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NOTICE This document was digitized by the Records Management & Archives Division of Université de Montréal. The author of this thesis or dissertation has granted a nonexclusive license allowing Université de Montréal to reproduce and publish the document, in part or in whole, and in any format, solely for noncommercial educational and research purposes. The author and co-authors if applicable retain copyright ownership and moral rights in this document. Neither the whole thesis or dissertation, nor substantial extracts from it, may be printed or otherwise reproduced without the author’s permission. In compliance with the Canadian Privacy Act some supporting forms, contact information or signatures may have been removed from the document. While this may affect the document page count, it does not represent any loss of content from the document. / Université de Montréal Panorama d'une compagnie de ballet (Les Grands Ballets Canadiens, 1957 -1977) : la concrétisation d'une vision Par Marie Beaulieu Département de kinésiologie Thèse présentée à la Faculté des études supérieures En vue de l'obtention du grade de philosophiae Doctor (Ph.D.) . en Sciences de l' acti vité physique 28 août 2008 1 2 JAN. 2009 ). « copyright », Marie Beaulieu, 2008 , " . ". . , Université de Montréal Faculté des études supérieures Cette thèse intitulée : Panorama d'une compagnie de ballet (Les Grands Ballets Canadiens, 1957-1977) : la concrétisation d'une vision présentée par Marie. Beaulieu a été évaluée par un jury composé des personnes suivantes : Yvan Girardin président-rapporteur Rose-Marie Lèbe directrice de recherche François Colbert membre du jury SelmaOdom examinatrice externe Louise Béliveau doyenne de la FES 1 RÉSUMÉ Panorama d'une compagnie de ballet (Les Grands Ballets Canadiens 1957-1977) : la concrétisation d'une vision Un moteur important du développement artistique québécois et canadien en danse a été et demeure la compagnie des Grandes Ballets Canadiens de Montréal (GBCM). Fondée à l'aube de la révolution tranquille (1957), terreau fertile à l'épanouissement de la créativité de plusieurs de nos artisans des arts de la scène, elle a été la seule compagnie de danse, et plus spécifiquement de ballet (toutes orientations artistique et esthétique confondues), à survivre si longtemps au Québec. Le but de l'étude a été de saisir comment une vision artistique se matérialise, comment les artistes. impliqués s'organisent au sein d'une institution à vocation artistique et dans quels rapports ils agissent et s'influencent mutuellement. Dans un premier temps, la recherche a . consisté à constituer un corps de connaissances sur la compagnie de ballet, au cours de ses· vingt premières années d'existence. Nous avons dressé un portrait historique (1957-1977) en faisant ressortir les individus, les objectifs artistiques et les œuvres importantes qui ont jalonné son parcours. Tout au long du travail, nous avons tenté de circonscrire les événements marquants en lien avec les conjonctures politique, social, économique et culturel qui ont permis son développement. La collecte des données et leur analyse ont été traitées en regard de l'approche historique pour mieux circonscrire l'événementiel, analyser les effets du temps et interpréter les faits. Nous avons exposé la structure artistique et la culture de gestion de la compagnie grâce au modèle organisationnel de Pierre G. Bergeron (1995) et l'analyse de la dynamique s'est élaborée selon l'approche sociologique de Michel Crozier et Erhard Friedberg (1977). L'orientation de notre recherche a permis de mettre en lumière la dynamique artistique interne et de comprendre la complexité des liens artistiques et interpersonnels des composantes en présence au sein des GBCM et à suivre leur évolution dans le temps. Nous avons été à même d'expliquer le processus de prise de décision en vue de l'élaboration d'un répertoire pour construire une image artistique conforme à la vision du directeur artistique et de comprendre ce qui a justifié cette vision et les choix prévus pour la rencontrer. GRANDS BALLETS CANADIENS- LUDMILLA CHIRIAEFF- HISTOIRE ARTISTIQUE - ŒUVRES - MISSION - VISION- GESTION- COMPAGNIE DE DANSE- INSTITUTION l' \ r II RESUME Panorama of a ballet company (Les Grands Ballets Canadiens 1957-1977): the concretization of a vision Since its inception in 1957, Les Grands Ballets Canadiens de Montreal (GBCM) has· played and continues to play a leading role in the artistic development of dance in Quebec and Canada. Established during Quebec's "Tranquil Revolution" \yhich saw a rapid blossoming of activity in the perfonning arts, "Les Grands" was the only dance company to exist in the province. While no longer the only dance company in Quebec it has endured as an artistic institution and outlasted all other artistic initiatives and aesthetic styles seen in Quebec dance. The goal of this study was to understand how their artistic vision· materialized and to detennine how mutual influences among the artists catalyzed and led them to establish an artistic institution. The research consisted primarily of finding historic documentation about "Les Grands" during its [IfSt twenty years (1957-1977). From this research, an historic portrait was drawn highlighting the-individuals, artistic objectives and repertoire which colored this period. Throughout the research, an attempt was made to circumscribe the political, social, economic and cultural events which permitted the artistic development of the company. The data collection and analysis were treated with an historie approach to insure that the facts and events surrounding the early years Qf the GBCM would be interpreted in their historie context. The organizational mode! of Pierre G. Bergeron (1995) was used to systematize and describe the artistic structure and the management style of the company. The dynamics of the company were analyzed according to the sociological approach elaborated by Michel Crozier and Erhard Friedberg (1977). The orientation of this research has shed light on the dynamics within the. company and the complex mesh of artistic and interpersonal ties present at the beginning and continuing to influence the. GBCM as it evolved through time. This research has tried to explain the choice of dance repertoire used to portray the artistic director' s vision. The same line of inquiry has beeil used to understand who conceivedof the company's artistic vision, and what factors influenced the decision making process underlying that vision. GRANDS BALLETS CANADIENS - LlJDMILLA CHIRIAEFF - HISTORYARTISTIC - ŒUVRES - MISSION -VISION - MANAGEMENT -DANCE COMPANY - INSTITUTION . III LA TABLE DES MATIÈRES Première partie: présentation du sujet Chapitre 1: INTRODUCTION GÉNÉRALE .............................................................. p. 01 Motivations personnelles ..... ;..... ~ ........................................................................ p. 03 Cheminement d'une réflexion personnelle ................... , ......................... p. 05 La question de recherche .................................... :............................................... p. 05 Pertinence du choix du sujet de recherche .............................................. p. 05 Objectifs de recherche .............................................................................. p. 07 Question de recherche ............................................................................. p. 08 Problématique·............... ~ ............ ;............................................................. p. 10 Limitations de l'étude·............................................................................. p. Il REVUE DE LITTÉRATURE Les modèles de présentation de deux compagnies canadiennes ......................... p. 13 La recherche sur les compagnies de ballet dans le monde .................................. p. 20 MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE La méthode qualitative ........................................... ~ ...................... ~ .................... p. 24 L'approche historique ............................................................................. p. 25 Complexité du travail de l'historien ....................................... ;... p. 26 Limites et pertinence des sources............................................... p. 26 Comprendre et expliquer............................................................ p. 28 .Phénomène de cause à effet. ...................................................... p. 30 Démarche méthodologique dans Je cadre de la recherche ...................... p. 32 Sources premières ........................................................................ p. 32 Méthodes d'investigation .............................. :............................ p. 36 Étapes de la recherche ................................................................ p. 39 Traitement des données .............................................................. p. 40 Modèle·d'écriture......................................................................... p. 42 Deuxième partie: le contexte Chapitre II: L'ENVIRONNEMENT DE LA COMPAGNIE Introduction ........................................................................................................ p. 44 1945-60 : contexte économique .......................................................................... p. 46 1945-60 : contexte politique ............................................................................... p. 47 1945-60 : contexte social. .......................................................................... ~ ........ p. 47 1945-60 : contexte culturel\artistique ................................................................. p. 48 1945-60 : contexte artistique professionnel... ..................................................... p. 50 Les mouvements déterminants de lanaissance des GBC dela période 1945-60 ........ ;........................................................................................ p.56 Conclusion sur la période 1945-60 ..................................................................... p. 60 . La période 1960-1980 : Introduction .................................................................. p. 61 1960-80 : contexte économique~ ......................................................................... p. 61 1960-:-80 : contexte politique ............................................................................... p. 62 1960-80 : contexte social. ................................................................................... p. 63 1960-80: contexte culturel\artistique .............. ;.................................................. p. 64 1960-80 : contexte artistique professionnel... .....................................................p. 65 IV Les mouvements déterminants de développement des GBC de la période 1960-80 .................................................................................................. p. 67 Conclusion sur la période 1960-80 .................................. :.................................. p. 73 Conclusion ....................................... ,.............................................................................. p. 74 Troisième partie: Portrait de la compagnie Chapitre III : LES PERSONNES MARQUANTES DE LA COMPAGNIE : 1957-1977 ........................................................................................................ ~ ............... p. 77 LA DIRECTION ARTISTIQUE LUDMILLA CHIRIAEFF Sa personnalité .................................................................................................... p. 79 Ses compétences professionnelles ................... ,..................................................p. 82 Son ambition artistique ....................................................................................... p. 86 ERIC HYRST . Sa personnalité .................................................................................................... p. 87 Ses compétences professionnelles ...................................................................... p. 88 Son ambition artistique ......... :............................................................................. p. 94 Des passages· furtifs ................................................................................................. :...... p. 95 ANTON DOL IN Sa personnalité .................................................................................................. p. 100 Ses compétences professionnelles ....................................................................p. 102 Son ambition artistique ..................................................................................... p. 103 FERNAND NAULT ........................................................................................ p. 105 Sa personnalité ............................ :..................................................................... p. 105 Ses compétences professionnelles ........................................... :........................ p. -107 Son ambition artistique ................................ ;........ :........................................... p. 109 BRIAN MACDONALD Sa personnalité .................................... ;............................................................. p. 112 Ses compétences professionnelles .................................................................... p. 114 Son ambition artistique ..................................................................................... p. 116 BRYDON PAIGE Sa personnalité .................................................................................................. p. 120 Ses compétences professionnelles .................................................................... p. 121 Son ambition artistique ..................................................................................... p. 123 LES GESTIONNAIRES URIELLUFT Sa personnalité ................................................................................................. p. 127 Ses compétences professionnelles ............................................................. :...... p. 128 Son projet ....... ~ ................................................................................................. p. 129 RICHARD d'ANJOU Sa personnalité ................................................................................................. p. 132 Ses compétences professionnelles .................................................................... p. 133 Son projet......................................................................................................... p. 134 COLIN McINTYRE S~ personnalité ................................................................................................. p. 136 Ses compétences professionnelles .................................................................... p. 137 Son projet. ........................................................................................................ p. 137 Conclusion................................................................................................................... p. 138 v Chapitre IV : LES OBJECTIFS ARTISTIQUES ORGANISATIONNELS DES GRANDS BALLETS CANADIENS ........................................................................... p. 143 1 . La vision ....................................................................................................... p. 145 li. L'énoncé de mission...................................................................................... p. 146 III . Les valeurs~ ............................................................................................. :.. p. 149 1 . la passion ....................................................................... :.................. p. 150 2 .le dépassement de soi.. ................................. :................................... p. 151 3 . le respect de l'autorité ...................................................................... p. 152 3.1 : culture organisationnelle de type familial... ...................... p. 153 3.1.1 : un noyau d'artistes fidèles .................................. p. 153 3.1.2 : jeu des titres et fonctions individuelles .............. p. 154 3.2 : culture organisationnelle de type autocratique .................. p. 156 3.2.1 : prise de décision unilatérale ............................... p. 156 3.2.2 : climat de compétition ......................................... p. 157. 4: ambiguïté face au vedettariat.. ......................................................... p. 158 4.1 : utilisation de vedettes sur une base permanente ................ p. 158 4.2 : utilisation de vedettes sur une base ponctuelle .................. p. 162 4.3 : fabrication de ses propres vedettes .................................... p. 163 5 : la distanciation entre les domaines administratif et artistique ......... p. 164 5.1 : affirmation de l'autorité artistique ..................................... p. 164 5.1.2: mise en place d'un comité artistique .................. p.·165 IV : LES OBJECTIFS ...................................................................................... ,p. 168 1. fonder des institutions ....................................................................... p. 171 1.1 : établir une compagnie de ballet.. ....................................... p. 171 1.1. i : recruter des danseurs .......................................... p. 172 1.1.2 : recruter des collaborateurs .................................. p. 173 1.2 : fonder une école ................................................................ p. 175 1.2.1 : dispenser un enseignement de qualité à la population.................................................................. p. 176 2. produire des spectacles ................................ ~ ..................................... p. 177 2.1 : construire une salle de spectacle dédiée à la danse ........... p. 177 2 .1.1 : danser sur scène .............. ,.................................. p. 179 3. assurer la relève artistique ................................................................. p. ·179 3.1 : mettre sur pied un programme de formation professionnélle ........................................................ :..... p. 180 3. 1.1 : développer un bassin de danseurs formés à l'interne ........................................................... p. 180 3.2: former des chorégraphes ... ~, ............................. ~ ................. p. 185 3. 2.l: organiser des ateliers chorégraphiques .............. p. 185 4. développer un public de tout âge ...................................................... p. 188 4. 1 : intéresser les enfants ........................................................ p. 188 4.1.1 ; créer des spectacles-jèunesse ............................. p. 189 4.l.l : alimenter le sens de l'émerveillement.. .............. p. 193 4.2 : intéresser les adultes ........................... ,............................. p. 198 4.2.1 : créer un répertoire diversifié .............................. p. 198 VI Chapitre IV : LES OBJECTIFS ARTISTIQUES ORGANISATIONNELS DES GRANDS BALLETS CANADIENS (SUITE) , 4.2.2 : réaliser des tournées ........................................... p. 204 a) Jacob's Pillow ................................................ p. 205 b) L'Europe ......................... ~ .............................. p. 210 c) L'Amérique du Sud ....................................... p. 225 4.2.3 : offrir des abonnements de saison ...... ~ .............. ~.p. 236 4.2.4 : assurer une visibilité télévisuelle ........................ p. 240 4.2.5 : souligner les événements spéciaux ..................... p. 240 5. atteindre une reconnaissance intemationale ...................................... p. 247 5.1 : développer un nouveau répertoire ..................................... p. 250 5.1,1 : s'ajuster aux tendances chorégraphiques internationales ................................................................ p. 251 5.2 : hausser le niveau technique ............................................... p. 253 5.2.1 : augmenter le niveau de difficultés du répertoire ............................................................. p. 254 5.2.2: modifier les exigences chorégraphiques ............. p. 255 5.3 : consulter pour la réalisation des tournées ......................... p. 258 5.3.1 : réaliser des tournées structurées ......................... p. 258 6. assurer le financement récurrent.. ..................................................... p. 261 6.1 : planifier les actions internes de financement... ................. p. 262 6.1.1 : organiser des campagnes de financement... ........ p. 263 6.1.2 : organiser des galas bénéfices ............................... p. 270 6.2 : obtenir du financement récurrent des gouvernements ....... p. 273 6.2.1 : créer des liens avec le milieu politique ............... p. 275 a) le pouvoir municipal... ................................... p. 275 b) le pouvoir fédéral... ........................................ p. 276 c) le pouvoir provincial... ................................... p. 287 Conclusion ............................. ~ ................................................................. ,......................... p. 304 Chapitre V : LES ŒUVRES Introduction ...................................................................................................... p. 305 LES ŒUVRES PATRIMONIALES Noces .................................................................................................... p. 306 Sea Gallows ........................................................................................ ,.p. 313 Tarn Ti Delam ........................................... ,........................................... p. 319 LES ŒUVRES DU RÉPERTOIRE DE L'ÉPOQUE ROMANTIQUE ........ p. 324 La Fine mal gardée ................................................................................ p. 324 Le Bal des cadets .................................................................................. p: 333 Giselle ................................................................................................... p. 336 LES ŒUVRES MONUMENTALES DANS UN ESPRIT NÉO-CLASSIQUE Carmina.Burana............................................... :.................................... p. 345 Symphonie de.Psaumes .................................................................... ~ ... p. 354 Tommy ................................................................................................... p. 360 Conclusion .................................................................................................................... p. 375 VII Quatrième partie: facteurs et dynamique Chapitre VI : FACTEURS DÉTERMINANTS DE SURVIE ET DE DÉVELOPPEMENT: LES GRANDS BALLETS CANADIENS DE 1957 À 1977 ............................................................................................................................... p. 379 LES FACTEURS INTERNES .......................................... :............................... p. 380 1 : un initiateur: une inspiration 1.1 : des atouts personnels ......................................................... p. 380 1.2 : des qualités de leader......................................................... p. 381 1.3 : des dons de politicien ........................................................ p. 383 2 : un projet artistique: une osmose 2.1 : un projet solide .................................................................. p. 385 2.2 : un projet cohérent.. ............................................................ p. 386 2.3 : un projet maintenu dans le temps ...................................... p. 386 3 : une organisation artistique: un paradoxe ........................................ p. 392 3.1 : un contrôle unique et bicéphale ......................................... p. 392 3.2 ; une interdépendance des secteurs artistique et administratif.............................................................................. p. 396 3.3 : les liens avec les danseurs ............... :................................. p. 400 3.3.1 : l'illusion nécessaire ............................................ p. 400 3.3.2 :le lien de confiance ............................................. p. 405 3.3.3 : la manipulation ................................................... p. 409 3.3.4 : un support fidèle de l'équipe de production ....... p. 412 LES FACTEURS EXTERNES 4 : un réseau de professionnels: une action commune ......................... p. 413 4.1 : les collaborateurs artistiques ............................................. p. 414 4.2 : lesjoumalistes ................................................................... p. 414 4.3 : les professionnels de la danse ........................ :................... p. 415 5 : les alliances stratégiques: un pacte sociaL .................................... p. 417 5.1 : les gens d'affaire et la gent politique ................................ p. 419 5.'2: les accointances .....................·............................................ p. 424 6 : les orientations de la politique canadienne: un pouvoir d'influence ............ :................................................ :............................... p. 425 6.1 : les décisions politiques .......................... ~ ........................ ;.. p. 425 6.2: l'exclusivité du marché du Québec .................................. p. 430 6.3 : l'immigration ..................................................................... p. 431 Conc'lusion ........................................... ~ ............................................................ p. 433 Cinquième partie: retour critique sur la thèse Chapitre VII: CONCLUSION GÉNÉRALE Adéquation entre outils et analyse ........................................................ p. 436 L'écriture ............................................................................................... p. 438 Certaines zones incomplètes .............................. ,.................................. p. 438 Des individus intuitifs et l'influence du temps ..................................... p. 439 L'utilisation future de la recherche ...; ................................................... p. 440 Conclusion .................................................................................................................... p. 441 VIII Les sources documentaires ...........................................................................................p. 442 ANNEXE 1. .................................................................................................................... p. XI Exemples des guides d'entrevues semi-structurées ANNEXE 11. ................... :.............................................................................................. p. XII Exemples de verbatim des entrevues (2005) ANNEXE III. ............................................................. ~ ................................................. p. XIII Paysage culturel des années 1920-1960 et des années 1960-1990 ANNEXE IV ................................................................................................................ p. XIV Biographie sommaire des personnes importantes du personnel artistique de la compagnie ANNEXE V.................................................................................................................. p. XV Reproduction schématique de la hiérarchie et description des objectifs organisationnels du modèle de Pierre G. Bergeron (1995) ANNEXE VI. ............................................................................................................... p. XVI Tableau interprétatif des objectifs artistiques organisationnels de la compagnie des Grands Ballets Canadiens selon le modèle de Pierre G. Bergeron (1995) ANNEXE VIL ........................................................... :.:.............................................. p. XVII Tableau démographique des danseurs des Grands Ballets Canadiens de 1957 à 1977 ANNEXE VIII .......................................................................................................... p. XVIII Répertoire des fonds gouvernementaux attribués aux Grands Ballets Canadiens de 1957 à 1977 ANNEXE IX ....................................................... ~ ........................................................ p. XIX Chronologie des activités de la compagnie ANNEXE X ................. ~ ................................................................................................ p. XX Liste des présidents du Conseil d'administration de la compagnie des Grands Ballets Canadiens de 1957 à 1977 ANNEXE X................................................................................................................. p. 'XXI Émissions de télévision associées aux Grands Ballets Canadiens de 1957 à 1977 ANNEXE XII. ............................................................................................................ p. XXII Catégories de membres des amis des Grands Ballets Canadiens de 1965 ANNEXE XIII. ............................................................... :............. :............................ p. XXIII Facteurs déterminants de survie et de développement: les Grands Ballets Canadiens de 1957 à 1977 . IX LISTE DES ABRÉVIATIONS: ABT : American Ballet Theatre AIT: Archives Iro Tembeck BNC : Ballet National du Canada CAC : Conseil des Arts du Canada CACUM : Conseil des Arts de la Communauté urbaine de Montréal CSC : Clercs de St-Croix ESBQ : École supérieure de ballet contemporain GBC : les Grands Ballets Canadiens GBCM : les Grands Ballets Canadiens de Montréal F ALC : Fonds d'archives Ludmilla Chiriaeff MAC : ministère des Affaires culturelles MBT : Montreal Theatre Ballet NYCB : New York City Ballet PdA : la Place des Arts RWB : Royal Winnipeg Ballet SRC : Société Radio-Canada ABRÉVIATIONS DES ENTREVUES: B.P. : Brydon Paige F.N. : Fernand Nault L.H.B. : Linde Howe-Beck M.B. Marie Beaulieu N.F. : Nicolle Forget U.L. : Uriel Luft S.B. : Sasha Belinsky V.W.: Vincent Warren x À Milenka Niederlova qui m'a transmis l'amour de la danse sans quoi cet ouvrage n'aurait pu se réaliser REMERCIEMENTS Je tiens à remercier sincèrement toutes les personnes qui m'ont soutenue et encouragée tout au long de ce travail de recherche. D'abord mon époux Mario, qui fut le premier et le dernier regard critique et logistique. Son support fut déterminant dans les moments intenses et difficiles. Mes enfants, Alexis et Émilie, présences discrètes, aimantes et admiratives que je n'aurais jamais voulu décevoir. Ma directrice Rose-Marie Lèbe qui a apporté de nombreux commentaires et des changements judicieux. Elle m'a suivie au-delà de la retraite. Mes correcteurs informels: Marie-Josée Hardy, Nicolle Forget, Pierre Boucher dont la générosité de leur temps n'ont eu d'égal que leurs critiques pertinentes et le partage de leurs connaissances. Thérèse Bouchard, Liette Michaud et Valéry Guérard, mes assistantes à la gestion du Département de danse, dont la qualité du travail et les initiatives ont favorisé des périodes intenses d'écriture. Les collègues de mon département qui m'ont accordé des conditions facilitantes pour accomplir ce projet. Valérie Lessard, jeune assistante fiable, organisée et efficace. Marie-Claude Berthiaume, archiviste du Fonds d'archives Ludmilla Chiriaeff qui a déployé tous les efforts possibles pour trouver les documents inédits et précieux. Enfin, je veux remercier tous les artistes qui, par leur témoignage ont collaboré à la récolte de la matière première de la thèse. Je salue particulièrement Messieurs Fernand Nault et Brydon Paige, qui nous ont quittés depuis le début de ces travaux et qui, même malades, ont donné de leur temps malgré un souffle court pour m'aider à réaliser mon projet. 