Note(s)

[1]  On pouvait lire à cet égard, en 1994, dans le bulletin d'information du CRSNG, Contact, que le gouvernement fédéral refusait «d'accorder un appui supplémentaire direct au Programme de subventions de recherche [qui est un programme de subventions de recherche non orientée]». Ce refus traduisait la préoccupation du gouvernement «quant à la pertinence de la recherche par rapport aux enjeux socio-économiques.» Le document ajoutait que «de tous les programmes du CRSNG, les Subventions de recherche sont perçues comme le moins pertinent» (op. cit., p. 13).

[2]  Le transfert des activités du «secteur science» du ministère de l'Enseignement supérieur et de la Science au ministère de l'Industrie, du Commerce, de la Science et de la Technologie en 1994 constituerait un indicateur marquant de la disparition progressive d'une préoccupation en faveur du développement scientifique pour lui-même et de son remplacement «par une orientation qui place l'activité scientifique sous la gouverne de l'innovation technologique» (Godin & Limoges, 1995, p. 452).

[3]  Plusieurs rapports et documents gouvernementaux récents traitent de la question du rôle des universités et de la recherche universitaire dans le contexte de la restructuration économique à l'échelle mondiale. Voir notamment les rapports du Conseil des universités : Les enjeux du système universitaire québécois. Vers une redéfinition des rapports entre les universités et la société (1993a), La nature et les rôles de la recherche universitaire (1993b); les rapports du Conseil supérieur de l'éducation : L'enseignement supérieur: pour une entrée réussie dans le XXIe siècle (1992), L'enseignement supérieur et le développement économique (1994), Réactualiser la mission universitaire (1995), Le financement des universités (1996); les rapports du Conseil de la science et de la technologie : Urgence technologie. Pour un Québec audacieux, compétitif et prospère (1993), Pour une politique québécoise de l'innovation (1997); et la politique du gouvernement du Canada en matière de développement scientifique : Les sciences et la technologie à l'aube du XXIe siècle. La stratégie fédérale (1996).

[4]  Selon la Fédération canadienne des sciences humaines et sociales (1998), la restauration des budgets des organismes subventionnaires fédéraux au niveau de 94-95 sera affectée par «divers facteurs, y compris la coupure de trois pour cent pour l'année 1998-1999 introduite par le budget de l'an dernier [1997] (...)» (op. cit., p. 1). Pour le CRSH, la hausse annoncée ne serait ainsi que de 7,4% et non de 9,5%.

[5]  Pour le CRSH, le CRSNG et le CRM, les chiffres présentés ici sont ceux calculés par Statistique Canada et comprennent les dépenses annuelles de tous les ministères et agences gouvernementales. C'est ce qui explique que les données diffèrent du montant des crédits parlementaires versés annuellement à ces trois organismes subventionnaires. Ceci explique également pourquoi les compressions de 14% étalées sur trois ans prévues aux budgets du CRSNG et du CRSH à partir de 94-95 ainsi que les compressions de 10% prévue au budget du CRM ne figurent pas dans les données réunies ici; ces compressions affectant uniquement les crédits parlementaires.

[6]  Le détail par université des postes abolis ou non comblés est le suivant : à l'Université de Montréal, l'Université Laval et l'Université de Sherbrooke, ce sont respectivement 364, 160 et 75 postes qui seront abolis avant la fin 1998. À l'Université Concordia, il y a eu une diminution nette de 140 professeurs en 1996-1997 tandis qu'à l'Université McGill la diminution a été de 97 postes depuis 95-96. L'Université du Québec à Montréal compte pour sa part 120 postes non comblés. Les données plus récentes obtenues par la FQPPU et publiées dans l'édition d'octobre 1997 du journal Université indiquent qu'il faut ajouter à ces chiffres une quinzaine de postes coupés à l'UQTR et à l'UQAH et une dizaine à l'UQAR (p. 5).

[7]  La subvention de fonctionnement versée par le gouvernement du Québec aux universités est en bonne partie calculée sur la base du nombre d'étudiants inscrits dans chaque université, plus précisément, sur la base des étudiants équivalents temps complet (EETC). Ce mode d'attribution des subventions explique les efforts déployés par les universités pour accroître le volume de leur clientèle étudiante. La concurrence s'est par ailleurs intensifiée depuis 1994-1995 alors que « l'enveloppe totale destinée au financement des universités est dite fermée, c'est-à-dire que cette enveloppe ne varie plus pour tenir compte de l'évolution réelle de certains coûts et de l'application des règles de financement » (MEQ, 1997, p. 4.). Cette modification a eu pour effet d'accroître l'importance des « ajustements spécifiques », dont fait partie le financement par EETC. Voir également, Conseil supérieur de l'éducation (1996), et Fortier (1995).

[8]  Des Rivières, P. 1998, 10 janvier, p. E8.

[9]  Des Rivières, P. (Ibid.).

[10]  Informations obtenues auprès d'employés de départements.

[11]  Des Rivières, P. (Ibid.).

[12]  Les contrats octroyés par les entreprises aux universités québécoises sont passés de 5,6 millions $ en 1984-1985 à près de 76 millions $ en 1995-1996 (Conseil de la science et de la technologie, 1997, p. 35).

[13]  On peut noter depuis la fin des années 80 une volonté accrue de la part des organismes subventionnaires de présenter la recherche universitaire comme un facteur de croissance économique dans la nouvelle économie mondiale. Les organismes subventionnaires semblent ainsi avoir repris à leur compte certains aspects de la vision du monde véhiculée par le discours « économiciste » (Bourque et Beauchemin, 1994) des élites économiques et politiques canadiennes et québécoises. Slaughter et Rhoades (1996) ont mis en évidence un phénomène analogue aux États-Unis. Selon les deux chercheurs, le nouveau discours visant à justifier les investissements dans le domaine de la science est désormais fondée sur les notions de compétitivité des entreprises et de concurrence internationale.

