conformes aux schémas ci-dessus. Les schémas ci-dessous présentent un bilan des réponses erronées.

      

Figure 40 :Bilan des réponses erronées à la question 3 du questionnaire 8

      Les erreurs sont donc de nature assez diversifiée et, après analyse, il nous semble difficile de les attribuer à autre chose qu'un manque de maîtrise de la terminologie du chapitre 8. Si le chapitre 8 avait été étudié à fond, nous croyons que les étudiants auraient pu en reproduire la structure sur le schéma. En effet, la construction d'un réseau conceptuel (ou carte conceptuelle) du contenu des chapitres permet de structurer le contenu et de hiérarchiser les concepts et d'avoir ainsi en tête, une organisation générale du contenu (Tardif, 1992).

      En outre, une confusion entre perspective procédurale et perspective rationnelle peut aussi expliquer des erreurs dans la construction du réseau conceptuel. De fait, l'étudiant qui étudie le chapitre en s'attardant uniquement à "comment faire une recherche", portera très peu d'attention à la structure rationnelle du contenu des chapitres. Ainsi, il est possible que le niveau d'étude soit suffisant chez certains étudiants, mais que cette étude ait été effectuée à partir d'un point de vue différent que ce qui est visé au cours.


CHAPITRE 9:
CONSIDÉRATIONS PÉDAGOGIQUES

      Le chapitre précédent présentait une description des difficultés manifestées par les étudiants, regroupées selon six thèmes ( sections 8.1 à 8.6). Nous avons également présenté des interprétations possibles de l'origine de ces difficultés qui constituent, en quelque sorte, des "explications plausibles". Nous avons, dans le présent chapitre, regroupé ces explications plausibles en sept "catégories interprétatives" plus larges, qui sont les suivantes:

  1. Surgénéralisation de certaines préconceptions
  2. Utilisation d'une préconception mal assimilée
  3. Persistance d'une perspective procédurale plutôt que conceptuelle
  4. Utilisation du "sens commun" au lieu du "sens technique"
  5. Difficultés épistémologiques
  6. Problèmes liés à une difficulté particulière du contenu ou à un niveau élevé d'acquisition souhaité
  7. Manque de préparation des étudiants

      Dans la section 9.1 qui suit, nous nous sommes inspirée du chapitre 4, particulièrement des modèles pédagogiques présentés, afin de proposer des stratégies pédagogiques ponctuelles qui pourraient permettre d'éviter ou de remédier à la difficulté. Ces propositions n'exigent pas une remise en cause du modèle d'enseignement à la base de ce cours et elles respectent son organisation qui était, rappelons-le, basée sur la discussion entre le professeur et les étudiants, à partir des notes de cours.


9.1 Considérations pédagogiques ponctuelles


9.1.1 Une intervention fondée sur la résolution de conflits

      Pour les cinq premières catégories interprétatives mentionnées ci-dessus, des stratégies pédagogiques similaires peuvent être utilisées. Ces dernières sont basées sur les modèles pédagogiques qui utilisent les préconceptions des étudiants 114  . Nous croyons, comme Giordan (1994), que les étudiants doivent apprendre grâce à, à partir de, avec, leurs conceptions, mais aussi ils doivent comprendre contre ces dernières. Il s'agit donc d'effectuer un travail en trois temps avec les étudiants. D'abord, les étudiants doivent être amenés à prendre conscience de l'obstacle auquel ils sont confrontés. Par la suite, ils doivent établir le champ de validité de leurs conceptions et des nouvelles connaissances qu'ils ont acquises. Finalement, ils doivent pouvoir réorganiser leurs connaissances de façon à ce que ces nouvelles connaissances puissent être intégrées et de façon à en conserver une trace pour une utilisation ultérieure.

      Ces trois stratégies, bien que présentées de façon indépendante, présentent des recoupements évidents. Par exemple, la prise de conscience de l'obstacle est permise par la confrontation des conceptions de l'étudiant avec de nouvelles connaissances et elle amène inévitablement un début de travail de restructuration du savoir. Toutefois, il nous semble clair que la prise de conscience de l'obstacle est un préalable au travail de restructuration du savoir et qu'une réorganisation des nouvelles connaissances de l'étudiant doit se faire en fin de processus.


9.1.1.1 La prise de conscience de l'obstacle

      La prise de conscience de l'obstacle est donc un préalable au travail de réorganisation du savoir. En effet, l'étudiant doit être en position de déséquilibre, il doit prendre conscience qu'il y a des incohérences, des conflits soit entre ses conceptions et un nouveau savoir, ou encore, entre deux savoirs différents portant sur le même objet. Ce conflit peut émerger en permettant d'abord à l'étudiant d'expliciter ses conceptions. Par la suite, le professeur pourra expliciter les nouvelles connaissances à acquérir. Finalement, les deux contenus (conceptions des étudiants et nouvelles connaissances) seront confrontés afin que les oppositions et les écarts puissent être relevés. Il est nécessaire que l'étudiant soit confronté simultanément avec les deux "positions en conflit" afin qu'il soit obligé de se rendre à l'évidence qu'il y a bel et bien contradiction apparente. Nous avons vu que, dans certains cas, les réponses des étudiants montrent que la lecture du chapitre n'a pas suscité de conflit avec leurs conceptions alors que ces dernières sont, à première vue, en opposition très claire avec le contenu enseigné. C'est le cas notamment de la relation entre validité et fidélité, où le chapitre 5 affirme que la validité n'implique pas nécessairement la fidélité des données, alors que certains étudiants ont affirmé exactement le contraire (voir 8.1.1.3) et que plusieurs ouvrages soutiennent également leur point de vue.

      Dans le tableau qui suit, nous avons appliqué cette première phase de prise de conscience de l'obstacle aux différentes difficultés que nous avions identifiées.

      
Tableau XVI : Application de la stratégie de prise de conscience de l'obstacle par les étudiants
Catégories interprétatives Difficulté Stratégies pédagogiques
1° Surgénéralisation de certaines préconceptions
Surgénéralisation de conceptions psychométriques de la validité et de la fidélité
(voir 8.1) 115 
Confrontation entre la conception psychométrique de l'étudiant ( ou une définition en accord avec cette conception) et la conception proposée dans le cours.

Par exemple, confronter les deux définitions de la fidélité suivantes:

" Qualité d'un instrument de mesure dont les résultats demeurent stables pour les mêmes sujets qui se trouvent dans des conditions identiques lors d'administrations différentes" 116 

" Rapport au réel des traces et des indices que nous relevons, des perceptions que nous en avons, que ces traces soient instrumentées ou non." (chapitre 5).
 
Influence de la docimologie sur la conception de la validité et de la fidélité
(voir 8.1)
Confrontation entre la conception psychométrique de la docimologie et la conception proposée dans le cours.

Par exemple, présenter la position du chapitre 5, qui affirme que si les données sont valides elles ne sont pas nécessairement fidèles, avec la position d'un auteur qui affirme que la validité implique la fidélité.
 
Présence d'une conception positiviste empiriste
(voir 8.3)
Rendre l'implicite explicite, c'est-à-dire, permettre aux étudiants de prendre conscience de l'épistémologie qui leur sert de référence.

Leur faire prendre conscience de l'existence d'autres systèmes de référence épistémologique (présenter un nouveau cadre épistémologique).

Par exemple, confronter la signification que les étudiants accordent à la généralisabilité avec celle de la phénoménologie et du transfert conditionnel.
Dégager l'épistémologie sous-jacente à chacune des positions.

Utilisation d'une préconception mal assimilée

Utilisation de l'expression ambiguë "mesurer ce qu'on veut mesurer"
(voir 8.1 et 8.5)
Démontrer, à partir d'un exemple, l'ambiguïté de l'expression, en utilisant le double rapport de la trace ( rapport au concept, rapport au réel).
 
Utilisation de Ho pour décider au sujet de Ha: erreur courante (selon Carver) car les chercheurs ne sont pas en mesure de déterminer un seuil de décision pour Ha en fonction de la théorie.
(voir 8.2)
Montrer:
a) La démarche de la recherche vérificatoire qui devrait être suivie par les chercheurs ;
b) La démarche suivie par certains chercheurs ;
c) Établir la distinction entre les deux démarches.

Idéalement, un exemple de démarche réelle ( ou inventée mais réaliste) pourrait être utilisé afin que les étudiants puissent bien distinguer la différence.
 
Confusion entre Ho et Ha à cause d'une similitude de forme.
(voir 8.2)
Montrer la similitude entre les deux formes d'hypothèse:

Ho: D (04-03) = 0 | A et Ha: D(04-03) = 0 | T


Perspective procédurale plutôt que conceptuelle

Persistance d'une perspective procédurale au sujet de la validité et de la fidélité
(voir 8.1)
Établir la distinction entre les techniques de vérification des critères de rigueur et leur signification conceptuelle.

Par exemple, présenter une liste de définitions et de techniques de la fidélité et montrer que certains extraits impliquent des "actions" à suivre.

Utilisation du "sens commun" au lieu du "sens technique"

L'expression " nulle" signifie absence de quoi?
D'effet du traitement ou d'effet du hasard ?
(voir 8.2)
Faire émerger le sens que l'étudiant attribue à "hypothèse nulle".
Comparer cette signification à la définition technique du concept.

Exemples de réponses d'étudiants (Q8.06)
Ho = hypothèse sans traitement , Hr = hypothèse avec traitement
Une hypothèse de recherche est l'hypothèse qui intéresse le chercheur et qui est déduite.
L'hypothèse nulle est l'hypothèse qui dit que l'hypothèse de recherche est fausse.
Une hypothèse est nulle: pas de différence qui intervient au post-test. L'hypothèse
de recherche est une hypothèse déduite par les résultats.

 
Utilisation abusive de l'expression "significatif"
(voir 8.5)
Faire émerger le sens que l'étudiant attribue à "significatif".
Comparer cette signification
- à la définition technique du concept.
- à la définition du dictionnaire général du concept
 
Confusion entre "en général" et "généralisation"
(voir 8.5)
Faire émerger la signification du terme "en général" dans le sens commun

Comparer cette signification aux trois points de vue concernant la généralisation des résultats, celui de la phénoménologie, celui de l'inférence statistique, ainsi que celui du transfert conditionnel.

Difficultés épistémologiques

La théorie est envisagée comme étant un "en-soi" et non pas comme une construction du chercheur.
(voir 8.4)

La théorie serait une construction conceptuelle sans lien empirique.
(voir 8.4)

Le consensus en méthodologie n'existe pas et cela est lié à la manière dont la science évolue.
(voir 8.3)

Absence de référence au système inscripteur: Le chercheur est absent dans le processus de construction des données.
(voir 8.6)
Faire émerger la conception des étudiants concernant la construction du savoir scientifique.

Expliquer le processus de construction de la connaissance scientifique qui est implicite dans le cours:
- la construction du savoir scientifique (la dynamique entre savoirs établis et savoirs en construction)
- la construction des théories et leur fonction
- le rôle de la confrontation à l'intérieur de la communauté scientifique [ voir Latour (1989) ]

Confronter les deux points de vue.