1 PREMIÈRE PARTIE (présentation du sujet) Chapitre 1 INTRODUCTION GÉNÉRALE L 'historien est tout à la fois en posltlOn d'extériorité par rapport à son objet, en fonction de la distance temporelle qui l'en éloigne, et en situation d'intériorité par l'implication de son intentionnalité de connaissance. (François Dosse 2006, p. 19) INTRODUCTION GÉNÉRALE En raison de l'orientation de ce projet de recherche et de l'objet d'étude, la méthode qualitative a été retenue avec une approche respectueuse des exigences et des paramètres de l'approche historique. Ces deux aspects seront justifiés dans la section traitant de la méthodologie de la recherche. Tout d'abord, il apparaît important d'informer le lecteur des motivations du chercheur. Elles sont déterminantes dans le cadre d'une recherche qualitative car elles permettent de comprendre le cheminement de la personne investie dans le projet. En effet, le chercheur doit reconnaître et pouvoir s'expliquer dans quelle mesure ses valeurs et croyances influencent ses choix, les questions qu'il étudie, les méthodes qu'il choisit, les théories qu'il échafaude. Son investigation est grandement influencée par ses perceptions. Les éléments retenus aux fins de son analyse sont ceux qu'il comprend. Se soumettre à l'exercice de circonscrire des tendances avouées, permets d'identifier en quoi consiste certaines dispositions préétablies. Ainsi, le chercheur doit tenter de distinguer, à tout moment, ce qui tient lieu de préjugé et du sens possible de son interprétation des données afin de départager la piste la plus «véridique» de l'illusion la plus dangereuse possible (Tousignant, 1993). La lucidité envers ses propres limites fait partie des facteurs inhérents à considérer dans un modèle de recherche qualitative. Une approche de neutralité est préconisée par certains auteurs comme l'expliquent Pou part et al. (1997, p. 32). Cependant, notre formation en recherche qualitative à la maîtrise et la lecture d'ouvrages sur cette question (Tousignant, 1993; Muchielli, 1996; Gauthier, 2000) orientent davantage l'étude vers « l'acceptation d'une subjectivité consciente et éclairée du chercheur « ayant un souci de véracité », plutôt que de prétendre «être vrai» le fruit de ses recherches (Dray, 1981, p. 55). 3 Ainsi, la première section de ce chapitre sera écrite au «je» car elle témoigne de motivations personnelles, explique le cheminement des réflexions à l'origine du travail de recherche dans une orientation spécifique et explique comment a émergé le désir de formuler et de répondre à une question de recherche. MES MOny AT IONS PERSONNELLES Mon intérêt pour la danse remonte à mon très jeune âge. À six ans, ma mère m'invite à un spectacle de ballet présenté par les Grands B_allets Canadiens (GBC) dans ma région, à Chicoutimi. Durant le spectacle, je suis subjugué par un ballet appelé Sea Gallows (1959). Le souvenir de la danseuse soliste, inspirante et inspirée, m'incite à tenter de reproduire cette émotion dans le sous-sol de la résidence familiale; je danse 1'histoire de la chorégraphie, à ma façon, sur des musiques de toutes sortes. Je n'hésite donc pas à accepter l'offre de ma mère de suivre des cours de ballet dans une nouvelle école de danse avec un professeur de Montréal. Force du destin, il s'agit de la danseuse du ballet Sea Gallows, maintenant engagée dans une nouvelle carrière de professeure à l'Académie de Ballet du Saguenay. De huit à quinze ans, Milenka Niederlova m'insuffle la même passion pour la danse que je lui avais vue déployée sur scène quelques années auparavant. Bon an mal an, ma passion ne se dément jamais, au plus, elle se transforme. Mon lien avec les GBC se perpétue tout au long de mon adolescence puisque dès l'âge de treize ans, je bénéficie de bourses d'études à l'Académie des Grands Ballets Canadiens à chaque été. Pendant cinq semaines, je peux contempler, à loisir, les danseurs, objets de mon admiration lorsque je feuillète les programmes souvenirs de la Compagnie. Je les . accumule dans ma bibliothèque au fil des représentations ( ils sont vendus à chacun de leur passage dans ma région). Entre chaque cours, j'observe les danseuses et danseurs professionnels, affairés à leurs répétitions. Ils attisent mon désir de devenir danseuse. À quinze ans, je profite d'une bourse d'études à temps plein. Je vis au quotidien avec mes idoles et apprends à mieux maîtriser les exigences d'une carrière d'artiste en danse. Puis, 4 je suis engagée dans une compagnie appelée Entre-Six. Elle correspond davantage à mes aspirations et possibilités. J'ai compris rapidement que mes bases techniques ne me permettent pas de rivaliser avec ceux et celles qui ont été formés à l'Académie des GBC depuis leur plus jeune âge. À dix-sept ans, je peux ainsi vivre mon rêve (saison 19761977). Plus tard, je suis engagée à titre de répétitrice dans la compagnie de danse Eddy Toussaint (de 1986 à 1988). Comme lors de mon expérience avec Entre-Six, j'évolue au sein d'une institution dont la vocation l'amène à faire de longues et de fréquentes tournées à une époque où c'est exceptionnel au Québec. J'apprends beaucoup du métier de danseur dans des situations diverses et difficiles. De plus, je suis appelée à voyager souvent seule pour remonter des ballets à l'étranger au sein d'autres troupes. Cela me permet d'évaluer de nouveaux niveaux d'excellence, de vivre dans des modèles différents de gestion et d'organisation des compagnies américaines et européennes. Puis, j'assume la direction du ballet de la troupe de danse de l'Opéra de Nice en France (saison 1988-1989). Mon implication professionnelle de répétitrice et d'assistante-chorégraphe donne une nouvelle assise à ma réflexion sur le travail de l'artiste en danse. Je développe un nouvel intérêt pour le fonctionnement d'une compagnie de ballet. Je baigne dans cette réalité, confrontée aux exigences de la dynamique artistique au quotidien. J'ai l'obligation de tenir compte de multiples enjeux présents ou inscrits dans une perspective d'avenir et je dois ajuster mes actions et décisions aux aléas de la vie d'une compagnie de danse souvent maintenue dans un état de survie relatif. Les deux compagnies dans lesquelles je me suis investie ont connu une grande popularité au Québec et au Canada avant de mourir abruptement du jour au lendemain pour des raisons totalement différentes, sans que ce soit relié à mon passage. Mes études au premier et deuxième cycles universitaires en danse, au début de la trentaine, sont le prolongement de la réflexion entreprise durant ma carrière professionnelle, c'est-à-dire observer des phénomènes relatifs à ma discipline et m'appliquer à les comprendre, nourrir ma démarche d'artiste et exercer ma profession de façon éclairée. Travailler à un doctorat n'a pas échappé non plus à ce processus, entrepris avec la ferme intention de répondre à certaines questions, issues de mon cheminement. 5 Cheminement d'une réflexion personnelle Ma démarche aux études avancées est grandement motivée par le désir de comprendre une nouvelle dimension de la pratique de la danse: la dynamique et les facteurs déterminants de la survie d'une compagnie de ballet, les rapports de ses membres entre eux et avec les partenaires externes. Le germe s'est progressivement manifesté lors de mes expériences professionnelles et durant mes différents niveaux de scolarité. J'envisage d'entreprendre une recherche dont l'objet d'étude est la compagnie des GBC : son parcours dans le temps et son organisation. Cette compagnie a contribué à ma formation, a nourri mes aspirations, m'a permis de faire carrière en danse et m'a donné la possibilité d'ajuster mes velléités de danseuse à la vie réelle d'une artiste de la danse. LA QUESTION DE RECHERCHE Pertinence du choix du sujet de recherche Choisir de s'intéresser à la recherche en danse, c'est accepter de s'investir dans une démarche de défricheur. La danse comme objet de recherche historique souffre d'un manque d'intérêt au Québec. La bibliographie sur l'histoire de la danse au Québec està ce point limitée que l'on peut facilement compter les ouvrages de référence sur les doigts d'une seule main. Fouiller un aspect de l 'histoire de la danse dans ces conditions ne peut que permettre l'avancement de la connaissance sur une facette de son histoire et de son développement. Un moteur important du déploiement artistique québécois et canadien de la danse est et demeure la compagnie des GBCM 1• Fondée en 1957, à l'aube de la révolution tranquille (terreau fertile à l'épanouissement de la créativité de plusieurs de nos artisans des arts de la scène), elle a été la seule compagnie de danse, et plus spécifiquement de ballet (toutes orientations artistique et esthétique confondues), à survivre si longtemps (50 ans 1 Il Y a eu un changement de nom en 2001. On a rajouté: « de Montréal ». Cela dit, nous emploierons la dénomination d'origine quand nous faisons référence à la période couverte par cette étude et la dénomination plus récente quand nous parlons de la compagnie aujourd'hui. 6 d'existence) au Québec. Aujourd'hui, la compagnie des GBCM est une des institutions les plus importantes au Québec et au Canada2• Cela étant dit, elle a suscité peu d'écrits substantiels, ici ou ailleurs, même si sa fondatrice et certains de ses danseurs et chorégraphes se retrouvent dans les ouvrages de synthèse ou dictionnaires3 au sujet de la danse canadienne et internationale. Cette reconnaissance confirme le rôle important de la compagnie dans l 'histoire et la vie artistique canadienne. Cependant, aucune attention n'a débordé ce type d'ouvrage documentaire à part une exception: la thèse de Cheryl Smith (2000). Les membres de la communauté artistique canadienne se sont intéressés prioritairement à la compagnie du Ballet National du Canada (BNC) et au Royal Winnipeg Ballet (RWB). Les GBCM ne représentant qu'un intérêt secondaire4 arrivent loin derrière. Au contraire, Cheryl Smith (2000) traite des trois grandes compagnies à partir de critères communs. Plus particulièrement, elle retrace les événements à l'origine de la fondation des trois compagnies, présente les femmes qui les ont créées et procède à une analyse des éléments nécessaires à leur organisation et à leur survie dans les premières années de leur existence 5• Le seul ouvrage disponible sur une partie de l'histoire des GBC ou plutôt sur sa fondatrice, Ludmilla Chiriaeff, date de 30 ans. II s'agit du livre Cette femme qui nous fit danser de Roland Lorrain publié en 1973. Il ne contient aucune bibliographie sauf quelques références partielles incluses dans le texte et jamais répertoriées malgré le poids imposant d'informations de l'ouvrage ; ses chapitres constituent une présentation ampoulée du travail de Mme Chiriaeff. Dès lors, il ne saurait être qualifié « d'historique» 2 La revue de presse permet de constater que la compagnie des GBCM est toujours mentionnée et comparée à d'autres institutions de prestige: l'Orchestre symphonique de Montréal et le Théâtre du Nouveau Monde quand il s'agit de discuter de leur financement et de leur rayonnement dans notre société (Macduff, 2 juin, 2004; Baillargeon, 2004). 3 Trois ouvrages de ce type illustrent notre affirmation: le Dictionnaire de la danse (Le Moal, 1999), L'Encyclopédie de la danse théâtrale au Canada (Adams, 2000) et Dance Canada: An illustrated His/ory (Wyman, 1989). 4 La bibliographie de la thèse de doctorat de Smith (2000) est éloquente à cet égard. Dans les sources premières apparaissent trois fois plus de documents sur le BNC que sur les deux autres compagnies. De plus, les deux seuls livres parus sur les GBC sont considérés des sources secondaires par l'auteure. 5 Dans le cas des GBC, elle couvre la période des Ballets Chiriaeff (52-58) puis celle qui va de la fondation (1957 à 1963, année où ils seront reconnus par le Conseil des arts du Canada (CAC) comme compagnie de ballet majeure au Canada avec un financement au fonctionnement (Rapport annuel du CAC, 1963). 7 selon les normes scientifiques de recherche, en l'absence d'un minimum d'analyse et d'un discours critique nuancé. Il faut contre-vérifier toutes les affirmations de l'auteur et les mettre en perspective avec prudence. Un autre ouvrage traite succinctement de la fondation des GBC et de sa fondatrice. L'information disponible est concentrée en un seul chapitre dans un livre dont l'objectif est de poser les jalons d'une histoire chorégraphique à Montréal au XX e siècle. Il ne s'agit pas d'un ouvrage analytique mais plutôt d'un exposé événementiel (Tembeck, 1991). Il rejoint la forme encyclopédique et succincte de l'information disponible évoquée auparavant. Au-delà de l'importance de constituer un corps de connaissances sur la plus importante compagnie de ballet du Québec, l'objet de recherche est fascinant. Les GBCM s'inscrivent, en regard de leur développement, dans une dynamique semblable à celle des grandes compagnies de réputation internationale: standardisation du niveau technique des danseurs, ajustement aux critères d'excellence de haut niveau, répertoire classique et néoclassique. Ce répertoire correspond à celui des autres compagnies de même envergure6 avec à leur tête un directeur reconnu par une carrière prestigieuse dont les réussites artistiques antérieures 7 garantissent le succès futur. Objectifs de recherche Travailler sur l'histoire et l'organisation d'une compagnie québécoise donne, dans un premier temps, une quantité importante d'informations sur notre patrimoine culturel et artistique et, dans un deuxième temps, permet de cibler un type de compréhension Répertoire des programmes souvenirs sur une période de 15 ans du BNC, du RWB, du NYCB (New York City Ballet) de George Balanchine et des Ballets du XXe siècle de Maurice Béjart. 7 Sur cette question, il est intéressant de citer en exemple, le dossier de presse qui célèbre les 40 ans d'existence des GBC. Une page étale largement la longue et prestigieuse feuille de route du directeur artistique Lawrence Rhodes et une autre celle du chorégraphe émérite Fernand Nault (programme souvenir des 40 ans (1998). 6 8 originale de la dynamique et du fonctionnement d'une compagnie de ballet. constitue un sujet d'un intérêt nouveau8• Cela Dès lors, apprécier la complexité des rapports entre les différents éléments à l'origine d'un réseau d'influence dans une pratique artistique quotidienne au sein d'une compagnie, comprendre comment se définissent les choix artistiques de même qu'esthétiques et saisir comment ils s'inscrivent dans l'orientation d'une compagnie de ballet, tout cela lève le voile sur la source d'une dynamique interne de la danse à ce jour inexplorée. Nous y reviendrons dans la revue de littérature. La question de recherche Notre intérêt de recherche, exposé précédemment, a fait surgir la question suivante à trois volets: Comment une compagnie de ballet s'organise-t-elle dans la poursuite de la réalisation de son mandat artistique à différents moments de son existence (fondation, années de développement), quels sont les facteurs déterminants de survie et de développement et quelle dynamique engendrent-ils? Dès lors, des sous-questions surgissent. Au premier volet: quel type de professionnel est sollicité? Qui prend les décisions? Comment la raison d'être, les personnes et le choix d'un répertoire s'arriment~ils ? Quelle est la structure artistique que cela génère? Au deuxième volet: quels sont les facteurs qui justifient les choix artistiques et comment s'ajustent-ils les uns aux autres? Comment la structure artistique évolue-t-elle dans le temps compte tenu des enjeux artistiques et esthétiques en cause et quelle est l'influence des facteurs sur le développement? Dans quel environnement? Au troisième volet: quels sont les facteurs d'organisation internes et externes de l'analyse qui ressortent en tant qu'éléments assurant la stabilité de la compagnie? Comment le font-ils? Ce sera le but de cette étude: saisir comment les composantes en présence s'organisent entre elles au sein des GBC. Pour réaliser ce projet, nous avons choisi de dresser un Une première revue de littérature nous permet de croire que ~e sujet n'a pas encore été abordé en ce qui concerne une compagnie de ballet de même envergure c'est-à-dire incluant plus de 40 danseurs et ayant survécu près de 50 ans. 8 9 portrait de l'organisation présenté sous forme de fresque composée de différents éléments et leur transformation dans le temps. En premier, nous dresserons un portrait historique du milieu dans lequel est née et a évolué la compagnie. Il s'agit d'un survol historique général du Canada et du Québec, de 1950 à 1980. Nous essaierons de circonscrire les événements marquants de l'actualité en lien avec les conjonctures politique, sociale, économique et culturelle qui ont accompagné le développement des GBe. Puis, nous ferons le portrait des personnes phares de son développement et de sa survie. C'est un inventaire de certains membres du personnel artistique et administratif de la période des vingt premières années (1957-1977). Ensuite, nous tenterons de mettre en lumière les objectifs organisationnels et l'orientation artistique des GBe. Par la suite, nous dresserons le répertoire des œuvres marquantes. Il s'agit de présenter les ballets importants tout au long du parcours des GBC en lien avec le contexte historique et les moments charnières de son évolution. Enfin, à la lumière des chapitres précédents, nous identifierons les facteurs internes et externes qui ont guidé les choix artistiques et ont permis à la compagnie de survivre. Nous les exposerons en lien avec la dynamique interne qu'ils génèrent. Chaque chapitre est construit à partir d'un défrichage d'information le plus exhaustif possible par le biais des archives, coupures de presse, entrevues, ouvrages et vidéos. Notre objectif principal consiste à tenter de cerner le plus possible la complexité des liens artistiques, interpersonnels et environnementaux des composantes en présence et suivre leur évolution dans le temps à travers la mise en place de la structure de la compagnie. Nous voulons nous investir plus à fond dans l'identification, l'analyse et la compréhension des différents facteurs au cœur de l'action artistique et saisir leur influence sur les choix esthétiques et stylistiques. Ils contribuent à l'élaboration d'un répertoire sous le règne d'une direction dans un temps défini. Nous avons choisi délibérément de dresser d'abord un portrait des différents aspects en vue de mieux procéder sous chaque rubrique à l'analyse des facteurs en présence, de déterminer leur importance et leur impact dans le processus de prise de décision en regard de l'élaboration d'un répertoire pour construire une image et circonscrire une orientation artistique. Nous voulons comprendre avec le plus de précision possible la vision à l'origine du projet de compagnie et les choix prévus pour la rencontrer. 10 La problématique Notre seule compagnie de ballet professionnelle, les GBCM, a misé sur un système de prestige dans les quinze dernières années de son existence. L'engagement d'un américain (Lawrence Rhodes, 1989-1999), puis d'un européen de l'est (Gradimir Pankov, 1999- ) soulignent ce même souci de projeter une image de marque. Tous deux ont eu des carrières florissantes9• Était-ce le cas au début des années 1960 ? Nous connaissons Ludmilla Chiriaeff, la fondatrice. Dans notre mémoire collective elle est devenue presque une légende mais nos connaissances sur son action de directrice demeurent superficielles. Elle est considérée la mère de la danse au Québec. Pourtant nous ne savons pas comment la compagnie s'est organisée et comment elle a réussi à survivre et à se développer. La personnalité charismatique de Mme Chiriaeff est-elle seule en cause? L'analyse des vingt premières années de l'existence des G BC (1957-1977) est un départ pour mieux comprendre les facteurs déterminants de l'organisation et la survie de la compagnie. Considérons aussi que le milieu de la danse est extrêmement hermétique. C'est un environnement souvent fermé sur lui-même d'où ne filtrent jamais les problèmes de gestion interne, de direction artistique ou de relations avec les danseurs lO• Notre étude tente de mieux comprendre comment les membres d'une compagnie s'ajustent entre eux. S'attaquer à l'ensemble des années d'existence de la compagnie était une entreprise trop vaste. Stratégiquement, il était préférable de cerner les vingt premières années soient celles de sa fondation et de son premier changement de garde pour mieux saisir les différences d'orientation et de positionnement artistique. Notre préoccupation correspond à un choix de vingt ans d'existence de façon fortuite: en faisant une chronologie des mandats artistiques, nous arrivons à ces dates précises. Comme il n'existe aucune biographie élaborée de la compagnie, ni aucun ouvrage exhaustif sur ces années, il était important de cerner la première période pour deux raisons: les acteurs de cette époque 9 Les notes des programmes souvenirs sont éloquentes. Réf: Bibliothèque de la danse. 10 À cet égard, peut-être assistons-nous au début d'un changement de mentalité. Le procès, que la première danseuse Kimberly Glasco a intenté à la direction artistique et administrative du BNe, a permis de questionner jusqu'où doivent aller le pouvoir et l'influence du directeur artistique au sein d'une compagnie de ballet et a permis de soulever des questions éthiques relatives au pouvoir de ce poste. Réf: les articles de presse et les minutes de la médiation juridique (Archives Iro Tembeck (AIT». Il disparaissent progressivement et il est nécessaire d'organiser l'information disponible des premières années pour éventuellement, se projeter dans un temps plus rapproché. Ainsi, la compagnie des GBCM semble avoir toutes les caractéristiques d'une institution dont la reconnaissance est établie selon des normes internationales et dont la durée d'existence (50 ans) permet de mettre à jour les composantes d'une entreprise artistique, d'analyser le système de décision mis en place, de comprendre son mode de fonctionnement et de vérifier si le temps et les différentes directions ont modifié les façons de faire. Cela étant dit, il serait présomptueux de croire que la mise en lumière du fonctionnement de la compagnie des GBC, à une certaine époque (les vingt premières années),. permet de comprendre toute la complexité des choix d'une direction artistique. Nous sommes conscients des limites de l'entreprise. Limitations de l'étude Le fait de choisir une compagnie spécifique est une première limitation. Le mode de fonctionnement qui en surgira n'appartient qu'à elle-même. Il est impossible de prétendre établir un modèle standardisé à partir d'une organisation spécifique et de l'appliquer de façon systématique à d'autres compagnies de même taille. Ce n'est pas non plus le but de notre étude. Tout au plus acquérir de nouvelles connaissances sur la dynamique d'une compagnie de ballet dans la poursuite de ses objectifs artistique et esthétique pourrait permettre de poser le premier jalon d'une compréhension nouvelle, levant le voile sur la complexité d'un fonctionnement original dans un contexte de création artistique. Dans une étude subséquente, il serait alors possible de vérifier si le type de fonctionnement en présence est applicable à celui d'une autre compagnie ou vérifier s'il s'est maintenu dans le temps au sein de la même compagnie. La quantité d'informations à débusquer est imposante en regard de l'aspect embryonnaire de la recherche en danse au Québec. Il est difficile d'imaginer pouvoir circonscrire le portrait de façon exhaustive et complète malgré toute la rigueur et la bonne foi dont nous 12 pourrions faire preuve. Certains aspects n'ont pas été traités, considérés moins importants pour les besoins de J'étude. C'est là le problème de J'historien: faire certains choix. Enfin, un tel modèle ne servira à mettre en lumière que la dynamique des dimensions artistique et esthétique. Il ne concerne pas les autres aspects du fonctionnement d'une compagnie: entre autres, ceux relatifs à l'administration et à la gestion d'une entreprise à vocation artistique. Même s'il est inévitable de les aborder pour comprendre comment ces aspects influencent la prise de décision artistique, ils ne seront traités qu'en regard de leurs liens avec la dimension artistique. Ainsi, de quoi disposions-nous comme matériel de départ ? L'histoire est en cela, même si.elle n'est que cela, le lieu privilégié où le regard s'inquiète. (François Dosse 2006, p. 65) REVUE DE LITTÉRATURE Nous avons mentionné que le travail de recherche sur l'histoire des GBCM est à peine esquissé dans l'élaboratîon d'un corps de connaissances historiques. Cette situation fait en sorte que toute recherche servant à mieux ,connaître la compagnie et à en dresser un portrait comporte un intérêt en soi qu'il soit question des individus, des événements ou des œuvres artistiques jalonnant son parcours historique. D'ailleurs, nous n'avons d'autre choix que de dresser un premier portrait chronologique, organisationnel, humain et artistique pour envisager toute recherche subséquente sur un aspect plus spécifique de la compagnie, de façon à s'assurer une base de données minimale, fidèle et adéquate. Audelà de ce premier pas, de quelle façon sont présentées les sources historiques disponibles? Quels aspects touchent-elles ? De façon plus générale, quelle a été l'orientation de la recherche sur l 'histoire des compagnies de ballet? Les modèles de présentation de deux compagnies canadiennes Nous passerons rapidement sur les encyclopédies spécialisées de la danse qui présentent une chronologie générale des événements pour nous concentrer sur les ouvrages traitant des compagnies de ballet de façon plus détaillée. Les informations encyclopédiques arrivent à nous situer dans le temps, mais présentent peu de sens critique ou analytique. Le fait qu'il n'existe rien d'exhaustif, de détaillé et de scientifique sur les GBCM est bien réel. Cette constatation ouvre une perspective troublante de la situation de la recherche historique en danse, plus particulièrement celle au sujet des compagnies canadiennes. Nous constatons un décalage entre les GBCM et les deux autres compagnies majeures de ballet du Canada (BNC et RWB), comparables par leur dimension, leur vocation et leur parcours. Les deux autres ont eu droit à des biographies plutôt détaillées de leur histoire chronologique, artistique et humaine. Elles ont au moins un bagage informatif répertorié. Tout cela manque dans le cas de toute étude au sujet des GBCM. 14 L'ouvrage le plus proche de notre intérêt de recherche est le livre Power to rise de James Neufeld(1996).Professeur de littérature anglaise à l'Université Trent, il a fait un travail de défrichage exceptionnel allant jusqu'à indiquer en annexe toutes les chorégraphies de tous les spectacles, de toutes les années et de toutes les tournées de la compagnie du BNC jusqu'en 1991. Cet appendice est précieux pour un chercheur intéressé à la compagnie. Il est aussi le fil conducteur de l'ouvrage et il a servi à bâtir la recherche. En effet le li vre est construit à partir de la chronologie des événements artistiques de l' histoire de la compagnie et des personnes en cause. Les événements sont présentés dans les menus détails au fil du temps. Le livre pourrait fournir assez d'informations pour entreprendre une deuxième étape d'investigation c'est-à-dire répondre à notre question de recherche en ayant comme objet le BNe. Sans être vraiment analysés avec un souci de compréhension de l'ensemble, les faits sont exposés méticuleusement avec références à l'appui et les rapports entre les protagonistes sont judicieusement mentionnés avec la force du détail. Par exemple, on tente d'expliquer la démission de Celia Franca (1974) et le départ de James Kudelka (1981) en raison de conflits de personnalités. Cela dit, on ne pousse jamais l'analyse jusqu'à identifier un mode de fonctionnement interne ou la définition d'une dynamique de travail propre à la compagnie, l'aspect dont nous voulons traiter. De plus, comme le mentionne Smith (2000) : « The book's only real problem is that it looks at the world from the point of view of the National Ballet. So, for example, where Neufeld is inclined to sympathize with the National Ballet when it was experiencing financial troubles, another observer might question the company's leadership or financial planning» (p. 28). Il semble que personne ne se soit attardé à circonscrire toute l'information, si précieuse, disponible au sujet des GBCM comme cela a été fait pour les deux autres compagnies canadiennes. Aucun critique, scientifique ou amateur d'art n'a senti le besoin de faire le point sur la chronologie des événements sauf les dirigeants des GBC eux-mêmes dans leurs programmes souvenirs lors d'anniversaires importants'.Qui plus est, la compagnie n'a jamais cherché à trouver un biographe et sortir une parution importante en vue de mieux se situer sur un échiquier artistique canadien, de faire valoir ses réalisations et de mettre en valeur ses particularités. 1 Celui du 20e anniversaire daté de mars 1978 et celui des 25 ans (1983). 15 Les différents biographes du RWB et du BNC ont mis davantage l'accent sur les détails factuels et chronologiques et dans tous les cas, ils ont véhiculé un certain nombre de mythes sur les fondateurs et les directions artistiques successives. Quelquefois commandés par les institutions elles-mêmes2, les ouvrages se présentent comme un outil de propagande et de publicité davantage qu'une tentative d'analyse critique de l'évolution d'une compagnie de ballet (Smith, 2000, p. 26). On y aborde aucun sujet délicat susceptible de mettre en cause la compétence des protagonistes; on tait tout conflit interne, sauf dans le 'livre Power to rise (Neufeld, 1996). L'intention première est davantage l'apologie des dirigeants. On y invoque leur détermination malgré les embûches, les coups du sore et les problèmes financiers auxquels ils ont été confrontés sans envisager la possibilité que les difficultés auraient pu venir de leur propre incompétence. La plupart du temps, on présente la compagnie comme un exemple de réussite artistique et l'on y insère une grande quantité de photos, reflet de ses qualités esthétiques et de son calibre. Aucune publication disponible de ce type ne saurait servir de modèle scientifique à notre recherche même si ces ouvrages sont des filons importants pour « éduquer et guider le public et pour représenter le genre artistique dans le public en évol ution » (Kant, 1998, p. 240). Dans d'autres cas de parutions, nous observons un certain sens critique et une analyse sommaire mais les auteurs n'incluent aucune référence bibliographique. Cela sème la confusion sur le travail de recherche et sa véracité, car nous ne disposons plus des informations qui ont été répertoriées et des impressions personnelles de l'auteur. Ou bien, si les sources sont présentées elles sont incomplètes, toute vérification des sources4 est impossible et leur probité est questionnable. Smith (2000)' mentionne que ces deux ouvrages ont été commandés par les compagnies elles-mêmes: Canada' s National Ballet (Whittaker, 1967) et Dancing through Time : The First Fifty Years of Canada 's Royal Winnipeg Ballet (Dafoe, 1990). 3 Par exemple, le feu qui a ravagé les locaux de la compagnie du RWB dans la nuit du 7 au 8 juin 1954 (Idem). 4 Nous faisons référence au livre Dance Canada: An Illustrated Hystory de Max Wyman (1989), critique de Vancouver. Son expertise du milieu de la danse est de longue haleine mais il nous met sur la piste de tentatives d'analyse sans jamais vraiment les développer. En revanche, il présente des événements en simultanéité ou en décalage entre les trois compagnies. Ces informations guident le lecteur attaché à une analyse événementielle pl us substantielle. 