[14]  Les subventions stratégiques existent depuis la création du CRSH en 1978. Ce programme de subventions, qui s'appelait auparavant Subventions thématiques, a fait l'objet d'une réforme importante en 1990 suite aux recommandations du rapport du Premier groupe de travail sur les priorités des programmes publié en 1988 (SSHRC, August 1988, Second Report of the Task Force 1 on Program Priorities) et du rapport du Deuxième groupe de travail sur les priorités publié en 1989 (SSHRC, March 1989, Report of the Second Task Force on Priorities, Gilles Paquet, Chair). De façon générale, les réformes proposées par ces deux rapports visaient à stimuler l'intérêt des chercheurs à l'endroit de la recherche orientée et à accroître la pertinence sociale de ce type de recherche. Le lancement du programme des Initiatives conjointes en 1989 résulte d'une des recommandations du Rapport Paquet (cf. SSHRC, April 1996, p. 8).

[15]  Bien que la création du programme Actions concertées remonte aux années 70, ce n'est que depuis le début des années 90 qu'il est priorisé par le FCAR : «Étant donné les restrictions budgétaires connues de la plupart des organismes gouvernementaux, le Conseil d'administration a décidé d'accroître la part du budget allouée aux Actions concertées puisqu'elles ouvrent la voie à des investissements provenant de sources autres que le ministère de l'Enseignement supérieur et de la science. Le programme Actions concertées existant depuis le début des années 1980 [sic], le Conseil d'administration a mandaté la direction des politiques et de la planification pour présenter une politique visant la priorisation du programme (...)» (Fonds FCAR, 1994, p. 30).

[16]  La totalité des programmes du CQRS sont des programmes de subvention de recherche orientée. Trois programmes ont toutefois été exclus de l'analyse, soit le programme de subventions d'aide au transfert ou à la diffusion des résultats et les programmes de bourses de doctorat et de bourses de post-doctorat. Le programme de subventions d'aide au transfert ou à la diffusion des résultats a été exclu parce qu'il ne s'agit pas d'un programme consacré à la recherche proprement dite, mais bien, comme son nom l'indique, au transfert de connaissances. Les programmes de bourses de doctorat et de post-doctorat ont été exclus parce qu'il s'agit de bourses destinées aux étudiants et non aux chercheurs universitaires ou aux professionnels de recherche en sciences sociales.

[17]  Il peut toutefois y avoir parfois des différences appréciables entre les attentes des organismes subventionnaires et ce qu'ils obtiennent des professeurs et des bailleurs de fonds. Le programme des Subventions stratégiques du CRSH constitue un bon exemple de la différence qu'il peut y avoir entre ce que les professeurs et les bailleurs de fonds font et ce qui est attendu d'eux. Alors que le CRSH annonçait en 90, lors de la relance du programme, qu'il s'attendait à ce que les professeurs établissent des partenariats avec divers organismes, et qu'il souhaitait que ces organismes participent «à toutes les phases du projet depuis sa conception et sa mise en oeuvre jusqu'à la diffusion des résultats» (Nouvelles du CRSH, printemps 1990, p. 3), il s'avère que cinq ans plus tard, soit en 1995, encore seulement 56% des projets présentés comportaient un partenaire; ce taux était toutefois en croissance, depuis 34% en 1991. De plus, dans 29% des demandes présentées en 1995 comportant un partenaire, il s'agissait d'un partenariat fantôme; le partenaire n'ayant, soit, pas été informé par les chercheurs de l'utilisation de son nom dans le cadre d'une demande de subvention, soit, peu ou pas informé de l'état d'avancement des travaux lorsque le projet avait été accepté (SSHRC, April 1996, p. 45-47).

[18]  Dans une étude sur les fonctions sociales de la politique scientifique en France au cours des années 50 et 60, Pollack (1975) montre que la «politique contractuelle» (qui peut être vue comme l'équivalent français des programmes de recherche orientée) a contribué à diminuer le poids des pairs dans l'évaluation des produits scientifiques. L'auteur souligne que «le glissement du pouvoir des pairs vers celui des bureaucrates de la science est un processus très progressif et qui, comme le montre par exemple la création de nouveaux organismes distincts des institutions scientifiques traditionnelles, s'opère en marge de l'intérêt (et de la vigilance) des agents scientifiques» (op. cit., p. 48). L'établissement de hiérarchies nouvelles entre des conceptions concurrentes de la recherche ne résulte pas, ainsi, selon l'auteur, uniquement de conflits internes à la science mais sont également «le produit d'influences externes» (Ibid.). S'il s'agit bien d'une domination sur le champ scientifique, Pollack précise que celle-ci «s'opère surtout par l'intermédiaire de certains chercheurs dont les conceptions scientifiques convergent avec les intentions des agents du pouvoir vis-à-vis de la production scientifique» (Ibid.). En ce sens, toute prise de position scientifique inclut selon l'auteur une prise de position politique.

[19]  Ces données confirment les tendances observées par Godin et Landry (1995) dans leur étude sur la collaboration scientifique au Québec. Les chercheurs ont montré que les budgets pour la recherche menée en partenariat avec le secteur privé augmentent plus rapidement que les budgets réguliers des organismes subventionnaires.