      L'utilisation de stratégies visant à susciter un conflit chez l'étudiant exige qu'un climat de confiance soit établi à l'intérieur du cours. L'explicitation des conceptions consistera très souvent en dévoilement de ses erreurs, de ses difficultés et de ses limites. L'étudiant n'acceptera de le faire que si cet exercice s'effectue dans un climat de respect mutuel et de coopération. L'étudiant doit également savoir qu'un déséquilibre préalable est souhaité par le professeur et souhaitable pour la suite de son apprentissage. En effet, la création , par le professeur, d'un déséquilibre cognitif chez l'étudiant est assez inhabituelle, le professeur ayant généralement pour fonction de clarifier les incompréhensions des étudiants et non d'en générer.

      La prise de conscience de l'obstacle par l'étudiant peut se révéler un processus assez long. De fait, l'étudiant devra souvent prendre d'abord conscience de ses conceptions, puis comprendre les nouvelles connaissances et, finalement, de comprendre l'écart entre les deux. En fait, plus les conceptions des étudiants sont implicites, plus il sera long et difficile de les faire émerger et de leur en faire prendre conscience. Ainsi, plus le professeur est limité dans le temps, plus il devra tenter d'anticiper les difficultés des étudiants et formuler les conceptions qui sont probablement sous-jacentes, et ce, à la place de l'étudiant.


9.1.1.2 L'établissement du champ de validité des conceptions des étudiants et des nouvelles connaissances

      À l'aide de la stratégie précédente, l'étudiant a pu prendre conscience d'un écart ou d'une opposition entre ses conceptions et le contenu enseigné, ou encore, entre deux nouvelles informations. Ainsi, cette prise de conscience devrait l'amener à accepter d'investir l'énergie nécessaire pour résoudre ce conflit ou, à tout le moins, à l'intéresser au problème.

      La deuxième stratégie pédagogique générale consiste, essentiellement, à développer des stratégies de discrimination des champs de validité des conceptions. Dans certains cas, la technique de l'analyse conceptuelle pourra être utile afin de distinguer la signification centrale, commune entre certains concepts (l'intention) et leur signification particulière (l'extension).

      
Tableau XVII : Application de la stratégie de discrimination des champs de validité des conceptions et des nouvelles connaissances
Catégories Difficultés Stratégies pédagogiques
1° Surgénéralisation de certaines préconceptions
Surgénéralisation de conceptions psychométriques de la validité et de la fidélité
(voir 8.1)
Établir avec quels types de données, les différentes conceptions peuvent s'appliquer avec pertinence.

Par exemple, la réplication est effectivement une répétition, mais elle n'est pas une répétition de l'observation et l'objectif de cette technique n'est pas la vérification de la fidélité, mais la vérification des résultats d'une expérimentation.
 
Influence de la docimologie sur la conception de la validité et de la fidélité
(voir 8.1)
* Établir le champ de validité des conceptions des étudiants et des définitions proposées dans le cours.

Par exemple, la stabilité de l'instrument de mesure est un critère de rigueur valable, mais dans le cadre de la fidélité d'un instrument de mesures (données provoquées) seulement, et comme technique de vérification de la fidélité, pas comme définition conceptuelle.
 
Présence d'une conception positiviste empiriste
(voir 8.3)
Établir dans quel cadre épistémologique certains types de recherche doivent être compris.

Par exemple, la généralisabilité de la monographie ne doit pas être évaluée à partir de la définition provenant de la stratégie statistique (généralisabilité par inférence) .

Utilisation d'une préconception mal assimilée

Utilisation de l'expression ambiguë "mesurer ce qu'on veut mesurer"
(voir 8.2 et 8.5)
Expliquer que le glissement est courant dans la communauté de chercheurs, parce que le concept est utilisé dans son sens restreint, en ne faisant référence qu'à l'un des deux rapports qui concernent l'inscription (rapport au concept et au réel).
 
Utilisation de Ho pour décider au sujet de Ha: erreur courante (selon Carver) car les chercheurs ne sont pas en mesure de déterminer un seuil de décision pour Ha en fonction de la théorie.
(voir 8.2)
Expliquer les raisons pour lesquelles le glissement est courant dans la communauté scientifique.

Par exemple, à l'aide du schéma de la "corrupt scienfic method" de Carver.

 
Confusion entre Ho et Ha à cause d'une similitude de forme.
(voir 8.2)
Établir la fonction de chacune des hypothèses et sa place dans le processus de décision.



Perspective procédurale plutôt que conceptuelle

Persistance d'une perspective procédurale au sujet de la validité et de la fidélité
(voir 8.1)
Identifier la signification du concept sous-jacente à chaque technique de vérification de la validité ou de la fidélité.

Identifier la signification qui est commune à tous ces extraits.

Montrer que la technique n'est en fait qu'une extension de la signification générale du concept, dans un contexte particulier.

Par exemple, la méthode test-retest, qui veut mesurer la stabilité des résultats, constitue une mesure d'approximation du réel. En effet, si l'instrument permet des mesures stables, on peut penser qu'il mesure toujours la même réalité.

Utilisation du "sens commun" au lieu du "sens technique"

L'expression " nulle" signifie absence de quoi?
D'effet du traitement ou d'effet du hasard ?
(voir 8.2)
Rappeler la signification de ce terme en recherche vérificatoire.
Revoir le processus de décision dans la recherche vérificatoire.(voir 2° )
Expliquer que le glissement est courant également dans la communauté de chercheurs.
 
Utilisation abusive de l'expression "significatif"
(voir 8.5)
Montrer dans quels cas chacune des significations du concept est appropriée.
 
Confusion entre "en général" et "généralisation"
(voir 8.5)
Montrer dans quels cas chacune des significations du concept est appropriée:
- "sens commun" ;
- généralisabilité selon la perspective de l'inférence statistique;
- généralisabilité selon la perspective de la phénoménologie;
- perspective selon la perspective du transfert conditionnel.

L'utilisation d'exemples à partir de recherches réelles (ou inventées mais réalistes) est souhaitable surtout si les étudiants connaissent peu la recherche phénoménologique ou la recherche monographique.

Difficultés épistémologiques

La théorie est envisagée comme étant un "en-soi" et non pas comme une construction du chercheur.
(voir 8.4)

La théorie serait une construction conceptuelle sans lien empirique.
(voir 8.4)

Le consensus en méthodologie n'existe pas et cela est lié à la manière dont la science évolue.
(voir 8.3)

Absence de référence au système inscripteur: Le chercheur est absent dans le processus de construction des données.
(voir 8.6)


Confronter le point de vue du cours et celui des étudiants concernant la construction de la connaissance scientifique.

Situer historiquement l'émergence de ces deux conceptions épistémologiques.

Resituer le rôle de la théorie et celui du chercheur dans le processus de construction des connaissances scientifiques.

      Cette stratégie aurait avantage à être utilisée en collaboration avec les étudiants, c'est-à-dire, à partir de discussions de groupe. Même s'il est souhaitable que le travail de distinction des champs de validité des concepts soit effectué par l'étudiant lui-même, le rôle du professeur est absolument essentiel. Ce travail est difficile à réaliser pour l'étudiant parce que la nouvelle structuration du savoir est "meilleure" uniquement parce qu'elle est plus cohérente d'un point de vue conceptuel. Cette cohérence étant d'ailleurs beaucoup plus facile à voir pour le professeur que pour l'étudiant, qui manque de perspective vis-à-vis de la méthodologie de la recherche.


9.1.1.3 Permettre à l'étudiant de restructurer ses nouvelles connaissances

      La discrimination des champs de validité des conceptions ou des nouvelles connaissances constitue une activité qui bouleverse les conceptions des étudiants. De plus, cette stratégie aborde des connaissances qui débordent souvent le contenu du cours et dont l'étudiant n'a pas de traces auxquelles il pourrait se référer ultérieurement. Ainsi, nous pensons que l'utilisation de cette stratégie peut créer une grande confusion si elle n'est pas supportée par un travail de structuration concret. En fait, le travail de discrimination amorce déjà le travail de structuration. Cependant, ce dernier devrait utiliser un support visuel permettant à l'étudiant de synthétiser et de conserver une trace de la structure des nouvelles connaissances.

      La carte sémantique nous semble être un support approprié. La carte sémantique permet de représenter simultanément sous forme de réseau, un ensemble d'informations portant sur un même thème. Toutes les stratégies pédagogiques présentées précédemment devraient se conclure par une synthèse et par l'élaboration d'une carte sémantique. La forme finale de la carte sémantique n'est pas d'une importance capitale. Elle doit évidemment être conforme aux nouvelles connaissances acquises. Cependant, de la même façon que chaque étudiant construit une représentation schématique d'un contenu de manière différente, il doit pouvoir réorganiser schématiquement l'information de manière différente, afin d'être à l'aise avec son utilisation. La carte est donc une représentation personnelle, qui inclut l'information que l'étudiant juge pertinente. La figure suivante présente une carte sémantique du concept de fidélité. Elle représente la distinction entre la fidélité des instruments de mesure (ou des données provoquées) tels que présentée en docimologie ou en psychométrie et la fidélité telle que présentée dans le chapitre 5 du cours, qui constitue une perspective plus large. Essentiellement, la carte se limite à la signification du concept, à la technique permettant de vérifier la fidélité, ainsi qu'au résultat de l'utilisation de la technique. La carte n'illustre pas, mais elle le pourrait fort bien, l'ensemble des acceptions possibles du terme fidélité, ni l'ensemble des situations où le concept de fidélité est utilisé ( fidélité inter-juges lors de codage d'entrevues).

      

Figure 41 : Exemple de carte sémantique du concept de fidélité

      L'utilisation de cartes sémantiques est toutefois une stratégie qui gruge beaucoup de temps de classe. De toute évidence, plus la carte inclut de concepts et plus elle est précise dans les distinctions qu'elle établie, plus elle doit être sophistiquée dans son élaboration.


9.1.1.4 Conditions et limites d'utilisation du modèle précédent

      De toute évidence, ce type d'intervention pédagogique demande du temps, beaucoup de temps. Utilisée pour le contenu entier du cours, elle exigerait non pas 45 mais 90 heures et même davantage. La méthodologie de la recherche, et l'épistémologie encore davantage, sont des secteurs de la connaissance qu'une vie ne suffit pas à explorer. Malgré cela, le professeur qui enseigne le cours ETA 6032 dispose, lui, de 45 heures moins quelques-unes, destinées à l'évaluation des apprentissages. C'est la raison pour laquelle nous avons préconisé l'utilisation de ce modèle seulement au sujet des thèmes qui risquent de susciter des difficultés. Finalement, plus le professeur dispose de temps, plus il pourra favoriser la participation des étudiants, en revanche, plus son temps est limité, plus le professeur devra encadrer et diriger le processus.

      Ce type d'intervention exige également une certaine homogénéité à l'intérieur d'un groupe relativement restreint. De toute évidence, tenter de permettre à 100 étudiants de faire émerger leurs conceptions épistémologiques à partir de discussions, relève de l'utopie. Dans ce cas, le professeur peut certes utiliser certaines conceptions dont il soupçonne la présence chez les étudiants, mais l'enseignement magistral demeure la seule stratégie d'enseignement viable avec de tels groupes.