2 16 À la lumière de ce qui précède, la compagnie des GBCM n'a reçu aucun traitement de publication scientifique, mis à part la recherche doctorale de Smith (2000). Sa thèse«' Stepping out': Canada' s early ballet compagnies J939- J963» est intéressante à plusieurs égards. Elle brosse un portrait relativement circonscrit dans le temps des trois compagnies majeures de ballet; elle s'attarde à leurs années de fondation et à leurs premières années d'opération. Dans le cas des GBC, elle couvre onze ans d'existence si l'on inclut les années des Ballets Chiriaeff. Elle s'attaque à plusieurs aspects: les conditions sociale, culturelle, artistique et politique de leur création, le portrait de leur fondatrice, les critiques et les publics qu'ils ont intéressés, les bénévoles qui ont contribué à leur organisation et qui ont quelquefois modifié leur histoire. Dans la section finale, des statistiques comparatives sur les budgets d'opération sont accessi bles sous forme de tableaux. Enfin, l'auteure termine sa thèse par l'historique d'un rapport commandé par le président du Conseil des arts du Canada (CAC) et son effet sur le paysage artistique du Canada. Elle explique comment le rapport a été déterminant pour l'orientation artistique et la survie des trois compagnies canadiennes de ballet les pl us importantes. Sa conclusion met en perspective les caractéristiques communes et les différentes qui, selon elle, expliquent leur création, leur développement et leur survie. Bien que ce travail soit d'une grande importance pour l'avancement de la recherche, certaines lacunes sont à relever. II n'y a pas de chapitre traitant de la méthodologie. Nous ne savons pas quelles -sont les assises liées à sa recherche en histoire. L'historiographie du ballet constitue l'introduction et nous ne savons pas de quelle façon elle contribue à la pertinence du travail. La revue de littérature tente, dans un premier temps de faire un survol de tous les aspects traités en recherche sur la danse, sans comprendre ce qui justifie un tel panorama puisqu'il n'est jamais rattaché à l'orientation de l'étude. Dans un deuxième temps, l'auteure circonscrit avec succès ce qui a été fait sur l'histoire des compagnies. Ainsi, comme il n'y a pas d'explications sur les choix méthodologiques et les stratégies de recherche, nous ne saurions nous en inspirer pour notre propre démarche. En revanche, l'information événementielle incluse dans la thèse, la validité et la variété des sources sont précieuses. 17 Dans le cas du BNC, en plus d'ouvrages qui relatent les étapes chronologiques de la compagnie, plusieurs membres retraités ont eu envie d'écrire leurs mémoires: Celia Franca, Betty Oliphant et Grant Strate, pour ne nommer que les principaux. Arnold Spohr, danseur et directeur artistique pendant trente ans du RWB (1943-1988) a été aidé par Michael Crabb (2002), un journaliste de danse de Toronto, pour parler de sa carrière. Ces livres donnent les impressions des acteurs principaux et visent à mettre en valeur leur propre histoire: « The format is roughly chronological and tells many amusing anecdotes of coping during the earl y years and the graduaI refinement of the company on stage. [ ... ] However, it is also a very brief and selective history from an interested party. 1... 1... in this case, extremely self-serving» (Smith, 2000, p. 25-26). Ils ne sauraient permettre d'élaborer un rapport critique de leur implication au sein de l'institution qu'ils ont servie, ni fournir d'explications nuancées de leurs actions ; tout au plus ces témoignages apportent-ils des pistes à explorer éventuellement, à recouper avec d'autres informations afin d'en arriver à un portrait éventuellement critique. Malgré la faiblesse de la formule, leur témoignage constitue une ébauche impressionniste d'une époque et les y situe personnellement. Rien de tout cela n'a été réalisé pour les GBCM. Aucun de ses membres actif ni aucun de ses anciens membres n'a jamais eu envie d'écrire ses mémoires pour partager son expérience au sein de l'institution. En revanche, quelques portraits d'artistes de la danse engagés au sein des GBCM à différentes époques sont disponibles. Il s'agit de trois mémoires de maîtrise réalisés par des étudiants du programme d'études avancées du Département de danse de l'Université du Québec à Montréal. Pierre Lapointe (1999) a fouillé la carrière de trois danseurs québécois et leur parcours international dans Trois intrépides danseurs montréalais des années 1940 et 1950. L'un de ces portraits est celui de Fernand Nault, chorégraphe et assistant directeur artistique aux GBC pendant la période scrutée par notre étude. Toujours en recherche, Michèle-France Cloutier (2005) a réalisé un portrait de compagnie, The Montreal Theatre Ballet (1956-1957) histoire d'une compagnie pionnière. Brian Macdonald, un de ses fondateurs et aussi directeur artistique des GBC de 1974 à 1978 Y est présenté. Il y a aussi le mémoire de Myriam Belzile (1997). Elle a traité de la carrière de Milenka Niederlova, danseuse et maîtresse de ballet aux GBC au début des années 1960 dans une étude intitulée Milenka Niederlova (1924-1992), pionnière de 18' la danse au Québec. Ces trois portraits pourront servir à obtenir de l'information sur la vie de personnes importantes dans l'histoire des GBC. Dans les trois cas, nous pouvons faire certains liens entre les événements marquants de leur carrière et leur investissement d'artiste au sein des GBC. L'abondance de références bibliographiques permet aussi de retracer les articles susceptibles de nous intéresser. Cela étant dit, les mémoires confirment des événements chronologiques et certains traits de personnal ité des individus, mais jamais ils ne permettent de déceler de l'information précise sur l'histoire des GBCM ou sur son mode de fonctionnement. Nous avons mentionné dans la partie introduction de la recherche, un seul livre susceptible de brosser un portrait historique de la compagnie des GBC à travers la vie de Ludmilla Chiriaeff: Cette femme qui nous fit danser (Lorrain, 1973). Son contenu est calqué sur les autres parutions de même nature, évoquées précédemment. Il ressemble, en tout point, au type d'ouvrage de Max Wyman (2001) mentionné auparavant: «Like Wyman in his book on the RWB, Lorrain admires the accomplishments of the company and its people, but also occasionally defIates their pretensions » (Smith, 2000, p. 27). Au cours de notre processus d'écriture un document important est venu se greffer. Il s'agit de la biographie détaillée de Mme Chiriaeff, Danser pour ne pas mourir écrite par Mme Nicolle Forget (2006). Nous avons eu la possibilité de lire le manuscrit ilvant sa parution, de nous en inspirer aux fins de notre propre recherche et même d'en utiliser des extraits inédits jamais publiés, avec la permission de l'auteure. C'est pour cette raison qùe certaines citations portent l'indication: « manuscrit, partie II ». Il est documenté à partir de plus de 600 heures d'entrevues avec Mme Chiriaeff, de ses archives personnelles, de nombreux témoignages de personnes qui l'ont fréquentée sa vie durant et qui ont participé à l'édification de la compagnie. Cette recherche est précieuse car elle permet de confirmer des données recueillies dans le cadre de notre investigation, elle est truffée de nombreuses citations de Ludmilla et présente des extraits de documents inédits et officiels. De plus, l'exercice entrepris par Mme Forget permet de mettre à jour un nombre imposant d'événements dans un ordre chronologique et explique des moments charnières de la compagnie, inspirés des documents auxquels eUe a eu accès. Étant la fiduciaire du Fonds d'archives de Ludmilla Chiriaeff (FALC), et ayant entrepris des recherches personnelles il 19 y a dix ans, dans tous les pays où Ludmilla a vécu, elle a pu tirer un portrait exhaustif et documenté de la pionnière. La rigueur du traitement en fait un document crédible et précieux. Le contenu enrichit notre propre travail de recherche. Les documents biographiques télévisuels québécois ont aussi été traités. Notre objectif était d'en comprendre d'abord le traitement. Les documents vidéo sont bâtis avec le même souci de valoriser la personne. Ils sont documentés à partir des archives des artistes. Les témoignages visent à renforcer le mérite des vedettes. Aucune information fournie par les protagonistes n'est mise en perspective. Le documentaire est souvent monté à partir d'une suite chronologique et vise principalement à rehausser la carrière du personnage. Par exemple, en ce qui concerne Mme Chiriaeff, la présentation théâtrale d'elle-même perce. l'écran en toute occasion et retient l'attention du spectateur. Elle est aussi présentée comme une héroïne ayant bravé l'adversité. Il est aussi clair que la recherche de nature historique des documentaires est réalisée à partir de son témoignage. Quelques films ont été produits sur le travail de la compagnie des GBCM, ils servent surtout à présenter le travail chorégraphique. C'est le cas du film Les Grands Européens (1994) ou celui qui raconte la tournée en Asie (1985). Un documentaire sur la vie des danseurs des GBCM a été récemment présenté à la télévision: La traversée du miroir (2003). La publicité autour de la sortie de ce documentaire annonçait une esquisse de la compagnie des GBCM. Au visionnement, aucun intérêt analytique n'émerge au-delà du fait qu'il aborde la réalité de la vie du danseur au quotidien, aujourd'hui. Le documentaire pourrait parler des danseurs d'une compagnie de Londres ou de Stuttgart, cela. ne ferait aucune différence. La présentation est poétique et entretient tous les clichés véhiculés habituellement sur les danseurs: douleurs quotidiennes, êtres d'exception à la sensibilité exacerbée,vie hors de la vie. Jamais, on ne permet aux danseurs de s'exprimer directement à la caméra. Leurs propos sont censurés; leurs voix sont doublées par des comédiens. De plus, il n'y a aucune référence susceptible d'informer le spectateur sur les œuvres présentées dans le documentaire, ni d'en situer le contexte. Notre inventaire illustre le manque d'information disponible au Canada sur l'objet de recherche (les GBCM) et les assises méthodologiques hors de notre portée sur lesquelles il aurait été important de pouvoir nous appuyer. 20 La recherche sur les compagnies de ballet dans le monde Nous avons scruté les parutions disponibles sur quelques-unes des compagnies qui évoluent dans un contexte similaire à celui des GBCM, c'est-à-dire issues d'un pays colonisé où nous avons présumé d'une certaine importance accordée au travail des pionniers et de défricheurs. Nous avons cru possible d'arrimer une certaine concordance en regard de leur époque de fondation et de leur longévité à cause d'une certaine proximité dans le temps. Nous espérions constater un besoin de se doter d'une histoire artistique en danse. Par exemple, les Ballets de Sydney, en Australie. Or, il n'en est rien. Le même modèle identifié pour les compagnies du RWB et du BNC se perpétue dans les autres pays de type colonial (Smith, 2000, p. 25). Nous avons aussi tenté une investigation du côté des grandes compagnies de ballet du monde dont une histoire de plusieurs siècles aurait pu intéresser des auteurs dans des études plus fouillées. Nos recherches ont été vaines. Même quand les livres historiques sont nombreux, par exemple au sujet du Ballet de J'Opéra de Paris ou du Bolshoï, on n'aborde pas le fonctionnement interne et les conditions d'existence d'un milieu artistique. Ces ouvrages respectent une mise en valeur des œuvres et des personnes comme nous avons pu l'observer au sujet d'un produit canadien. Deux ouvrages tentent de brosser le portrait interne d'une compagnie de ballet d'envergure internationale. Deux auteurs avec des expériences différentes ont passé plusieurs mois au sein d'une grande compagnie américaine de New York, observant tous les faits et gestes des différents intervenants. Dans le premier cas, Joseph Mazo (1974), journaliste, a eu la permission de George Balanchine de suivre au quotidien les activités du New York City Ballet pendant une année (la saison 1973-1974). Son livre, Dance as contact sport, décrit et explique la vie du danseur sous ses différents aspects: le despotisme de George Balanchine et les difficultés financières de la compagnie. Un néophyte découvre un univers qui le scandalise. Il n'y a pas d'analyse comme telle. Sa perception relève souvent de son plaisir à dévoiler des détails croustillants et à divulguer les abus de toutes sortes commis par les dirigeants. 21 L'autre ouvrage, Dance as life (Stevens, 1976), est écrit par un auteur qui a étudié la danse pendant cinq ans. Il a passé cinq mois avec l' American Ballet Theatre au quotidien et lors des différentes tournées. C'est la même formule que le livre précédent. Par contre on parcourt le paysage d'une compagnie, de ses danseurs et de ses dirigeants à travers une lorgnette admirative et des commentaires sur le propre cheminement de l'auteur dans le monde de la danse. L'histoire d'une seule compagnie, contourne la règle de l'admiration béate, celle des Ballets Russes. Ayant vécue dans la controverse durant toute son existence, ayant eu un impact important sur l'évolution du ballet au xx e siècle et ayant donné jour à des artistes de génie toutes disciplines confondues, l'intérêt porté aux Ballets Russes est inépuisable. Le livre Triomphes et scandales: La belle époque des Ballets Russes (Huesca, 2001) a permis de mieux cerner notre sujet L'ouvrage aborde avec une analyse pointue le rapport de fascination qui s'est exercé entre le public, les œuvres au répertoire dela compagnie des Ballets Russes et les conjonctures historique et socio-politique du temps. Ce rapport complexe est expliqué à partir des œuvres mises en perspectives par la critique journalistique de l'époque et replacé dans le contexte social. Cet ouvrage, au-delà de la qualité de la recherche et de l'analyse, a permis de circonscrire notre intérêt à traiter une perspective interne d'abord pour mieux comprendre la dynamique interne de la compagnie. Il s'agissait ensuite de faire les liens nécessaires avec l'organisation sociale de l'époque sous les aspects politique, culturel et économique. Notre choix a été de procéder à l'inverse de Huesca (2001). En. con~lusion, notre investigation globale permet de confirmer la préoccupation de Kant (1998). Elle constate que l'histoire de la danse, comme objet d'étude, est taxée d'un lourd retard dans le développement de ses connaissances par rapport à d'autres champs d'intérêts sociaux, culturels et artistiques. Elle dénonce le manque d'intérêt de la communauté scientifique pour une recherche théorique sur la danse: Je constate une nette perte de vitesse, une perte d'importance de l' Histoire, de la conscience historique, indiquant manifestement ... j Si elle une baisse d'intérêt pour les questions historiques. 1 22 était écrite, ce devrait être une réflexion sur le devenir et la croissance, non seulement d'un genre artistique, mais également des réflexions théoriques qui l'accompagnent et qui apparaissent avec lui, des réflexions antérieures et ultérieures portant sur cet art même. (p. 232) Dans le même article, elle confirme notre observation d'une tendance universelle à exposer l'histoire de la danse sous une forme esthétique: « f... ] l'histoire de la danse est comparable à l'histoire de l'art, de la musique ou du théâtre. Selon cette constatation, l'histoire de la danse est analysée d'une manière purement esthétique, puis on crée un contexte dans lequel un art est apparu» (Idem, p. 233). Ainsi, nous pouvons valider et appuyer notre conclusion sur le traitement de l 'histoire des grandes compagnies de ballet du monde et plus spécifiquement celles du Canada. À la lumière de ce qui précède, nous constatons que notre perspective de recherche n'a pas été abordée dans le passé. Nous voulons et nous devons traiter l'objet d'étude dans sa perspective historique car une partie de notre intérêt tient au fait de comprendre l'évolution artistique de la compagnie et les facteurs d'influence dans le temps. Mais la question de recherche, en regard de sa formulation, demande de comprendre le fonctionnement interne d'une compagnie de ballet, ses liens à l'externe en vue de réaliser son mandat artistique dans une dimension plus vaste que la dimension esthétique ou historique. Notre préoccupation est de saisir la dynamique de la compagnie et les ingrédients de cette configuration. Afin de nous acquitter de cette tâche avec tout le sérieux qu'elle requiert, nous avons utilisé un ouvrage de référence de formation en gestion: La gestion dynamique de Pierre G. Bergeron (1995). II a permis d'identifier et de nommer les objectifs organisationnels de la compagnie des GBC. Nous avons consulté un expert en gestion, M. Laurent Lepage, pour valider le modèle. Il a mis en lumière la lacune liée à l'identification de certains éléments structurels et dynamiques. En effet, ces derniers ne permettent pas d'expliquer les phénomènes interrelationnels et déterminants dans un système. Nous nous sommes appuyées sur l'ouvrage sociologique qui les explique: L'acteur et le système de Crozier & Friedberg (1977). Les auteurs y analysent les contraintes de l'action collective. Ils présentent une série de propositions sur les problèmes soulevés par des organisations et sur «les moyens et instruments que les hommes ont inventés [ ... 1 pour assurer et 23 développer leur coopération en vue de buts communs» (p. 10). Ils abordent différentes dynamiques susceptibles de se manifester au sein d'un système et son environnement. L'élaboration des objectifs artistiques opérationnels et leur évolution commandent de s'intéresser aux dimensions humaine, philosophique, artistique, stylistique, mais aussi organisationnelle et au contexte environnemental sur les plans économique, politique, social et culturel en lien avec la dynamique interne. Donc, nous avons emprunté une démarche méthodologique qui tient compte de ces paramètres pour supporter notre projet de recherche. Il a fallu, par la suite, déterminer nos méthodes d'investigation et d'analyse, prendre conscience des écueils qui peuvent se présenter et circonscrire adéquatement les limites possi bles de l'entreprise. En histoire, tout commence avec le geste de mettre à part, de rassembler, de muer ainsi en « document» certains objets répartis autrement. (Michel Certeau in Dosse, 2006, p. 34) MÉTHODOLOGIE DE LA RECHERCHE La méthode qualitative Nous avons pu constater dans la section précédente qu'il n'existe pas d'informations sur le sujet de cette recherche et peu de documentation sur l'objet d'étude. En regard de notre problématique dont est issue la question de recherche, la méthode qualitative nous a semblé adéquate. Patton (1994) et Jorgensen (1989) disent que, lorsque qu'il existe peu d'informations sur un sujet, la méthode qualitative est la plus appropriée. Pires (in Poupart et al., 1997) explique les caractéristiques d'une recherche qualitative: ... la recherche qualitative se caractérise en général: (a) par sa sou'plesse d'ajustement pendant son déroulement, y compris par sa souplesse dans la construction progressive de l'objet de l'enquête; (b) par sa capacité de s'occuper d'objets complexes, comme les institutions sociales, les groupes stables, ou encore d'objets cachés, furtifs, difficiles à saisir ou perdus dans le passé; (c) par sa capacité à englober des données hétérogènes ou comme l'ont suggéré Denzin et Lincoln (1994: 2), de combiner différentes techniques de collectes de données; (d) par sa capacité. de décrire en profondeur plusieurs aspects importants de la vie sociale relevant de la culture et de l'expérience vécue étant donné, justement, sa capacité de permettre au chercheur de rendre compte (d'une façon ou d'une autre) du point de vue de l'intérieur ou d'en bas; (e) enfin, par son ouverture au monde empirique, qui s'exprime souvent par une ouverture à la découverte de « faits inconvénients» (Weber) ou de « cas négatifs ». Elle tend à valoriser la créativité et la solution de problèmes théoriques posés par les faits inconvénients. (pp. 5152) Les études qualitatives sont essentiellement descriptives et interprétatives dans la mesure où elles portent sur la façon dont les gens agissent, comprennent le monde qui les entoure et interprètent leurs expériences personnelles. Ce type d'approche de recherche permet d'observer les phénomènes étudiés tels qu'ils se manifestent habituellement sans attentes prédéterminées. Considérant que le chercheur ne peut présumer d'aucune orientation 25 préalable à sa recherche, une telle approche permet de laisser émerger les données sans préjuger d'une organisation particulière de la matière recueillie. Rogers (1984) décrit la recherche qualitative comme étant « a direct observation of human activity and interaction in an ongoing, naturalistic fashion » (p. 86). Les chercheurs adeptes de la recherche qualitative font leur collecte dans le milieu même où leurs sujets évoluent et trava,illent car ils désirent saisir toute la complexité de la situation en lien avec une problématique déterminée, tout en tenant compte du contexte qui, à leur sens, constitue une réalité unique. Ces caractéristiques inhérentes à une démarche qualitative permettent de considérer les dimensions complexes de notre démarche: la difficulté à débusquer ce que nous cherchons et la construction de l'objet. Un facteur déterminant influence l'orientation de la recherche, nos méthodes d'investigation et de collectes de données, questionne la valeur des sources et la façon de les analyser. Il s'agit du facteur TEMPS. Ce facteur est au cœur de notre étude car nous désirons comprendre l'évolution des vingt premières années et les éléments stratégiques inhérents à la survie de la compagnie des GBC. Il a un impact capital sur notre attitude relative à la cueillette des données. Il influence le choix des sources, il oriente notre sélection d'une instrumentation adéquate au repérage et à l'analyse des données compte t~nu de la distance entre les années d'existence des sources et nous. Enfin, il nous oblige à procéder à une interprétation des données en tenant compte de la distance temporelle. Pour circonscrire le mieux possible ces enjeux, nous avons choisi une approche historique. L'approche historique Notre collecte des données, leur analyse et leur interprétation se fera sous une approche historique pour mieux circonscrire l'événementiel et analyser les effets du temps. Une telle démarche permet de se prémunir de repères afin d'éviter le plus possible des interprétations intempestives de la signification des événements. Avant d'aborder la démarche personnalisée de notre recherche historique, il apparaît essentiel d'exposer certains des enjeux généraux auxquels nous avons été confrontés. Ils ont été au cœur de notre conduite scientifique dans une démarche de type historique. 26 La complexité du travail de l'historien Comme nous l'avons mentionné précédemment, l'un des enjeux essentiels réside dans la motivation et la démarche intellectuelle du chercheur. Il y est personnellement impliqué. Il ne saurait tenter de se dissocier des résultats et de l'interprétation à venir. Par conséquent, il doit identifier ses propres préjugés et reconnaître certaines de ses valeurs susceptibles d'influencer les choix possibles. En revanche, il doit envisager les multiples constructions offertes à son analyse. Il est donc important d'identifier les composantes des phénomènes, de connaître le,s relations entre ces composantes et· de dégager les significations possibles en tenant compte des variables contextuelles. Nous discuterons de trois enjeux essentiels relatifs à une construction historique. Ces enjeux sont intimement rattachés à notre démarche: la validité des sources, l'analyse sous les aspects « comprendre et expliquer» et enfin le phénomène de cause à effet. Une métaphore de Revel (2001) parle de l'historien qui, en regard des sources, se retrouve souvent devant « le désordre d'un amas d'amphores déposé au fond de la mer après un naufrage» (p. 51). Il continue en affirmant: « Le travail de l'historien consiste à reconnaître cet état pour tirer les conséquences, puis à le réorganiser à partir de ses propres questions» (Idem). Limites et pertinence des sources Faire de l'histoire, c'est désormais reconstruire la chaîne des raisons qui permettent de nous relier de façon intelligible à ce qui nous est désormais étranger» (Idem, p. 37). Le témoignage est une source susceptible d'offrir une certaine emprise sur la réalité passée. L'historien tentera d'extraire des témoignages des données conformes à une réalité ou du moins à une vision partielle de cette réalité. En excisant ce qui en est impropre et en le reformulant, il reconstruit le témoignage et lui donne une perspective en regard de la va:Iidation de son hypothèse. Guyotjeannin (in Revel, 2001) dit: « ... il est évident que les procédures de contrôle et d'établissement du témoignage ne sont plus séparables de-la production d'une connaissance» (p. 44). Le témoignage devient un agent essentiel de reconstruction d'une ,1 / 27 réalité ; il peut permettre d'établir ou de rétablir certains faits et devient partie prenante à nourrir le désir de connaissance de l'historien. En revanche, Durkheim (1975) met en garde l'historien contre la subjectivité des témoins et il considère les causes extirpées des témoignages comme suspectes: « L'introspection des témoins est la moins sûre des méthodes pour mettre à jour une cause quelconque» (p. 200). Malgré tout, comme l'explique Seignobos (in Durkheim, 1975), le témoin offre une explication des actes conscients: « ... ils peuvent se tromper ... malgré tout ils avaient un moyen de savoir quelque chose et nous ne l'avons pas» (p. 202). Nora (1984) explique la façon dont fonctionne la mémoire en lien avec l'histoire: - ' La mémoire est un phénomène toujours actuel, un lien vécu au présent éternel; . . . elle se nourrit de souvenirs flous, « téléscopants », globaux ou flottants, particuliers ou symboliques, sensibles à tous les transferts, écrans, censures et projection. (p. XIX) Cette affirmation de Nora est d'autant plus vraie quand on fait l'exercice d'interroger des témoins. Quelquefois, il peut survenir une amnésie totale ou partielle dans une communauté. Encore une fois Nora donne certaines pistes pour comprendre ce phénomène: La mémoire est la vie, toujours portée par des groupes vivants et à ce titre, elle est évolution permanente, ouverte à la dialectique du souvenir et de l'amnésie, inconsciente de ses déformations successives, vulnérable à toutes les utilisations et manipulations, susceptible de longues latences et de soudaines revitalisations. (p. XIX) Une telle affirmation situe l'acte de mémoire comme une dynamique vécue au présent dans une forme absolue. Une communauté subit toutes les fluctuations énoncées par Nora et le chercheur doit les identifier en plus de tenter d'en comprendre les manifestations tout en tenant compte de la subjectivité des témoins. Peut-il le faire quand le temps n'a pas encore créé une distance suffisante? Koselleck (1970) dit: «... les chances de connaissance s'accroissent en fonction de l'augmentation de la distance temporelle » (p. 77). Nous sommes ici confrontés au phénomène du manque de distance temporelle avec les sources et en même temps, le temps a 28 fait son œuvre. Un éloignement s'est créé, amorçant un travail d'interprétation des événements et des situations passées. Les documents écrits jouent aussi un rôle dans les phénomènes de distorsions à différents niveaux, selon leur nature et ce, pour plusieurs raisons. Par exemple, la forme et le contenu des documents sur les GBC jouent constamment entre un contenu poétique' et une forme plus conventionnelle de présentation. Pour les producteurs et auteurs il est plus facile de frapper l'imaginaire des spectateurs ou des lecteurs et de conserver ainsi leur adhésion. Le regard de la discipline sur elle-même s'en trouve conforté car on entretient un halo d'exception et de mystère dans un monde où les personnages y semblent plus grands que nature. En revanche, leur réalité n'est pas mieux expliquée. Pourquoi questionner un modèle qui, publiquement, permet à la communauté de la danse de conserver une certaine image d'elle-même? Le chërcheur soucieux de saisir les nuances doit être armé d'un souci de vérité et d'une bonne dose de clairvoyance. Pour être entendu, il doit tenter de comprendre et expliquer les événements à partir de sources partielles, souvent émotives. Il doit tenir compte des écueils posés par l'écologie de la discipline elle-même. Dans tous les cas, il devra faire preuve de beaucoup d'humilité et de nuance. Les sources premières, en l'occurrence la mémoire, gardent une part inaccessible liée au temps, à la sensibilité des témoins, à leur sélection de l'iriformation et à leurs omissions délibérées ou non. La tentation peut~être grande de compléter une information par une saveur personnelle. Pourtant, l'historien devra y résister. Comme le dit Koselleck (1979) : « Les sources nous protègent des erreurs, mais ne nous dictent jamais ce que nous devons dire» (p. 184). Toutes les considérations précédentes ont été retenues lors de notre collecte de données et lors de leur traitemerit. Il en a été de même des documents. Comprendre et expliquer Que veut dire le terme comprendre? Que veut-on comprendre et qu'est-ce que l'historien doit s'évertuer à comprendre? Seignobos (in Durkheim, 1975) à la question « pourquoi faites, Par exemple: La traversée du miroir de Jean Barbe (2003) dont nous avons parlé plutôt porte officiellement sur les GBCM, mais, dans les faits, parle du métier de danseur. 29 vous de l'histoire? », répond:« Pour chercher des relations entre des séries de faits et pour comprendre le passé sur le modèle du présent» (p. 214). Notre étude est orientée sur la compréhension du passé, élaborée en regard de ce qui existe maintenant. Le fil conducteur des événements dans le temps peut prendre un certain sens au présent, expliquer l'ordre des événements et leurs conséquences. Fouiller le parcours des GBC sur l'échelle du temps pour saisir sa dynamique, ses transformations et donner un sens aux actes posés demeure une recherche circonscrite dans un temps précis (1957-1977). Comprendre la différence entre l'expérience de la réalité de l'époque actuelle et comment le milieu de la danse a évolué est un autre sujet que nous n'avons pas traité. Cela étant dit, rien n'empêche la première orientation de servir éventuellement à l'élaboration de la deuxième comme l'explique Carbonell (1994) : Nous comprenons les choses humaines par leur affinité avec nous (<< la sympathie »). L'acte de comprendre se produit par intuition immédiate, comme si l'âme surgissait de l'âme, par un acte aussi créateur que la conception de l'accouplement. (p. 345) . Droysen (in Carbonell, 1994) porte un regard sensible et complexe sur la compréhension. II laisse entendre que le mécanisme de la compréhension est mû par une r110tivation où la sensibilité est la première composante. Choisir de parler de l'édification et de la vie d'une compagnie de danse n'est pas sans éveiller une résonance sympathique avec celle de la vie de la chercheure qui, à plusieurs années d'intervalle, vit dans le même milieu aux prises avec des enjeux artistiques et sociaux, guère éloignés de ceux des GBC. Une sensibilité s'installe entre un chercheur et son sujet d'où t'existence d'une motivation et d'un désir de saisir une certaine vérité. L'historien, devant un sujet de natut:'e historique, doit surtout entreprendre sa recherche en vue d'un avancement probable des connaIssances dans son domaine. Les préjugés favorables ou défavorables, le jugement de valeur alimenté par un parti-pris diffamatoire ou ostentatoire ne font qu'entacher la crédibilité du chercheur. En revanche, Hexter (in Dray, 1986) dit: «Ne pas s'intéresser à la justice qui revient aux personnes que l'on rencontre revient à diminuer, non pas leur nature humaine, mais la nôtre» (p. 181). Cela étant dit, ne nous faisons pas d'illusion. Dray (1981) mentionne: «Éliminer les jugements explicites du langage de l'historien n'assurerait pas pour autant que son enquête en soit absolument libre» (p. 42). Être conscient de cet enjeu peut amener un chercheur à 30 élaborer son point de vue en tenant compte des écueils possibles, soumis à ses jugements de valeur et néfastes à l'émergence d'une certaine forme de vérité. Comprendre son sujet commande d'abord une collecte de petits éléments pertinents à la construction de l'objet. Une telle élaboration demande une organisation appropriée et des méthodes rigoureuses d'investigation. Comme le dit Droysen (in Carbonell, 1994), il faut une méthode: une médiation entre l'intellectualisation de la matière et l'infini des particules. Déterminer certains paramètres de la connaissance historique pourra se faire si le chercheur peut trouver la méthode convenable et s'en servir adéquatement. La compréhension de l'objet en est tributaire. La complexité de l'objet est un défi particulièrement important pour l'historien désireux de donner un sens et donc de comprendre. Le travail de l'historien selon Revel (2001) « ... commence avec le geste de mettre à part, de rassembler, de muer ainsi en "document" certains objets répartis autrement» (p. 50). À cette affirmation, nous ajoutons l'importance de procéder à une mise en forme et une mise en ordre pour mieux comprendre et éventuellement expliquer. Ces deux moments sont en lien avec l'exercice de l'historien. Cela consiste à tirer certaines conclusions par des causes et des effets. Le phénomène de cause à effet Revel (2001) pose la question de la validité du modèle de causalité en histoire. li dit: « même si les historiens utilisent volontiers le terme de cause, ils le font le plus souvent sans exigence particulière et de façon triviale, pour parler à la fois des antécédents et des conditions supposées aider à rendre compte d'un phénomène» (p. 56). La multiplicité possible des explications fait en sorte que le phénomène de causalité est aléatoire. Il permet tout au plus un portrait interprétatif de la situation (Dray, 1986). Comme l'affirme toujours cet auteur, il prétend que le statut de cause est donné strictement par l'historien et par lui seul. C'est donc à ce dernier de se demander quel est le poids des causes qu'il défend pour soutenir son interprétation. Nous en concluons que toutes les causes possibles se valent si elles ne sont pas mises en relief par des liens entre les éV,énements et leurs effets sur le sujet. 