[20]  Ces données vont dans le même sens que celles exposées dans Leclerc et Gingras (1993).

[21]  Données provenant de la Direction générale de l'enseignement et de la recherche universitaires du Québec présentées par Marc Renaud dans «Le transfert des connaissances est-il une priorité pour les organismes subventionnaires?» dans le cadre du colloque Le transfert des connaissances et les MTS-Sida et citées par le Groupe de travail du Comité de la recherche de l'Université de Montréal (1995, p. 16).

[22]  L'extrait qui suit en témoigne : «Quand il devient clair que la compétitivité n'est pas seulement fonction de sciences naturelles et de technologie, mais qu'elle repose aussi sur l'éducation, la santé et la qualité de vie d'une population, il devient important d'investir également dans les sciences du social. Le CQRS se démarque toutefois de l'idéologie de la compétitivité à tout prix» (CQRS, 1997, p. 10).

[23]  C'est du moins l'interprétation à laquelle invite l'extrait suivant : «Dans un contexte d'assainissement des finances publiques [le CQRS doit] trouver le moyen d'élargir sa propre base de financement, sans quoi même la consolidation de ses acquis est mise en cause» (op. cit., p. 14).

[24]  Il faut noter que le Conseil des universités a été aboli en 1993.

[25]  Bien que le gouvernement du Québec ait adopté en 1995 la Loi sur les établissements d'enseignement de niveau universitaire qui vise entre autres à évaluer le «rendement» et les «perspectives de développement» de chaque université québécoise, «la demande d'imputabilité continue à être forte», et «le gouvernement estime qu'il faut prendre acte de cette demande sociale et y répondre de façon ouverte et réaliste» (MEQ, 1998, p. 54). Ainsi, «le gouvernement estime que le Québec devrait mettre au point un ensemble d'indicateurs permettant d'évaluer a posteriori le rendement du système universitaire québécois. Ces indicateurs devraient permettre des comparaisons entre les universités québécoises et d'autres systèmes universitaires dans le monde» (Ibid.).

[26]  L'extrait suivant traduit bien l'inquiétude des tenants de la position non utilitariste à cet égard : «La mission propre de l'Université et l'indépendance que requiert sa réalisation se trouvent niées par la mise en place de mécanismes de contrôle, d'imputabilité, de reddition de compte essentiellement quantitatifs, visant à démontrer la rentabilité financière immédiate de l'investissement social que représente l'Université» (Landry, S., décembre 1997, Université, p. 28).

[27]  Extrait de la lettre envoyée le 20 novembre 1996 par Roch Denis, président du FQPPU, à Pierre Reid, alors président de la CRÉPUQ. Cette lettre a été publiée dans l'édition de décembre 1996 du journal Université, p. 5.

[28]  Pour la suite du texte, nous allons utiliser les abréviations sous-champ de PP pour désigner le sous-champ de production pour producteurs, et sous-champ de PNP pour désigner le sous-champ de production pour non-producteurs.

[29]  L'étude commandée par le Comité des citoyens de Val Saint-François s'opposant à l'installation de la ligne à haute tension Hertel-Des Cantons projetée par Hydro-Québec constitue un bon exemple d'une production de connaissances s'inscrivant dans la logique sociale et politique. L'étude commandée vise explicitement à fournir aux citoyens les moyens de développer une contre-argumentation à celle d'Hydro-Québec (cf. Lachapelle, J. 1998).

[30]  On note que la classification des organismes de soutien à la recherche faite par Gibbons et al. est très large et qu'elle regroupe sous une même dénomination des sources de financement qui, au Québec et au Canada, doivent être traitées séparément en raison des différences qui distinguent leur mandat respectif. Gibbons et al. ne font pas la distinction entre les contrats de recherche attribués par les entreprises et l'État, auxquels sont habituellement associées des exigences de résultats opérationalisables, et les subventions de recherche non orientée accordées par les organismes subventionnaires, auxquelles sont associés des exigences d'avancement des connaissances via des publications scientifiques (préférablement dans des revues arbitrées).

[31]  Les italiques sont de nous.

[32]  Le concept de capital spécifique présente des affinités avec le concept de ressource développé par Sewell (1992). En effet, l'exercice du pouvoir est conceptualisé tant chez Bourdieu que chez Sewell comme la concrétisation de la domination symbolique qu'exercent un ou plusieurs acteurs auprès d'autres acteurs. Le pouvoir est ainsi indissociable de la capacité d'orienter la signification attribuée à des pratiques ou à des objets. Chez Bourdieu, nous l'avons vu, l'exercice du pouvoir au sein d'un champ est associé à l'imposition du système de classement légitime. Chez Sewell, l'exercice du pouvoir (déterminé par la possession inégale des ressources par les acteurs) est tributaire des «schèmes culturels» avec lesquels les acteurs interprètent les pratiques ou objets de l'univers social : «Human resources (...) may be thought of as manifestations and consequences of the enactment of cultural schemas» (p. 11). La notion de pouvoir chez Sewell réfère à la capacité pour une acteur d'exercer une certaine maîtrise du sens des relations qu'il entretient avec les autres acteurs.

[33]  Il faut entendre ici «champ de production culturelle» au sens large puisqu'il comprend aussi bien des champs comme le champ littéraire que le champ scientifique. Reconnaissant la parenté entre les divers champs de production culturelle, Bourdieu précise, dans Le champ scientifique (1976), et encore davantage dans l'étude qu'il a réalisée sur la genèse du champ littéraire français (Les règles de l'art. Genèse et structure du champ littéraire), que l'on peut appliquer à d'autres domaines d'activités les analyses faites à propos des écrivains et du champ littéraire (Bourdieu, 1992, p. 299). C'est pourquoi on trouvera entre parenthèses, dans les lignes qui suivent, des références à d'autres domaines d'activités que celui de la littérature; les mêmes analyses faites par Bourdieu à propos du champ littéraire peuvent s'appliquer à ces autres domaines.