      Finalement, cette intervention exige une bonne motivation de la part des étudiants, ainsi que la reconnaissance du fait que leur apprentissage dépend en grande partie d'un travail cognitif qui exige du temps et de l'énergie. Aucune stratégie pédagogique, aussi sophistiquée soit elle, ne peut remplacer le travail qui doit être effectué par l'étudiant.


9.1.2 Une intervention fondée sur une réorganisation du contenu

      Certaines difficultés sont liées au fait que le contenu est difficile ou encore que le niveau d'acquisition souhaité par le professeur est élevé. Ces difficultés requièrent des stratégies différentes de celles présentées précédemment.

      
Tableau XVIII : Application de l'intervention fondée sur une réorganisation du contenu
6° Problèmes liés à une difficulté particulière du contenu ou à un niveau élevé d'acquisition souhaité Considérations pédagogiques

Difficulté du raisonnement basé sur la réfutation (voir 8.2)
Découper le raisonnement en phases distinctes en insistant sur les phases de décision par réfutation.

Peu de stratégies pédagogiques peuvent être proposées, si ce n'est d'être attentif à ces passages, de découper le raisonnement en phases distinctes, d'insister sur les phases de décision et de souligner la présence d'un raisonnement par réfutation.

Difficultés liées au regroupement des critères de rigueur méthodologiques en un seul chapitre.
(voir 8.1)
Associer chacun des critères de rigueur aux étapes pertinentes d'élaboration et de conduite d'une recherche, c'est-à-dire, établir le champ d'application de chacun des critères de rigueur.

Évidemment, on doit tenir compte de certains critères tout au long de la recherche ( par exemple, la validité interne concerne l'ensemble du programme de recherche), mais d'autres s'appliquent à certaines étapes (par exemple, la validité des données et la fidélité des données sont des critères qui se rapportent aux inscriptions).

Difficulté d'application des concepts appris à la réalité

(voir 8.4)
Faire des exercices à partir des 3 niveaux d'acquisition:

1 ° Compréhension de chacun des concepts, ainsi que de leurs distinctions:
* Distinguer modèle et théorie à partir de leurs définitions
* Distinguer les 5 types de théories à partir de leurs définitions et de leur fonction

2° Développer la capacité de trouver des exemples de chacun de ces concepts ( à partir d'exemples connus des étudiants) :
* Exemple: distinguer la théorie de Piaget, d'un modèle piagétien issu de la théorie
* Exemple: le behaviorisme est une théorie descriptive, la psychanalyse est une théorie interprétative, etc.

3° Développer la capacité de déterminer à quoi correspond une théorie ou un modèle ou de déterminer le type théorique d'une théorie particulière ( à partir d'exemples connus des étudiants ):
* Tel ensemble d'énoncés correspond-il à un modèle ou à une théorie ?
* La théorie de l'information est une théorie de quel type ?

      Les interventions proposées ici consistent en une présentation différente du contenu. Cependant, certains effets pervers peuvent survenir. Ainsi, l'association de chacun des critères de rigueur méthodologique aux étapes de recherche où elles doivent être utilisées, risque de renforcer la tendance des étudiants à orienter leur travail sur l'aspect procédural de la recherche. La présentation en un seul chapitre visait à favoriser une compréhension de la rationalité méthodologique qui sous-tend l'utilisation de ces concepts, davantage que de la procédure d'utilisation elle-même.

      L'exercice visant les 3 niveaux d'acquisition de la question des modèles et des théories risque, quant à elle, de gruger un temps précieux à l'enseignant. Cet exercice exige que les théories et les modèles sur lesquels il porte, soient connus des étudiants. De toute évidence, on ne peut déterminer le type d'une théorie dont on n'a entendu que le nom. Le problème qui se pose concerne donc le nombre d'étudiants qui constituent le groupe, ainsi que la diversité de leur formation. Le défi pour le professeur sera de trouver, pour l'ensemble de l'exercice, un nombre suffisant d'exemples de modèles et de théories connus des étudiants. À moins qu'il ne dispose du temps suffisant pour enseigner d'abord chacune des théories, ce qui est pratiquement impossible étant donné l'ampleur du contenu qui doit également être enseigné.


9.1.3 Une intervention fondée sur la stimulation de l'apprentissage

      Certaines difficultés peuvent être comprises par un manque de préparation de la part des étudiants. Il s'agit là d'une constatation décevante mais, aussi, d'un point de vue pédagogique, d'une difficulté qui exige une intervention délicate. Les difficultés présentées auparavant étaient des difficultés conceptuelles, qui exigeaient des stratégies pédagogiques qui s'adressent à l'aspect cognitif des étudiants. Dans ce cas-ci, la difficulté relève d'un problème de stimulation de l'apprentissage. En fait, il faut trouver des stratégies qui vont augmenter, chez les étudiants, leur étude des textes avant les séances de cours, sans pour autant dégrader l'atmosphère à l'intérieur du groupe, par des stratégies ouvertement coercitives.

      Le manque de préparation des étudiants a été constaté à partir des difficultés suivantes:

      
7° Manque de préparation des étudiants
Les inscriptions: qui produit ou reproduit quoi? : Problème de précision dans les termes. (voir 8.6)
Le statut des données: Les étudiants n'ont pas vu l'écart entre leurs préconceptions et le contenu du chapitre.(voir 8.1)
La décision dans la recherche vérificatoire: La terminologie de base n'est pas maîtrisée .(voir 8.2)
Loi, hypothèse, théorie, modèle: concepts mal définis, mal distingués.
Problème dans le rappel des 5 règles à partir du schéma. (voir 8.4)
Pas de travail d'organisation du contenu du chapitre sous forme de schéma.(voir 8.6)
Pas d'organisation d'intégration du contenu des chapitres précédents sous forme de schéma. (voir 8.6)

      Comme nous l'avons dit, l'organisation du cours supposait que les étudiants préparent le chapitre à l'étude avant le cours. Le professeur supposait que les étudiants avaient étudié le chapitre suffisamment pour avoir identifié leurs difficultés, leurs incompréhensions et que la séance de cours ne porterait que sur ces incompréhensions. Il s'agissait donc d'une préparation du chapitre plus approfondie que la simple lecture, basée sur l'aspect rationnel du contenu, beaucoup plus que sur l'aspect procédural. Le cours s'est déroulé tel que prévu, cependant, on constate que certaines difficultés soulevées sont probablement dues à un manque de préparation de la part de certains étudiants. Ces difficultés nous suggèrent que ces étudiants n'ont pas analysé le texte en profondeur et n'ont pas construit de schémas ou de réseaux conceptuels leur permettant d'organiser ce nouveau savoir, ou même, n'ont pas mémorisé la terminologie de base, ce qui ne leur permet pas de l'utiliser. Nous pouvons également soupçonner que certains étudiants peuvent avoir étudié en n'étant intéressé que par l'aspect procédural, c'est-à-dire par le "comment faire la recherche" et non par l'aspect rationnel du contenu.

      Nous devons ici rappeler que la méthodologie de la recherche utilise un langage spécialisé et que les étudiants novices sont confrontés à une quantité importante de nouveaux termes et de nouveaux concepts. D'ailleurs le professeur, au premier cours, comparait les débuts en méthodologie à une immersion dans un autre univers linguistique que celui auquel les étudiants sont habitués. Cependant, la maîtrise de cette terminologie constitue le point de départ de la réflexion méthodologique. Pour comprendre les règles de jeu de la méthodologie, les étudiants doivent, d'abord et au minimum, connaître et comprendre les termes utilisés dans ces règles.

      Le problème de la motivation des étudiants est un problème certainement très complexe. De toute évidence, certains étudiants arrivent au cours avec des attentes importantes et une volonté d'investir une énergie importante, alors que d'autres visent simplement le meilleur "rapport qualité-prix", c'est-à-dire une formation maximale pour un investissement minimum. Pourtant, tout enseignant sait pertinemment que l'apprentissage ne peut se faire que par un investissement de temps et d'énergie par l'étudiant lui-même. Malgré l'intérêt de cette question, nous n'entrerons pas ici dans l'élaboration de stratégies de motivation qui exige une réorganisation du cours. Nous resterons centrée sur le problème diagnostiqué au départ, soit celui du manque de préparation de certains étudiants ou d'une préparation inadéquate en rapport aux objectifs du cours. L'intervention souhaitée devra donc être en mesure de provoquer, chez les étudiants, une étude approfondie des chapitres avant le cours.

      Les interventions suivantes sont possibles:

  1. Préparer des questions d'application pour les étudiants et construire la séance autour de ces questions;
  2. Demander aux étudiants d'effectuer des analyses conceptuelles au sujet de certains concepts et revenir là-dessus à la séance;
  3. Demander que les étudiants construisent un schéma ( ou carte sémantique) du contenu du chapitre et/ou un schéma qui intègre le contenu des chapitres précédents et construire la séance autour de la comparaison de ces schémas;
  4. Préparer des quizz d'une ou deux questions à chaque séance de cours.

      Les stratégies utilisant les questions d'application, l'analyse conceptuelle ou les schémas, visent à impliquer l'étudiant dans les discussions au cours et à le motiver à travailler les textes. De fait, l'étudiant qui ne répond pas aux questions d'application, qui ne fait pas les analyses conceptuelles demandées ou qui ne produit pas les schémas, sera identifié et probablement moins à l'aise vis-à-vis du professeur et de ses collègues de classe. Il s'agit ici d'une coercition "douce" au sens où elle utilise la pression sociale. La question du support offert par le professeur se pose cependant ici. Étant donné que la méthodologie est un contenu difficile, le professeur peut devoir aider les étudiants à structurer le contenu ( à l'aide de cartes sémantiques par exemple) ou à effectuer les analyses conceptuelles. Cependant, il ne devrait intervenir que pour offrir un support aux étudiants jusqu'à ce que ces derniers soient en mesure d'effectuer ce travail eux-mêmes. Pour qu'il y ait apprentissage, les étudiants doivent eux-mêmes réorganiser leur savoir 117  , ce travail n'a aucune valeur pour l'étudiant, s'il est effectué en entier par le professeur. En fait, les activités proposées précédemment ( schémas, analyses conceptuelles, etc) ne sont que des moyens pour arriver à une réorganisation des savoirs et non une fin en soi. Bien sûr, un réseau conceptuel permet aussi de conserver, sous forme synthétique, un schéma de l'organisation du contenu, mais c'est sa construction par l'étudiant qui permet une réorganisation du savoir.