31 Pour Ricoeur (1986) les termes « expliquer» et « comprendre» sont les moments relatifs de l'interprétation. Cette dernière est'une médiation dans un jeu de la raison, une oscillation entre expliquer et comprendre. En revanche, selon lui, la compréhension des signes ne demande pas nécessairement le besoin d'établir des liens de causalité. En ce sens, il rejoint la position de Revel (2001) et de Dray (1986). Ce dernier, termine un article en posant une question fondamentale: De quelle autre façon l'historien pourrait-il procéder dans ses enquêtes à la recherche des causes? Devrait-il seulement chercher à découvrir des conditions suffisantes? L'exercice de créer des liens de cause à effet est cette partie de l'interprétation soum ise à un savant dosage de mise en perspective des événements et du contexte qui les a vus naître. Pour un chercheur, il est important, lors de son travail d'interprétation, de mesurer leur probabilité· à la lumière des faits en présence. Chercher des causes produi.t une explication. Celle-ci est précieuse pour l'historien dont c'est le travail d'interroger le temps. Pour lui, il n'est pas suffisant de savoir ce qui s'est passé, mais de mieux replacer les faits dans le contexte de leur temps. Trouver les relations de cause à effet permet de comprendre comment s'est exercé le passage du temps. Mckillop (1989) résume la complexité du travai 1 délicat et particulier de l 'historien à la recherche de la vérité: « To put it differently, any historical narrative is a particular bundle of silences, the result of a unique process, and the operation required to deconstruct these silences will vary accordingly » (in Michel Rolph Touillot, p. 269). Le passage du. temps se révèle un adversaire redoutable pour l 'historien, dans le cas présent. Collé à un événement ou au passage sur terre d'un individu ou d'un groupe au charisme et à la réputation exceptionnelle, un chercheur est confronté à une résistance toute contemporaine à sa quête de connaissances nuancées. Sa détermination n'a d'égal qu'un souci d'apporter un regard éclairant sur l'évolution d'une discipline et de la société dans laquelle elle évolue. La rigueur et la prudence deviennent la seule porte de salut pour oser s'attaquer à bien plus grand que soi. Le rôle stratégique de l'historien-expert est manifeste aussi. 11 met en lumière des éléments caractéristiques de la discipline dont il faut tenir compte dans un type précis d'investigation. La compréhension de l'écologie d'un milieu, une connaissance de l'histoire de la danse en général, une sensibilisation aux exigences des métiers relatifs à la pratique de la danse et des 32 enjeux liés à la direction d'une compagnie, facilitent l'enquête et le travail d'analyse des sources. L'exercice précédent démontre l'importance de la rigueur méthodologique, de son sens dans une perspective de quête de connaissances. C'est l'harmonisation d'un désir de s'accaparer une certaine vérité et d'une capacité à négocier avec la nature humaine pour mieux la connaître et l'apprécier dans toute sa complexité. Cette étude est assujettie à cette démarche avec le plus de rigueur possible. Démarche méthodologique dans le cadre de la recherche Le travail de terrain s'est réalisé en regard de ce qui précède et de la nature de notre projet de recherche. Il s'agit ici de présenter les sources et les méthodes d'investigation choisies et de . s'assurèr de les maîtriser. Pour chacun de ces deux éléments, nous traiterons de leur nature, de leur utilisation dans le cadre de la recherche et de leurs difficultés relatives. Nous . expliquerons aussi la façon dont le traitement des données a été raffiné après avoir énuméré les étapes de la recherche. Enfin, nous terminerons par l'explication de nos choix d'écriture dans le but de faciliter la lecture et sa compréhension. Les sources premières Les sources de première main ont été les coupures de presses des quatre quotidiens de la métropole montréalaise (La Presse, Le Devoir, The Montreal Star et The Gazette), sur la période. couverte par la recherche. Nous avons aussi répertorié les coupures de presse des magazines spécialisés de danse (nord-américains et européens), les documents d'archives de la compagnie (correspondance interne, procès-verbaux, programmes souvenirs), les documents vidéos et télévisuels et enfin, le verbatim des entrevues menées par le chercheur. Les coupures de presse abordent différents sujets: les critiques de spectacles, le profil des danseurs, celui des chorégraphes, les différents aspects de la production, la philosophie de la compagnie et difficultés financières de celle-ci. L'avantage de cette source est sa régularité dans le temps et l'assiduité des journalistes à écrire sur la compagnie. À cette époque (1957- 33 1977), ils se déplacent à chaque spectacle d'un programme différent. Ils sont toujours les mêmes, ou presque, à être affectés à l'écriture des articles et des critiques. Ainsi, on peut avoir le détail différent de deux spectacles lors d'une même fin de semaine ou l'appréciation d'une même œuvre pour deux distributions différentes et, présentées à deux époques différentes. Elles sont toujours commentées parle même journaliste. Au début de chaque article, la ,- toponymie des journaux de l'époque exige la description de chaque ballet, l'énumération du' nom des chorégraphes, les collaborateurs artistiques et quelquefois des danseurs solistes. La connaissance relativ,ement bonne de la discipline, de la part des critiques, .permet d'avoir de l'information assez détaillée sur la performance, technique et artistique des danseurs, l'organisation p'ertinente ou non des différents éléments du spectacle par le chorégraphe et la réaction du public. On peut analyser l'évolution des ballets, des chorégraphes et des danseurs sur le plan artistique et saisir les difficultés importantes, comme les succès de la compagnie, au fil du temps. Les journalistes sont des témoins importants sur une longue période, compte tenu de la façon dont se faisait la couverture journalistique. de la danse à cette époque. Cela dit, plusieurs aspects sont traités dans un même article. Une telle organisation de l'information cornplique son analyse. Nous avons fait des photocopies de tous les articles jugés pertinents pour documenter la recherche et chacun a été analysé individuellement en ciblant chacun des thèmes avec un marqueur de couleur différente pour chacun des thèmes identifiés au préalable lors d'une lecture rapide. Cette façon d'organiser l'information a permis d'obtenir un profil général de la compagnie dans le temps. Elle faisait ressortir les forces et faiblesses, les temps forts et les moments creux aux différentes époques. Ce faisant, nous avons été à même de bâtir le plan de la recherche car les différentes catégories répertoriées permettaient d'en élaborer de plus larges .. En revanche, ce type d'information comporte certaines limites. Premièrement le journaliste désigné, investi d'une certaine compétence, choisit malgré tout le sujet dont il désire entretenir son lecteur. Souvent il évite les aspects moins intéressants selon son jugement bien ,qu'ils pourraient s'avérer pertinents pour l'étude. Le choix d'une même personne à l'écriture des spectacles de danse présente certains écueils : souvent certains danseurs sont les chéris et d'autres, au contraire sont moins appréciés; des œuvres de certains styles sont toujours encensées et d'autres, dont l'esthétique plait moins à l'individu, sont dénigrées. 34 Les programmes souvenirs donnent une quantité substantielle d'informations. La structure de la compagnie, ses collaborateurs, son répertoire, des extraits de critiques élogieuses et des commentaires de la direction, lors des anniversaires spéciaux, sur les grandes orientations de la compagnie. De plus, ils orientent le lecteur sur les éléments, considérés importants par la direction des GBC qui méritent d'être divulgués au public.' Soumis à notre analyse, nous pouvons comprendre l'image véhiculée auprès de la population et l'évolution de cette image dans le temps. Ils génèrent aussi un certain nombre d'interrogations, principalement parce qu'ils ne sont jamais datés ou bien identifiés par année sans spécifier la saison dont il est question. Traditionnellement, dans le milieu de la danse, on parle de saisons échelonnées de l'automne au printemps (indiquer une année, par exemple, 1961, entretient la confusion). La datation permet d'installer la chronologie des événements et dans le cas présent, d'établir la composition du répertoire. Quelques mois de différence ont une grande impo11ance pour préciser avec justesse la programmation, la situer dans le temps et analyser les choix artistiques d'une saison à l'autre. Nous avons dû procéder à des recoupements pour dater tous les programmes des années 1960 puis contre vérifier avec des listes d'œuvres disponibles Heureusement, à partir de 1970, on spécifie la saison dont il est question. 2 • Les contemporains de l'époque de Ludmilla Chiriaeff viennent d'une culture artistique où émettre ses idées, les développer et les formuler est difficile. C'est particulièrement vrai pour les danseurs. Ils ont baigné dans un univers d'abnégation où ils ont appris à se conformer parfaitement aux attentes de leurs maîtres de danse et à devenir conformes au modèle esthétique de leur discipline pour mieux s'intégrer dans leur communauté. Le directeur artistique ne saurait être contesté et ce qu'il dit encore moins mis en doute. Une telle configuration est importante à considérer quand on interroge les témoins. Les mettre en confiance, les valoriser, les faire parler d'eux et dé leur carrière (ils oht trop peu d'occasions de le faire) est un premier contact essentiel. L'étholologie de leur milieu et leur image sociale (des exaltés, des êtres torturés, difficiles à comprendre, des homosexuels ... ) les a gardés isolés et méfiants. S'exprimer se fait uniquement dans un climat de confiance où une jeune génération, consciente de son mérite, grappille l'information patiemment et surtout avec 2 Liste gracieusement fournie par Linde Howe Beck. Elle commence en 1958 et se termine en 1998. Elle est offerte aux journalistes par la direction générale de la compagnie des GBC, 35 respect. Le plus souvent, ils se conforment à une version idéalisée des faits pour grandir dans leur propre estime. L'informatiori extirpée de ces témoignages demeure partielle, exactement comme Nora (1984). La construction des faits est essentielle et s'organise en regard de la disponibilité et de l'éloquence des sources ; elle s'exécute à· partir d'une information fragmentaire. Le témoignage oral devient éventuellement écrit, organisé, complété et enrichi par la construction de l'historien. Il peut s'inscrire dans un processus « historisant» mais il ne saurait constituer une preuve probante des faits sans vérifier et approfondir leur signification grâce à d'autres sources. Les documents audio-visuels posent problèmes quand il s'agit de s'en servir comme sources historiques. Les documentaires sur Mme Chiriaeff ou sur la compagnie ont été produits davantage comme un .outil de propagande que dans un souci de rendre compte de l'histoire. Ils nous ont servi quand ils contenaient des documents d'archives des chorégraphies de la compagnie. Notre intérêt à ce type de source a porté directement sur les œuvres du répertoire dont nous avions besoin dans le cadre de l'étude ou pour comprendre le type de répertoire ou pour analyser des œuvres marquantes de la compagnie. Même s'ils étaient présentés sous forme d'extraits, ils permettaient de brosser un portrait artistique et esthétique de l'œuvre et quelquefois du contexte dans lequel elle s'inscrivait. La correspondance interne et les procès-verbaux ont été analysés grâce à la collaboration de l'archiviste, responsable de la fiducie Chiriaeff, Marie-Claude Berthiaume. Nous avons eu accès à un grand nombre de documents pertinents et précieux. Par exemple, nous avons consulté des procès-verbaux du CA et de multiples lettres adressées par Mme Chiriaeff à son président ou à l'administrateur de la compagnie. On retrouve aussi le document-synthèse sur l'état de la compagnie sur le plan administratif et la mise en marché des GBC à la suite du départ de M. Guy Lamarre (directeur administratif de la compagnie). Mme Chiriaeff écrivait à tous et chacun de manière très prolifique. Elle a conservé le plus possible des documents sur la gestion de la compagnie et soùhaitait que l'information devienne disponible à ceux intéressés à l'existence de la compagnie et à sa vie personnelle. Cette documentation est la seule disponible. La direction actuelle de la compagnie des GBCM n'a pas cru bon de conserver des archives de la période soumise à notre attention 3 • 3 Pour une recherche axée sur le passé des GBC, la direction générale nous réfère à la Bibliothèque de la danse, qui ne possède pas ces documents. 36 Que l'on considère les témoins, les écrits ou les documents audio-visuels, l'aUra de Mme Chiriaeff plane sur l'histoire de sa vie, de ses contemporains et de sa compagnie. Elle a forgé elle-même son « histoire »,elle a déterminé avec soin ce qu'il fallait connaître de son existence et de ses actions. Personne avant Nicolle Forget (2006) n'a tenté de valider ses affirmations avant de la « mettre en scène ». Ce constat n'est pas sans compliquer notre _ travail d'analyse. Il faut constamment contre vérifier l'information disponible. L'écheveau de la réalité et de l'histoire n'est pas toujours facile à démêler4 . Nous tenons à sou.1igner combien les témoins de l'évolution de la compagnie dans le temps ont été d'une grande générosité. Ils ont tous accepté notre demande d'entrevue avec bonne grâce, sauf Brian Macdonald. Il est le seul à n'avoir jamais répondu à nos courriels. Même M. Nault, malgré sa santé précaire a tenu à participer à l'étude. Dans le formulaire de consentement, signés par les témoins de l'histoire des GBC, ils avaient tous la possibilité de choisir un pseudonyme; personne ne s'est prévalu de ce droit. Les contemporains de la communauté de la danse du temps de Ludmilla Chiriaeff avaient et ont toujours besoin de reconnaissance du sens qu'ils ont donné à leur vie. Comme nous l'avons mentionné plus haut, il s'agit d'un besoin pressant de sentir leur discipline valorisée et leur implication reconnue. La façon dont les médias ont présenté Ludmilla Chiriaeff - comme un monument - leur renvoie une image d'eux-mêmes à leur convenance et rend hommage à leur époque, à leur talent d'artiste et à leur investissement de pionnier dans la discipline de la danse. Bref, c'est le sens de leur vie. La compagnie des GBC devient « le lieu» et le symbole de leur légitimité. Méthodes d'investigation L'échantillonnage des personnalité~ choisies pour participer aux entrevues a été élaboré en regard des besoins d'informations complémentaires aux autres sources, données nécessaires à la réalisation de l'histoire chronologique des GBC et névr~lgiques à l'organisation du portrait - de la dynamique artistique de la compagnie et de son modèle. Il a été fait en considérant les personnes particulièrement investies sur une longue période au sein de la compagnie durant 4 Sur cette question, le manuscrit de Mme Nicolle Forget (2005) a été fort précieux. Il nous a été possible de spécifier ou confirmer des éléments historiques et des traits de personnalité de la directrice artistique. 37 l'intervalle 1957-1977. Une attention particulière a été mise de façon à diversifier les témoignages selon leurs fonctions au sein de l'institution: direction artistiqùe, danseurs, direction administrative, chorégraphes et répétiteurs. Ont aussi été approchés des biographes, auteur d'un ouvrage ou qui ont tenté dans le passé (sans succès dans le cas d'un témoin) de réaliser une recherche sur la fondatrice de la compagnie: Ludmilla Chiriaeff. Spradley (1979) se sert de l'expression de Gelb « speech even5 » pour définir l' entrèvue. L'entrevue semi-structurée a été retenue aux fins de la recherche. C'est un mélange de technique de conversation informelle et de technique du guide d;entrevue. La conversation informelle permet de garder un maximum de souplesse quand il s'agit de poursuivre une conversation susceptible de donner de l'information non prévue (Patton, 1990) : « Most of the questions will flow from the immediate context » (p. 281). Elle donne aussi toute la marge de manœuvre nécessaire pour répondre aux particularités individuelles et aux changements subits de situation. Pa~ contre, l'analyse de telles entrevues est plus difficile car le discours peut aller dans plusieurs directions différentes. De ce fait rien n'assure au chercheur que l'essentiel a été dit spécialement quand le temps est compté. En revanche la composition rigoureuse du guide d'entrevue assure un témoignage pourvu d'un certain nombre d'items au cours de la conversation spécialement dans une situation où le temps est précieux (Patton, 1994). Même si le guide permet une certaine liberté pour mener une conversation, J'orientation sur un sujet prédéterminé demeure. Dans le cadre de la recherche, une entrevue d'une durée d'une heure et demie à deux heures avec chaque participant a été enregistrée sur bandes audio. Les entrevues ont été conduites à partir de l'entrevue semi-structurée. Il était important de préserver l'ouverture de la conversation parce que nous voulions demeurer disponibles à toute discussion possible au sujet d'un événement non identifié au préalable et susceptible d'éclairer notre question de recherche. Nous voulions aussi conserver la possibilité de bifurquer sur des sujets ayant davantage d'importance pour le ou la participante. Grâce à un type d'approche amicale, il nous importait aussi d'assurer un climat détendu. Le guide d'entrevue semi-structurée (exemple à l'annexe 1) a été bâti en fonction des volets des sous-questions initiales de recherche. Des thèmes ont servi à structurer le questionnaire 5 En italique dans le texte. 38 toujours en fonction des sous-questions. Les thèmes retenus ont été les suivants pour les danseurs, chorégraphes et gestionnaires : formation initiale, choix de carrière aux GBC, expérience artistique aux GBC, perception des chorégraphes, de Ludmilla Chiriaeff, des responsables de l'administration de la compagnie, perceptions des temps forts; identification des crises et raisons du départ. Pour interroger les experts externes, nous avons bâti le questionnaire selon leur lien avec Ludmilla Chiriaeff, la compagnie et leur connaissance du milieu de la danse classique au Can,ada. Dans un troisième temps, la formulation a été travaillée de façon à assurer des questions ouvertes (Patton, 1994) et permettre au participant ou à la participante de choisir les termes ayant davantage de signification pour lui ou elle, Ce type de formulation permet au c'hercheur de ne pas orienter la conversation de façon directive et le candidat pellt répondre au type de question voulue (Idem). Un protocole d'introduction a été répété au début de chaque entrevue de façon à mettre le ou la participante en confiance: 1° les remercier de se soumettre à l'entrevue; 2° leur signifier quel était le but de l'entrevue; 3° leur expliquer quel serait le déroulement de l'entrevue; 4° leur rappeler la liberté qu'ils avaient de répondre ou non. À la fin de l'entrevue des encouragements sur l'apport de leurs commentaires à notre recherche et des remerciements leur étaient toujours adressés. Les huit entrevues totalisent des centaines de pages de transcriptions (exemple à l'annexe II). Ces transcriptions leur ont été envoyées pour corroboration et corrections. Tous ont accepté la transcription des entrevues et leurs corrections ne changent en rien, dans la plupart des cas, la teneur de leur discours initial. La recherche des doc,uments d'archives s'est amorcée avec le recensement des coupures journalistiques à travers quatre quotidiens de Montréal (Archives lro Tembeck [AIT] ) couvrant les activités de la compagnie de 1957 à 1977. Ce répertoire a été complété par celui de la Bibliothèque de la danse. Toutes les critiques, pré-papiers, articles divers sur' la compagnie à travers leurs activités et leurs déplacements depuis le dé,but de leur fondation, ont été répertoriés. Chacun des articles pertinents a été photocopié et classé par thème, souvent sous plusieurs rubriques. Tous les programmes souvenirs ont été recensés et les programmes de chaque spectacle ont été recopiés. Les documents jugés pertinents du Fonds 39 d'archives Ludmilla Chiriaeff (FALC) onttous été photocopiés ou prêtés par la fiducie et analysés en regard de notre question de recherche. Parmi l'inventaire des documents audio-visuels nous n'avons retenu que ceux dont les extraits de pièces chorégraphiques pouvaient servir' <1t la recherche, comme source première. Nous n'avons pas traité l'information historique de ces documents. L'analyse de toutes les pièces s'est faite en regard de la question de recherche et de ses sousquestions en conservant à l'esprit le filon névralgique de l'étude c'est-à-dire la construction d'une chronologie des événements la plus détaillée et la plus valable possible. Les étapes de la recherche La démarche a été menée de la façon suivante, dans l'ordre énuméré: 1. répertoire des écrits et les sources télévisuelles; 2. analyse sommaire de leur contenu; 3. repérage d'une chronologie des événements relatifs à J'histoire de la compagnie afin d'avoir un point de repère dans le temps et juxtapositio'n des éléments d'information . avec la chronologie établie; 4. premier portrait pour circonscrire l'organisation interne et son évolution dans le temps de façon globale; 5.. identification des éléments encore à clarifier, à expliquer ou à valider; 6. identification des personnes à interviewer pour obtenir l'information et détermination du type d'information manquante; 7. contact établi par courriel ou par téléphone avec les participants aux entrevues et envoi de la demande écrite et le formulaire de consentement; 8. élaboration des questionnaires d'entrevue en regard de la fonction des candidats au sein de la compagnie et repérage de l'information à documenter aux fins de la recherche; 9. entrevue réalisée à l'endroit choisi par chacun des participants et recueillie sur bande audio; 10. transcription du verbatim des entrevues; 11. validation du contenu de l'entrevue par chacun des participants; 40 12. sources documentaires manquantes répertoriées; 13. recoupement inventorié entre l'information déjà disponible et celle manquante; 14. établissement d'un nouveau portrait interne et chronologique de la compagnie; 15. élaboration d'l:Ine échelle chronologique des événements et courants sociaux, politique, économique et culturel de l'époque traitée; 16. analyse détaillée des données à partir de la méthode de triangulation; 17. choix d'un modèle pour organiser les catégories liées à la dynamique organisationnelle afin de mieux circonscrire les éléments en présence; 18. conception du portrait de la compagnie sous les aspects déterminés au préalable; 19. identification des facteurs internes et externes déterminants pour la survie et le développement de la compagnie. 11 s'est avéré, suite à la démarche, que chacun des chapitres fournissait des réponses aux sousquestions de la recherche mais pas nécessairement dans l'ordre dans lequel elles avaient été formulées. Traitement des données Le défi de la recherche qualitative est de' donner un sens à une quantité massive de données brutes (Bogdan & Biklen, 1982). Selon ces auteurs, le chercheur part du principe que rien n'est trivial; tous les éléments inclus dans les données sont susceptibles de produire des pistes d'analyse et vont permettre de mieux comprendre les différents aspects de l'étude. L'analyse se fait de façon inductive: les catégories et les sous-catégories émergent des données recueillies (Tousignant, 1993). Ajoutons à cela la patience du chercheur. Il doit laisser le temps mettre en place sa construction à la lumière d'un retour constant sur ses différentes sources d'information. André Cellard affirme que c'est «la lecture répétée qui permet finalement de prendre conscience des similitudes, des rapports et des différences susceptibles de conduire à une reconstruction admissible et crédible» (in Poupart et al., 1997, p. 260). Donc, le temps, la perspicacité du chercheur et sa capacité à se laisser imprégner de son sujet favorisent l'émergence des pistes de la construction. Dans le cas présent, la triangulation méthodologique (Mucchielli, 1996, p. 262) était nécessaire. Nos sources premières, recension des écrits, entrevues et vidéos ont permis de 41 vérifier la justesse et la stabilité des catégories. Patton (1990) dit: « By using a variety of sources and ressources, the evaluator-observer can build on the strengths of each type of data collection w~ile minimizing the weaknesses of any single approach. A multimethod, triangulation approach to fieldwork increases both the validity and the reliability of evaluation data» (p. 245). Cette technique méthodologique a pu laisser apparaître les concordances possibles entre les différents types de documents. Il a fallu lire et relire, regrouper l'information selon les ressemblances et faire des liens. À travers la lecture et l'analyse des données, les thèmes récurrents ont été identifiés, et ce pour chaque sous-question de recherche jusqu'à un effet de saturation, « moment lors duquel le chercheur réalise que l'ajout de données nouvelles dans sa recherche n'occasionne pas une meilleure compréhension du phénomène étudié» (Patton, 1990, p. 204). Le recoupement d'information et d'orientation du discours des différentes sources retenait alors notre attention. Si des contradictions émergeaient, nous nous efforcions de conserver les deux orientations et de les présenter au lecteur comme telles. Il fallait aussi définir les étapes marquantes de la compagnie et trouver la trame des orientations. La construction de l'objet se faisait au fil de l'organisation de l'information. Jean-Pierre Desaulniers indique: « la recension des écrits en rechercne qualitative ne vise pas tant l'opérationnalisation des concepts permettant un démarrage de la recherche que la délimitation progressive de l'objet» (in Pou part et al., 1997, p. 92). À ce moment de la recherche, la section relative à la dynamique organisationnelle avait besoin de balises pour organiser la matière très dense et complexe, nommer les aspects organisationnels principaux, les définir et faire ressortir les catégories sous-jacentes avec leur hiérarchie. Une recherche de référence a été amorcée. Elle a permis d'identifier un modèle en réponse à notre besoin. La configuratiqn des catégories des données de la recherche correspondait exactement à celles du modèle de Bergeron (1995) même dans sa hiérarchie. Cette étape consolidait la démarche de saturation. La cohérence entre les différents types de données et la description du modèle a confirmé l'aboutissement du système de catégorisation (Rogers, 1984). 42 Le modèle d'écriture Le modèle d'écriture s'est imposé. Il aurait été fastidieux et improductif de lire une succession d'événements chronologiques puis de revenir dans un deuxième temps avec une analyse de la matière. Le lecteur aurait pu difficilement retenir toute l'information nécessaire à la compréhension d'un examen subséquent. Cette stratégie aurait provoqué de lourdes redondances. Pour minimiser le phénomène nous avons choisi de constituer la thèse par des chapitres traitant d'abord du contexte historique global, puis, des composantes de la compagnie (les personnages, les objectifs artistiques organisationnels, les œuvres) en lien avec la question de recherche. La mise en forme de l'information sous cette configuration permet au lecteur de construire progressivement sa vision à partir des différents éléments de la composition du portrait et, au fil des chapitres, voir émerger les influences. Pour chacun des aspects du portrait global, il subsiste un canevas chronologique événementiel avec un minimum d'analyse pour comprendre l'orientation à la fois de la compagnie et de notre travail de façon à élaborer une conclusion à la fin de chacun des thèmes en réponse partielle aux sous-q uestions. Le chapitre sur les objectifs artistiques organisationnels, développé à partir du modèle de Bergeron (1995), a tenté de mettre en lumière différents niveaux de traitemént des données: les éléments des catégories et des sous-catégories du modèle ont été présentés en termes d'évolution dans le temps à partir d'événements importants. Ils sont enchâssés eux aussi dans un premier niveau d'analyse. On tente de comprendre et d'expliquer leS éléments marquants de chaque catégorie du modèle. Là aussi une réponse partielle à nos sous-questions de recherche s'amorce. Le chapitre final, qui se termine par l'interprétation du fonctionnement et de la dynamique interne de la compagnie, répond de façon détaillée aux sous-questions de recherche, et de ce fait à la question principale. Ainsi, la démarche méthodologique permet l'émergence d'une construction détaillée du profil artistique de la compagnie des GBC, autant en regard de son organisation, de sa dynamique interne que de l'influence des facteurs externes. Grâce à la collecte des données, aux liens établis à partir de notre tableau chronologique des événements sociàux, concomitants à la période à l'étude et du support important du modèle de Bergeron (1995), la composition a pris forme. Les prochains chapitres exposent la construction. 