[34]  Comme le rappelle Michael Pollack (1975) dans un article portant sur la transformation de la sociologie et des sciences économiques en France en lien avec la politique scientifique, l'autonomie d'une communauté scientifique est doublement relative. D'une part, son degré d'autonomie se définit par la place qu'elle occupe dans les hiérarchies propres au champ scientifique, d'autre part, par les relations qu'elle entretient avec le champ du pouvoir pour des raisons financières (op. cit., p. 37).

[35]  Bien que Homo Academicus (1984) porte sur le champ universitaire, nous n'avons pas élaboré nos concepts de sous-champ de PP et de sous-champ de PNP sur ceux que Bourdieu utilise dans cette étude. La raison en est que Bourdieu analyse l'ensemble des espèces de capital en concurrence dans le champ universitaire et non, comme nous le faisons, une dynamique d'opposition particulière entre deux espèces de capital. Les concepts qu'il a développés pour faire l'analyse des milieux artistiques et culturels au sens large nous semblaient plus appropriés à notre objet de recherche.

[36]  Pour illustrer la difficulté accrue pour les chercheurs d'obtenir des fonds de recherche gouvernementaux pour la recherche non-orientée, on peut indiquer que le taux de succès au concours des Subventions ordinaires de recherche du CRSH a chuté de 45% à 32% en une seule année, soit de 1994 à 1995 (CRSH, 1995a, p.1).

[37]  Les ministères dont relèvent les organismes subventionnaires (le ministère de l'Industrie, du commerce, de la science et de la technologie pour le Fonds FCAR, le ministère de l'Industrie et du commerce du Canada pour le CRSH, le CRSNG et le CRM) attribuent des fonds pour le fonctionnement des organismes subventionnaires ainsi que pour l'ensemble de leurs programmes de recherche non orientée. Les fonds publics destinés aux programmes de recherche orientée peuvent provenir de ces mêmes ministères, mais de Directions autres que celle dont relèvent les organismes subventionnaires, ainsi que d'autres ministères ou agences gouvernementales. Les fonds pour la recherche orientée sont attribués pour des projets spécifiques. Le cas du CQRS est différent de celui des autres organismes subventionnaires en ce sens que tous ses programmes de subventions de recherche sont des programmes de recherche orientée qui s'inscrivent dans la mission du ministère de la Santé et des services sociaux. Les ministères, directions et agences gouvernementales qui ne sont pas les ministères et directions dont relèvent les organismes subventionnaires sont ainsi considérés ici en tant que non-producteurs de la recherche. À travers ceux-ci, l'État est donc toujours présent dans le domaine du financement de la recherche, mais sa participation, par le biais de nouvelles filières ministérielles, s'accompagnerait en principe d'un pouvoir accru d'orientation de la recherche.

[38]  L'italique est de l'auteur.

[39]  Il nous semble que les affirmations de Bourdieu sont ici imprécises car trop générales et qu'elles réduisent la diversité des profils de carrière universitaire non scientifique à un seul principe explicatif : l'incapacité de satisfaire les exigences liées au travail scientifique.

[40]  Ces exemples d'échelles d'évaluation sont de Bourdieu. Comme on peut le constater, leur seule énumération ne permet pas de saisir en quoi elles se distinguent. Quelle est, en effet, la différence entre une carrière scientifique, une carrière universitaire et une carrière intellectuelle? Si ces termes revêtent un sens particulier dans le système universitaire français, ce sens est moins clair dans le système universitaire québécois.

[41]  Les principaux documents ayant fait l'objet d'une analyse sont les suivants : le dossier de demande d'agrégation, le rapport d'évaluation de l'assemblée des agrégés et des titulaires, le rapport du Conseil de la faculté, le rapport du Conseil de l'université, le compte rendu des témoignages entendus par l'arbitre.

[42]  Les auteurs soulignent toutefois que ce n'est pas parce que le champ scientifique-universitaire a été en mesure de préserver son autonomie relative jusqu'à présent que cette autonomie demeurera nécessairement inchangée dans l'avenir. Les initiatives gouvernementales, associant les intérêts du champ économique, se font de plus en plus nombreuses écrivent les auteurs; ceci entraînant une prise en considération croissante d'intérêts et d'enjeux étrangers à la sphère scientifique et universitaire dans la pratique des acteurs (op. cit., p. 470).

[43]  Les auteurs classent parmi les travaux à caractère interdisciplinaire les travaux publiés dans des revues qu'ils ont eux-mêmes classées comme étant interdisciplinaires. Voici comment ils ont procédé au repérage des revues interdisciplinaires : «We conjecture that journals that cannot be classified into a single field or even a single discipline cross field boundaries in some way, perhaps by addressing multiple audiences, or by taking submissions from several research communities, or by publishing articles that tend to require a broader range of skills than is customary in a traditional discpline. We label such journals and the articles published in them « transdisciplinary »» (op. cit., p. 387).

[44]  Il importe de préciser que l'étude de Fournier et al. date de 1988, et que, depuis, le contexte socio-économique s'est considérablement transformé. Le champ scientifique est soumis aujourd'hui à des pressions économiques auxquelles il n'était pas soumis avec autant d'intensité à la fin des années 80. Ainsi, il n'est pas interdit de penser que cette transformation du contexte socio-économique, qui s'accompagne notamment d'exigences accrues en matière de pertinence sociale de la connaissance produite en milieu universitaire, puisse éventuellement donner lieu à une revalorisation des pratiques à caractère «professionnel».