      La stratégie des quizz, quant à elle, est plus ouvertement coercitive. Un quiz d'une ou deux questions, dont le résultat est comptabilisé dans la note finale, oblige l'étudiant à étudier le chapitre de façon beaucoup plus approfondie. Il s'agit d'une stratégie plus difficilement acceptée par les étudiants. De toute évidence, son utilisation démontre clairement que le professeur ne croit pas en la motivation et le sérieux de ses étudiants, qu'il croit plutôt que ces derniers doivent être contraints, pour fournir le travail demandé. L'utilisation des quizz peut également avoir un effet pervers. Le quiz devrait être administré à la fin de la séance, alors que les étudiants ont pu obtenir des réponses à leurs questions. Cependant, ces derniers n'ont pas eu le temps de revenir sur le contenu du chapitre, ils n'ont donc pas beaucoup de recul. Les questions du quiz ne peuvent donc être que des questions d'un niveau peu élevé, par exemple, définition ou distinction entre certains concepts, rappel de certaines conditions, etc. Ainsi, l'étudiant qui apprend "par coeur" le contenu du chapitre peut réussir les quizz sans qu'une compréhension réelle et une réorganisation des savoirs aient été effectuées. L'apprentissage par coeur a au moins l'avantage de permettre à l'étudiant de retenir la terminologie par exemple, mais il est insuffisant pour les besoins du cours.

      Ainsi, aucune stratégie pédagogique ne permet au professeur d'être assuré que les étudiants étudient les textes à fond avant la séance de cours, mais ils permettent de le favoriser. Pourtant, le problème existe bel et bien. Tous les étudiants n'étudient pas leurs textes suffisamment et obligent ainsi le professeur à revenir sur des aspects du contenu qui auraient dû être assimilés. Il en résulte une perte de temps, tant pour le professeur que pour les autres étudiants, et la qualité de la formation dispensée au cours ne peut que s'en ressentir.

      Le professeur doit cependant s'assurer que les étudiants sont en mesure de réaliser les tâches qu'il demandera, qu'il s'agisse d'applications, d'analyses conceptuelles, de constructions de réseaux ou d'administration d'un quiz hebdomadaire. Ce dernier ne doit pas perdre de vue que plusieurs étudiants en sont à leur premier contact avec la méthodologie de la recherche et qu'il est donc possible qu'ils n'aient pas les connaissances antérieures suffisantes pour être en mesure d'effectuer des analyses conceptuelles ou de construire des réseaux. Ces tâches seraient alors parfaitement inutiles à l'apprentissage, peu importe la coercition exercée, et elles risqueraient de provoquer un conflit à l'intérieur du cours. Dans ce cas, le professeur devra davantage assister les étudiants dans ces tâches. Par ailleurs, le "maternage" des étudiants n'est pas davantage souhaité. En effet, si les étudiants sont convaincus que le professeur fera le travail avec eux en classe, certains d'entre eux risquent de ne pas voir la pertinence de le faire eux-mêmes à la maison et, ainsi, de confondre le moyen et le résultat. Il faut donc accorder une importance capitale au fait que l'apprentissage ne peut se faire que par l'étudiant et que les différents exercices tels que les schémas, analyses conceptuelles ou autres ne sont pas des fins en soi, mais des moyens pour favoriser l'apprentissage.


PARTIE V: DISCUSSION


CHAPITRE 10:
CONSIDÉRATIONS MÉTHODOLOGIQUES, UTILITÉ DE LA RECHERCHE ET PERSPECTIVES DE RECHERCHES FUTURES

      Cette recherche se situait dans l'espace pragmatique, celui de la résolution des problèmes de la pratique. Notre objectif était de diagnostiquer les difficultés d'apprentissage des critères de rigueur méthodologique chez des étudiants d'un cours de méthodologie, afin de pouvoir proposer des pistes de solution. Étant intéressée par l'apprentissage en situation réelle, nous avons recueilli nos données à l'intérieur de deux séances de cours, sans intervenir à aucun moment sur l'organisation, l'horaire ou le contenu du cours. La seule intervention de notre part fut la distribution des questionnaires de fin de séance et leur recueil à la séance suivante.

      Par notre préoccupation, la résolution de problèmes de la pratique, notre démarche se voulait plutôt du côté de la recherche appliquée. Nous croyions nous placer dans une situation où les contraintes seraient similaires à celles d'un professeur, afin que nos pistes de solution soient utiles à ce dernier. Pourtant, tout en voulant contribuer à la pratique avec ses contraintes et priorités, nous n'en étions pas moins une étrangère à la situation qui tente de comprendre, de l'intérieur, les difficultés des étudiants. Nous ne pouvions pas, par exemple, intervenir afin d'approfondir certaines difficultés des étudiants, nous ne pouvions non plus retarder, accélérer ou modifier l'horaire ou l'organisation du cours, afin de répondre aux besoins de la recherche. Nous étions ainsi à mi-chemin entre la recherche nomothétique (au niveau de la structure de la recherche ) et la recherche appliquée (dans ses ambitions), héritant ainsi des inconvénients des deux types de recherche. N'ayant pas de contrôle sur la situation, nous n'avions pas les moyens de la recherche nomothétique, cependant, étant en situation réelle nous avions à faire face aux contraintes réelles, y compris aux contraintes temporelles.

      La présente partie discute d'abord des problèmes méthodologiques de la démarche suivie. Puis prenant du recul, l'origine des difficultés manifestées peut nous permettre de réfléchir sur plusieurs aspects de l'enseignement de la méthodologie, notamment la formule du cours de méthodologie et sa place dans le cursus de formation du chercheur. La section 10.2 présentera ces réflexions. Finalement, nous discuterons de l'utilité de la recherche, tant de ses résultats que de la démarche, de même que des recherches futures qui pourraient être intéressantes.


10.1 La recherche à partir de la situation réelle: une histoire de compromis

      Notre démarche a dû s'ajuster aux contraintes de la situation, au fur et à mesure, tout en conservant la cohérence nécessaire. Les problèmes causés par les contraintes de la situation entraient parfois en conflits évidents avec celles de la recherche et des compromis ont dû être faits.


10.1.1 Le recueil de données

      Nous avons déjà discuté au chapitre "Méthodologie", des conséquences sur notre démarche, des contraintes de la situation réelle d'enseignement. La première conséquence porte sur le choix des outils de recueil de données. Afin de déranger le moins possible la situation d'enseignement, nous avions convenu avec le professeur qu'il n'y aurait aucune intervention de notre part pendant le cours. Cela supposait donc qu'il n'y aurait qu'une observation électronique des séances de cours. Afin d'obtenir davantage d'information au sujet des difficultés, nous voulions utiliser une deuxième source de données. Les données suscitées auraient eu l'avantage de nous permettre d'approfondir les difficultés des étudiants par des questions supplémentaires, cependant, il s'agit là d'une stratégie impossible à utiliser par un professeur, alors que nous voulions tenter de travailler avec des contraintes similaires à celles auxquelles il est confronté. Le questionnaire nous semblait donc un outil, certes moins complet qu'une entrevue clinique, mais utilisable par un professeur. Nous aurions voulu administrer ces questionnaires à la fin de la séance de cours, mais l'horaire du professeur ne le permettait pas, et l'heure de fin du cours non plus ( 20h30). Ainsi, le choix des outils de recueil de données s'est fait en fonction des besoins de la recherche en ce qui a trait à la qualité de l'information recueillie, mais aussi en fonction des contraintes vécues par un professeur en situation réelle.

      Les courts délais entre les prises d'information nous ont également obligée à effectuer des analyses préliminaires rapides du matériel afin de préparer les instruments ultérieurs. Ainsi, un manque de participation des étudiants à l'automne 92 nous a obligée à réadministrer le questionnaire exploratoire le 11 janvier 93. Nous n'avons donc bénéficié que de deux semaines pour construire le questionnaire sur le chapitre 5 et de trois semaines pour celui sur le chapitre 8. Considérant que la construction des questionnaires nécessitait des analyses des matériaux précédents, nous avons été passablement bousculée pendant cette opération.


10.1.2 Les contraintes liées au respect de la confidentialité et de l'anonymat

      La prise d'information à des fins de recherche dans un contexte réel d'enseignement, pose un problème de conflit potentiel entre l'évaluation aux fins de la recherche et celle aux fins de l'enseignement. De fait, il était inévitable que le professeur ait accès, à un moment ou à un autre, aux résultats de la recherche et les étudiants pouvaient se sentir mal à l'aise. Comment, dans ces circonstances, les étudiants pouvaient-ils être assurés qu'en aucun moment, la perception du professeur à leur égard ne serait altérée suite à la lecture des résultats? L'anonymat était donc une condition nécessaire de la participation des étudiants.

      Ainsi, pour des raisons de déontologie, nous n'avons pas demandé aux étudiants d'identifier leurs copies de questionnaire exploratoire et de questionnaires sur les chapitres 5 et 8. Toutes les copies restant anonymes, les étudiants pouvaient être rassurés sur l'anonymat de leurs réponses. Cependant, une telle pratique a rendu impossible l'établissement de profils entre leurs réponses aux différents questionnaires par chaque étudiant. Cette pratique aurait été possible en établissant une liste de NIP confidentiels à chaque étudiant, mais l'idée nous est venue alors que la prise d'information était presque terminée. Le questionnaire exploratoire n'a donc pu servir que comme banque d'indices possibles de l'origine des difficultés des étudiants, mais nous ne pouvons pas établir, par exemple, que tel étudiant manifestant telle difficulté, présente telle conception de la science et tirer des conclusions dans ce sens.


10.1.3 Les difficultés de présentation des données

      D'une façon générale, l'analyse de données qualitatives exige d'abord une décontextualisation de l'information, habituellement par codage, afin de permettre une description et un traitement de données qui soient possibles d'un point de vue conceptuel. Dans notre démarche, la décontextualisation des données éliminait les indices de difficultés des étudiants. En effet, la terminologie utilisée par l'étudiant, la structure de sa phrase, bref, sa réponse intégrale était nécessaire pour identifier l'écart avec le contenu enseigné. La quantité de données à gérer a donc posé un problème, d'abord lors de l'analyse, qui nous a obligée à travailler par découpage des données originales et classements successifs. Par la suite, la présentation des données a posé des problèmes importants. Afin de présenter une difficulté, nous devions présenter une quantité parfois importante d'information, notamment en ce qui concerne les verbatims des séances de cours qui, pour être compris, devaient intégrer tout le contexte de la discussion de classe. De plus, afin de montrer l'écart entre ce que l'étudiant a dit ou écrit et le contenu du cours, il fallait également présenter ou décrire une partie du contenu du chapitre. Finalement, pour expliquer l'origine possible des difficultés, nous devions présenter le résultat de l'analyse de certaines questions du questionnaire exploratoire ou encore un compte-rendu de théories qui nous semblaient pertinentes par rapport au problème. Ainsi, la présentation de chacune des difficultés mobilisait une quantité énorme d'information qu'il nous fallait organiser de façon cohérente pour le lecteur.


10.1.4 L'analyse et l'interprétation des données

      L'interprétation des résultats a consisté à inférer l'origine des difficultés préalablement identifiées. Étant entendu que nous ne savions pas quelles étaient les difficultés des étudiants au début de la recherche, notre cadre conceptuel n'a pas été construit de façon à nous donner une grille d'analyse et un cadre d'interprétation. Nous avons construit nos catégories d'analyse au fur et à mesure, en établissant des similitudes entre les difficultés. L'interprétation, quant à elle, devait se faire à partir d'indices tels le questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science, la littérature et le contexte d'apparition de la difficulté. La figure suivante reprend ces éléments, tels que présentés dans le chapitre sur la méthodologie.