43 DEUXIÈME PARTIE (le contexte) Chapitre II L'ENVIRONNEMENT DELA COMPAGNIE On ne conteste plus à l'heure acluelle que les arts ont évolué à l'intérieur du champ des forces sociales, mais on ne sait à quel niveau situer au juste les instances médiatrices déterminantes, qui transmettent à l'art les besoins et les intérêts sociaux. (M.Warnke [1989, pA] in Hennion, 1993, p. 221) L'ENVIRON1'JEMENT DE LA COMPAGNIE INTRODUCTION Tenter de créer des liens entre les choix artistiques et les influences extérieures à la vie d'une compagnie de danse relève de la haute voltige. Comme le dit Warnke (1989) dans la citation présentée ci-haut, nous ne pouvons dire avec certitude qui a influencé quoi et dans quelles modalités. Cela étant dit, il nous importait de tenter d'établir, dans la mesure du possible, pourquoi certains actes avaient été posés par les dirigeants de la compagnie et comment les événements sociaux avaient, à leur mesure, contribué à l'émergence des pratiques, des tendancesetde la naissance de l'institution des GBC. La compagnie a vu le jour dans un contexte précis soit celui de l'histoire économique, sociale, politique et culturelle du Québec et du Canada des années 50. Elle a évolué en même temps que des événements importants se sont déroulés dans toutes les sphères d'activités de ce temps historique. Ainsi, pour repérer certaines tendances de l'histoire et voir comment elles ont contribué à la naissance, au développement et à la transformation de la compagnie des GBC de 1957 à 1977, il est nécessaire de brosser un portrait succinct des différents aspects de la vie en société qui ont façonné la vitalité culturelle l du Québec et du Canada. 1 Nous parlons de culture dans son sens sociologique c'est-à-dire dans l'optique de comprendre le rapport d'intégration des arts à la société. Ainsi, tout au long de cette section nous utiliserons les termes culturelet artistique côte à côte quand c'est justifié. 45 Les éléments historiques présentés ici vont réapparaître tout au long', de la thèse. Saisir le contexte général de vie de la société et plus précisément celui des dirigeants des GBC situe davantage le lectem sm les conditions' environnementales liées à l'exercice des activités de la compagnie. Dresser un tel portrait s'est avéré laborieux au départ car il n'y a pas d'histoire culturelle/artistique du Québec en ce qui concerne l'apport des arts à la culture. Nous nous sommes inspirés des différents articles du Traité de la Culture (Dir. Denise Lelnieux, 2002) pour sortir les éléments appropriés, monter un portrait chronologique de la naissance des institutions artistiques du Québec et nous les avons organisés sous forme de tableaux (annexe III). La démarche a permis, en partie, d'élaborer la perspective artistique de ce chapitre. Les éléments traités ici seront choisis en regard de la nécessité d'exposer les événements, phénomènes et interprétations pertinents de J'histoire à l'origine de l'émergence d'une pratique de la danse au Québec. Les différents contextes, économique, politique, social, culturel/artistique sont résumés et présentés l'un après l'autre pour une même époque. Ensuite, ils sont mis en perspective avec les événements qui ont façonné l'histoire du ballet au Québec dans le but de souligner les jalons importants de son développement. Enfin, nous faisons ressortir les principaux mouvements de société et événements de différentes natures qui ont permis, selon nous, l'émergence et le développement des GBC. Les périodes de 1945-1960 puis, 1960-1980 couvrent le temps historique circonscrit par notre étude. Les deux espaces-temps ont été séparés pour différentes raisons. Premièrement, nous avons observé que Linteau, Durocher & Robert (1989) se servent de cette distinction pour bien circonscrire les enjeux des moments forts de l'histoire du Québec et du Canada. Leur découpage des périodes chronologiques est choisi en regard de moments charnières, amorce des changements dans la société. Ce choix permet une bonne compréhension des éléments en présence car le panorama est diversifié et circonscrit à la fois. Curieusement, le découpage choisit par Linteau et al. (1989) correspond aussi à des moments charnières de la compagnie des GBC. Dans la première période, ce sont les années des Ballets Chiriaeff, donc, moment des premiers balbutiements d'une troupe de ballet; la section des années 1960-1980 correspond à la naissance proprement dite des GBC et à leur deux 46 premières phases de développement. Pour toutes ces raisons, nous avons privilégié le traitement des moments chronologiques déterminants en sections séparées . . Certains faits historiques précédant les époques traitées dans ce travail seront quand même soumis à l'attention du lecteur, car ils sont éloquents quand il s'agit de comprendre les événements subséquents. Ils témoignent de l'évolution de disciplines artistiques bien vivantes et de l'engouement des populations pour de nouveaux intérêts. Nous serons à même de constater la richesse de la vie culturelle et artistique avant la période de la Révolution tranquille 2 • 1945-1960 : contexte économique3 La période d'après-guerre a été cruciale pour l'économie du Québec. Une période de prospérité imp0l1ante s'amorce grâce aux effets de la guerre. Elle a relancé la province sur les plans industriel et urbain. Le plein-emploi va obliger le gouvernement à améliorer les conditions de travail et de vie des citoyens en faisant passer la semaine de travail à 45 heures au lieu de 60. Autant la période des années 30, (suite à la crise économique) avait entraîné une désorganisation de la production c'est-à-dire un chômage massif, de l'insécurité et de la misère, autant la période qui suit situe le Québec avantageusement sur le plan national et international. Au palier du gouvernement fédéral, une intégration économique et culturelle soudaine dans l'orbite des États Unis va avoir un effet mobilisateur sur l'état canadien: un fédéralisme canadien fort dans le but de se démarquer de ses voisins du sud. 2 Dans leur conclusion, les auteurs Linteau et al. (1989) discutent d'un troisième mythe, « inadéquat pour expliquer l'histoire récente du Québec: celui d'une société traditionnelle projetée brutalement dans l'ère moderne» (p. 810). 3 Cette section est largement inspirée du livre de Linteau et al. (1989). 47 1945-1960 : contexte politiqué Sur le plan canadien, le renforcement du pouvoir fédéral va créer une nouvelle notion politique soit celle de l'état-providence dans lequel les mesures sociales doivent procurer le bien-être à tous les citoyens mais prône aussi l'intervention de l'état comme un instrument de développement économique. Cette vision va se heurter au gouvernement québécois de Maurice Duplessis. Celui-ci ne tient pas à s'engager dans des réformes sociales mais en revanche, il revendique son autonomie par rappOlt au pouvoir centralisateur d'Ottawa. Ainsi, il se prononce pour l'entreprise privée, contre l'Étatprovidence, contre le syndicalisme et chante les valeurs traditionnelles du Québec. Un tel rapport de force va retarder les réformes nécessaires au développement de la société québécoise qui émerge sur le plan économique mais dont les institutions sociales ne suiventpas le même rythme d'évolution. Cela n'empêche pas la société du Québec de cheminer vers la modernité. 1945-1960 : contexte social 5 , ' Le climat social est complexe au Québec: la croissance démographique qualifiée de «Baby Boom» a mis au monde une jeunes$e avide de connaissances et de développement de ses capacités créatrices et intellectuelles. La jeunesse, démographiquement importante6 par le nombre, a besoin d'être « encadrée ». Faute d'un système social laïque, le clergé saisit l'occasion, d'y imposer sa propre vision (Harvey & Cantelon, 1988, p. 73). Il fonde les mouvements de JOC (jeunesse ouvrière catholique) et de JEC (jeunesse étudiante catholique) 7. Il est toujours important et très présent dans la société canadienne-française. Le canadien-français des années 50, à cause de la prospérité économique, s'intéresse de plus en plus aux divertissements et aux loisirs offerts par des industries culturelles 4 Idem. 5 Ibidem. 6 En 1961,44 % de la population a moins de 19 ans (Linteau et al., 1989, p. 223). 7 Au sein de ces mouvements, le clergé organise des activités sportives qu'il juge saines et contrôlables ( Harvey & Cante/on, 1988, p. 81). 48 capitalistes (Idem, p. 79). Fidèle à lui-même, le clergé essaie encore de contrer une laïCisatiOn des institutions québécoises mais son intransigeance devient de plus en plus contestée par une population de plus en plus instruite et ouverte sur le monde grâce à la radio (1920), au transistor (1950) et à la télévision (1952). De plus, la réouverture des frontières canadiennes à l'immigration entraîne son flot de nouveaux arrivants principalement européens, cultivés et souvent fortunés et/ou ambitieux. 1945-1960 : contexte culturel/artistigueS Les institutions culturelles de la société québécoise connaissent un certain élan durant toute la période des années 50 9 grâce à différents facteurs. D'abord, le « cosmopolitisme» montréalais lié aux vagues successives d'immigration va teinter la ville de Montréal d'une couleur de société des nations. Ses différents quartiers épousent les dynamiques sociales des communautés grecque, italienne, chinoise et autres. En plus, celles-ci ont importé un bagage culturel et· artistique riche et différent. Le pouvoir commercial aux mains des anglo-saxons, plus particulièrement des Écossais et des Irlandais protestants (par exemple, la famille Molson) va permettre la construction de quartiers riches et prospères et favoriser l'émergence de pratiques culturelles en liens avec les aspirations de reconnaissance sociale de la communauté anglophone. Cette particularité montréalaise tranche avec le reste du Québec demeuré en grande partie rural et de valeur traditionnelle catholique (Germain, 2002). La juxtaposition des communautés francophones (pauvres pour la plupart) et anglophones (riches dans plusieurs cas) fera dire à plusieurs auteurs que le Qliébec porte deux solitudes; les communautés immigrantes sont assimilées aux anglophones à cause de l'interdiction pour les non-catholiques de fréquenter l'école francophone et de ce fait, la diversité ethnique est plus gr~nde chez les anglophones (Germain, 2002). Ce phénomène instaure un clivage culturel important entre les deux communautés. Elles semblent s'ignorer même sur une seule île, Montréal. Cette section est largement inspirée de différents articles du Traité de la culture (Dir. Denise Lemieux, 2002). Le lecteur peut consulter les tableaux synthèses du Québec culturel élaboré par l'auteure de cette thèse en annexe III. 9 Cette impétuosité v~ se poursuivre durant la période 1960-1980 si on en croît Tremblay & Lacroix (2002, p.263). 8 49 Sous la combinaison d'influences ethnique, linguistique et religieuse, les années 59 voient l'émergence d'organisations artistiques, reflet d'une société désireuse de s'adapter à la modernité et de se donner une force créatrice à la hauteur de ses aspirations. En 1951, la Commission Massey (Commission royale d'enquête sur l'avancement des sciences, des arts et des lettres au Canada lO ) sonne le coup d'envoi d'une réflexion sur la culture canadienne. Elle énonce l'importance d'une autonomie culturelle canadienne en réaction à l'envahissement de la culture américaine de plus en plus persistante. S'en suit la naissance d'une foule d'institutions vouées à la défense et au soutien des organismes à vocation artistique et culturelle. L'avènement de la télévision en 1952 est un des fruits de cette réflexion. C'est une institution vouée à la création d'un sentiment d'appartenance nationale. Elle doit être accessible d'un océan à l'autre. Elle va permettre à la société canadienne anglophone et francophone d'affirmer son identité nationale et ses valeurs culturelles dans deux sens opposés. Très tôt, les francophones adoptent la télévision et en font le reflet de leurs valeurs· culturelles tandis que les anglophones préfèrent se tourner vers le produit . télévisuel américain qui leur convient davantage. La popularité de la télévision chez les francophones va générer une programmation en fonction des aspirations culturelles de cette communauté et, de fait, apporter beaucoup d'occasions favorables à la réalisation d'émissions de toutes sortes. En 1951 naît la Ligne canadienne des compositeurs de musique, le prolongement naturel de la naissance du Conservatoire de musique de Québec en 1942, juste après la promulgation de la Loi sur les conservatoires en 1941 et de la création des Jeunesses musicales en 1949. Il est à noter que le premier enregistrement sur disque pour la radio a eu lieu en 1945 et que les compositeurs, de ce fait, désirent préserver leurs droits en tant qu'auteurs. Le Conseil municipal des arts de la ville de Montréal apparaît en 1956 et l'année suivante . (1957), le Conseil des arts du Canada (CAC) est mis sur pied. En 1958, la Loi canadienne sur la radio-diffusion voit le jour et le Centre de musique canadienne est fondé l'année qui 10 En fait, il s'agit de la commission Massey-Lévesque. La plupart du temps, les ouvrages n'indiquent que le nom de Vincent Massey. La présence du Père Georges-Henri Lévesque est à toute fin pratique, évacuée. Pour les fins de ce travail, nous utiliserons la dénomination la plus courte: la commission Massey. 50 suit (1959). Autant de signes indiquant l'affirmation et le développement des cultures canadienne-française et canadiennes en général. Les arts d'interprétation et les arts visuels se sont implantés auprès de la population à des vitesses différentes depuis le début du XX e siècle selon leur niveau de popularité. La musique, le cinéma et les arts visuels sont les plus présents dans la société dès cette période, tandis que le théâtre professionnel émet ses premiers balbutiements dans les années 30 et que la danse, en tant que discipline artistique, n'émerge de façon significative qu'à la fin des années 50. 1945-1960 : contexte artistique professionnel 11 Il serait faux de croire que le Québec est un désert artistique durant cette période. Au contraire déjà, à partir des années 20, la société s'était dotée d'institutions susceptibles d'assurer une éducation en arts plastiques et en musique et de ce fait, on avait vu émerger une élite artistique. Ainsi, l'école des Beaux-Arts de Québec ouvre en 1922 et celle de Montréal en 1923. L'École du meuble, fondée en 1934, et l'École des arts graphiques, ouverte en 1942, seront des pépinières d'artistes qui n'auront plus besoin de « s'exiler en Europe pour recevoir une formation spécialisée» (Fournier & Rodriguez, 2002, p. 541). Des artistes signeront le Manifeste du Refus global de 1948 et Prisme d'Yeux (la même année). Ils revendiquent « une plus grande autonomie pour l'art» chez eux (Idem, p. 542). Fournier et Rodriguez résument succinctement et efficacement la période d'après-guerre: Tout n'a pas commencé avec la Seconde Guerre Mondiale, mais on sait que les années d'après-guerre marquent le début de « quelque chose»: des revues d'art et des maisons d'édition naissent, une nouvelle critique d'art apparaît, d'autres marchands se lancent dans le commerce de l'art avec l'ouverture de galeries, dont la Galerie Dominion du Dr Stern en 1942, enfin, se constituent autour de deux peintres, Paul-Émile Borduas (19051960) et Alfred PeIlan (1906-1988),. de nouvelles générations d'artistes engagés dans la transformation du langage visuel « traditionnel ». À l'art .dit « académique », à l'art qu'enseignent les écoles des Beaux-Arts et qu'exposent les musées de Montréal et de Québec, on oppose l' « art neuf, vivant». (p. 542) 11 Cette section est largement inspirée des articles du livre Traité de la culture ( Dir. Denise Lemieux, 2002). 51 Comme nous l'avons mentionné, .la musique a une longue tradition au Québec. La pièce Suite canadienne de Claude Champagne est jouée au Festival artistique canadien du Canadien Pacifique en 1928. Existe aussi la Société canadienne d'opérette depuis 1923. Les Variétés Lyriques ont poursuivi leurs activités de 1936 à 1955. La fondation de la radio de Radio-Canada en 1936 a permis àla musique de se faire entendre d'un océan à l'autre et à la Bolduc (première chanteuse populaire canadienne-française) de se faire connaître. Le théâtre démarre plus lentement. La première pièce vraiment populaire est celle ~ d'Aurore l'enfant martyre présentée d'abord sous une forme théâtrale. Elle aura un règne fructueux de 1921 à 1952 . Elle devient par la suite un roman puis est adaptée en feuilleton télévisé. À la même époque, le Théâtre National de Montréal, avec ses vedettes comme La Poune et Olivier Guimond (le père et le fils) parcourt le Québec des années 1930 à 1950. Gratien Gélinas, avec ses Frido/inades (1938-1945), puis Ti-Coq (1948), obtient un succès populaire énorme. Les Compagnons de St-Laurent, troupe de théâtre fondée par le père Émile Legault en 1937 (qu~ se donne comme mandat de présenter les grandes œuvres du répertoire classique français), sera la pépinière de plusieurs de nos comédiens et acteurs qui vont mettre sur pied nos institutions théâtrales dans les années 60. En 1954, s'ouvre une section en art dramatique au sein de la structure des conservatoires. Le cinéma est le médium artistique le plus populaire des années 30. Par contre, l'Office Nationale du film (ONF) en 1939 est mis sur pied par le gouvernement fédéral à des fins de propagande. Les francophones y sont absents pour un certain temps et cela va détourner cette communauté d'un intérêt pour le cinéma jusque dans les années 60 . (Linteau et al. 1989, p. 178). La période 1945-1960 12 est fructueuse pour le ballet au Québec en tant que discipline artistique menant à une carrière professionnelle. Au cours de cette période, deux événements de différente nature vont avoir un impact important sur l'évolution de la discipline: la télévision (suite au Rapport Massey) et l'immigration. La professionnalisation de la danse comme pratique artistique avait débuté à pas menus 12 Cette section est largement inspirée du livre: Danser à· Montréal: germination d'une histoire chorégraphique (Tembeck, 1991). 52· autour des années 30. C'est la période à laquelle des écoles offraient une formation de ballet'3 et produisaient une première génération de danseurs ayant des bases minimales pour mieux se mesurer aux standards d'èxcellencede l'époque. Trois jeunes danseurs seront le produit de cette évolution dans les années 40 : Roland Lorrain deviendra critique de danse dans une deuxième partie de sa vie, après avoir dansé en Europe. Il écrira un ouvrage sur Ludmilla Chiriaeff. Marc Baudet travaillera dans le cinéma après avoir fait une carrière de danseur professionnel en Europe lui aussi. Le plus important,Fernand Nault, reviendra enrichir l'évolution chorégraphique des GBC jusqu'à ce jour, après avoir dansé 25 ans à l'ABT (Lapointe, 1999). Dans les années 40, une première compagnie de danse tente de s'organiser: Les BalletsQuébec (1949-1951) de Gérald Crevier. Ce dernier, un canadien-français, a étudié le ballet à Londres qui, pour les milieux anglophiles, donne le ton à la danse professionnelle de cette époque (Smith, 2000, p. 111). La compagnie s'incorpore dès le début mais elle aura une courte existence. Malheureusement pour Gérald Crevier, la fondation du BNC à Toronto en 1951 drainera tout le bassin de candidats de cette jeune compagnie aspirant à une carrière professionnelle et il n'existe pas de volonté politique au Québec pour supporter financièrement une compagnie de danse. Les danseurs ne vivent pas de leur art dans « la belle province» ; l'exil temporaire des trois jeunes danseurs, évoqué plus haut, en fait foi. Les tentatives de mise sur pied d'une compagnie ont échoué faute de fonds, d'une structure gouvernementale d'aide au fonctionnement et d'un nombre suffisant d'effectifs de haut niveau. À la même époque (1948-1954) se tient un festival de danse pan-canadien, le Canadian Ballet Festival (sous l'inspiration de Boris Volkoff de Toronto et de Gwenneth Lloyd de Winnipeg) qui, faute d'avoir survécu, a néanmoins permis la circulation d'un dynamisme chorégraphique et artistique au Canada à cette époque. Le Québec y a participé grâce à la présentation d'oeuvres chorégraphiques de Gérald Crevier et de Ruth Sorel, une des premières danseuses professionnelles issues d'une nouvelle vague d'immigration importante pour l'évolutionde la danse au Québec. 13 Nous faisons référence à l'École Lacasse-Morenoff (autodidacte). Elle ouvre ses portes en 1895 mais elle n'offrira du ballet qu'à partir de 1933. Celle de Gérard Crevier ouvre en 1934 (formé à la méthode du Royal Academy de Londres durant la Deuxième Guerre Mondiale). 53 Ruth Sorel fait partie de cette onde d'immigrants des années 40 et 50. Elle permet l'émergence d'une génération d'artistes polyvalents et expressifs au Québec. La carrière de Ruth Sorel comme danseuse de ballet et de danse moderne professionnelle en Europe lui sert de promotion pour ouvrir une école de danse d'envergure à Montréal. Elle sera la première à signer un ballet à contenu québécois: La Gaspésienne (1949), présenté dans le cadre du festival pan-canadien mentionné auparavant. Elle quitte le Québec précipitamment en 1950 et les raisons de son départ demeurent inexpliquées. Séda Zaré connaît sensiblement le même parcours artistique européen sauf qu'elle arrive au Québec en 1950 et y demeure jusqu'à sa mort. Elisabeth Leese présente aussi le même profil. Arrivée en 1944, elle forme, entre autres, Brian Macdonald dont nous p'arlerons dans la prochaine section. Ces trois femmes sont souvent ignorées dans notre paysage historique québécois 14 et pourtant, grâce à leur carrière d'envergure internationale, elles ont su former une génération prolifique de danseurs, chorégraphes et pédagogues professionnels au Québec. Ceux-là marqueront le paysage artistique des années 1960 à 1980. La télévision a vu le jour en 1952. Le gouvernement fédéral décide qu'il n'y aura qu'un seul réseau de télévision aussi longtemps que la télévision d;inspiration « canadienne» ne sera pas implantée. Le gouvernement décrète qu'aucun diffuseur privé n'aura de permis avant l'instauration d'une télévision nationale florissante. Cette décision obligera les autres médias existants à se définir par rapport à cette règle (Linteau et al.; 1989, p. 391). Une citation, tirée de l'article de Roger De La Garde (2002), exprime bien ses orientations et son mandat lors de ses premières années d'existence: Pendant dix ans, la télévision généraliste assure à des centaines de milliers de foyers québécois, en temps réel et de façon régulière, l'accès à une. programmation qui comprend des émissions de tous genres (information, divertissement, culture, sport, religion, cinéma) qui s'adresse à toutes les régions confondues sous la figure du national et à tous les membres de la société sous la figure de la famille. (p. 909) Un tout nouveau groupe, les Ballets Chiriaeff, a été formé pour et par la télévision à sa naissance en 1952. Créature d'une institution nationale, la Canadian Broadcasting Corporation (CBC), la télévision doit promouvoir l'unité nationale par le biais, entre 14 Ces trois femmes artistes sont citées dans le livre de Tembeck (1991) portant sur l'histoire chorégraphique à Montréal et dans les rubriques qu'elle signe dans l'Encyclopédie de la danse théâtrale au Canada (Éd. Adams, 2000). . ' 54 autres, de la danse et doit rapprocher les Canadiens issus d'une grande diversité culturelle l5 . L'instigatrice de la troupe de ballet, une immigrante d'origine allemande nommée Ludmilla Chiriaeff, est fraîchement arrivée au Québec depuis quelques mois en provenance de la Suisse. Elle a été engagée comme chorégraphe, responsable de la préparation et de la présentation des œuvres chorégraphiques. Elle tente de trouver des danseurs prêts à travailler à Radio-Canada sur une base régulière. Une fois par mois, la jeune troupe présente en direct un ballet l6 à l'émission télévisuelle hebdomadaire appelée L 'Heure du concert, diffusée d'un océan à l'autre sur la chaîne nationale de Radio-Cariada (CBC). Il s'agit de créations originales de ,Ludmilla Chiriaeff ou d'un jeune danseur fraîchement débarqué à Montréal, Eric Hyrst, immigrant britannique. Il s'est installé depuis peu à Montréal 17. LudmiJla Chiriaeff est, à cette époque une toute nouvelle immigrante canadienne dans la nouvelle vague d'immigration décrétée en 1948 par le gouvernement fédéral pour peupler le Canada (Linteau et al., 1989, p. 219). Arrivée à l'hiver 1952 avec son mari Alexis Chiriaeff, scénographe engagé à la même émission, Ludmilla s'impose comme l'instigatrice, la chorégraphe, la maîtresse de ballet l8 et la directrice artistique de la troupe de ballet formée de danseurs locaux et de plusieurs danseurs immigrés au Canada depuis peu. Parmi eux, deux noms marqueront le parcours télévisuel de hi co'mpagnie: .Eric Hyrst, signataire de plusieurs œuvres chorégraphiques en plus de danser dans pratiquement tous les ballets du répertoire et Eva von Gencsy (immigrée depuis 1947) ballerine d'origine hongroise. La motivation des membres du groupe des Ballets Chiriaeff à créer un produit chorégraphique ne pouvait se détacher des objectifs de mise en marché du nouveau médium de communication: la télévision. La troupe est engagée dans un contexte précis. La mise en place de la télévision est un outil de propagande du gouvernement fédéral pour 15 On a pu constater combien le paysage montréalais comportait une grande diversité ethnique et culturelle. Pays de colonisation, il est possible d'imaginer le même scénario dans tout le reste du Canada. 16 Entendons le terme ballet dans le sens où il désigne une œuvre chorégraphique pas uniquement conçue avec un vocabulaire et un genre académique. Ce terme s'est étendu à un sens plus large dans le milieu de la danse désignant toute œuvre dansée. 17 Un feu a ravagé les installations du RWB en 1954 créant ainsi l'exode de danseurs qui n'ont pu réintégrer la compagnie par la suite. Eric Hyrst est de ceux-là. 18 La maîtresse de ballet fait répéter les œuvres chorégraphiques afin qu'elles soienttravaillées jusqu'à leur présentation sur scène. 55 contrer l'influence des ondes américaines (Roy, 2000). Il s'agit de préserver l'identité, enrichir la collectivité canadienne et consolider l'unité du pays sous le gouv'ernement de Louis St~Laurent. Le groupe, même informel, devenait l'instrument et te fruit de cette propagande. La diversité des genres de danse présentée par chacune des chorégraphies nourrit plusieurs ambitions: d'une part, le pouvoir politique veut diminuer les disparités régionales et toucher une population d'un océan à l'autre et d'autre palt, il faut développer une image de marque (Roy, 2000). La danse est indiquée: elle ne requielt pas de parole. Elle occulte la difficulté de la langue où deux cultures et plus se côtoient. De plus, le ballet sied bien aux critères de bonne tenue de la bourgeoisie, soucieuse d'inculquer des manières distinguées à ses jeunes filles. Ces critères sont synonymes d'élégance et de raffinement. Au Québec, le ballet n'est pas particulièrement encouragé comme discipline artistique mais il est considéré important dans Féducation de sa bourgeoisie l9 . La télévision étant de compétence et d'inspiration fédérale, le gouvernement provincial ne peut absolument pas intervenir dans la programmation et le type d'émission à l'horaire. Au Québec, le clergé est outré de voir des danseurs à la télévision et il le dénonce du haut de la chaire. Cela n'influence en rien le gouvernement fédéral qui n'aime pas beaucoup celui de l'Union Nationale du Québec qui, dirigé par Maurice Duplessis marche main dans la main avec le pouvoir ecclésiastique. Impuissant devant la force de la propagande du gouvernement Fédéral, Duplessis aura 'cette phrase passée à l'histoire: « La télévision, c'est un nid de communisssses (sic) » (Roy, 2000). Il n'apparaîtra pour ainsi dire jamaisà la télévision . 2o Le ballet que pratique le groupe des Ballets Chiriaeff sous sa forme esthétique la plus stricte, formelle, précise, tonique, codifiée et linéaire renforce l'image d'ordre, d'organisation, de contrôle et de raffinement promue par une jeune télévision à une 19 La bourgeoisie de Montréal particulièrement anglophone apprécie la danse. Elle assiste en grand nombre aux spectacles de ballet présentés par des compagnies étrarigères dans les théâtres de la ville. Entre autres compagnies, on applaudit Les Ballets Russes de Monte-Carlo, en tournées internationales. Ils passent par . Montréal entre 1952 et 1958 (Smith, 2000, p. 165). 20 Commentaire de Jean-Pierre Desaulniers, professeur en Communication à l'UQAM dans la même émission. 56 époque où il était important de montrer un savoir-faire technique et artistique21 (Le Carrefour, 1998). Malgré tout, la bourgeoisie montréalaise ne va pas s'attacher aux émissions culturelles télévisuelles. Ludmilla Chiriaeff sera elle même surprise de constater que la majorité de ses « patrons» d'honneur lors de la fondation de la compagnie des Grands Ballets Canadiens n'avaient jamais entendu parler des Ballets Chiriaef:f 2, ni de l'émission L 'Heure du cancer?3. Les mouvements déterminants de la naissance des GBC de la période 1945-1960 Ainsi, durant cette période, le Québec va cheminer lentement mais sùrement vers une certaine modernité. La montée nationaliste canadienne sera importante dans le développement de l'affirmation culturelle, dans l'organisation de ses pratiques et dans l'émergence des arts comme valeur d'épanouissement culturel. La Commission Massey est déterminante dans ce processus et ce, pour plusieurs raisons. Premièrement, le désir du gouvernement fédéral de trouver des moyens de susciter un sentiment national est avantageux pour les arts. Sa stratégie de s'imposer comme étatprovidence l'oblige à s'impliquer et à mettre sur pied des institutions pour défendre la culture canadienne mais aussi pour la promouvoir avec .des moyens financiers qui s'y rattachent Les GBC vont entrer dans cette mouvance. Deuxièmement, le rapport Massey entraîne indirectement la création du CAC . En effet, un donateur anonyme assure 50M pour le développement des arts et 50M pour celui de la science. Ce dernier devra déterminer quelles institutions assureront le développement de 21 Smith (2000) démontre par plusieurs exemples combien Celia Franca (BNC) jugeait les autres compagnies par le seul critère de la conformité à contrôler la technique du ballet académique au plus haut niveau, J'expressivité étant reléguée au second plan. 22 Smith avance l'hypothèse que ce phénomène est dû au désintéressement de la bourgeoisie anglophone qui considère la télévision vulgaire et qui préfère continuer d'aller au spectacle dans Jes différents théâtres de la ville pour alimenter leur vie culturelle et artistique (p. 165). 23 L 'Heure du concert sera présentée sur 6 fuseaux horaires et demi pendant les 18 premiers mois 'de l'existence de la télévision. La programmation est alors bilingue. Elle rejoint 30% de la population canadienne. En janvier 1954, c'est la fin de la programmation bilingue. La chaîne s'appelle CBMT (Forget, 2006, p. 257). 57 la culture nationale canadienne en regard des règles d'attribution et d'orientation offertes à la société canadienne. Le gouvernement, en provoquant sa mise sur pied pour appuyer le développement de l'identité canadienne par le biais d'institutions supportées parl'État, va affirmer ses choix mais va aussi inciter la communauté artistique canadienne et québécoise à se regrouper en association dans le but de défendre ses droits auprès des nouveaux pouvoirs à vocation culturelle. Cela va aussi créer un phénomène d'entraînement des gouvernements municipaux et provinciaux à se doter d'organismes semblables: Le Conseil municipal des arts de la ville de Montréal (1956) et le ministère des Affaires Culturelles (MAC) en 1961.