[45]  Bien que des différences distinguent les professeurs de la 2e cohorte, afin d'alléger le texte, nous allons désigner ces professeurs en utilisant la même expression que celle que nous utilisons pour désigner les professeurs de la 1ère cohorte, soit «professeurs ayant obtenu leur permanence». Les différences entre les professeurs de la 2e cohorte qui nous apparaissent significatives au regard de notre problématique seront bien sûr prises en considération dans l'analyse de nos données.

[46]  En ce qui a trait aux fonds de recherche, nous n'avons tenu compte que de ceux obtenus par le candidat au moment de faire sa demande de permanence.

[47]  Lorsque, dans certains cas, subsistait une ambiguïté, pour ce qui est des articles publiés dans des revues avec comité de lecture, des actes de congrès, des chapitres de livres, et des livres, nous retenions les publications parues jusqu'à l'année d'obtention de la permanence étant donné que ces publications sont habituellement connues du candidat au moment où il présente sa demande de promotion, à l'automne précédent l'obtention de la permanence. Ces publications sont soit soumises, soit acceptées; elles figurent normalement dans le dossier de demande de permanence.

Pour ce qui est des rapports, nous tenions compte que de ceux terminés au moment où le candidat présente son dossier de demande de permanence, donc l'année précédent l'obtention de celle-ci. Ceci en raison du fait que les délais de publication des rapports, à moins d'exception, sont habituellement moins longs que ceux requis pour les articles publiés dans des revues avec comité de lecture. Sur la base des informations recueillies, il ne semble pas non plus être d'usage chez les professeurs d'annoncer la publication prochaine d'un rapport dans un dossier de demande de permanence.

En ce qui a trait aux communications, pour la discipline de la sociologie, seules celles ayant été prononcées au moment où le candidat présentait sa demande de permanence ont été retenues. Les communications en sciences économiques n'ont pas été retenues puisque, sur la base des informations recueillies, leur importance est négligeable, sinon nulle, dans un dossier de demande de permanence.

[48]  Nous partageons l'idée de Bourdieu selon laquelle «la véritable soumission au donné suppose un acte de construction fondé sur la maîtrise de la logique sociale selon laquelle ce donné est construit (op. cit., p. 916).

[49]  Les italiques sont des auteurs.

[50]  Hicks et Katz ont tenté de mesurer l'augmentation du nombre des publications à caractère transdisciplinaire en utilisant comme indicateur le nombre d'articles publiés dans des revues qu'ils ont eux-mêmes définies comme transdisciplinaires parce qu'inclassables parmi les champs ou disciplines existants (op. cit., p. 387). Il nous semble que cette méthode présente certaines faiblesses pour deux raisons. D'une part, comment s'assurer que les revues perçues comme inclassables sont des revues nécessairement transdisciplinaires, et d'autre part comment s'assurer que les articles publiés dans ces revues sont eux-mêmes transdisciplinaires. Par ailleurs, on ne peut prendre pour acquis que tous les articles publiés dans des revues qui ne sont pas transdisciplinaires ne comportent pas eux-mêmes une part variable, mais parfois substantielle, de transdisciplinarité.

[51]  A posteriori, on peut résumer la démarche de recherche que nous avons suivie en citant l'extrait suivant de Bourdieu (1984). Dans sa simplicité même, la description faite par Bourdieu du processus de recherche correspond en grande partie à l'expérience que nous en avons eue dans le cadre de la présente étude : «La rupture avec l'intuition première est l'aboutissement d'un long processus dialectique dans lequel l'intuition, en se réalisant dans une opération empirique, s'analyse et se contrôle, engendrant de nouvelles hypothèses, déjà plus informées, qui trouveront leur dépassement grâce aux difficultés, aux manques, aux attentes qu'elles auront fait surgir» (op. cit., p. 18).

[52]  Le terme «domination» peut revêtir des sens différents en sociologie selon les domaines d'étude et approches théoriques dans lesquels il est utilisé. Dans le cadre de notre recherche, tel que nous l'avons expliqué dans le cadre théorique, ce terme réfère au processus d'imposition d'une norme par un sous-ensemble d'acteurs à l'ensemble des acteurs participants à un domaine d'activité donné (cf. section 2.4.1). Les termes «dominant» et «dominé» que nous utilisons font référence, quant à eux, à la position occupée par les acteurs par rapport à la norme «dominante».

[53]  À titre illustratif, on peut mentionner qu'en 1981, 72% des professeurs de sciences économiques dans les «cinq principaux départements de science économique franco-québécois» âgés de 50 ans et plus avaient fait leurs études avancées en France ou en Angleterre alors que seulement 8% de ceux âgés moins de 40 ans y avaient fait leurs études. À l'inverse, 66% des professeurs âgés de 40 et moins avaient fait leurs études aux États-Unis ou au Canada anglais alors que seulement 14% des professeurs de plus de 50 ans y avaient fait leurs études (Fortin, 1984, p. 62).