      

Figure 42 : Travail d'inférence à partir de comparaisons

      La mise en page du contenu n'a pas été très utile à l'interprétation. En effet, nous en avons discuté au chapitre 7, la spatialisation du découpage des chapitres nous donnait peu d'information quant à l'influence de la présentation du contenu . D'abord, les réseaux conceptuels construits étaient peu stables parce que les unités de base étaient variables. Plusieurs réseaux étaient donc possibles pour un même paragraphe de texte, selon le découpage des unités de base. De plus, pour utiliser ces réseaux, il aurait fallu pouvoir construire un réseau du savoir des étudiants, alors que les informations que nous avons obtenues ne permettaient pas la construction ni de leur structure conceptuelle, ni de leur structure cognitive. Finalement, les réponses des étudiants étaient parfois si faibles que l'utilisation des réseaux ne pouvait rien expliquer.

      Quant à la mise en scène, elle a été utile particulièrement pour comprendre la manière dont le professeur a, sur le vif, interprété la difficulté de l'étudiant, de même qu'elle a été utile pour repérer à quels moments, dans une discussion, une difficulté apparaissait. Mais nous ne pouvions que difficilement évaluer l'incidence de la mise en scène du professeur pendant le cours sur les difficultés d'apprentissage des étudiants. En effet, les stratégies de mise en scène étaient, la plupart du temps, destinées à répondre à une interrogation manifestée par un étudiant et ne pouvaient que rarement être invoquées comme source possible de difficulté.

      Ainsi, les outils les plus utilisés pour l'interprétation ont été le questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science et la littérature sur le thème à la source de la difficulté. La plupart des interprétations ont donc été effectuées "par écho analogique", c'est-à-dire, en établissant des analogies qui nous semblaient pertinentes pour expliquer l'origine de la difficulté. C'est ce qui explique que plusieurs difficultés soient expliquées par des facteurs intrinsèques à l'étudiant ( ses préconceptions, son manque de préparation, etc). N'ayant que peu d'indices des effets du contexte d'enseignement sur l'apprentissage, nous avons cherché l'explication dans le contenu lui-même, ou encore chez l'étudiant.

      Les difficultés méthodologiques de la démarche suivie lors de cette recherche sont liées à l'exigence de départ, celle de demeurer le plus près possible de la situation réelle d'enseignement, afin d'obtenir des informations les plus valides possibles ( les difficultés qui se manifestent lors de l'apprentissage en situation réelle) et de pouvoir proposer des pistes de solutions réalistes pour l'enseignement. La recherche respecte cette exigence. Par ailleurs, le respect de cette exigence a également engendré un effet pervers, celui de restreindre le recueil de l'information à des manifestations ponctuelles de difficultés et ainsi, à restreindre la possibilité d'approfondissement de l'organisation conceptuelle des étudiants en rapport avec les critères de rigueur méthodologique.


10.2 La formule du cours de méthodologie

      Après avoir analysé les difficultés des étudiants pendant ce cours, une réflexion sur certaines d'entre elles permet de faire émerger des questionnements plus larges sur l'enseignement de la méthodologie.

      Ainsi, si l'on pousse à l'extrême la difficulté relative à la persistance d'une perspective procédurale plutôt que conceptuelle, on voit qu'elle pose la question de l'orientation du cours: Doit-on enseigner à faire ou à réfléchir ? De la même façon, la surgénéralisation de certaines préconceptions, nous oblige à poser la question suivante: Doit-on enseigner toutes les démarches de recherche? Les difficultés épistémologiques, quant à elles, posent la question de l'étendue du savoir à enseigner. Puisque la méthodologie est liée à l'épistémologie, comment délimiter le contenu à enseigner? Toutes ces questions nous ramènent ainsi à ce problème : Que doit-on enseigner en méthodologie de la recherche ?

      Le manque de préparation des étudiants nous oblige à nous questionner sur la manière dont la méthodologie devrait être enseignée: Comment doit-on enseigner la méthodologie? Bien sûr, le choix du contenu et de l'orientation du cours, ainsi que la manière dont on devrait enseigner, sont évidemment liées à la clientèle: À qui enseigne-t-on? Et finalement, une dernière question fondamentale reliée aux précédentes: Pourquoi enseigne-t-on la méthodologie de la recherche, autrement dit, dans quel but et quel profil de formation vise-t-on?

      L'ensemble de ces questionnements nous ramène au triangle pédagogique que nous avons abordé au chapitre 3. Alors que seule la question des représentations des étudiants nous intéressait, la transposition didactique et les stratégies d'enseignement étant du ressort du professeur et hors de notre contrôle, nous croyons maintenant nécessaire de nous attarder davantage à ces aspects et surtout, aux problèmes d'enseignement qu'ils suscitent, dans le contexte d'un programme de formation à la méthodologie en sciences de l'éducation. La figure suivante illustre le triangle pédagogique ainsi que les différentes questions qui se posent.

      

Figure 43 : Le triangle pédagogique

      Afin de déterminer ce que l'on devrait enseigner en méthodologie et comment, il nous semble pertinent de déterminer d'abord le type de clientèle, mais aussi, les finalités qui sont visées. En fait, il est possible de définir deux profils opposés à partir des quatre axes de réflexion mentionnés précédemment: un profil "action", qui vise le développement d'habiletés de recherche appliquée auprès d'enseignants et de professionnels de l'enseignement et un profil " réflexion ", qui vise le développement de compétences dans le champ de la recherche nomothétique pour de futurs chercheurs. Ces deux profils se situent évidemment aux deux extrémités d'un continuum sur lequel des formes hybrides de pratiques de recherche peuvent être envisagées.

      

Figure 44 : Profils de formation en méthodologie de la recherche

      Le modèle partiel ci-dessus montre que deux profils extrêmes sont possibles en formation méthodologique. Le profil "réflexion" qui s'adresserait aux futurs chercheurs dont on voudrait développer les compétences en recherche nomothétique. Ce profil offrirait un contenu méthodologique large et les méthodes pédagogiques utilisées seraient celles qui s'adressent particulièrement à l'apprentissage de connaissances déclaratives. Le deuxième profil est appelé le profil "action". Ce dernier s'adresserait aux enseignants et professionnels de l'enseignement dont on voudrait développer des compétences en recherche appliquée. Ce profil offrirait un contenu méthodologique spécifique et les méthodes pédagogiques utilisées seraient celles qui permettent le développement d'habiletés concrètes de recherche. De toute évidence, ces profils sont extrêmes dans la mesure où la réflexion est nécessaire au profil "action" et que l'action l'est tout autant dans le profil "réflexion", bien que ce soit de manière différente. Ces profils rejoignent également les différences fonctionnelles entre chercheur et praticien, telles qu'Huberman(1991) les a définies. Ainsi, le chercheur s'intéresserait à plusieurs cas particuliers afin de confirmer et d'infirmer les relations postulées entre les cas, cherchant ainsi à dégager des principes généraux. Le chercheur s'intéresserait au "pourquoi". Le praticien, quant à lui, s'intéresserait à un seul cas particulier dans le but d'intervenir, de trouver des réponses à ce cas. Il s'intéresserait donc au "comment".


10.2.1 Le profil de formation du cours observé

      Les finalités et le contenu

      Le cours sur lequel porte cette recherche est construit sur un certain nombre d'options. D'abord, le cours vise à comprendre la méthodologie de la recherche au sens large. Ce cours de méthodologie, en principe, est préalable à la conduite du mémoire ou de la thèse. Il doit fournir à l'étudiant une base en méthodologie, ainsi qu'un éventail de méthodes et de techniques. Le cours n'a donc pas de visées pragmatiques 118  comme telles. Un séminaire de recherche devrait permettre à l'étudiant de réfléchir de façon plus particulière à sa recherche et le travail de conduite de la recherche et de rédaction du mémoire ou de la thèse sous la supervision d'un chercheur, permettra à l'étudiant de développer des habiletés de recherche proprement dites.

      La tâche exigée par le cours lui-même et mentionnée dans le syllabus du professeur est donc de nature épistémique 119  . On ne demande pas, à l'intérieur de ce cours, que l'étudiant soit en mesure d'effectuer une recherche ou autre action. Le cours porte d'abord et avant tout sur la compréhension du contenu proposé. En effet, tous les objectifs mentionnés comme essentiels dans le plan du cours commencent par ceci: " Que l'étudiant connaisse...". Les trois objectifs des travaux pratiques quant à eux, sont au niveau de l'application ou de l'analyse ou de la synthèse, mais ils constituent des objectifs associés aux travaux non comptabilisés dans la note finale de l'étudiant. De plus, l'introduction du plan de cours précise justement que le cours ne présentera pas une seule démarche codifiée, mais sur un ensemble de démarches susceptibles de répondre aux divers problèmes :

" Le titre du cours: " Problématiques et méthodes de recherche en éducation" permet de mieux identifier l'intention et le contenu actuel de ce cours que son ancien titre : "étapes de recherche en éducation". En effet, l'évolution des recherches et de la réflexion sur les recherches en éducation ne permettent plus d'imaginer un enseignement de la méthodologie qui laisse supposer qu'il puisse exister un seul type de recherche en éducation et que toutes ses étapes soient codifiées et linéaires au point qu'il suffise d'en suivre la liste pour réaliser une recherche valable. L'unité méthodologique jadis souhaitée est un leurre: les conceptions de la science, de la recherche sont multiples comme le sont les démarches et les techniques qui peuvent répondre aux diverses formulations d'un problème." 120 

      Le transfert de connaissances acquises sera évidemment nécessaire pour entreprendre la recherche, mais c'est en quelque sorte, l'objectif terminal du programme auquel est inscrit l'étudiant et non pas du cours de méthodologie. Il ne s'agit pas un atelier ou d'un séminaire de recherche, mais d'un cours portant sur l'acquisition de connaissances au sujet de la méthodologie et sur le développement d'une pensée critique à son égard. Le cours de méthodologie concerne donc plus particulièrement des connaissances déclaratives et la tâche proposée est la compréhension à visée épistémique.

      De plus, bien que le cours présente une grande variété de techniques et de démarches, il en effleure quelques-unes, comme les démarches de la recherche appliquée et en approfondit d'autres, comme la recherche nomothétique à visée exploratoire.   De toute évidence, le cours est orienté vers le profil "réflexion" et est donc destiné à des futurs chercheurs.

      La clientèle

      D'une façon générale, les étudiants aux études supérieures en éducation sont des maîtres en exercice. La plupart des étudiants sont donc des adultes qui enseignent à plein temps et suivent des cours le soir, étudient le soir et les fins de semaine et rédigent leur mémoire ou leur thèse pendant leur congé estival ou encore pendant un congé différé ou sans solde. Il s'agit donc d'étudiants souvent débordés de travail, ayant un travail souvent à plein temps, une famille et toutes les obligations qui s'ensuivent.