· Les GBC recevront des subsides gouvernementaux des trois paliers de gouvernements dès le début de leurs activités. Enfin, le désir du gouvernement fédéral à susciter un nationalisme canadien va l'inciter à s'accaparer le contenu de la télévision et le monopole de la diffusion. C'est avantageux pour les Ballets Chiriaeff; il n'y a aucune compétition. Mme Chiriaeff est assurée d'un travail et des revenus mensuels. Elle peut garder ses danseurs sur une longue période et développer un produit artistique tout en étant payée avantageusement pour le faire 23 • La télévision et la radio seront des moteurs culturels extrêmement importants. Ils vont permettre à la musique, à la dramaturgie, à la danse et à la culture populaire de s'épanouir. Chaque production exige une équipe de créateurs: conception des costumes, des éclairages, des décors et même la composition de la musique dans certains cas. Une génération d'artistes et artisans du spectacle auront l'occasion d'apprendre leur métier et de laisser émerger leur talent créateur 24 . Ainsi, on crée de nombreuses œuvres artistiques originales. Les GBC sont le terreau idéal pour monter une banque d'oeuvres de qualité, originales, accessibles, avec tout le matériel nécessaire. La télévision est un succès populaire. Dès que le réseau s'étend à la province, le Québec francophone accapare la télévision (française) de Radio-Canada. Dès les années 60, le public anglophone délaisse rapidement cette télévision, plus attiré culturellement par la En comparaison, les danseurs solistes les plus importants du RWB obtiennent 55 $ /semaine en 1958 pour 8 mois de travail (Crabb, 2002, p. 71). À la télévision de Radio-Canada durant la période de 1952- . 1955, les danseurs obtiennent en moyenne 69 $/semaine pour du travail réparti presque sur toute l'année et peuvent en plus participer·à d'autres émissions qui assurent des revenus supplémentaires (Lorrain, 1973; p. 20). . 24 On a pu constater à la lumière de ce qui précède que des artistes ont été formés en musique, arts visuels et en théâtre au Québec et sont prêts à faire valoir leur talent. 23 58 télévision américaine (CBS). On voulait tenter de rapprocher les deux cultures ; on crée l'inverse. On développe davantage le sentiment de société distincte. C'est ce qui fera dire à Jean-Pierre Desaulniers (in Roy, 2000) : « Les canadiens-français se sont payés une télévision nationale parce que trop pauvres pour se payer un cinéma national et trop analphabètes pour se payer une littérature nationale. » Les canadiens-français vont permettre à la télévision de prendre une expansion fulgurante au Québec. En 1950, 30 000 téléviseurs trônent dans les chaumières; en 1951, 70 000 ; en 1952,2.00000; en 1953,400000; en 1955,2 millions puis en 1957,2 millions 700 000 (De La Garde, 2002, p. 920). Il aura fallu une décennie pour que les canadiens-français adoptent sans réserve ce type de loisir. En revanche, les bourgeois de Montréal, principalement anglophones, continuent d'aller au spectacle et conservent cette activité sociale. Issus pour la plupart des communautés culturelles autres que francophones, ils entretiennent ce plaisir et cette habitude, vestiges des vieux pays. La vie mond,aine des sorties au théâtre et au concert accroissent leur visibilité dans leur communauté et permet de socialiser en plus d'indiquer à leurs congénères un « standing» et de la culture artistique: en effet, il faut avoir suffisamment d'argent pour s'offrir une place au théâtre ou au concert. L'apport des vagues immigrantes và aussi avoir un impact sur le développement de Montréal. Ce terreau qu'est le développement des communautés culturelles va influencer l'économie et la vie artistique. En danse, l'impact est flagrant et déterminant pour le développement de la discipline et son essor en tant qu'art d'interprétation. Il est désormais plus proche des standards internationaux. Les artistes venus d'ailleurs sont suffisamment formés dans les meilleures écoles européennes au goût des tendances les plus innovatrices pour garantir un développement de qualité et une certaine pérennité grâce à leur talent de pédagogues. L'équipe de danseurs des Ballets Chiriaeff vient des écoles montréalaises dirigées par les trois excellentes pédagogues que sont Séda Zaré, Elisabeth Leese et Ruth Sorel, quand ils ne sont pas des immig~ants très talentueux et professionnels de haute gamme fraîchement débarqués à Montréal. Eva von Gencsy et Eric Hyrst, par exemple, ont eu une carrière florissante à l'étranger et font profiter de le~r expérience et de leur talent. Toute une 59 équipe, tributaire d'une immigration récente, a pu permettre à Ludmilla Chiriaeff d'honorer ses contrats de tê"lévision. Il ne faut pas oublier que, deux ans plus tôt, Celia Franca, en fondant la compagnie du BNC (1951), avait drainé toutes les ressources artistiques du pays· ou presque et principalement les danseurs de la compagnie Les Ballets-Québec. La télévision a généré un bassin de danseurs chevronnés, intéressés à gagner leur vie· sur une base plus régulière. D'autres, de moins d'expérience, désirent vivre la pratique d'une carrière en danse et y mettent les efforts. La période 1945-1960 donne naissance à la société de consommation25 • Plusieurs facteurs propices au développement d'une culture de consommation sont observables dans la société: l'urbanisation, la prospérité, l'augmentation du temps de loisir, l'implantation du réseau de télévision et la montée de la jeunesse (Linteau et al., 1989, p. 751). En vertu de ces nouvelles valeurs, les citoyens désirent davantage de divertissements ,et le produit artistique fait partie de la demande. Par exemple, Les· Variétés Lyriques ont eu des activités sur une période de vingt ans et Le Théâtre National de Montréal a sillonné le Québec des années 1930 à 1950. Le « Red Light» s'éteint lentement à la fin des années 50, après plusieurs décennies d'activités de toutes sortes. On parle ici de divertissement populaire récupéré en partie par la télévision pour la grande joie des téléspectateurs. Les GBC profitent de l'engouement du divertissement. Il est important ici d'aborder le grand pouvoir du clergé et par la suite son essoufflement dans le paysage culturel des années 1945-1960. Comme il a été souligné auparavant, le gouvernement de Maurice Duplessis dirige le Québec main dans la main avec le clergé qui compte plusieurs institutions religieuses dans toutes les régions du Québec. Malgré son ascendant imposant, il devient vite dépassé par les événements des années 50. L'industrialisation et les mesures du gouvernement canadien en vue du développement d'un sentimentd'identité nationale ont des effets sur la vie des canadiens-français qui sont difficiles à contrer pour le clergé. Le gouvernement fédéral contrôle le contenu de la télévision, la population est désireuse de s'offrir des divertissements et des loisirs et certaines communautés culturelles ont des visions plus larges sur l'intérêt d'inclure des 25 Langlois (2002) l'affirme dans un article qui explique l'avènement d'une nouvelle culture matérielle: « Au Québec, il a fallu attendre la Deuxième Guerre Mondiale pour que s'implante vraiment la société de consommation. Avec l'aug!TIentation du revenu réel [ ... ], est apparu le revenu discrétionnaire, celui que l'on peut consacrer à l'achat du superflu, à l'acquisition de biens qui ne sont plus de première nécessité» (p. 934). 60 activités artistiques dans leur vie. Priver la communauté canadienne-française d'activités dans le contexte des années d'industrialisation est un pari intenable. Les GBC arrivent à la fin de cette période, celle de l'essoufflement du clergé. Que les institutions religieuses considèrent le ballet indécent est une chose26 , qu'il soit frappé d'interdit et boycotté par la population est une autre chose. Pour toutes les raisons énoncées précédemment, il est possible d'affirmer qu'à cette époque le clergé n'a pratiquement plus d'ascendant important sur le développement de la danse. Conclusion sur la période 1945-1960 À la lumière de ce qui précède, une évolution culturelle / artistique suit son cours au Québec. Il est faux de croire que le Québec d'avant la Révolution tranquille est un désert culturel. Tous les arts, à un rythme différent et par des moyens relatifs à leur discipline o.ot réussi à évoluer même si cela ne s'est pas fait assez rapidement, au goût de certains27 . La société se transforme dans une direction où le pouvoir politique fédéral tente d'accroître la place de la dimension culturelle/artistique dans la société qui y réagit favorablement. Le ballet s'avère un instrument propice au développement d'habitudes artistiques et culturelles. La table est mise de plusieurs façons pour accueillir les ambitions de Ludmilla Chiriaeff: une tribune privilégiée (la télévision), une équipe de collaborateurs-créateurs chevronnés, un groupe de danseurs de calibre suffisant, des institutions politiques (support au développement d'organismes artistiques), une société de consommation avide de plus de loisirs, un clergé puritain à l'agonie et un premier ministre provincial qui meurt. Les années à venir vont modifier considérablement le milieu de la danse au Québec. La société québécoise entre dans la modernité avec ses changements etson effervescence. La danse s'ouvre aux tendances internationales en plus de vivre une éclosion fulgurante sur le marché national. 26 Smith (2000) expose plusieurs sermons éloquents du Cardinal Paul-Émile Léger qui visent spécifiquement des danseuses (p. 164). Ils sont tirés de: Laflamme, J. & Tourangeau, R. (1979). L'Église et le Théâtre au Québec. Montréal: Éditions Fides, pp. 281-289, 331. ' . 27 Ce qui a provoqué la diffusion du Manifeste du Refus global (1948). 61 La période 1960-1980 : introduction Les années 1960 à 1980 permettent à tout ce qui est en place sur le plan artistique et culturel de s'épanouir davantage et de propulser le Québec sur la voie du développement d'une nouvelle dimension de l'activité culturelle: les industries culturelles. Le travail de création prendra aussi une place de plus grande importance durant cette période, porté par le mouvement d'identité nationale, cette fois-ci du Québec. Il en sera de même pour l'évolution des compagnies de danse au Québec. Elles naîtront et se développeront rapidement, certaines orientées vers l'élaboration d'un contenu original et d'autres vers celui d'un contenu identitaire québécois. 1960-1980 : contexte économique28 Les années 1960-1980 sont soumises à des vagues successives de fluctuation économique. Après une lancée prospère au début des années 60, les années 1967 à 1971 marquent .un ralentissement économique au Québec. La croissance s'installe de 1971 à 1974 pour redescendre vers la décroissance jusqu'à la récèssion de 1982, année où le taux de . chômage atteindra 14%, puis 18.9% en 1983, seuil à jamais égalé dans la deuxième portion du XX e siècle au Québec (p. 431). Ces années permettent aux entreprises québécoises (Bombardier, Lavalin) de voir le jour, symbole d'une nouvelle bourgeoisie francophone (p. 476). Des c6nstructions importantes établissent le pouvoir industriel et économique du Québec. Les projets réalisés de Manic V; de Churchill Falls et de la Baie James assurent un pouvoir économique relié à l'exploitation des ressources naturelles de la province. La construction du Métro de Montréal, des autoroutes 10,20 et 15, de l'autoroute Décarie, de celle de Ville- Marie, du pont-tunnel Louis-Hippolyte-Lafontaine confirment le statut de Montréal de capitale économique du Québec. Le Centre-ville de Montréal s'étend mais les banlieues aussi. 28 Cette section est largement inspirée par Linteau et al. (1989). 62 Les années 1960-1970 sont celles de l'explosion de la consommation (p. 624) et incitent le gouvernement à promulguer la loi de la protection du Consommateur en 1971. La proportion des femmes sur le marché du travail passe de 28 % en 1960 à 48 % en 1981 (p. 619). Elles. détiennent 50 % des diplômes universitaires en 1983, les universités ayant remplacé les écoles normales (p. 668). 1960-1980 : contexte politigue29 Autant les années 1945-1960 avaient été celles du nationalisme canadien, autant celles des années 1960-1980 seront celles de la montée du nationalisme québécois. Ce mouvement va propulser les canadiens-français aux postes de commande, freiner le fédéral dans ses interventions dans les champs de compétence provinciale, étendre les pouvoirs du gouvernement provincial et permettre au Québec de se faire valoir sur la scène internationale (p. 422). Le terme canadien-français est détrôné par l'appellation « québécois» pour désigner les habitants du territoire, citoyens d'une culture différente du reste du Canada. Malgré les efforts du gouvernement canadien pour affirmer sa légitimité en matière culturelle avèc la Commission royale d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (LaurendeauDunton) base de la politique canadienne du multiculturalisme en 1971, il ne pourra .contrer le mouvement national québécois (Germain, 2002). L'affirmation nationalé. ne cessera de croître jusqu'en 1980. C'est l'année du premier référendum. Il s'inscrit dans un processus d'affirmation politique et vise l'indépendance du Québec. Le désir de la population de demeurer dans la fédération canadienne l'emporte mais la proportion des votes manifeste clairement au Canada anglais la différence culturelle et linguistique vécue par le Québec. La réforme des institutions politiques permet au gouvernement provincial j'établissement de nouveaux ministères à portée sociale, économique et culturelle. De telles mesures confirment l'intervention de l'État dans le but d'encourager une amélioration des conditions économique, sociale et culturelle des citoyens. Pourtant, elles deviennent de 29 Cette section est largement inspirée Linteau et al. (1989). 63 moins en moins productives et efficaces durant les années 80 à cause de leur lourdeur bureaucratique. La nouvelle organisation provoque l'avènement d'une nouvelle classe dirigeante dans les années 80 : les technocrates et les fonctionnaires (Linteau et al., 1989, p. 557). L'urbanisation au Québec est de 74.3 % et Montréal compte, en 1961,2 millions d'habitants faisant d'elle la ville la plus populeuse au Québec et au Canada (Idem, pp. 277-280). Tous ces changements sont le fruit de la « Révolution tranquille» amorcée dès 1960 avec l'élection du gouvernement libéral de Jean Lesage. 1960-1980 : contexte sociaeo Linteau et al. (1989) définissent la Révolution tranquille comme. suit: « Période de réformes politique, institutionnelle et sociale réalisées entre 1960 et 1966 par le gouvernement Lesage avec un « rattrapage» dans trois secteurs: l'éducation, la santé, les affaires sociales» (p. 421). En l'espace de trente ans, le Québec est propulsé dans la modernité à une vitesse vertigineuse. La société, centrée sur la laïcisation de ses institutions et le progrès 3l (p. 678) subit une explosion de la consommation (p. 624). La société s'oriente vers un plaisir individualiste et encourage le loisir. En somme, la société québécoise manifeste toutes les caractéristiques d'une culture de consommation: urbanisation généralisée, prospérité, augmentation du temps de loisir, implantation du" réseau de télévision et de radio et prolifération de sa jeunesse (p. 751). Ces facteurs ont une influence déterminante sur la consommation du produit artistique qui augmente sans arrêt. L'immigration des années 1960 à 1980 est différente de celle des années 1945-1960. Arrivent les habitants provenant de pays ayant souffert de la guerre et d'anciennes colonies françaises comme le Liban. Malgré l'affluence sans cesse grandissante de nouveaux arrivants, la concentration de l'immigration internationale continue de se maintenir dans la région montréalaise (Germain, 2002, p. 129). 30 3l Cette section est largement inspirée Linteau et aL (1989). L'implantation systématique de l'accès à l'université va donner naissance à une nouvelle élite dans les domaines journalistique, philosophique, scientifique et professoraL 64 1960-1980 : contexte culturel/artistique Dans les années 1960-1980, la culture artistique prend une tangente nouvelle au Québec; elle devient populaire et de surcroît devient une industrie; elle produit des biens de consommation en plus grand nombre et génère des retombées économiques considérées monnayables32 . Maintenant, l'État investit dans le domaine culturel par des actions gouvernementales aux deux paliers de gouvernement. Par exemple, au début des années 60, les postes de professeurs se multiplient dans les écoles des Beaux-Arts et les départements universitaires (Fournier & Rodrigez, 2002, p. 542); l'argent du gouvernement fédéral est maintenant bienvenu depuis la mort de Maurice Duplessis et le changement de gouvernement provincial. Aussi, les effets du rapport Massey continuent à se' faire sentir avec l'élaboration des programmes de bourses gouvernementales dédiées aux artistes et à la culture par le biais du CAC. D'ailleurs, jusque dans les années 70, le gouvernement , fédéral est mieux organisé que le Québec pour soutenir la chose culturelle/artistique. L'écart sera rattrapé au début des années 80, moment où le Québec consacrera 0.56 % de son budget à la culture (Idem, p. 797). Cependant, il faut attendre 1975 pour que s'amorce une véritable politique culturelle au Québec avec la sortie du Livre vert du ministre JeanPaul L'Allier (1976), poussé plus loin en 1978 par le ministre Camille Laurin et son Livre Blanc (Harvey, 2002, p. 147). En 1960, on construit le complexe de la Place des Arts (PdA), inauguré en 1963. Impatient de mettre Montréal sur la carte des grandes capitales mondiales, le maire Jean Drapeau reçoit en 1967 l'Exposition universelle, année du centenaire de, la fédération canadienne. Cet événement d'importance planétaire aura un effet déterminant sur le rapport des Québécois à l'art. Ces derniers sont bombardés par des éléments culturels nouveaux et sollicités pour montrer leur vision de l'activité artistique. Autant d'éléments réunis ne peuvent qu'influencer l'art et sa pratique. Par exemple, un coupon est joint pour recevoir la brochure des spectacles à l'affiche dans le cadre du festival artistique dans le En 1976, 15 % du contenu télévisuel concerne les affaires publiques et le reste va au divertissement (Linteau et al., 1989, p. 754). Jusque dans les années 1950, l'État est absent du domaine culturel car il considère que l'art n'est pas rentable, donnant pour exemple, le dirigisme culturel des pays totalitaires comme l'URSS (p. 794). En revanche, en 1979, le Québec se dote de la Société de développement des industries culturelles du Québec (p. 802). ' 32 65 programme souvenir des GBC de la saison 1966-1967. Il Y est également annoncé, la venue du Théâtre de France, le Chœur de l'Armée Rouge, la National Theatre Company (Angleterre) et le Ballet du XXe siècle (Béjart). 1960-1980 : contexte artistique professionnel34 Les années 1960-1980 vont êtres prolifiques pour le développement du théâtre. L'institution théâtrale québécoise atteint sa pleine maturité dans les années 60 à Montréal (Godin, in Lemieux, 2002, p. 744). L'École nationale de théâtre est fondée en 1960, le Théâtre d'aujoUrd'hui l'est en 1968 et le Théâtre du Nouveau Monde s'installe à la Comédie Canadienne en 1972. Le Théâtre Expérimental voit le jour en 1975. Les années 80 constituent un virage scénographique important avec les Dubois, Bouchard, Chaurette et Lepage. 1984 marque le début des festivals de théâtre internationaux à Montréal. La deuxième génération de danseurs contemporains issus du Groupe de la Place Royale (1966- ) et du Groupe Nouvelle Aire (1968-1982) subissent l'influence du théâtre à Montréal. Le courant de ces chorégraphes sera qualifié dans les années 80 de dansethéâtre 35 (Tembeck, 2002,p. 774). La musique éclate dans tous les genres. Dans les années 60, les boîtes à chanson supplantent les cabarets du secteur du « Red Light)} avec une prise de parole sociopolitique (Chamberland, in Lemieux 2002, p. 701). Puis, le genre populaire, si prisé dans les années 60 et 70, est en déclin. En même temps, dans tous les pays, les grandes multinationales du disque ont investi dans les formes nouvelles de la musique rock. Ils développent un genre national avec les groupes Genesis et Harmonium. Montréal est le deuxième marché en importance du disco sur le continent après New-York (Straw, in Lemieux 2002, p. 836). L'ADISQ est fondée en 1979. Les années 80 seront l'âge d'or de la musique contemporaine, elle-même sur la lancée de ses précurseurs, Wilfrid Pelletier et Pierre Mercure, fondateurs de la Société de musique contemporaine du Québec en 1966. 34 35 Cette section est largement inspirée du livre: Traité de la culture (Dir. Lemieux, 2002). Cette affirmation ne sera pas développée davantage, le sujet de ce travail étant le ballet. 66 Les arts visuels36 connaissent une consol idation de leur importance artistique dans le paysage québécois. Dans les années 60 un marché de l'art contemporain s'organise. Des groupes de production sont mis sur pied dans des ateliers collectifs tournés vers l'art expérimental. L'Association des sculpteurs du Québec (1961) et la Société des Artistes Professionnels du Québec (1966) démontrent que le champ artistique est autonome. Les artistes se tournent vers de nouveaux médiums comme la gravure et la sérigraphie et de nouveaux médias comme la photographie et la vidéo. C'est aussi l'avènement de la sculpture contemporaine. Au-delà de l'apparition de la ~anse contemporaine à travers le travail de deux compagnies que nous avons identifiées à la page précédente, trois autres troupes parcourront les décennies 70 et 80 en plus des GBC : les Ballets-Jazz de Montréal (1972- ), Les Ballets de Montréal Eddy Toussaint (1974-1989) et Entre-Six (1974-1980). Toutes trois engagent des danseurs de formation issue du ballet académique mais développent un répertoire de danse néo-c1assique37 et d'inspiration de danse jazz dans le cas de la compagnie des Ballets-Jazz38 • La formation en danse s'organise systématiquement au Québec durant les décennies 70 et 80. Chaque compagnie ouvre sa propre école de formation pour promouvoir son style et nourrir sa troupe en effectifs. Ludmilla Chiriaeff ouvre officiellement l'École des Grands Ballets Canadiens en 1968 39 4 et en fait une École Na(ionale en 1983 °. Parallèlement, elle ouvre un programme de formation intégré au cursus scolaire secondaire en 1976 puis, un DEC technique au Cégep du Vieux-Montréal en 1979. 37 Ce paragraphe est inspiré de Fournier & Rodriguez (2002). Ce style sera consacré par George Balanchine (États-Unis) et Maurice Béjart (Belgique). Tous deux utilisent le vocabulaire classique, le réorganisent et le « dé~forment » stylistiquement par rapport à ce qu'il était auparavant. 38 La danse jazz est déjà très populaire aux États-Unis et plusieurs chorégraphes de Broadway ont développé leur style. Les Ballets-Jazz vont créer un mélange de style Luigi et de ballet sous l'inspiration de la danseuse de ballet Eva von Gencsy, totalement recyclée à la danse jazz (Dansereau, 2003). 39 Les documents officiels confirment l'ouvetture officielle de l'École cette année-là rhais les programmes souvenirs dès 1961 annoncent les activités de l'Académie des Grands Ballets Canadiens. 40 Elle fera des pressions auprès du gouvernement afin que son école soit la seule reconnue à dispenser une formation professionnelle en danse classique au Québec. Le gouvernement promulguera un moratoire à la fin des années 80 qui demeure toujours en vigueur aujourd'hui. 36 67 Eddy Toussaint ouvre son école l'année de la fondation de la compagnie en 1974 tandis que Jacqueline Lemieux-Lopezfonde d'abord une école puis une compagniè (Entre-Six) en 197441 et enfin un stage d'été Québec Été Danse en 1976. Les Ballets-Jazz font de même et ouvrent des succursales à Laval et Québec. Les compagnies de danse contemporaine des années 70 ont aussi une école, configuration modifiée dans les années 80. L'arrivée des nouveaux chorégraphes de danse contemporaine change le portrait d'une telle structure. Comme ces derniers sont soucieux de se consacrer à la création, ils n'investissent pas leur énergie dans une école pour assurer la relève mais se concentrent sur le développement de leur style chorégraphique. À la fin des années 80, la compagnie des Ballets-Jazz doit fermer ses écoles, le ballet-jazz ayant perdu sa popularité. En 1979, la danse arrive à l'université et dans le créneau politique. L'Université Concordia et l'UQAM créent toutes deux un programme de formation professionnelle en danse contemporaine. L'Université de Montréal inaugure son certificat de danse. Toujours la même année s'ouvre une section danse au ministère des Affaires Culturelles. Plus tard, en 1986, un programme de danse créative comme option dans les cours en art est offert par les commissions scolaires (Tembeck, 2002, p. 773). Pour tous les arts, l'heure est à la création originale et à l'exploration des différentes possibilités des conjonctions artistiques dans un contexte où le gouvernement s'est progressivement doté d'institutions .sociales et culturelles en vue de supporter et d'encourager le produit artistique « québécois» vendable et exportable 42 • Le milieu artistique est épaulé par des écoles de formation et entouré par un réseau d'aide au développement et à la protection de ses intérêts. Les mouvements déterminants de développement des GBC de la période 1960-1980 Le milieu de la danse des années 1960-1980 suit les périodes de croissance et de dépression économique et vit en même temps, une période de création concentrée sur un produit artistique original et à saveur nationaliste. 41 Jacqueline Lemieux-Lopez, la co-fondatrice de la compagnie était la responsable des programmes pédagogiques de l'École des GBC jusqu'en 1974. Sa réputation de pédagogue exceptionnelle lui a permis de recruter facilement des étudiants et de jeunes danseurs pour ouvrir une école puis former sa compagnie avec ceux qui suivent ses cours. 42 Les années 80 verront l'émergence des Maisons de la Culture dans les différentes villes de la province. 68 La vie et la mort des compagnies importantes de ces années est tributaire des périodes économiques prospères ou difficiles et du bon vouloir des organismes gouvernementaux. Les trois compagnies périphériques aux GBC (Ballets-Jazz, Ballet Eddy Toussaint et Entre-Six) naissent presque en même temps au milieu des années 70 durant une période économique faste. Pendant quinze ans, le paysage de la danse québécoise avait été occupé uniquement par les GBe. Ils ont été les seuls à développer un produit artistique de danse classique durant les années 60. Ils se positionnent favorablement auprès des gouvernements provincial et municipal puisqu'ils n'ont aucun compétiteur au Québec. Ils ont le champ libre pour développer le goût du public à la danse dans une perspective à leur convenance. Personne pour réclamer une part de leurs subsides. Ainsi, tous les montants dédiés à la danse convergent vers les GBe. Ils développent le type de répertoire conforme à leurs aspirations artistiques soit celui du ballet classique avec une facture plus contemporaine et ils élaborent la formation en regard de leurs critères, selon leurs ambitions. Quand les autres arrivent, ils sont déjà solides sur les plans artistique et technique et même indélogeables sur le plan financier. Le seul lien commun des Ballets-Jazz, du Ballet Eddy Toussaint et d'Entre-Six avec la compagnie doyenne est que, tout comme les danseurs des GBC, ceux des trois autres compagnies sont formés et entraînés quotidiennement avec la technique du ballet académique. Leur mandat par contre est fort différent: Entre-Six, compagnie « de poche» (d'abord six puis sept danseurs) désire promouvoir la danse dans les écoles et sur les scènes moins connues à travers le Canada43 grâce à un répertoire original dont certains ballets sont des chorégraphies pour enfants ou à forte teneur humoristique 44 • Le Ballet Eddy Toussaint (16 danseurs) se donne comme objectif de populariser la danse dans toutes les ,couches de la société au Québec et à l'étranger. Il va se doter d'un répertoire de promotion de la culture québécoise tout comme le fait les GBe. Le Ballet Eddy Toussaint et Entre-Six ont un seul chorégraphe attitré à l'opposé des GBC qui, eux, gardent un chorégraphe en résidence et invitent d'autres créateurs à chaque saison. Les ambitions de chacun permettent d'occ~per un territoire différent. Les GEC sont devenus beaucoup trop gros pour avoir la mobilité des autres. En revanche, leur dimension leur donne une image' Ils se définissent eux-mêmes comme une compagnie de tournées (programme souvenir, 1979). Le co-fondateur de la compagnie, Lawrence Gradus, conjoint de Jacqueline Lemieux-Lopez, est un danseur talentueux que Fernand Nault a recruté à l'ABT. Après une courte cardère aux GBC, il suit sa conjointe. Celle-ci est désireuse de lui offrir une tribune où il pourra chorégraphier à sa guise. 43 44 69 de prestige que les autres ne peuvent facilement obtenir faute d'expérience et de moyens. De plus, leur répertoire, au lieu d'être celui d'un seul chorégraphe local, donne la couleur des tendances internationales de la danse. Ainsi, les GBC se démarquent par une orientation artistique polyvalente davantage tournée vers les marchés internationaux. Ces deux plus petites compagnies offrent la possibilité à de jeunes talents québécois de se faire valoir. La première génération de leurs danseurs, à part uneexception45 , est québécoise, formée au Québec, à l'École des GBC ou à l'école de leur compagnie. Ainsi, le bassin de danseurs québécois s'élargit considérablem~nt à cette époque, comparativement à la génération précédente ; la structure de formation est maintenant organisée et efficace en regard des critère~ d'excellence exigés par les compagnies montréalaises46 • Ludmilla Chiriaeff a eu un argument démographique pour justifier les besoins de formation et demander de l'aide au MAC pour développer des programmes de formation. Le revers à cette médaille est que ses 'propres besoins en effectifs d'artistes danseurs l'obligent sans cesse à piger dans un bassin d'étrangers. L'enjeu du nationalisme est tellement important à cette époque que Ludmilla Chiriaeff, pour rester une compagnie à saveur québécoise, va travestir le nom de certains de ses danseurs vedettes, fraîchement sortis de son école, aux connotations anglophone ou étrangère. Sacha Belinski deviendra Alexandre Bélin47 et Sylvia Quinal deviendra Sylvie Quinal-Chevalier. Les GBC deviennent les « leaders» de la formation en danse au Québec. Chacune des quatre compagnies a à son répertoire au moins un ballet à teneur folklorique avec des noms évocateurs: Les GBC produisent La Scouine (1977), La Corriveau (1966), Tam Ti Delam (1974) ; Eddy Toussaint, Place Jacques-Cartier (1974), Alexis le trotteur (1978), Rose Latulippe (1979); Lawrence Gradus crée Variation de la reine (1974)48 et Les Ballets-Jazz, Jérémie (1974). Chacune utilise des musiques et des conceptions de décors locales. Il s'agit de Shelley Osher, américaine d'origine. Elle a décidé de suivre Gradus lors de son départ des GBC. 46 Dès le début des années 70, des professeurs de l'École des OBC parcourent le Québec pour distribuer des bourses d'étude d'été ou pour l'année à son école de Montréal élargissant le bassin des candidats de talent. 47 Il reprendra son nom à la fin de sa carrière aux GBC. Nous avons choisi dans cette recherche d'utiliser son nom original; celui qu'il désire conserver. Sylvia s'exilera pour faire carrière aux États Unis. 48 Max Wyman en dira: « His satirical piece, is a case point. It is nicely, innocently funny, a joke about Québec at the mercy of quarelling England and the U.S ... » (programme souvenir, 1979). 