[54]  À l'échelle internationale, les économistes se sont dotés d'un outil visant à mesurer la valeur ou le prestige des producteurs intellectuels. Cet instrument de mesure consiste en une liste dans laquelle plus de 130 revues sont classées en fonction de l'impact qu'elles exercent auprès de la communauté internationale des chercheurs, calculé sur la base des citations recueillies. La liste la plus récente a été réalisée par Laban et Piette, et publiée en 1994 dans le Journal of Economic Literature (Vol. 32, No. 2, p. 640-666). Sur la base des informations recueillies dans le cadre des entrevues, il semble que les économistes de l'UdeM utilisent cette liste pour évaluer le dossier des candidats à l'agrégation. Les professeurs de l'UQAM semblent également utiliser cet outil, mais ils le feraient moins systématiquement, laissant place à une diversité plus grande de productions intellectuelles.

[55]  Les revues mentionnées le plus souvent par les économistes à cet égard sont Econometrica, Journal of Political Economy, American Economic Review, qui occupent respectivement les 2e, 3e et 7e rang du classement de 1994 du JEL (Table 2, Rankings Based on Impact Adjusted Citations Per Article, p. 664-667).

[56]  Les revues susceptibles de figurer dans le classement de JEL sont bien sûr les revues de langue anglaise. Les revues de langue française, en raison de la barrière de la langue, ne bénéficient pas d'un rayonnement suffisant pour pouvoir y trouver place; elles se trouvent donc a priori exclues de la «course».

[57]  Selon les historiens de la pensée économique Michel Beaud et Gilles Dostaler, la force actuelle de la théorie néoclassique tient pour une large part «à ses postulats simplificateurs, lesquels engendrent ensemble son irréalisme et sa vocation universelle» (1993, p. 190).

[58]  Il est intéressant de noter que ce professeur, comme plusieurs autres, projette sur les autres domaines d'activité scientifique le mode de fonctionnement propre à son domaine.

[59]  En 85-86, soit deux ans après la première période ciblée par notre étude, 40% des professeurs du département de sciences économiques de l'UQAM n'avait pas complété leur doctorat (Conseil des universités, 1988, p. 229). Il est plausible de penser que la proportion des professeurs sans doctorat pouvait être plus élevée durant les années 70 alors que l'UQAM venait tout juste d'ouvrir ses portes et engager massivement de nouveaux professeurs. On peut mentionner par ailleurs que, selon ce même rapport, 95,5% des professeurs du département de sciences économiques de l'UdeM étaient détenteurs d'un doctorat en 85-86.

[60]  Le CRSH a été créé en 1978.

[61]  On peut citer un économiste à cet égard qui affirmait que les économistes et les sociologues ne pourront jamais s'entendre en raison d'un différend politique fondamental : «Les économistes et les sociologues ne s'entendront jamais parce que vous, les sociologues, vous voulez plus d'État, alors que nous, les économistes, on veut moins d'État.»

[62]  Cette conception de l'individu rationnel, qui est présente dans tous les manuels de base en économie, a eu des échos en sociologie via notamment l'individualisme méthodologique, surtout en France, et la Rational Action Theory aux États-Unis (cf., Boudon, 1982; Bourdieu, 1997; Granovetter, 1985; Sewell, 1987; Wacquant & Calhoun, 1989).

[63]  Comme l'explique l'économiste Michel Aglietta, initiateur de l'école de la régulation, dans la théorie néoclassique «le sujet économique est posé au départ et défini par une conduite rationnelle qui est une caractéristique de la nature humaine, une donnée permanente et admise comme allant de soi; les relations économiques sont définies ensuite comme des modes de coordination entre les conduites des sujets, prédéterminées et inaltérables. Les débats théoriques portent sur ces modes de coordination et tendent vers la définition d'une configuration d'équilibre d'une portée toujours plus générale» (1976, p. 11). Mettant l'accent sur la conception de la société que suppose le postulat de la rationalité économique, Niosi (1985), Granovetter (1985), ainsi que Beaud et Dostaler (1993), soulignent pour leur part que, pour les économistes néoclassiques, la société est constituée d'une somme d'agents «atomisés et non socialisés» (Granovetter, 1985, p. 483). Chaque agent serait «doté d'un libre arbitre et l'interaction des décisions individuelles est à l'origine de la vie économique, sociale et politique (...). [Le comportement de chaque agent] peut être prédit à partir de l'hypothèse de la rationalité» (Beaud & Dostaler, 1993, p. 160).

[64]  On peut noter que, selon Ilya Prigogine (Prix Nobel de Chimie en 1977) et Isabelle Stengers, les sciences de la nature dont les sciences économiques s'inspirent pour élaborer leurs postulats relèvent d'une conception de la science et du monde naturel qui a fait elle-même l'objet de remises en question par le développement de ces sciences au cours des dernières décennies : «La science d'aujourd'hui n'est plus la science « classique ». Les concepts fondamentaux qui fondaient la «conception classique du monde» ont aujourd'hui trouvé leurs limites dans un progrès théorique que nous n'avons pas hésité à appeler une métamorphose. L'ambition de ramener l'ensemble des processus naturels à un petit nombre de lois a elle-même été abandonnée. Les sciences de la nature décrivent désormais un univers fragmenté, riche de diversités qualitatives et de surprises potentielles» (1979, p. 15).

[65]  La formalisation de la théorie économique prend son envol sous l'impulsion du fondateur de la théorie de l'équilibre général, Léon Walras (1834-1910) (...) qui déclare dans son ouvrage Éléments d'économie politique pure (1988) [1874] : «Si l'économie politique pure, ou la théorie de la valeur d'échange et de l'échange, c'est-à-dire la théorie de la richesse sociale considérée en elle-même, est, comme la mécanique, comme l'hydraulique, une science physico-mathématique, elle ne doit pas craindre d'employer la méthode et le langage des mathématiques» (op. cit., p. 53). Avec l'économiste anglais Jevons (1835-1882) et l'économiste autrichien Menger (1840-1921), Walras est parmi les principaux inspirateurs de ce qui deviendra la théorie néoclassique en sciences économiques (Boncoeur & Thouément, 1992, p. 15).