      Des indices relevés lors des analyses de notre matériel de recherche nous permettent de croire que certains étudiants ont une perspective de praticien de l'enseignement qui interfère avec celle de chercheur 121  .

      D'abord, nous avons constaté que certains étudiants confondent la validité des données avec la pertinence de l'utilisation de ces données dans la pratique pédagogique. Ainsi, la validité est parfois envisagée comme un critère d'efficacité de la pratique pédagogique.

      De plus, certains étudiants abordent le problème des transferts de théories à la pratique, du point de vue des praticiens, des utilisateurs de théories dans la pratique. Ainsi, ils relatent des événements qui proviennent de leur expérience d'enseignants.

      Finalement, l'indice le plus clair, constitue l'importance que plusieurs étudiants accordent à l'utilité de la recherche pour la pratique pédagogique. Dans le questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science administré avant le début du cours, les réponses à la question 1 montrent que l'utilité pour la pratique pédagogique constitue, pour eux, l'un des critères importants de la valeur d'une recherche scientifique. Dans le tableau ci-dessous, on constate que 12 réponses ( sur 16 au total concernant l'utilité de la recherche) concerne la nécessité d'un lien ou d'une utilité pour la pratique.

      
Tableau XIX : Questionnaire exploratoire sur les conceptions de la science- question 1.Extrait des réponses dans la catégorie: Utilité de la recherche
Utilité de la recherche pour la pratique 8
Utilité- Recherche doit être vérifiables dans la pratique concrète 1
Utilité -Conclusions doivent être applicables à la pratique 2
Utilité: Lien théorie-pratique doit être fait 1

      Étant donné la préoccupation des étudiants vis-à-vis de la pratique pédagogique, nous pouvons nous interroger sur leurs motivations professionnelles dans la poursuite d'études supérieures. Viennent-ils vraiment chercher une formation de chercheur académique alors qu'ils sont impliqués quotidiennement dans la pratique de l'enseignement? Un enseignant qui, par exemple, voudrait savoir comment résoudre certains problèmes de sa pratique, ou encore, un conseiller pédagogique cherchant à développer un nouveau matériel pour les enseignants seraient probablement déçus d'une formation méthodologique axée sur la recherche nomothétique puisque cette dernière n'offre pas d'outil à cette fin. Contrairement à la recherche nomothétique qui vise la construction et la vérification d'énoncés théoriques, la recherche appliquée, elle, vise la fonctionnalité de l'action 122  .

      Finalement, on peut donc se demander si les étudiants-praticiens ne seraient pas mieux servis par un profil de formation à la recherche appliquée, plus proche des caractéristiques de leur pratique. Cette formation pourrait se définir par les dimensions suivantes:

      

Figure 45 : Profil de formation "action" en méthodologie de la recherche

      Un profil "action" viserait donc le développement d'habiletés de recherche appliquée, visant à permettre à une clientèle de praticiens, d'améliorer leur pratique, de développer des outils, de perfectionner leurs habiletés, ainsi que de prendre des décisions éclairées. Ce profil utiliserait des stratégies pédagogiques visant à développer chez les étudiants, des habiletés de réflexion au sujet de la méthodologie de la recherche, mais aussi, des habiletés pratiques d'utilisation de la méthodologie.


10.2.2 Une réflexion nécessaire: rôle et légitimité de la recherche en éducation

      Le choix des profils de formation méthodologique soulève la question des enjeux de la recherche qui doivent être privilégiés, ainsi que de leur légitimité par rapport à l'éducation. Depuis longtemps, on a constaté le problème de la diffusion de la recherche nomothétique dans le milieu scolaire, soulignant ainsi l'existence de deux univers distincts. Le gouffre qui existe entre la recherche et la pratique enseignante s'observe dans les problèmes de diffusion des résultats de la recherche, dans la difficulté de la recherche à influencer la pratique, mais aussi, dans les critiques de chacun des groupes à l'égard de l'autre:

      

Tableau XX : La perception des chercheurs et des praticiens (Huberman, 1991 123  )

      Ainsi, les chercheurs reprochent aux praticiens leur manque de rigueur et leur empressement à trouver des solutions rapides alors que les praticiens reprochent aux chercheurs leur irresponsabilité face aux problèmes urgents. Pourtant, le praticien se doit de trouver des solutions rapides, il n'a pas de temps à consacrer à la rigueur scientifique, alors que le chercheur se donne plutôt comme mandat de réfléchir, de critiquer, de prendre du recul et ce, à l'intérieur d'un cadre ou la rigueur scientifique est de mise, mais à l'extérieur du cadre de la pratique.

      Par ailleurs, particulièrement dans le contexte actuel, il nous faut reconnaître la nécessité pour les Facultés des sciences de l'éducation, de se rapprocher du milieu scolaire. Le rapport final de la Commission des États généraux sur l'éducation écrit d'ailleurs à ce sujet:

" L'une des façons d'enrichir l'enseignement est d'assurer une plus grande collaboration entre les écoles et les universités, entre milieux de théorie et milieux de pratique. Ce qui est profitable dans le contexte de la formation des maîtres l'est tout autant dans le domaine de la recherche. Beaucoup de souhaits ont été exprimés à ce sujet au cours des assises. La Commission retient qu'il faut multiplier les allers-retours entre écoles et universités afin que les recherches aient plus de répercussion sur l'enseignement et que leurs résultats soient plus largement diffusés. " 124 

      Cependant, le problème de la diffusion de la recherche et de son utilité pour la pratique éducative est complexe. Ce que l'on souhaite ce n'est ni plus ni moins que le rapprochement entre deux univers travaillant à des fins et à des niveaux très différents. Le rapprochement souhaité entre l'école et l'université pose, d'abord et avant tout la question de la légitimité de la recherche en éducation.

      La légitimité de la recherche en éducation

      D'abord, contrairement à ce qui est véhiculé dans la dichotomie "milieux de théorie" et "milieux de pratique", l'école et l'université constituent, toutes deux, des milieux pratiques, mais de pratique de nature différente. L'école est un milieu de pratique de l'action contextualisée (engagée). Les acteurs scolaires doivent agir dans une situation particulière avec ses contraintes et ses urgences, ils sont engagés dans cette situation, au sens où ils vivent constamment avec les conséquences des décisions qu'ils doivent prendre au quotidien. L'université, quant à elle, est un milieu de pratique de la théorisation décontextualisée (scolastique). La théorisation est également une pratique au sens où elle constitue une série d'actions posées par le chercheur, dans un but particulier, avec des règles et des enjeux particuliers. Bourdieu (1994) définit la position du chercheur en affirmant que ce dernier a une vision scolastique de la réalité, qu'il définit ainsi:

" Il s'agit d'un point de vue tout à fait particulier sur le monde social, sur le langage ou tout autre objet de pensée, qui est rendu possible par la situation de skholè- de loisir, dont l'école - mot qui vient aussi de skholè- est une forme particulière, en tant que loisir studieux." 125 

      Ainsi, le travail du chercheur se situe en dehors de toute référence à une situation particulière. Ce dernier est soustrait aux urgences de la vie et il dispose de temps et de ressources afin de s'adonner à ces "loisirs studieux". Quelle est donc, dans ce contexte, la légitimité de la théorisation décontextualisée ? Quel bénéfice direct ou indirect l'éducation peut-elle espérer de la recherche du point de vue scolastique? Bourdieu affirme que, lorsque le chercheur n'examine pas sa position, il risque d'imposer sa propre logique à celle de la pratique :

" L'ignorance de tout ce qui est impliqué dans "le point de vue scolastique" conduit à l'erreur épistémologique la plus grave en matière de sciences de l'homme, celle qui consiste à mettre "un savant dans la machine" ; à voir tous les agents sociaux à l'image du savant (...) ou, plus exactement, à placer les modèles que le savant doit construire pour rendre raison des pratiques dans la conscience des agents, à faire comme si les constructions que le savant doit produire pour comprendre les pratiques, pour en rendre raison, étaient le principe déterminant des pratiques." 126 

      Ainsi, les chercheurs en éducation auraient peut-être avantage à s'interroger au sujet de l'effet de la vision scolastique sur la manière dont ils définissent les principes de la pratique enseignante. Peut-être serait-il important de s'interroger également sur la possibilité de la théorisation d'être "contextualisée". Est-il possible, pour le chercheur, de théoriser à partir de la logique de la pratique? Pourtant, comprendre davantage les principes de la pratique enseignante est un objectif essentiel en éducation.

      Ces questions interrogent évidemment la légitimité de la recherche nomothétique en éducation. Pour que les recherches aient une répercussion sur l'enseignement, il faut d'abord s'interroger sur l'utilité qu'elles devraient avoir, sur leur raison d'être. La recherche appliquée possède une légitimité inhérente à son objectif: la résolution de problèmes de la pratique enseignante. Mais l'utilité "directe" par rapport à la pratique enseignante est-elle le seul critère de légitimité valable pour la recherche en éducation? La recherche nomothétique manquerait-elle de légitimité parce que son utilité est indirecte, par exemple par le biais de la recherche appliquée, ou parce qu'elle est construite à partir d'une logique incompatible avec celle de la pratique? En d'autres termes, la recherche nomothétique est-elle en crise de légitimité parce que le seul critère de légitimité reconnu, dans le contexte actuel, est celui d'une possibilité de bénéfice direct bien identifié ou parce qu'elle est construite à partir d'un point de vue scolastique que les chercheurs ne reconnaissent pas et qui est incompatible avec la pratique enseignante?

      Conclusion

      Ces questionnements montrent à quel point il est nécessaire de s'interroger sur le rôle, la légitimité, mais aussi la forme de la recherche nomothétique en éducation. Une réflexion est également nécessaire au sujet de l'articulation entre les différents enjeux de recherche, soit la recherche nomothétique et la recherche appliquée, c'est-à-dire, sur leur rôle réciproque et sur leurs complémentarités dans le domaine de l'éducation.

      Le choix des profils de formation méthodologique exige , en amont, une réflexion de fond sur ces questions puisque, de toute évidence, le profil de chercheurs qu'il faudra former dépend du profil de recherche que l'on souhaitera voir se développer.


10.3 L'utilité de la recherche


10.3.1 L'utilité des résultats

      Dans le cadre de cette recherche, nous avons construit un inventaire des difficultés manifestées par des étudiants lors d'un cours et dans leurs réponses aux questionnaires. Nous avons également inféré un certain nombre d'explications possibles de l'origine de ces difficultés et, par la suite, proposé une liste de considérations pédagogiques utiles pour remédier à ces difficultés.  Cette liste n'est pas exhaustive, bien sûr, dans la mesure où la variété de modèles pédagogiques pourrait permettre de créer d'autres stratégies possibles. La recherche nous a permis également d'identifier des pistes de questionnement auxquelles il nous semble utile de réfléchir dans le cadre plus large de l'enseignement de la méthodologie aux études supérieures en sciences de l'éducation.