45 70 Jamais le Québec n'aura fait participer autant d'artistes à la création originale de balle.ts et ne se sera fait valoir sur les scènes internationales avec un matériel original québécois. Les GBC ont déjà une longueur d'avance en ce qui a trait à développer un produit dansé à saveur nationale. Son rôle de «leader» dans l'élaboration d'une danse originale et québécoise en est renforcé. Le répertoire orienté vers une consommation du plus grand nombre par les GBC et les autres compagnies n'est pas sans rappeler l'emphase économique de ces années, orientée vers les industries culturelles (Tremblay & Lacroix, 2002, p. 263). La prolifération du répertoire original à contenu populaire sur des grandes scènes ou accessible au plus grand nombre surgies au Québec dans les années 1970 correspond aux caractéristiques de Tremblay & Lacroix. Elles sont considérées les symptômes des industries culturelles: «1° l'importance du travail de création; 2° l'exigence du renouvellement constant des produits; 3° le caractère aléatoire de la demande» (p,266). Les Ballets-Jazz se distinguent des deux autres jeunes compagnies par leur genre de danse: le ballet-jazz. Leur ambition est de le faire connaître à un niveau international. Ils sont dans un tout autre créneau et ne font pas partie des genres de danse soutenus par les programmes de subvention du CAC. Donc, ils ne constituent pas une menace pour les GBC. Les Ballets-Jazz ayant un style d'inspiration américaine vont utiliser des musiques et concepteurs canadiens anglais ou américains. Entre-Six vise un public canadien « coast to coast» avec un répertoire varié, ou très narratif ou très abstrait. Eddy Toussaint tente de conquérir la faveur populaire où qu'elle soit. L'avantage des trois compagnies sur les GBC est qu'elles sont de plus petite taille et parcourent le Québec, le Canada ou les pays étrangers plus aisément. Leur popularité est phénoménale partout où ils se produisent49 • 49 Cette affirmation est basée sur une appréciation personnelle et sur les nombreuses coupures de presse amassées au fil de ces années. Les deux années passées chez Entre-six nous ont fait participer à une moyenne de 100 spectacles produits à travers le Canada. Les critiques étaient élogieuses dans la plupart des cas. Des cinq années passées au Ballet Eddy Toussaint, ont été produits une moyenne de 150 représentations à travers le monde par année. La production du ballet Casse-Noisette de cette compagnie a battu tous les records d'assistance de la danse dans les régions du Québec, étant la seule production à se déplacer dans toutes les villes importantes du Québec. À chaque endroit de son passage, les diffuseurs se disaient gênés de remettre le cachet de la représentation tant ils faisaient des recettes exceptionnelles. 71 Les GBC à cette époque vont faire preuve d'un savoir faire particulier pour conserver leur popularité. Ils le feront en tentant de miser sur l'étalage de leur reconnaissance internationale et; comme ils sont les seuls à présenter des ballets du répertoire de la période romantique à l'occasion, ils rappellent ainsi qu'ils sont « la» seule compagnie institutionnelle de ballet du Québec. La montée simultanée des genres musicaux diversifiés va être largement utilisée par les nouvelles compagnies de danse maintenant importantes dans le paysage québécois. Ces trois compagnies vont puiser à même les répertoires québécois et canadien de leur époque et souvent vont commander des créations musicales originales pour la danse. Celles-ci fusent de toutes parts. Par exemple, Les Ballets-Jazz auront créé Jérémie (1974) sur une musique de Lee Gagnon ; Eddy Toussaint fait appel à François Dompierre pour la création Module 2027 (1976) ; Entre-Six réalise En Mouvement (1977) avec Vincent Dionne, compositeur de musique contemporaine. Les GBC perpétuent musicalement ce qu'ils avaient entamé avec les Ballets Chiriaeff dans les années 50. Laconsécration de toutes ces compagnies c'est de danser à la PdA. Les GBC occupent la salle Wilfrid Pelletier depuis 196.3, le Ballet Eddy Toussaint et Les Ballets-Jazz se partagent le théâtre Maisonneuve au moins une fois par année dans les années 1970 et 1980. La compagnie Entre-Six; d'abord installée au théâtre Centaur, se produira aussi à la salle Maisonneuve. Malheureusement, cette production sera leur dernière. La compagnie ferme en 1980, peu de temps après la mort de Jacqueline Lemieux-Lopez5o • La danse continue à se produire à la télévision à cette époque non plus sur une base hebdomadaire mais par le biais d'émissions promotionnelles pour chaque compagnie présentée à la télévision de Radio-Canada dans le cadre des Beaux Dimanches. Les GBC montent Catulli Carmina (1980) et le Mandarin Merveilleux (1981). Ils racontent leur voyage en Chine (Smith, 1985). Le Ballet Eddy Toussaint fera deux émissions composées de ses meilleurs ballets et les Ballets-Jazz une émission où alternent des extraits de la technique et des chorégraphies du répertoire (Patry, 1990). Entre-Six n'en fera aucune. Les GBC continuent de rayonner par le biais de la télévision et deviennent un exemple à suivre. 50 Son chorégraphe La~rence Gradus est engagé à Ottawa pour diriger et créer au sein d'une nouvelle compagnie, le Balletthéâtre du Canada. 72 Les conseils d'administration de chacune de ces compagnies sont rattachés à une présidence de prestige de la bourgeoisie québécoise. Le juge Jacques Vad,?oncoeur de la Cour supérieure du Québec demeurera à la tête du CA aussi longtemps que Ludmilla occupera la direction artistique; le CA est composé de francophones et du pouvoir anglophone (Molson entre autres) encore en place au Québec. Celui du Ballet Eddy Toussaint est présidé par Jean Lamarre (Lavalin) qui a succédé à plusieurs personnalités importantes dont Guy Joron, (Ministre de l'Énergie dans le premier cabinet du Parti Québécois). Les Ballets-Jazz sont sous le patronage d'Air Liquide (dirigé par le mari de Geneviève Salbaing, directrice artistique de la compagnie pendant 25 ans). Enfin, EntreSix aura Me André Gibeault à la présidence, supporté par François Colbert professeur aux HEC comme secrétaire-trésorier (programme souvenir, 1979). En somme, une partie de l'élite économique et politique du Québec soutient le milieu culturel. La naissance de nouvelles compagnies n'est pas sans lien avec la croissance économique des années 70. Par contre leur fermeture est liée à d'autres causes: Entre-Six doit fermer, faute de subventions, à la mort de sa directrice en 1980. Le Ballet Eddy Toussaint s'effondre après une forte période d'expansion dans les années 80, passant de 16 à 22 danseurs, et un parcours international. Il doit sa fermeture à la témérité de son directeur artistique 52 • De plus, un lobby important, fort d'une popularité grandissante de la danse Il sait que l'assiette contemporaine, est affamé de subsides gouvernementaux. subventionnaire provinciale ne peut être élargie en période de récession et il grogne pour de l'argent nouveau (la génération montante des années 80). Leur disparition laisse encore une fois toute la place,. avec encore plus de poids artistique aux GBC. Ces derniers survivent car leur poids démographique et artistique est plus important et l'émergence d'autres compagnies confirme leur place d'institution officielle de la danse 53 • À la suite de difficultés financières, le MAC demande au CA de la compagnie de soumettre un plan de redressement. Le plan soumis au MAC est recalé. Eddy Toussaint refuse de se soumettre. Le MAC lui retire sa subvention (Breniel, 1990). 53 Les institutions de la danse classique sont considérées par la société et se considèrent elles-mêmes les gardiennes d'une tradition et un symbole de prestige dans chacun des pays dans lesquels elles évoluent. Elles sont l'emblème d'une élite. Il est intéressant à souligner que, lors de la révolution russe, les deux seules institutions qui ont été maintenues de l'ancien régime sont le KGB et le Bolshoi. Ce dernier, symbole du régime des tsars incarnait aussi la grandeur culturelle du peuple russe à ses propres yeux et auprès de la communauté internationale en plus d'être un instrument de propagande idéal. 52 73 Conclusion sur la période 1960-1980 La disparition de deux compagnies sur quatre à la fin des années 80, après une existence relativement brève, aura contribué à confirmer le caractère institutionnel de la compagnie des GBC, essentie.1le dans le développement d'une pratique originale du ballet, renforcée dans son rôle de formateur des publics québécois et active dans le développement de la formation professionnelle. Elle aura su aussi garder un répertoire hétérogène et diversifié non pas à la remorque d'un seul créateur, affirmant sa position de « leader» dans le développement de la discipline sur les plans artistique et pédagogique. Toutes ses actions des premières années sont empruntées et copiées par les générations d'après, dans la foulée d'un nationalisme québécois. Ironiquement, Les Ballets-Jazz auront survécu malgré la popularité éphémère d'un style qui se sera avéré vite dépassé. Leur capacité à garder un répertoire varié, populaire, inspiré de la danse jazz américaine et pas seulement du ballet-jazz va les garder à flot sur la scène internationale plus qu'au Québec dans un créneau maîtrisé d'eux seuls. Ils continuent d'engager des danseurs formés à la technique de ballet académique de calibre élevé. 74 Conclusion / . Le ballet au Québec aura été porté par des artistes compétents convaincus de la valeur et de l'importance de leur travail artistique. Les vagues d'immigration auront enrichi un potentiel certain mais embryonnaire et auront permis de prendre des virages nécessaires à des moments stratégiques de la naissance de certaines institutions. Les composantes de la vie en société sont toutes tributaires les unes des autres. L'orientation et l'évolution du ballet démontrent cette dépendance aux courants politiques, économiques et sociaux. De surcroît, la rapidité avec laquelle tous les secteurs d'influence ont agi pour améliorer (quelquefois à leur corps défendant) la culture et les arts est le reflet d'une société dont le désir est d'accroître sa qualité de vie et d'entrer dans la modernité. En même temps, les milieux artistiques ont fait preuve de leadership à se doter rapidement de mécanismes de protection et de développement à long terme. Les GBC arrivent à point nommé dans une société prête à accueillir une compagnie de ballet d'envergure. Toutes les composantes sociétales sont favorables à sa naissance et à son épanouissement. Cette affirmation sera largement développée dans la sectiOn traitant des objectifs artistiques organisationnels. La première partie de la deuxième moitié du XX e siècle a laissé émerger une société dynamique qui, grâce à sa jeunesse dans l'histoire du monde et à sa vitalité, a réussi à faire valoir un potentiel créateur exceptionnel. 76 TROISIÈME PARTIE (Portrait de la compagnie) Chapitre III LES PERSONNES MARQUANTES DE LA COMPAGNIE : 1957-1977 Ce que l 'histoire veut expliquer et comprendre en dernier ressort ce sont les hommes. 'Paul Ricoeur (in Dosse, 2006, p. 22) LES PERSONNES MARQUANTES DE LA COMPAGNIE 1957-1977 La documentation recueillie sur les vingt premières années de la compagnie des GBC permet de dresser un portrait artistique relativement détaillé. Les thèmes du panorama que nous présentons ici permettront de saisir les moments cruciaux et les éléments stratégiques de l'histoire de la compagnie qui ont modelé sa personnalité, ses orientations et déterminé ses choix. Trois aspects attirent l'attention: il s'agit des individus quiy ont œuvré tout au long de son parcours, de la structure organisationnelle engendrée par les actions des personnes importantes et des œuvres marquantes de son histoire. Ils sont abordés dans cette deuxième partie de l'étude dans l'ordre d'énumération. Le capital humain est le .premier facteur en cause d'une vitalité artistique. Les individus lui donnent vie. Ils sont la source du potentiel créateUr. Nous commencerons donc notre élaboration du portrait des GBC par la présentation de ceux et celles sans qui les GBC n'auraient jamais vu le jour et ne seraient probablement pas ce qu'ils sont aujourd'hui. Ce chapitre traitera plus précisément des artistes à l'origine de la fondation de la compagnie, les mêmes qui lui ont fait traverser le temps et ont eu un impact sur son évolution. Il s'agira de faire leur portrait personnel et professionnel dans le but de mieux saisir comment leur profil particulier s'est harmonisé ou non à l'organisation de l'équipe des GBC et a pu avoir une influence sur l'orientation ·artistique de la compagnie. Le même exercice sera fait pour les personnalités marquantes responsables de la gestion générale de l'entreprise. Même si notre étude ne tente pas de circonscrire le modèle de gestion administrative, il s'est avéré, selon notre analyse, que ces invidivus ont eu un impact sur des décisions et sur certaines orientations artistiques. Nous tenterons de saisir les aspects de leur personnalité, leur perception des liens à l'organisation, de même que leur influence sur l'élaboration du produit artistique. La présentation de tous et chacun permettra aussi de comprendre et d'analyser plusieurs de leurs actions. Elles seront présentées dans les chapitres suivants. 78 Aux fins de cette recherche, le choix des personnalités importantes, artistes collaborateurs à l'édification de la structure de la compagnie des GBC autant sur le plan artistique que celui de la gestion administrative, a reposé sur différents critères. Il s'agissait d'abord de leur présence et de leur implication lors de la fondation, puis, pour certains d'entre-eux, de la longévité de leur collaboration avec la compagnie. Cela dit, des artistes et certains gestionnaires ont été mentionnés pour une autre raison. Ils ont fait la manchette. des journaux, et leur passage au sein de la compagnie, malgré sa comte durée,· permet de comprendre certaines décisions, orientations et actions de la direction artistique à l'époque. Il est à noter que la biographie détaillée de chaque personne se retrouve à l'annexe IV. Nous avons choisi de traiter seulement les éléments biographiques pertinents à notre recherche. Nous avons ajouté à cela des informations à partir d'archives journalistiques et des entrevues, pour mieux cerner la personnalité de chacun, expliquer en grande partie leur orientation artistique personnelle et mieux définir les forces de leur implication au sein de la compagnie. Les personnes dont il sera question dans cette section. seront traitées sous trois angles: la personnalité, les compétences professionnelles, l'ambition artistique. Leur fonction au sein de la compagnie est circonscrite et leur implication dans le développement de l'orientation artistique est mise en lumière. Les personnes présentées sous le volet de la gestion administrative seront analysées quant à elles selon les deux premiers critères. En ce qui concerne le troisième, nous parlerons d'un « projet », perspective plus englobante que strictement artistique, d'autant plus que les glissements entre leur implication artistique et administrative sont observables mais difficiles à déterminer quand on examine les archives disponibles.· Les trois critères permettront de comprendre la complémentarité de chacune des personnes et leur contribution personnelle à l'évolution des GBe. La première section du chapitre ne saurait commencer sans établir le portrait de la fondatrice de la compagnie sans laquelle les Grands Ballets n'auraient jamais vu le jour. Il s'agit de Ludmilla Chiriaeff appelée « Madame» par tous ceux qui l'ont côtoyée de près ou de loin à travers les époques. Tout au long de la thèse, certains témoignages cités utilisent cette dénomination en signe de respect. 79 LA DIRECTION ARTISTIQUE LUDMILLA CHIRIAEFF (1924-1996) Sa personnalité Ludmilla Chiriaeff est perçue distinguée, déterminée et intelligente par tous et chacun. Cette perception transparaît dans tous les portraits journalistiques, entrevues et articles de périodiques qui ont été produits à son endroit, même au-delà de sa disparition Je 22 septembre 1996. Roland Lorrain (1973) la présente physiquement : «... longue, mince et haute à l'olympienne; altière, jolie sans fragilité» (p. 10). Mireille Lemelin (1978) dit qu' : « elle frappe par'sa beauté et la jeunesse de son sourire. » Cécile Brousseau (1975) commence son article par: «Ludmilla Chiriaeff incarne la grâce et le courage, une grâce sans fragilité, un courage sans faille. Ceux qui l'ont vu danser, ceux qui ont partagé son quotidien, ceux qui l'ont aperçue un soir de fête peuvent témoigner de cette grâce. » Guy Beaulne, directeur général du Grand Théâtre de ,Québec raconte: « J'avais été fasciné par sa beauté, bien sûr, par sa grâce, sa douceur, l'intensité de son regard etpar sa volonté de vivre par la danse» (programme souvenir, 1971-1972). Elle dégage une impression souveraine. Ses origines européennes et aristocratiques, de surcroît, lui ont donné une prestance et une élégance remarquables. Sa mère, Katherina Radziwill est descendante d'une vieille famille de l'aristocratie polonaise (Howe-Beck, 1996). À Berlin, où elle est née, elle fréquente tine école russe où l'on enseigne la langue française comme il se doit pour tout citoyen éduqué de la Russie blanche]. Jeune femme émigrée à Genève en Suisse, elle suit des leçons privées pour parfaire son français (Forget, 2006). Cette instruction particulière explique son excellente maîtrise de la langue française. Elle lui sera d'un grand secours pour s'intégrer à sa nouvelle patrie: ] La Russie blanche est le terme que l'on utilise pour parler des citoyens russes qui se sont volontairement exilés après la Révolution de 1917. Plusieurs d'entres-eux faisaient partie de l'aristocratie et étaient demeurés fidèles à la mémoire du Tsar. étaient anti-communistes. Ils 80 Il suffit de la voir et de causer avec elle pendant un moment pour se rendre compte immédiatement que Ludmilla Chiriaeff est une grande dame. Distinction dans le geste comme dans l'usage du Verbe; elle s'exprime de façon posée, d'une voix bien timbrée, et tout à coup vous songez: c'est adagio et vous apercevez que le charme slave tant vanté existe vraiment car il opère en vous. (1959, seule référence) Elle est charmeuse et charmante mais aussi très tenace. Les épreuves de ses premières années de vie lui ont donné une force de caractère hors du commun. Apatride dès sa naissance, rompue aux difficultés de la guerre, connaissant la pauvreté et les privations, elle ne se laisse jamais abattre par un refus ou une difficulté: « On peut être victime de la vie mais on n'a pas le droit de se victimiser soi-même» (Chiriaeff in Pelletier, 1993). D'autant plus que des principes d'éducation sévère inculqués par. une mère exigeante (Lorrain, 1973, p. 1; Forget, 2006, pp. 67-70) ont nourri son goût de la discipline, du travail bien fait et forgé son caractère: Mme Chiriaeff is an extremely pretty and attractive woman, with ail the winning ways of a grande dame descended from a thousand years of Polish princes. This delightful exterior 1 feel conceals an iron determination to get her own way; she also has unlimited capacity not only for work but for propaganda. 1 found half an hour with her absolutly exhausting - and after three or four hours of one of her monologues 1 became hypnotized and was incapable oftaking in a word she said. (Smith, 2000, p. 406) Elle a une perception romantique de la vie, croit au destin (Lu ft, 2005) et entretient la nostalgie du passé. Elle s'exprime souvent par des métaphores et utilise avec insistance les superlatifs pour donner de l'importance à ce qu'elle dit et amplifier sa propre histoire. Par exemple, elle explique son désir de rester au Québec par les similitudes et les affinités qu'elle retrouve ici avec la terre de ses ancêtres (la Russie) qu'elle a idéalisée sans jamais l'avoir vue: Alors, ce fût la dure traversée, en paquebot, suivie par le voyage en train. Un train extraordinaire qui, partant de Halifax, nous fit traverser des espaces blancs de neige tout comme ceux que j'imaginais dan~ la Russie de mes parents - et que je n'ai jamais eu le privilège ni de voir, ni de « vivre». Un train qui me faisait entrer dans mon nouveau pays en glissant dans le silence de janvier sous un ciel nordique ... (Chiriaeff, 1995, p. 29) Elle offre au public des histoires romancées pour illustrer ses intentions et justifier ses actions. Toute sa vie, elle s'exprime dans un langage fleuri et un certain sens du drame et 81 de l'effet théâtraI 2 .. Cette tendance a pour effet de captiver le récepteur mais aussi d'amplifier certains faits .au détriment d'autres. Par exemple, elle donne l'impression qu'elle.a été incarcérée dans un camp de concentration quand c'est en réalitéim camps de travail 3 . Elle insiste sur les persécutions du clergé à ses débuts, ce qui diminue dans les esprits l'importance des communautés religieuses qui l'ont pourtant aidée à organiser son école. Elle augmente ainsi l'effet émouvant de sa force de caractère et de son courage devant l' adversité4 • Qui, du milieu de la danse, n'a pas lu ou entendu l'anecdote déterminante, selon elle, dans sa décision de demeurer au Québec? À sa sortie du train, la marquise du Cinéma de Paris de la rue St-Catherine affiche son nom en-dessous du titre du film qu'elle avait tourné en Suisse: Danse Solitaire (Samson, 1973). Elle interprète cette coïncidence comme un signe du destin: Il y étalait non seulement son titre et son nom, mais aussi, pour· moi qui savait (sic) lire les signes du destin, il donnait une réponse. Celle qu'une adolescente attendait depuis la révélation faites (sic) par une fleur au fond du gouffre. - C'est ici! Tu es arrivée! - affirmait la Vie en moi tandis que des flocons blancs tombaient tout autour ... (Chiriaeff, 1995, p. 30) L'allusion à la fleur fait référence à un événement de son adolescence. Retournée sur les lieux du bombardement de sa maison, elle aperçoit, à travers les ruines, l'éclosion d'une fleur de pomme de terre qui émerge des décombres. Elle interprète cette éclosion comme une leçon de vie et un message: « Et penchée au bord de cette sorte de gouffre, je me souviens d'avoir murmuré ... Merci! ... J'avais compris que la vie ne s'arrête jamais» (Idem, p. 22). 2Howe-Beck (1998) en témoigne: «She had a total disregard of time and refused to answer questions directly, launching instead into long and scrambled monologues» (p. 162).· 3 Les différentes déclarations de Mme Chiriaeff au sujet des camps de concentration varient selon les articles. Par exemple, elle dit: «Pourquoi avais-je moi, survécu aux camps de concentration et aux bombardements alors que des milliers de gens en avaient péri (sic) » (Samson, 1973). - En 1955, elle avait commencé à entretenir la confusion en déclarant: «Je fus internée dans des camps de concentration, envoyée en usine. Jusqu'au moment, au bout de quatre ans, où je parvins à m'évader ... » (Le Poittevin, 1955). La réalité est à l'effet qu'elle est réquisitionnée pour travailler dans une usine d'armement nazie ~Forget, 2006, p.l35). . C'est le Père Bradet, de la congrégation des Dominicains de la paroisse Notre-Dame-de-Grâce qui la supporte quand elle donne des cours à son Centre (Forget, 2006, p. 304). Puis les religieuses de la . Congrégation Notre-Dame l'invitent à donner une démonstration à l'École Villa-Maria. La prestation incite lés jeunes filles à suivre ses cours. (Brousseau, 1975). 82 Ces expériences hors du commun, vécues à l'intérieur d'un passé dans un autre lieu au temps de sa jeunesse, nourries par cette tendance à tout amplifier n'ont pas que l'inconvénient de mener à une certaine distorsion. Elles renforcent sa conviction personnelle à l'effet qu'elle est investie d'une « mission» et qu'elle doit poursuivre son idéal c'est-à-dire fonder des institutions vouées à la propagation de la danse: « À quoi bon former des jeunes, d'expliquer Madame Chiriaeff, leur donner la soif de l'aIt si, à leur maturité, on n'a que le désert à leur offrir? Dans tous les domaines, les talents foisonnent au Canada. Ce sont les institutions qui manquent» (Bouthillette, 1959). Convaincue que son devoir est de laisser un patrimoine, elle s'y emploiera toute sa vie. Personne au Québec, dans le domaine de la d~nse, n'a fondé autant d'institutions. À une compagnie, faut-il une école? Elle fonde l'École des Grands Ballets Canadiens en 1958. À l'École, il faut un partenaire du milieu scolaire de niveau secondaire. Elle établit alors l'optiori-ballet de l'École Pierre-Laporte en 1975. Un Cégep doit continuer le profil, elle crée le DEC technique de ballet du Collège du Vieux-Montréal en 1979. L'option doit s'élargir au primaire, elle met sur pied la concentration-ballet de l'École Laurier en 1986. Il faut des locaux pour accueillir la compagnie et l'école, elle obtient la Maison de la danse en 1981. Elle est la plus importante fondatrice d'institutions axées sur le développement de la discipline de la danse au Québec dont les activités se pratiqUent encore aujourd'hui. Ses compétences professionnelles Lumilla Chiriaeff est un pur produit de l'école de formation russe et de la pensée artistique russe bien qu'elle n'ait jamais vécu dans ce pays. À sa naissance en 1924, la compagnie des Ballets Russes présente ses créations partout en Europe. Elle se produit sur les scènes occidentales avec l'avant-garde chorégraphique et virtuose russe et ce jusqu'à la mort de Sergei Diaghilev en 1929. Après cela les anciens membres de la compagnie sont disséminés à travers l'Europe et aux États~Unis. Ils continuent de créer et de former une autre génération d'interprètes en danse, eux-mêmes étant des produits de la 83 formation russe 5 • La jeune Ludmilla va se former et demeurer dans le giron de l'école et de la pensée russe. À sept ans, elle commence ses études de danse classique à Berlin avec Alexandra Nikolayeva, une ,ancienne danseuse du Ballet BolshoÏ puis avec Séda Zaré. Elle suivra cette formation de 1931 à 19396 • À la même époque, elle étudie.aussi le ballet avec Xenia et Edouard Borovanskl puis Eugenia Edouardova. En 1939-1941, elle prend des cours avec Tatiana Gsovsky et Sabine Ress. Ainsi, la formation de Ludmilla est inspirée de l'École russe. Cette méthode met l'accent sur une force exceptionnelle des jambes et l'expressivité du haut du corps8 mais aussi le devoir de perpétuer la tradition de la philosophie de l'entraînement russe 9 . Parallèlement à sa formation de ballerine, elle est initiée à la dan~e expressionniste allemande avec Margot Rewendt (Berlin, 1939-1941) et Harald Kreutzberg (Genève, 1949). Son entraînement auprès de pionniers de la danse expressionniste allemande va aiguiser ses qualités expressives. Bien qu'elle ne soit jamais devenue une grande ballerine elle arrivera, grâce à ce mélange de formation de ballet et de danse moderne d'inspiration expressionniste, à miser sur une grande expressivité et à se faire valoir dans des rôles de caractère et de demi-caractère10. Cette expérience diversifiée lui donne une ouverture d'esprit sur de nouvelles formes de danse et des démarches esthétiques différentes. Il s'agit de Michel Fokine, Anna Pavlova, Tamara Karsavina, Maya Spessivtzeva, Alexandra Danilova, Léonide Massine, Anton Dolin, Serge Lifar et George Balanchine (Ward Warren, 1996). . 6 1.1 existe une contradiction entre les biographies officielles de Mme Chiriaeff et le travail de Nicolle Forget (2006). Dans les biographies officielles, lajeune Ludmilla étudie avec Séda Zaré entre 1939 et 1941. Dans la biographie de Nicolle Forget, il est affirmé que, rapidement dans la formation de Ludmilla, c'est Séda Zaré qui prend la relève d'Alexandra Nikolayeva en 1932 ou 1933. L'auteure confirme cette différence ehtre ses recherches et les biographies officielles. 7 Il est tchèque, danseur au National Theatre Ballet de Prague, puis il est le fondateur du Ballet Australien (Ward Warren, 1996). 11 a dansé pour le Colonel de Basil. C'est lui qui a suggéré la jeune Ludmilla pour .. faire de la figuration dans ,'Oiseau de Feu à l'âge de sept ans (Forget 2006, p.72). 8 Ces caractéristiques sont liées aux acrobaties de la danse folklorique russe et au charme des danses de caractère slaves. 9 À ce sujet, un témoignage de ianina Cunovas (lituanienne), grand professeur de ballet qui a traversé le XX e siècle témoigne: « "My teachers used to tell me : Not only are the se memories charming, the y also serve to remind my students that what they are practicing is part of a very long tradition. You have to believe in what your teachers taught you, and carry on that tradition. Everything 1 say is from the mouths of l11y teachers" ... for more than fort Y years, she has never altered her devotion from the Russian system in she was schooled » (Ward,Warren, 1996, p. 64). 10 Ludmilla Chiriaeff est trop grande et dispose d'un long tronc. Elle ne possède pas les qualités de la ballerine « idéale» qui lui permettrait de danser les grands rôles classiques du répertoire. Ainsi, on lui donne des rôles où la composition du personnage est importante comme un rôle de sorcière ou de gitane. Sur aucune de ses photos, elle n'apparaît en chaussons de pointes (FALC). 5 84 ' Elle développe au fil du temps d'exceptionnels talents de pédagogue grâce à tous ses talentueux professeurs. D'ailileurs quand le couple Gorny-Chiriaeff prépare les papiers d'émigration pour le Canada, ,la Société Coopérative Migros-Genève certifie la qualité de son enseignement dans une lettre avec papier en-tête de la compagnie: « [ ... ] parfaite pédagogue en même temps qu'une artiste de grand talent, connaissant son métier et son art à fond» (Forget, 2006, p. 233). Ainsi, les compétences de Ludmilla Chriaeff lui permettent de former des danseurs expressifs dont la technique pourra supporter l'expression et non pas l'inverse comme il est de rigueur au sein de l'école anglaise où, à cette époque, la technique domine l'expressivité. Ludmilla Chiriaeff va miser sur l'expression dans un répertoire original adapté aux capacités des danseurs plutôt que sur une performance des rôles difficiles du répertoire des ballets de l'époque romantique. D'ailleurs elle n'a pas le choix: elle n'a pas l'expertise pour les montrer. Cet instinct et ses choix chorégraphiques lui permettent d'obtenir un succès total à sa première sortie à l'étranger. La prestation de la compagnie à ses tous débuts au Festival de Jacob's Pillow (1959) est un exemple représentatif de la cohésion de la force expressive de la compagnie malgré sa jeunesse et ses moyens. Les critiques américains qui couvrent un des festivals de danse le plus important du monde mentionnent: « La fraîcheur, l'enthousiasme et la jeunesse » (La Presse, sept. 1959) All the ballets ofthis pro gram were created for the company and, though they were une ven in quality, it was a pleasure to anticipate the rise of each curtain, knowing that what followed would be completely new and have the merit of surprise. Ludmilla Chiriaeff, founder-director of the company, choreographed the opening Étude to Schumann's scenes of childhood. Les Grands Ballets Canadiens could hardly have, found a more apt curtain raiser, for it displayed both the qualities of the performers and the little touches that give her company it's own distinctive personality. (Manchester, 1959) Son désir de produire du matériel original pour sa compagnie vient aussi d'influences chorégraphiques russes. Il s'agit entre autres de Michel Fokine, Léonide Massine et David Lichine. Ces trois artistes vont inculquer à la jeune Ludmilla une pensée artistique mais surtout chorégraphique. En effet, ils font partie du cercle artistique intime de la famille Otzup-Gorny (nom de fille de Ludmilla). 