[66]  Edmond Malinvaud est directeur d'études honoraire à l'EHESS, professeur au Collège de France et ancien directeur général de l'INSEE (l'équivalent français de Statistique Canada).

[67]  Bien que cette liste d'organismes pour lesquels certains économistes en fin de carrière ont travaillé ne soit pas exhaustive, on peut quant même entrevoir, comme Pollack (1975) le soutient, que les activités professionnelles auxquelles s'adonnent les économistes les rapprochent surtout des institutions «du champ scientifique les plus proches du pouvoir économique et politique» (op. cit., p. 48).

[68]  La raison pour laquelle nous présentons les données concernant l'UQAM avant celles de l'UdeM, contrairement à ce que nous avons fait pour les sciences économiques, tient au fait que c'est à l'UQAM que les transformations touchant à la dynamique de production de connaissances se présentent le plus clairement. C'était l'inverse pour les sciences économiques.

[69]  En 85-86, soit deux ans après la première période ciblée par notre étude, 27% des professeurs du département de sociologie de l'UQAM n'avait pas complété leur doctorat (Conseil des universités, 1988, p. 229). On peut penser que la proportion des professeurs sans doctorat pouvait être plus élevée durant les années 70 alors que l'UQAM venait tout juste d'ouvrir ses portes et engager massivement de nouveaux professeurs. On peut mentionner par ailleurs que, selon ce même rapport, 100% des professeurs du département de sociologie de l'UdeM étaient détenteurs d'un doctorat en 85-86.

[70]  Comme nous le verrons plus loin, certains professeurs sembleraient commencer à attribuer une valeur symbolique différente aux revues scientifiques sur la base de leur localisation. Les revues localisées à l'extérieur du Québec (dites «internationales») seraient perçues par certains comme ayant une valeur symbolique supérieure à celles localisées au Québec (dites «locales»).

[71]  Sur la base de l'analyse des entrevues, les productions pour producteurs générant peu de capital symbolique spécifique seraient les actes de congrès et les communications arbitrées. Aucun professeur de notre échantillon n'a fait référence à ces productions en suggérant qu'elles pouvaient être la source de capital symbolique spécifique.

[72]  Ce phénomène semble davantage présent au département de sociologie de l'UQAM qu'à celui de l'UdeM. Dans ce dernier département, il semblerait que la question des fonds de recherche soit un sujet de conversation peu ou pas abordé entre les professeurs, sinon formellement lors de l'évaluation de dossiers de promotion. Comme un professeur de l'UdeM l'expliquait : «Les fonds sont devenus tellement difficiles à obtenir en raison des compressions que les fonds que l'un d'entre nous reçoit sont des fonds qui ont été refusés à un collègue.»

[73]  Ce paradoxe constitue une différence majeure avec les sciences économiques où, nous l'avons vu, la valeur différentielle des diverses catégories de production sur le marché académique est connue de tous. Les conflits de définitions portant sur la «qualité» scientifique sont ainsi essentiellement structurés de façon binaire.

[74]  La valeur symbolique attribuée aux livres semblent être sujette à débat étant donné que les maisons d'édition ne soumettent pas les manuscrits à un même processus d'évaluation. Bien que la distinction entre maisons d'édition universitaire et maisons d'édition non universitaire puisse servir à établir une première catégorisation, cette distinction n'est toutefois pas complètement fiable, selon certains professeurs rencontrés, parce que certaines maisons d'édition non universitaire appliqueraient des critères d'évaluation autant, sinon plus exigeants que ceux appliqués par certaines maisons d'édition universitaire.

[75]  La notion de prestige, qui suppose un classement des revues scientifiques semble cependant avoir été rejetée jusqu'à présent par une majorité de professeurs en sociologie. Selon eux, il n'existerait aucun critère objectif ou suffisamment fiable permettant de distinguer les revues dites «prestigieuses» des revues dites «non prestigieuses». La «fragmentation» de la discipline en «champs spécialisés», en «approches et paradigmes» et en «traditions nationales ou régionales» (Bernard, Fournier, Saint-Pierre, 1998, p. 3) semble constituer l'un des facteurs interdisant la hiérarchisation des revues en fonction d'une échelle universelle comme en sciences économiques. Cette même fragmentation est par ailleurs l'un des motifs à l'origine du refus des professeurs de sociologie d'attribuer une valeur symbolique différente aux revues localisées au Québec de celles localisées à l'extérieur du Québec. Jusqu'à présent, la publication d'articles dans des revues arbitrées localisées au Québec permettait l'acquisition d'un capital symbolique d'égale valeur à celui généré par la publication d'articles dans les revues localisées à l'extérieur du Québec (des revues dites «internationales»).

[76]  Par exemple, les pairs immédiats d'un sociologue du travail pourraient être constitués d'économistes, de politologues, de démographes, etc. Les pairs immédiats d'un sociologue de la culture pourraient être constitués de sociologues de la connaissance, d'anthropologues, de spécialistes en communication ou en linguistique.

[77]  Ce caractère distinct de la sociologie mettrait en doute, selon nous, les arguments téléologiques selon lesquels la sociologie marcherait dans les pas des sciences économiques, et serait appelée, en progressant peu à peu vers le statut d'une véritable science, à adopter des mécanismes d'évaluation semblables à ceux des sciences économiques.