      Cette recherche est donc utile dans la mesure où elle renseigne les professeurs de méthodologie sur les écueils possibles de leurs étudiants dans l'apprentissage de certains concepts en méthodologie de la recherche. Toutefois, chaque professeur devra analyser dans quelle mesure les difficultés manifestées dans ce cours-ci, peuvent également être présentes chez leurs propres étudiants, de quelles manières et sur quel contenu elles risquent de se manifester. Les contenus de cours étant parfois fort différents, les difficultés exactes peuvent ne pas apparaître ailleurs. L'explication de l'origine des difficultés des étudiants peut aussi aider un professeur à anticiper les difficultés de ses propres étudiants. Il s'agit alors d'effectuer un travail d'inférence inverse à celui qui a été fait dans cette recherche, c'est-à-dire, inférer quelles pourraient être les difficultés des étudiants dans un contexte différent, si l'on prend pour acquis que l'origine des difficultés est correcte.


10.3.2 L'utilité de la démarche

      La démarche a procédé d'abord par un recueil de données de manière itérative, l'analyse des premières données recueillies servant à la construction des outils de recueil suivants. Par la suite, l'analyse a procédé par transcription des données, découpage, catégorisation et regroupement des difficultés, puis par inférence, afin d'expliquer l'origine possible des difficultés. Finalement, des considérations pédagogiques ont été proposées. La recherche s'est donc déroulée selon un processus à peu près linéaire: recueil de données, analyse, interprétation et conclusions. Cela fut possible parce que la recherche a porté sur deux séances seulement, afin d'approfondir les difficultés d'apprentissage portant sur les critères de rigueur méthodologique.


10.3.2.1 Utilité de la démarche pour la recherche

      L'utilité de cette démarche, pour la recherche, réside en sa capacité d'identifier des difficultés qui se manifestent pendant l'apprentissage réel et, également, en sa capacité d'élaborer des explications qui conduisent à l'élaboration de stratégies pédagogiques. Elle consiste en fait, en un compromis entre la recherche " en laboratoire", où la prise d'information auprès des étudiants ne serait pas en situation d'apprentissage réelle et la recherche appliquée où l'enseignant lui-même pourrait organiser son environnement de manière à intégrer son activité de recherche à sa pratique.

      L'une des limites de cette recherche réside dans le délai entre la prise d'information initiale et l'élaboration des conclusions de la recherche. Depuis 1993, la formule du cours ETA 6652, enseignée par le même professeur, a beaucoup évolué. Au niveau conceptuel, les difficultés et leurs explications constituent toujours des pistes de réflexion pédagogique intéressantes, mais certaines considérations pédagogiques sont peut-être caduques parce qu'elles répondent à des difficultés qui n'existent plus.

      Une autre limite est inhérente aux compromis exigés par le respect de la situation réelle. Comme nous l'avons mentionné à la section précédente sur les difficultés de la démarche suivie, les compromis nous ont permis d'obtenir de l'information valide par rapport à nos questions, mais par ailleurs, il nous a limitée dans notre capacité d'approfondir la structure conceptuelle des étudiants par rapport aux concepts étudiés, soit les critères de rigueur méthodologique.


10.3.2.2 Utilité de la démarche pour l'enseignement

      Pour un professeur de méthodologie, l'intérêt de cette démarche ne réside pas tellement dans sa possibilité d'analyse approfondie, mais surtout dans sa capacité à générer des indices de difficultés et d'explications de leur origine, afin de réajuster son enseignement en conséquence. Mais cette démarche n'est intéressante que si elle porte sur l'ensemble des séances de cours et si elle permet un diagnostic rapide. Aussi, nous proposons plutôt au professeur une démarche de réflexion en boucle, permettant d'intégrer les éléments des premiers cours.

      

Figure 46 : Schéma d'une démarche réaliste pour le professeur

      Comme le montre la figure précédente, le recueil de données itératif est remplacée par une prise de notes, le plus rapidement possible après le cours, au sujet de toutes les questions, erreurs ou commentaires identifiés comme étant des difficultés. L'étape de l'enregistrement et de la transcription de la trace brute sont donc escamotées ici et remplacées par une description de la trace "a posteriori". La prise de notes telle qu'elle a été effectuée dans la recherche est un procédé trop long pour le professeur. Le classement des difficultés se fait au fur et à mesure, à partir de similitudes entre elles. Finalement, l'explication des difficultés et les considérations pédagogiques sont ensuite effectuées et intégrées au besoin dans les séances suivantes. En fait, cette séquence sera reprise après chaque séance, en intégrant le travail qui a été fait à la séance précédente. Ainsi, au fur et à mesure de l'avancement du cours, la banque de difficultés augmentera, permettant de nouveaux regroupements et de nouvelles explications de leur origine, tout en permettant de conserver une certaine cohérence à travers les stratégies pédagogiques utilisées.

      De toute évidence, cette démarche escamote un certain nombre d'étapes nécessaires à l'établissement d'une "scientificité" en recherche: inscription d'une trace "décrite" et non d'une trace brute, pas de phase de contrôle de la qualité des données, pas de validation du classement de difficultés effectué, pas de validation des interprétations. Cependant, le professeur qui désire améliorer son enseignement n'a pas à respecter les mêmes contraintes que la recherche. Son objectif n'est pas d'atteindre la "vérité" ou même de s'en approcher, mais plutôt de rendre son enseignement plus efficient en créant de nouvelles formules de cours, de nouvelles activités d'apprentissage ou une organisation du contenu différente.

      En conclusion, les résultats de la recherche sont utiles aux professeurs de méthodologie comme pistes de réflexion au sujet des difficultés éventuelles de leurs propres étudiants. Cependant, un travail de transfert des résultats doit être effectué pour tenir compte du contenu enseigné, de l'orientation choisie, ainsi que du contexte du cours. Quant à la démarche, elle doit subir quelques changements afin que le diagnostic puisse servir dans l'immédiat et qu'une réflexion plus large soit également possible au fur et à mesure de l'accumulation des informations au cours de la session.

      Pour la recherche, cette démarche est utile afin de relever les difficultés d'apprentissage telles qu'elles se manifestent en situation réelle. Cependant, elle comporte certaines limites qui sont liées aux compromis nécessaires au respect de sa finalité. Rappelons cependant que ces limites concernent la situation telle qu'elle s'est présentée et qu'il est possible qu'une recherche similaire soit effectuée en les minimisant. Par exemple, certains groupes pourraient être plus réceptifs et accepter de participer à des entrevues individuelles qui pourraient permettre de meilleurs portraits de l'organisation conceptuelle des étudiants. La participation d'un plus grand nombre d'analystes pourrait réduire le délai entre la prise d'information et la rédaction des résultats. Toutefois, il ne faut pas perdre de vue que si ces actions nous permettent de mieux répondre aux critères de "scientificité", elles risquent de nous éloigner de l'objectif pragmatique initial.


10.4 Perspectives de recherches futures

      Plusieurs pistes de recherches peuvent être envisagées dans le futur. D'abord, nous proposions qu'une réflexion de fond soit menée au sujet du rôle et de la légitimité de la recherche en éducation. Mais, en plus de cette réflexion, il faut développer des méthodologies qui soient pertinentes par rapport aux finalités souhaitées de la recherche. Par exemple, si la recherche doit être contextualisée, quelles sont les méthodes utiles pour répondre à cette exigence? Quels seraient les critères de rigueur méthodologique d'une théorisation à partir de la pratique? Par ailleurs, des profils de formation méthodologique qui correspondent aux finalités de la recherche souhaitées doivent aussi être développés.

      Au niveau des conceptions des étudiants, nous ne voyons pas l'utilité d'entreprendre des recherches sur les difficultés d'apprentissage des étudiants en méthodologie de la recherche qui se situent hors d'un contexte réel d'enseignement. En effet, même si le respect de la situation réelle pose des problèmes certains, l'étude des difficultés hors d'un contexte réel d'enseignement nous semble manquer de pertinence. Hors de la situation réelle, les étudiants n'investiront pas une énergie équivalente à celle dépensée lors d'un cours, leurs stratégies d'apprentissage seront vraisemblablement différentes puisqu'on n'étudie pas de la même façon un texte lors d'un cours ordinaire et lors d'une expérience de recherche et, de plus, les difficultés d'apprentissage ne peuvent être déterminées qu'en fonction d'un modèle de référence, d'un contenu précis. À la limite, les conceptions épistémologiques des étudiants pourraient être investiguées davantage, ce qui permettrait d'obtenir des indices d'origines de certaines difficultés observées par les professeurs ou encore d'anticiper les difficultés possibles des étudiants, en identifiant dans le contenu, tout ce qui s'écarte de leurs conceptions, et de prévoir des stratégies pour éviter ces obstacles.

      Ainsi, des recherches portant sur les conceptions de la recherche pourraient être entreprises et utilisées par les professeurs de méthodologie comme outil pour anticiper ou comprendre les difficultés de leurs étudiants. Ces recherches pourraient être entreprises hors du contexte habituel d'apprentissage puisqu'elles portent sur des conceptions déjà présentes qu'il suffit de faire émerger chez l'étudiant. Cependant, les recherches portant sur les difficultés d'apprentissage de la méthodologie de la recherche devraient, à notre avis, être entreprises en contexte d'enseignement. À ce sujet, le modèle général proposé à la section 10.3.2.2, pourrait être développé et utilisé en situation réelle d'enseignement.

      Des recherches pourraient également être entreprises autour de la notion de mise en scène pédagogique. Actuellement, peu d'outils permettent d'analyser les stratégies pédagogiques discursives utilisées par les professeurs. Pourtant, c'est par ces stratégies que le professeur résout les difficultés d'apprentissage de ses étudiants. Ces recherches devraient tenir compte du fait que la classe est un lieu d'interaction entre le professeur et les étudiants et que les stratégies pédagogiques utilisées sont fonction de ces interactions.


CONCLUSION GÉNÉRALE

      La présente recherche s'intéresse aux difficultés d'apprentissage d'étudiants aux études supérieures en sciences de l'éducation, dans le cadre d'un cours de méthodologie de la recherche. Nous nous sommes restreinte à étudier l'apprentissage des critères de rigueur méthodologique qui constituent des concepts centraux en méthodologie de la recherche.   La description et la compréhension des difficultés éprouvées par les étudiants devaient nous permettre de mieux comprendre la manière dont les étudiants appréhendent la méthodologie de la recherche et de proposer des stratégies pédagogiques permettant de résoudre ces problèmes.  

      Une réflexion sur le traditionnel triangle pédagogique appliqué au contexte d'enseignement qui nous intéresse , a permis d'isoler la dimension que nous voulions étudier, soit l'étudiant lui-même, ainsi que la manière dont il appréhende la méthodologie et l'importance du contexte d'enseignement, soit le contenu ( ou modèle terminal) et les stratégies pédagogiques ( mise en scène et mise en page du contenu). Finalement, une réflexion sur le concept de représentation a permis de mieux comprendre l'utilisation possible du concept de représentation en pédagogie. Ainsi, nous avons opté pour l'étude des difficultés spécifiques plutôt que pour celle, plus globale, des représentations. De plus, l'utilisation des modèles pédagogiques utilisant les représentations nous a permis de mettre en lumière notre "représentation des représentations" et ainsi, de mieux identifier les modèles qui pouvaient nous inspirer. Nous envisageons les difficultés des étudiants comme étant à la source de "pré-conceptions", c'est-à-dire de conceptions incomplètes, ou erronées par rapport au contenu enseigné. De plus, la possibilité d'utilisation des modèles actuels utilisant les représentations est assez limitée en méthodologie de la recherche, étant donné le caractère abstrait de cette matière et sa relation aux fondements épistémologiques qui constituent un domaine où les étudiants sont très peu outillés et dont ils ont peu entendu parler.