[78]  Nous ne tenons pas compte dans la présente description des communications données par les professeurs, bien qu'elles apparaissent aux tableaux (Communications arbitrées au Québec ou au Canada, Communications arbitrées à travers le monde, Communications non arbitrées au Québec et au Canada). La raison en est qu'elles ne nécessitent pas un investissement aussi grand que celui exigé par les productions écrites. Elles ne peuvent ainsi être considérées comme des indicateurs aussi valables que les autres catégories de production pour connaître l'orientation de la production des professeurs (vers la production pour producteurs ou la production pour non-producteurs).

[79]  On doit noter que l'intervention dans les débats sociaux en sociologie n'est pas postérieure à l'acquisition de la légitimité scientifique, mais lui est concomitante. En ce sens, la logique de la discipline en sociologie se distingue de celle des sciences économiques où, nous l'avons vu, la participation à des débats sociaux est subséquente à l'acquisition de la reconnaissance par les pairs.

[80]  Si, comme nous l'avons vu dans le cadre théorique (cf. section 2.5.1), la recherche ayant pour objectif la résolution de problèmes peut être envisagée, en partie, comme le fruit de l'intensification de l'orientation instrumentale de l'appui à la recherche, la question se pose à savoir si les professeurs-chercheurs en sociologie travaillant dans cette optique participent eux-mêmes à la construction des conditions économiques favorisant cette orientation instrumentale? En nous fondant sur l'observation de la destination sociale de la connaissance, dont les communications, les publications et la provenance des fonds et des contrats de recherche constituent des indicateurs, on pourrait avancer, sous toutes réserves d'une recherche plus fine et plus documentée à ce sujet, que les professeurs en sociologie ne font pas de la recherche qui, à première vue, contribue à l'établissement des conditions économiques favorisant l'instrumentalisation de la recherche. La recherche «utilitariste» qu'ils font apparaît avant tout viser l'amélioration des conditions de vie des groupes sociaux défavorisés et non le rehaussement de la compétitivité des entreprises. Toutefois, si ces professeurs n'entendent pas participer à l'intensification de l'économie de marché, est-ce que le fait de «collaborer» avec un État qui, lui, est assujetti aux contraintes de l'intensification de l'économie de marché -- en participant à des programmes de recherche orientée ou en acceptant de traiter de questions définies en partie ou en tout par des fonctionnaires obéissant à une logique de gestion sociale -- ne pourrait-il pas être envisagé comme une forme de participation non voulue ou indirecte à l'intensification de l'économie de marché? La recherche de solutions nouvelles et peu coûteuses à des problèmes sociaux causés ou accentués par l'intensification de l'économie de marché peut-elle être considérée comme une participation à l'intensification de cette économie de marché? Notre recherche ne vise pas à étudier cette question, mais nous estimons néanmoins qu'il est pertinent de la soulever (voir notamment Bourdieu, 1992, p. 208, à propos de la demande de connaissances bureaucratiques).

[81]  Bien que la publication de l'étude de Fournier et al. (1988) remonte à la fin des années 80, les résultats apparaissent toujours pertinents à la lumière des recherches récentes ainsi qu'à la lumière de notre propre étude. Toutefois, comme nous l'avons souligné précédemment (cf. section 2.7.3), il n'est pas improbable que la transformation actuelle du contexte socio-économique, qui s'accompagne notamment d'exigences accrues en matière de pertinence sociale de la production de connaissances en milieu universitaire, puisse éventuellement donner lieu à une revalorisation des pratiques professorales à caractère «professionnel».

[82]  On se rappellera que le Mode 1 se caractérise par le fait que les activités scientifiques sont subordonnées aux découpages disciplinaires traditionnels et s'inscrivent principalement dans des problématiques à caractère académique visant l'avancement des connaissances. Au plan des mécanismes d'évaluation de la production scientifique, le Mode 1 se caractérise par le fait qu'il s'agit d'une évaluation faite exclusivement par les pairs, répondant à des exigences académiques intra-disciplinaires. Les principaux traits caractéristiques du Mode 2 peuvent, pour leur part, être résumés comme suit : l'assignation d'un objectif de résolution de problèmes à l'activité scientifique, la participation d'acteurs non universitaires à l'élaboration des critères d'évaluation de la qualité de la production scientifique, l'intensification de la transdisciplinarité des modes de production de connaissances en raison de l'objectif de résolution de problèmes (par définition multi-dimensionnels) assigné à l'activité scientifique.

[83]  Selon le sociologue de l'économie Richard Swedberg, l'une des différences fondamentales par laquelle se distinguent, au plan épistémologique, les sociologues et les économistes s'inscrivant dans la théorie néoclassique tient au fait que les sociologues «se sont efforcés de tenir compte du fait que celui qui analyse les phénomènes sociaux est lui aussi un membre de la société. Problème qui a été, en revanche, très largement ignoré par les néoclassiques qui considèrent que le scientifique est fondamentalement dans une position d'extériorité par rapport à son objet d'étude» (1994, p. 32).

[84]  Nous n'avons pas recueilli de données portant spécifiquement sur les éléments de la discussion qui suit. Il faut donc envisager les observations que nous faisons ici avec prudence et les voir avant tout comme des extrapolations faites à partir des dynamiques de production de connaissances que nous avons observées en sciences économiques et en sociologie.

[85]  Au Québec, les subventions de fonctionnement versées aux universités par le gouvernement (en dollars courants) ont diminué de 18,2% au cours de la période allant de 1994 à 1998, passant de 1,6 milliards $ en 94-95 à 1,3 milliards $ en 97-98 (MEQ, 1997, p. 9).