      La démarche suivie a procédé en deux phases. Une première phase a permis un recueil de données contextualisées auprès des étudiants. Les recueils et analyses successives des données ont permis d'obtenir des informations sur les difficultés réelles des étudiants dans un contexte à peu près habituel d'enseignement. La deuxième phase de la démarche se situait hors-terrain et constituait un travail de description, de traitement et d'interprétation des données. D'abord, les difficultés des étudiants ont été décrites en relation avec le contenu enseigné et leur contexte d'apparition a été analysé. Ces difficultés ont ensuite été regroupées à partir de similitudes au niveau du contenu ou de la forme. Par la suite, des comparaisons entre ces difficultés et leur contexte d'apparition, les réponses des étudiants à un questionnaire sur leurs conceptions de la science, ou encore, à différents énoncés théoriques dans la littérature particulièrement en psychologie cognitive, a permis de mieux comprendre l'origine de ces difficultés.

      L'analyse et le traitement des données nous ont permis d'identifier six catégories de difficultés manifestées par les étudiants.

      La première catégorie concerne le statut des données. Nous avons observé que l'influence de la psychométrie est importante dans la définition des concepts de fidélité et de validité chez certains étudiants et que certains d'entre eux privilégient une perspective procédurale plutôt que conceptuelle.

      La phase de décision dans la recherche vérificatoire pose également problème à certains étudiants.  Ainsi, il semble y avoir ambiguïté sur l'objet sur lequel porte le test d'hypothèse nulle, ainsi que dans la signification attribuée à l'aléatorisation dans la décision. De plus, certains étudiants manifestent une difficulté courante qui consiste à utiliser le test d'hypothèse nulle afin de prendre une décision au sujet de l'effet du traitement expérimental. L'expression "nulle" dans "hypothèse nulle" pouvant ajouter à l'ambiguïté puisque ce terme signifie pour certains qu'il y a un effet nul, sans pour autant savoir s'il s'agit de l'effet du hasard sur la constitution des groupes ou de l'effet du traitement sur le groupe expérimental.

      La généralisabilité de la recherche monographique pose également des difficultés à certains étudiants. En fait, les étudiants envisagent difficilement la capacité de généralisabilité d'une recherche autrement que dans le sens que lui attribue la recherche positiviste empiriste, soit la capacité de généraliser les résultats obtenus avec l'échantillon, à l'ensemble de la population de référence. La généralisation par abstraction telle que proposée par la phénoménologie, ou le transfert conditionnel, ne semble pas être présente dans les conceptions de ces étudiants. De plus, cette difficulté a fait prendre conscience à certains que la signification de la généralisabilité pouvait dépendre d'une épistémologie de référence et, ainsi, ne pas faire l'objet de consensus à l'intérieur de la communauté scientifique.

      La quatrième catégorie concerne les concepts de loi, hypothèse, théorie et modèle, qui sont mal définis et mal distingués par certains. D'abord, le concept de modèle est compris, par certains, uniquement par le raisonnement déductif. Ainsi, l'existence de modèles induits à partir de la réalité empirique ne semble pas faire partie des conceptions de ces étudiants. En deuxième lieu, certains éprouvent des difficultés à distinguer modèles et théories à partir d'exemples réels, de même que de distinguer les 5 types de théorie à partir de théories existantes. Ainsi, au-delà du rappel de la définition de chacun des concepts, certains étudiants éprouvent de la difficulté à appliquer ces concepts à des théories et des modèles existants.

      Une cinquième catégorie regroupe les difficultés qui ont trait à un malentendu terminologique. Ainsi, la confusion est présente dans certains cas parce que l'étudiant utilise un terme dans son sens commun et non dans son sens technique et, dans d'autres cas, parce que ce dernier utilise un concept dans un contexte où il n'est pas pertinent.

      Finalement, la sixième catégorie regroupe des difficultés qui semblent être dues au fait que certains étudiants étudient les textes du cours de façon superficielle alors qu'une étude approfondie serait requise. Ainsi, certains termes sont utilisés par les étudiants avec un manque de précision qui témoigne d'une confusion entre les concepts. Certaines confusions témoignent plutôt d'un manque d'organisation conceptuelle. Certaines confusions ou certaines questions témoignent du fait que ces étudiants ne construisent pas, par exemple, de schémas qui intègrent l'ensemble du contenu qu'ils ont étudié. Ainsi, les connaissances paraissent morcelées dans certains cas.

      L'interprétation des résultats par inférence analogique nous a permis de dégager sept origines possibles des difficultés. D'abord, la surgénéralisation de certaines préconceptions par les étudiants les conduit à utiliser certains concepts dans un contexte où ils ne sont pas pertinents. Dans d'autres cas, c'est plutôt l'utilisation d'une préconception mal assimilée qui semble être à la source du problème. L'analyse a également montrée la persistance d'une perspective procédurale plutôt que conceptuelle dans la définition de certains concepts. Ainsi, certains étudiants s'attardent surtout au "comment", très peu au "pourquoi". Certains étudiants utilisent le sens commun de certains concepts, plutôt que leur signification technique, ce qui cause des confusions. D'autres difficultés semblent être dues à une lacune au niveau des connaissances épistémologiques. Certains problèmes sont liés à une difficulté particulière du contenu (abstraction élevée par exemple) ou à un niveau élevé d'acquisition souhaité par le professeur. Finalement, une dernière source de difficulté semble résider dans le fait que certains étudiants manquent de préparation quand ils se présentent au cours. Certains étudiants ne maîtrisent pas suffisamment le contenu, tant au niveau de la connaissance de la terminologie, que de l'organisation du contenu du cours et des cours précédents.

      Les considérations pédagogiques proposées à la suite de ce diagnostic proposent trois types d'intervention. Une première intervention se fonde sur la résolution d'un conflit chez l'étudiant et concerne les cinq premières origines possibles des difficultés.

      L'étudiant doit d'abord être confronté à l'obstacle qui est à la source de sa difficulté, par la comparaison entre deux informations contradictoires: ses conceptions et de nouvelles connaissances, ou deux nouvelles informations. Il doit ensuite être amené à établir le champ de validité de ses conceptions et des nouvelles connaissances qui sont présentées. Finalement, le professeur doit favoriser une réorganisation des connaissances de l'étudiant à l'aide, par exemple, d'une activité de construction de cartes sémantiques. Ce type d'intervention n'est intéressant qu'à certaines conditions, notamment celle de disposer de temps et d'un groupe restreint et son intérêt est donc limité dans certains cas.

      Un deuxième type d'intervention concerne la sixième origine possible (6° Problèmes liés à une difficulté particulière du contenu ou à un niveau élevé d'acquisition souhaité) et propose que les activités du professeur soient aménagées différemment, elles sont basée sur une réorganisation du contenu.

      Finalement, la catégorie concernant le manque de préparation des étudiants propose des interventions fondée sur la stimulation de l'apprentissage. L'objectif visé étant de favoriser la préparation des étudiants avant de se présenter au cours. Ces stratégies soulèvent évidemment le problème délicat de la coercition plus ou moins forte exercée auprès d'étudiants adultes aux études supérieures.

      Les difficultés observées chez les étudiants nous ont également permis de réfléchir sur les finalités du cours de méthodologie, ainsi que sur la pertinence du profil de formation proposé. Certains indices, à l'intérieur de nos résultats, nous permettent de croire que des étudiants ont une perspective de praticiens de l'enseignement qui interfère avec celle de chercheur. Étant donné la préoccupation de ces étudiants vis-à-vis de l'action pédagogique, nous nous demandons s'ils ne seraient pas mieux servis par un profil de formation à la recherche appliquée, plutôt que par un profil de formation à la recherche nomothétique, comme c'est actuellement le cas. Ce profil pourrait permettre aux étudiants de développer une compréhension des différents types de recherches appliquées et de développer des habiletés de recherche permettant d'améliorer leur pratique, de développer des outils efficaces, de perfectionner leurs habiletés pédagogiques ou encore, de prendre des décisions éclairées en fonction d'un diagnostic clair. Ce profil pourrait s'adresser autant aux enseignants eux-mêmes, qu'aux professionnels de l'enseignement ou aux cadres scolaires.

      L'interrogation sur les profils de formation méthodologique souhaités soulève évidemment la question du rôle et de la légitimité de la recherche en éducation. Depuis longtemps, la légitimité de la recherche est mise en cause parce que l'on s'interroge sur sa capacité à améliorer la pratique pédagogique et parfois même sur son utilité dans un autre secteur que celui de la recherche. De toute évidence, une réflexion de fond sur la place de la recherche en éducation est nécessaire, mais aussi, sur la collaboration possible entre chercheurs et praticiens, alors que ces deux professionnels évoluent dans des champs de pratique radicalement différents. Des réponses à ces interrogations et des choix sont nécessaires afin que les profils de formation à la méthodologie puissent avoir une quelconque légitimité.

      La recherche se termine sur certaines considérations méthodologiques concernant la démarche utilisée, ainsi que sur une réflexion au sujet de son potentiel. Les problèmes méthodologiques de la démarche suivie sont dus, essentiellement, à des conflits entre un enjeu pragmatique et un enjeu nomothétique. En effet, les exigences de la recherche nomothétique entraient parfois en conflit avec les exigences pragmatiques de la situation de classe, qu'il nous semblait essentiel de respecter. Cette démarche est utile afin de relever les difficultés des étudiants dans une situation réelle d'apprentissage. Cependant, le respect de la situation réelle d'apprentissage provoque certaines limites de la recherche, notamment en ce qui concerne le choix des stratégies de recueil d'information. La démarche présente toutefois un potentiel intéressant pour permettre d'identifier des difficultés d'apprentissage et de générer des indices de leur origine possible.

      Finalement, nous proposons des pistes de recherches qui permettraient d'approfondir davantage le champ des difficultés d'apprentissage en méthodologie de la recherche. Essentiellement, nous croyons que des recherches pourraient être entreprises hors du contexte de classe, mais qu'elles devraient porter sur des aspects plus généraux que les difficultés d'apprentissage, soit par exemple, les conceptions de la recherche. En revanche, les recherches qui s'intéressent aux difficultés d'apprentissage ne devraient être entreprises qu'en contexte réel d'apprentissage.  De ce point de vue, la démarche pourrait être développée davantage de façon à permettre un recueil de données qui soit plus étendu, mais qui permette d'obtenir des résultats rapidement, afin de répondre aux exigences de l'enseignement.


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