85 Tous les trois, issus de la pensée et d'une formation russes, ont bousculé les valeurs chorégraphiques de leur temps (début et milieu du XXe siècle). Pour eux, le ballet doit se soumettre à une logique de la narration; bien que les personnages soient fantastiques, leur caractère doit refléter une certaine logique gestuelle et expressive. La conception du ballet doit avoir une cohésion parfaite sous tous ses aspects: la gestuelle, les décors, les costumes et la musique. Le corps de ballet ne fait plus figure de décor. Il doit participer à l'organisation de l'intrigue et contribuer à l'édification d'une atmosphère. En revanche, c'est le vocabulaire du ballet qui continue de servir à l'élaboration du matériel chorégraphique (Huesca, 2001). La critique reconnaît ces caractéristiques au tout début des activités sur scène des GBC : Ce qui la distingue surtout [la troupe de ballet] c'est le désir évident de créer, de respecter les disciplines anciennes mais en les appliquant à des thèmes nouveaux. Aussi entend-on là de la musique nouvelle et voit-on des ballets nouveaux, en des décors et avec des costumes qui apportent aussi leur élément de nouveauté à l'effort collectif de jeunes artistes avides de donner à leur troupe un caractère distinctif. (La Presse, 1960) Michel Fokine, ami intime de son père (Alexandre Otzoup-Gorny), lui insufflera une vaste pensée artistique. Elle a conservé dans un journal intime une maxime, leitmotiv de toute sa vie, invoquée par le maître. Elle l'a largement diffusée à travers les multiples entrevues qu'elle a accordées (Lorrain, 1973) : Quand tu seras aussi sage qu'un philosophe, aussi inspirée qu'un poète, aussi musicienne qu'un compositeur, aussi forte et souple qu'un athlète, aussi sévère envers toi-même qu'un critique de théâtre, aussi riche et diverses que les couleurs sur la palette d'un peintre, alors peut-être sauras-tu servir la danse. (p. 4) Ludmilla Chiriaeff ne peut combiner toutes ces qualités. Sa grande force sera de s'adjoindre ceux qui les possèdent. Les personnes présentées à la suite de cette analyse biographique ont toutes été choisies par elle, à une époque ou une autre, pour l'aider à atteindre ses objectifs et réaliser sa mission de bâtisseur. Elle possède un don particulier pour déceler les aptitudes de chacun et les mettre à profit pour qu'ils participent à la réalisation de ses desseins de pionnière. Elle déclare: « Je pouvais monter quelque chose sachant comment sortir le meilleur de chacun. Je chorégraphiais selon les danseurs que j'avais» (Forget 2005, manuscrit, partie II, p. 89). Lorrain (1973) énonce: 86 ... ne pas s'aventurer là où font défaut les meilleures chances de réussir, mesurer ses forces et celles de ses danseurs et associés, les exploiter au· mieux, créer non pas nécessairement la suprême beauté mais une beauté aussi parfaite que possible, au niveau qu'elle a pu lui fixer. Forcer un peu, aussi, pour entretenir le dynamisme, le stimuler, mais jamais au risque de se fracasser. La modestie, la prudence alliées à l'ambition, au courage, à la hardiesse, à l'opiniâtreté, ne sont pas rencontre fréquente. (p. 34) De plus, elle semble posséder ce pouvoir de garder ses collaborateurs auprès d'elle suffisamment longtemps pour qu'ils donnent leur pleine mesure et contribuent à l'édification de sa compagnie. Elle est leur plus grande admiratrice: « She really regarded reaJartists as gods » (Howe-Beck, 2005). LudmiiIa cultive ce type de relation durant les vingt premières années (1957-1977) de l'histoire de la compagnie avec de nombreuses personnes et principalement avec les personnages présentés ici, sauf en ce qui concerne Richard d'Anjou. À son arrivée au Canada, Ludmilla Chiriaeff jouit d'une éducation et d'une formation académique et artistique au"dessus de la moyenne de la population ll . Elle a le sens du spectacle et s'en sert pour fasciner son auditoire qui lui accorde en retour beaucoup d'intérêt. De plus, elle a un projet d'envergure. Expertise, ténacité et qualités de visionnaire se rejoignent. Son ambition artistique Sa ténacité épaule une vision de bâtisseur. Elle possède une image d'ensemble de. ce qu'elle doit accomplir; elle arrime avec un instinct déconcertant les projets de chacune des institutions qu'elle fonde, puis organise. Nous approfondirons largement cette affirmation dans le quatrième chapitre appelé: les objectifs organisationnels. Mme Chiriaeff a une vision de développement pour une institution à vocation artistique. Elle consacrera sa vie à la réaliser. Il Au début des années 60, le canadien-français est considéré un citoyen de second ordre. Il a un revenu inférieui' aux autres groupes ethniques et sa scolarisation est basse à l'opposée des Britanniques (Linteau et al., 1989, p. 205). 87 Elle s'appuie sur son expérience de danseuse et de chorégraphe au sein de compagnies européennes avec les maisons d'Opéra de Nollendorf, Berlin, Lausanne et Genève pour identifier les ingrédients nécessaires à la construction d'une compagnie et ce qu'il y a à bâtir autour d'elle. Elle fait aussi référence au modèle des institutions russes de formation professionnelle. Il demeure son idéal pour développer ici la formation bien qu'elle n'y ait jamais eu accès directement. Concrètement, elle explique son projet artistique à travers une méthaphore relative au cercle liant compagnie, école et public dans l'esprit russe: « Such a circular inter-relationship is one of the secrets of Russian ballet, for instance » (Heller, 1971). Ludmilla conjugue ses compétences, ses ambitions et ses actions. Elle choisit ses collaborateurs et s'adapte à ce qui est disponiple autour d'elle pour faire valoir sa compagnie sur le plan des ressources humaines et artistiques. La contribution de « ses» hommes (il n'y a aucune femme) sera présentée par ordre d'apparition dans le parcours de l'histoire de la compagnie. D'abord, nous découvrirons ceux qui ont occupé la place sur le plan artistique, puis nous connaîtrons les gestionnaires par ordre d'arrivée au sein de l'institution. ERIC HYRST (1927-1996) Sa personnalité Il est·connu pour avoir un caractère impétueux et il a une réputation d'excessif. Cela ne l'a pas aidé à demeurer dans des compagnies traditionnelles et établies (Smith, 2000, p. 159). Roland Lorrain (1973) dit de lui: «Eric Hyrst, brillant, excentrique, sûr, inépuisable, hystérique un peu, comme beaucoup d'artistes, mais toujours créativement, et secondant Madame au gouvernail ; ... » (p. 26). En entrevue, Brydon Paige (2005) confirme qu'il ne reste pas souvent au même endroit parce qu'il conteste immanquablement les décisions du directeur. Avant son arrivée au Canada, il avait eu maille à partir avec George Balanchine qui n'est pas un personnage de 1110indre importance du milieu de la danse. Un jour, dans la coulisse, Eric Hyrst est témoin d'une altercation entre Edward Caton (danseur à l'époque) et Balanchine. Il critique ce dernier dans un face à face. Le lendemain, il est congédié. 88 En venant au Québec, il trouve enfin une grande valorisation en tant qu'interprète. Il peut s'épanouir comme chorégraphe car il participe aussi à l'élaboration d'un répertoire. Il ·bénéficie d'un grand respect de la part de Ludmilla si on en croit la visibilité qu'elle lui accorde au sein de la compagnie. Quant à ses colères, à tort ou à raison, Mme Chiriaeff ne lui en tiendra jamais rigueur (Paige, 2005). Ses compétences professionnelles Eric Hyrst est le seul collaborateur important de la compagni'e formé à l'école de la tradition britannique l2 . Cela étant dit, son parcours artistique est plutôt diversifié. En 1950, il quitte l'Angleterre pour danser avec la compagnie de George Balanchine (lui aussi de l'École Russe) et le NYCB avec qui il a travaillé lors du passage de la compagnie au Sadler's Wells de Londres. Un tel choix illustre le désir de Hyrst de varier ses expériences d'artiste et son aspiration à danser des œuvres originales. Il a eu peu d'occasions de le faire en Angleterre où la tradition ballètique anglaise de l'époque se concentre sur la production des classiques du répertoire de ballet de la période Romantique, considérée la quintessence de l'art de la danse. Son ouverture à d'autres approches esthétiques lui permet de s'ajuster à la perspective d'une femme comme Ludmilla Chiriaeff, formée à l'école de la pensée russe. Pourtant, c'est l'expérience anglaise qui lui permettra de laisser sa marque sur l'évolution de la compagnie surtout en tant que chorégraphe. La formation de Hyrst se fait principalem~nt au Sadler's Wells Ballet School. À cette époque, un syllabus rigoureux 13 y est enseigné afin de donner une formation solide aux recrues. On y apprend tous les grands rôles du répertoire. La technique de Hyrst semble correspondre à celle des danseurs de calibre professioI}nel de l'époque mais il n'a pas l'envergure internationale d'un Anton Oolin ou d'un Rudolf Noureev. L'observation des programmes souvenirs des GBC et des extraits d'archives 12 À l'exception d'Anton Dolin dont nous parlerons plus tard et dont l'implication n'est pas aussi fersistante dans le temps, 3 Il s'agit du RAD (Royal Academy of Dancing), société fondée en 1920 qui s'occupe de la formation des élèves par le biais d'examens officiels permettant de vérifier les compétences techniques acquises et s'assurer de la qualité de l'enseignement. Trois niveaux sont enseignés: élémentaire,. intermédiaire et avancé, Quand le niveau avancé est maîtrisé, l'étudiant est considéré apte à joindre une compagnie de danse anglaise (Ward Warren,1996). 89 télévisuelles (Kaczender, 1963) permettent de procéder à une analyse rudimentaire: il est un danseur à la musculature puissante; le corps se déploie avec aisance dans le mouvement et on note une forme stylistique claire des bras. En revanche, ses sauts sont lourds et sans grâce. Pourtant, la plupart du temps, sur les clichés photographiques, on le montre dans des élévations impressionnantes prises en plein milieu d'un élan l4 • En entrevue, Brydon Paige (2005) souligne: Il avait un corps avec les os très forts et très lourds. Alors il n'avait P;lS beaucoup de ballon. Mais les pieds, jamais je n'ai vu personne faire des batteries comme lui. Quand il a dansé au Radio City Music Hall avant de venir ici, il était étoile, avec tout le corps de ballet. Il a dansé La Polonaise de Chopin, il a fait soixante-quatre brisés-volés, du coin jusqu'à l'autre coin. C'était une scène de ciment! Il m'a dit qu'il avait fait ça quatre fois par jour et le samedi ef dimanche, six fois par jour! Au dernier spectacle, pour monter dans l'ascenseur il avait besoin de s'accrocher parce qu'il était trop fatigué. Mais il était dans plusieurs sens bon danseur. Naturellement, il avait des faiblesses aussi. Le calibre d'Eric Hyrst semble garantir une certaine crédibilité de la compagnie. Rappelons qu'il est le danseur prinçipal tout au long de l'expérience télévisuelle. Il a une présence charismatique et se révèle être un excellent partenaire dans le travail de « pas de deux. » Sa partenaire principale, Eva von Gencsyl5 le rejoint à Montréal après l'incendie qui ravage les locaux de la compagnie du R WB en 1954. Ils forment le couple-vegette des Ballets Chiriaeff. Dès le début des GBC, il a le titre de premier danseur qu'il gardera jusqu;en 1963. Tout au long de cette période, il est reconnu comme un danseur de qualité. On dira de lui, lors du spectacle du gala de la Plume rouge: « Eric Hyrst \Vas brillant» et « there was sorne excellent dancing by Mr. Hyrst» (Johnson, 1955). Mêmes commentaires en 1960, lors de la série de spectacles de la Comédie canadienne: « [ ... ] Eric Hyrst demeure la cheville ouvrière de la troupe; ce danseur expérimenté, en pleine possession de son métier, est un magnifique exemple de probité professionnelle pour ses camarades » (Vallerand, 1960). Ses performances techniques sont remarquées: « Eric Hyrst est un danseur solide' qui exécute ses entrechats avec une très grande agilité » (Vallerand, 1962) ; « Eric Hyrst, as the prince [dans Cendrillon J, danced with great Programmes souvenirs de 1960 à 1963. Danseuse d'origine hongroise émigrée à Winnipeg en 1948. Elle a connu une carrière florissante en Autriche avant d',arriver au Canada. Elle sera sa partenaire tout au long de la période télévisuelle et des spectacles qui ont précédé la formation de la compagnie des GBC. Ils ont beaucoup dansé ensemble au RWB. 14 15 90 bravura in the second act and brought off many difficult leaps and turns» (Johnson, 1962). Figure·phare masculine de la compagnie, on ne lui passe aucune faiblesse. Un journaliste est particulièrement sévère à son égard dans chacune de ses critiques. Jean Basile l'écorche régulièrement dans ses articles: « Eric Hyrst est un dallseur aux qualités techniques contestables, mais dont l'autorité et la prestance ne sont pas négligeables» (20 janv. 1962). Cela ne l'empêche pas, le surlendemain l6 , de se montrer encore plus sévère en confondant la formation donnée à l'école et la prestation de danseurs chevronnés qui viennent d'ailleurs: Côté homme, je crains fort que l'École des Grands Ballets Canadiens ne nous donne jamais de grands premiers danseurs classiques, encore moins romantiques. Eric Hyrst (au demeurant meilleur chorégraphe que danseur) .est le seul avec Brydon Paige, à pouvoir briguer à la rigueur ce titre. [ ... ] Un seul tourne, Brydon Paige, aucun ne saute, aucun ne bat. Ils sont tous d'excellents porteurs. Cela ne suffit pas. (22 janv. 1962) La critique la plus acerbe vient d'un des ~ritiques de ballet aux États-Unis à cette époque. Il s'agit de Walter Terry (1960) du Herald Tribune de New York: Il peut exécuter pirouettes rapides, tours en l'air et tOlls les mouvements compliqués (tricky) habituellement dévolus au danseur mâle, dans le ballet, mais il le fait avec une gaucherie qui est le contraire même de la danse classique. Ses ports de bras, entre autres, sont peut-être les plus disgracieux que j'aie jamais vus chez un premier danseur et il a la déplorable propension à souligner, à mettre des accents (to ham) là où il n'y a aucune raison de le mettre. Tout cela est bien regrettable car il possède l'essentiel de ce qui fait un bon danseur l7 . Ce jugement sévère a peu d'effet sur le choix de la direction artistique dont il fait partie pour le désigner comme pa~enaire de Rosella Hightower l8 lors du Gala d'ouverture de la 16 Jean Basile mentionne à la fin de son article du 20 janvier qu'il attend la soirée du 22 pour « juger plus à fond l'ensemble de la troupe et chacun de ses éléments. » 17 Cet extrait est tiré du livre de Lorrain (1973, p. 70) qui s'est permis de procéder à la traduction de ce passage sans donner la référence. S Rosella Hightowel' est à l'époque, une des danseuses les plus prestigieuses au monde, après sa carrière dans la compagnie du Marquis de Cuevas (Le Moal, 1999). 91 Place des Arts en octobre 1963. Ce sera sa dernière prestation avec la compagnie en tant que danseur et Hommage 19, présentée ce soir-là, sa dernière œuvre chorégraphique. Son apport chorégraphique à la compagnie est de deux ordres: il crée des bàllets originaux et il monte des extraits des ballets du répertoire classique. Sa formation et son expérience passée lui donnent cette possibilité~ De 1955 à 1963, il créera en tout 14 œuvres originales et procédera à 5 reconstructions (programme souvenir, 1963-1964). Toutes ne sont pas passées à l'histoire mais soulignons la chorégraphie Sea Gal/ows et « l'arrangement chorégraphique20 » de la Fille mal gardée qu'il réalisera en collaboration avec Mme Chiriaeff. Nous en traiterons dans le cinquième chapitre car ces deux chorégraphies ont eu un impact important sur l'évolution de la compagnie. Les critiques de ses créations originales sont, sommes toutes, assez positives bien qu'elles ne lui donnent jamais un statut de grand chorégraphe. Il semble que sa couleur chorégraphique soit assez traditionnelle dans le sens où elle met en perspective des effets de groupe efficaces, des soli et des duos qui 'font valoir la virtuosité des interprètes21 • Quelquefois des histoires narratives faciles à comprendre suscitent l'émotion. L'habileté dont il fait preuve pour remonter des œuvres ou des extraits d'oeuvres est un atout important pour la compagnie. À cette époque, la valeur des danseurs et la reconnaissance de leur statut de professionnel se mesurent à leur capacité à interpréter les grands classiques du répertoire rom.antique. Cette vision du professionnalisme est férocement défendue par Celia Franca22 , directrice artistique du BNC, elle-même 19 II chorégraphie ce ballet en hommage aux arts qui seront présentés à la PDA. Il Y danse un pas de deux avec Rosella Hightower et le corps de ballet y fait certaines entrées et sorties (Johnson, 1963). 20 Ce terme est utilisé. dans un article de Jean Vallerand (1962). Il fait référence au travail accompli par Eric Hyrst sur le ballet lors d'une entrevue. Le chorégraphe de la version des GBC, Edward Caton n'a pas fini le travail chorégraphique du ballet. C'est une façon de laisser le crédit à Caton et de signifier qu'il a effectué certains changements à la chorégraphie. 21 8rydon Paige (2005) semble croire que l'influence de Balanchine sur Eric Hyrst était importante malgré ses différents avec lui. Son passage au NYCB a été déterminant sur ses orientations chorégraphiques. Nous ne pouvons adhérer complètement à cette affirmation attendue que Balanchine n'a fait que quelques ballets. narratifs au début de sa carrière de chorégraphe aux Ballets Russes. En revanche, il est juste de dire que Balanchine accordait beaucoup d'importance à la virtuosité des danseurs et semblait jouer particulièrement avec les duos, trios et effets de groupe. 22 Celia Franca avait beaucoup de pouvoir sur la scène canadienne nationale. Son discours est à l'effet que ce sont les grands classiques qui déterminent un niveau d'excellence: « She believed in a repertoire based on the classi~s, recognized masterpieces, works by which audience and critics could judge you. » (chef d'orchestre du BNC dans les années 1950, George Crum, in Smith, 2000, p. 129). 92 danseuse classique du Sadler's Wells de Londres (comme Hyrst d'ailleurs), principale compétitrice de Ludmilla. Ludmilla Chiriaeff ne possède pas cette compétence. Les connaissances du répertoire classique de Hyrst sont suffisamment étendues pour qu'il monte des extraits des ballets suivants: Lac des Cygnes, Coppélia, Les Sylphides, Raymonda, Don Quixote. En pratiquant ces ballets en studio et en les exécutants sur scène, les danseurs de la compagnie peuvent se mesurer aux standards élevés d'exécution du vocabulaire de ballet et apprennent leur technique à travers des enchaînements complexes du répertoire classique. L'exercice leur permet d'atteindre progressivement des degrés d'excellence qu'ils ne possèdent pas au tout début de la formation de la compagnie et 'de donner l'occasion à Ludmilla Chiriaeff d'accroître sa crédibilité de compagnie professionnelle, au fil du temps. À eux seuls, Hyrst et Eva von Gencs;3 occupent pratiquement tous les premiers rôles, à tous les spectacles. Des lettres tirées de la correspondance de Ludmilla Chiriaeff laissent entendre qu'elle subira certaines pressions pour se débarrasser d'Eric Hyrst. Son agent américain lui envoie un extrait d'une lettre de Ted Shawn du 19 mars 1961. Le maître a à cœur le futur de la compagnie: l have told Ludmilla over and over again that this situation MUST be corrected or she is in for disaster-can vou when you see her face to face emphasize the fact that she must take over the reaI artistic direction ofher company, and eliminate the Hyrst style or she is in for chaos and calamity! 1 certainly would never have themback until she has done so. Preferably 1 would want her to eliminate Eric Hyrst himself, for 1 think as long as he is in the company, his influence is a very bad one. (Forget, 2005, manuscrit, partie II, p. 216) À quoi Ted Shawn fait-il allusion? Son caractère ? Ses prestations de danseur ? Son manque de talent chorégraphique? Difficile à dire. L'analyse précédente révèle certaines 23 Eva von Gencsy ne fera pas la transition entre les Ballets Chiriaeff et les GBC de 1957 sauf en tant que danseuse invitée pour danser Swanilda dans Coppélia en 1961 au Her's Majesty. Elle sera remplacée alors par Margaret Mercier. Cette dernière est Montréalaise d'origine. Elle s'exile en Angleterre pour compléter sa formation de danseuse avec le Ballet Royal de Londres. Elle joint la compagnie à titre de membre du corps de ballet. Elle revient à Montréal chez ses parents à la suite d'une blessure et entre à la compagnie des GBC en 1958 (Goodman, 1962). Il est de tradition dans le monde du ballet de former des couples vedettes dont l'entente artistique est ressentie sur scène. Au XX· siècle, ils deviennent un certain produit de marketing. Plusieurs couples vedettes sont passés à l'histoire: Margot Fonteyn et Rudolf Noureev, Marcya Haydée et Richard Cragun, Wilfride Piollet et Jean Guyzerrix. 93 difficultés en ce qui concerne son caractère et le type de virtuosité dont il dispose. Le message que « papa Shawn» envoie à Ludmilla est qu'il est temps de passer à autre chose. De toute façon, des considérations liées au bien-être de la compagnie vont obliger Ludmilla à remercier Hyrst : « Il fallait éloigner Eric et remplacer la maîtresse de ballet dontle contrat venait à échéance. C'était dur. Il me fallait faire comprendre à Eric qu'il fallait qu'il parte. Que c'est la troupe qui compte. C'est très dur, je te jure. Je savais profondément que j'avais ça à faire» (Ludmilla in Forget, 2005, manuscrit, partie II, p. 249). Son implication, à différents niveaux au sein de la compagnie, relève d'un tour de force. De 1957 à 1963, il a occupé les fonctions de premier danseur, de chorégraphe attitré et directeur artistique adjoint. Tant de fonctions conjuguées sont pratiquement incompatibles de nos jours, car ne subsiste alors aucun œil extérieur pour aider l'artiste à prendre du . recul par rapport à son interprétation ou ses choix chorégraphiques. Comment Eric Hyrst a-t-il pu concili~r ces différents rôles? Probablement difficilement, selon les témoignages précédents. Sa polyvalence l'aura amené à beaucoup diversifier ses occupations sans s'assurer de conserver des standards de qualité suffisamment élevés. Sans compter qu'il assume, avec Mme Chiriaeff, la transition d'un produit de télévision à la réalité de la scène. Ce nouveau rapport peut susciter des ajustements subtils et insoupçonnés. Un critique 24 fait certains liens lors du spectacle à la Comédie Canadienne le 4 mai 1962 : Je dirais qu'il y faut une pratique assidue de la scène, pour que le spectacle ne nous paraisse pas autant découpé pour des angles de caméra, pour que disparaisse ces brisures constantes dans l'envol, cet abus des poursuites, des personnages courant pour sortir et pour entrer ou pour se joindre les uns les autres. Il aura dansé et chorégraphié tout au long du périple télévisuel (1954-1957). Ses compétences de danseur et de chorégraphe auront contribué au travail d'organisation d'un répertoire d'une jeune compagnie désireuse de se faire un nom basé sur l'excellence et le professionnalisme et ce, pendant cinq ans. Il aura aussi pallié à certaines connaissances professionnelles déficientes de Mme Chiriaeff, dont le rôle est celui de directrice artistique. 24 Références introuvables. 94 Son ambition artistique Eric Hyrst et Mme Chiriaeff se partagent la presque totalité de la création du répertoire25 • D'une part, nous pouvons présumer qu'ils partagent une certaine vision commune de ce qui doit le composer. Il est assurément attaché au répertoire classique et croit à sa valeur pour la crédibilité d'une compagnie. Il accepte, dans ce contexte, de remonter un grand nombre d'oeuvres. D'autre part, ses choix musicaux en accompagnement de ses créations chorégraphiques originales demeurent assez conservateurs. Sur neuf œuvres originales, cinq sont créées sur de la musique de Tchaïkovski, sept en tout ~ur la musique classique et deux sur de la musique de création originale québécoise. Un tel constat n'indique pas nécessairement que la structure chorégraphique est traditionnelle même si le vocabulaire utilisé demeure celui du ballet. Eric Hyrst fait, avec chacune de ses chorégraphies, des essais de style. . . Lors des débuts des OBC à la Comédie Canadienne le 18 avril 1959, Jean Vallerand donne une bonne idée des orientations diversifiées de ses chorégraphies: Labyrinthe de Eric Hyrst sur la musique de Roméo et Juliette de Tchaïkovsky est un véritable défi dont le chorégraphe triomphe avec beaucoup de prestance. Refaire une chorégraphie nouvelle sur cette musique n'est pas tâche aisée; Eric Hyrst a réussi une chorégraphie captivante, hallucinante parfois, .intéressante toujours, par son expressionnisme qui n'est pas sans rappeler de temps à autrecertains ballets de la défunte compagnie de Kurt Joss. [ ... ] Sea Gallows également de Eric Hyrst sur une musique originale de Michel Perreault m'a franchement déplu par son allure mélodramatique et sa forme artificielle, quoique les pas de deux superbement dansés par Milenka Niederlova et Brydon Paige soient des pages en elle-mêmes valables. Première . Classique encore de Eric Hyrst, sur de la musique de Tchaïkovsky est une œuyre moins ambitieuse mais mieux ordonnée. Dans un style d'école souplement élaboré, Première Classique est un charmant divertissement qui permet à toute la, compagnie de manifester tous les aspects de ses moyens. La diversité des styles correspond à une profondeur de la pensée artistique. Malgré ce qu'en dit Ted Shawn: « The bastard Bolshoi Hyrst has introduced26 . » il ne se confine pas 25 Brydon Paige enrichira le répertoire de 3 chorégraphies à cette époque: Bérubé (1960), Les Folies Françaises (1960) et Medea (1962) (Officer, 1980). 26 Cette citation est tirée d'une lettre de Ted Shawn adressée à Edward.Caton le 29 mars 1961 (Forget, 2005, manuscrit, partie II, p. 216). . 95 à une seule façon d'aborder le travail de chorégraphe. Il se permet des explorations à des degrés différents: ballets narratifs, expressionnistes, académiques. Il se préoccupe aussi de mettre en valeur les danseurs de la compagnie dans ses chorégraphies. Avec Mme Chiriaeff, ils couvrent la diversité du répertoire possible, de la Commedia dell'arte à des essais dans un sens plus contemporain27 • Sa préoccupation est principalement esthétique. Se sent-il investi d'une mission? Rien n'est moins sûr. Cela dit, son implication de dix ans auprès de Ludmilla Çhiriaeff aura permis à doter la compagnie d'un répertoire, à léguer aux danseurs un niveau technique crédible et à réussir avec succès le difficile passage de la troupe, de la caméra à la scène. Des passages furtifs Il est nécessaire de procéder à une énumération des personnes dont la participation a été éphémère à titre de maîtres de ballet, durant la période de 1961 à 1964. Cet encart permet de faire certains raccords chronologiques, de comprendre l'évolution et les progrès techniques progressifs des membres de la compagnie et de constater que certains essais d'engagements ont été infructueux même s'ils semblaient prometteurs au départ. Leur passage permet d'apprécier la démarche de Ludmilla Chiriaeff pour améliorer les possibilités techniques des danseurs et son désir d'associer des noms prestigieux aux GBC de même que mesurer certaines de ses actions. Il s'agit ici de comprendre l'impact de ces maîtres de ballet sur un changement de cap de Mme Chiriaeff. En principe, le maître de ballet doit posséder de grandes connaissances de l'enseignement du ballet et s'assurer du niveau d'excellence de l'exécution lors des répétitions et des spectacles. Il-enseigne à la_ compagnie la -classe quotidienne d'entraînement. Ludmilla Chiriaeff n'est pas sans savoir qu'elle n'a pas la compétence pour former des danseurs d'un niveau de calibre national et international bien qu'elle soit considérée comme une excellente pédagogue. Elle s'entoure de ceux dont l'expertise ou du moins une carrière d'envergure suffisamment crédible peut améliorer le calibre des artistes et permettre de rejoindre certains standards dans le but d'améliorer l'image de la compagnie, sans perdre de vue les qualités de pédagogue des candidats. 27 11 faut souligner que George· Balanchine était considéré le père du néo-~lassique, genre de minirévolution du ballet à l'époque. Nous savons maintenant que Hyrst a travaillé avec lui. 96 Il est plausible aussi de penser qu'elle a procédé à l'engagement de nouvelles personnes pour pouvoir consacrer du temps à l'organisation de sa compagnie. Voir à l'enseignement des classes techniques et aux répétitions mobilisait une grande partie du temps dans une seule journée. N'oublions pas qu'elle s'occupe aussi d'une école. Même si Eric Hyrst pouvait l'aider dans ce travail, il danse encore à cette époque. Il ne peut être un œil extérieur et danser tout à la fois. La venue d'un maître de ballet décharge Mme Chiriaeff d'une grande partie du temps à consacrer à une présence artistique en studio. Nicolas Zvereff a été maître de ballet pour la saison 1957-1958. Son parcours professionnel est éloquent mais surtout, ila été premier danseur pour les Ballets Russes de Diaghilev durant la saison de 1912-1913 (l'Alma Mater de Mme Chiriaeff). Sa courte biographie dans le programme souvenir de la saison 1957-1958, montre qu'il a occupé plusieurs fonctions de prestige depuis son passage aux Ballets Russes. Entre autres activités professionnelles, il réorganise la compagnie des Ballets de Monte-Carlo (4 ans) puis, y demeure comme maître de ballet (5 ans). Rien dans les journaux n'annonce ni sa venue ni son départ ; il n'a pas non plus chorégraphié au sein des GBC bien que sa biographie l'ait identifié comme créateur pour diverses compagnies. Brydon Paige se rappelle qu'il était déjà vieux à son arrivée à la compagnie. La saison 1958-1959 et le début de la saison de 1959 suit son cours sans maître de ballet. Ce vide est comblé en février 1960. Edward Caton occupe la fonction de janvier 196028 au printemps 1962, le temps de monter deux mises en scène: celle du ballet la Fille mal gardée puis une autre appelée Mémoires de Camille, chorégraphiée par Ludmilla Chiriaeff. Lui aussi a travaillé avec les Ballets Russes de Monte-Carlo et il a une vaste expérience du répertoire américain. Bien que le programme le présente comme maître de ballet et chorégraphe invité, nous ne lui connaissons aucune création chorégraphique originale si ce n'est la création de Grand pas de deux classique. Il est connu pour avoir des excès de colère: « Il hurlait. C'était tout un numéro. Un jour il avait envoyé balader une chaise plutôt que de sortir de la classe29 • »11 n'est pas d'un tempérament facile mais il est en mesure de servir les intérêts de Mme Chiriaeff. L'intention de cette dernière est de 28 On annonce sa.venue prochaine et il e;t indiqué qu'il s'occupera des répétitions d'une grande tournée au Canada et aux États-Unis sous les auspices de la Columbia Artists Management (Maitre, 1960). 29 Tiré d'une rencontre entre des anciennes élèves réunies pour parler de leurs souvenirs de leur époque au début des activités de l'école. Il n'y a pas de précision d'auteur (Forget, 2006, p. 298). 97 le nommer responsable de la formation de danse au sein d'un projet de département de ballet au sein des conservatoires (ce projet ne verra jamais le jour) parce qu'il méthode russe 30 . e~t de la La saison de 1962-1963 est assumée par Nina Sulima. Nous n'avons aucune note biographique dans le programme souvenir de la compagnie et elle n'apparait pas dans le bilan des vingt premières années des GBC 31 • M. Paige (2005) se rappelle d'une personne extrêmement gentille, effrayée de donner des corrections aux danseurs. Elle ne savait pas s'imposer. Pourrait-on affirmer que le niveau d'excellence des danseurs n'était pas stimulant pour les nouveaux venus ? Leur façon de faire est-elle différente de ce que voulait instaurer Ludmilla Chiriaeff? Est-ce leur manque de dynamisme et d'implication au sein de la compagnie? Est-ce que, à cette époque, le prestige compte plus pour elle que les qualités de pédagogue ou l'inverse? Ce qui est récurrent, c'est l'allégeance de toutes ces personnes à la méthode russe, à l'esprit russe et leur crédibilité de professionnel en danse à un niveau international. Nous constatons encore l'attachement et la croyance de Mme Chiriaeff à la méthode russe et à ses vertus. Ce ne fut pas suffisant pour que ces maîtres s'investissent à long terme, mais nous n'avons aucune piste pour déterminer la raison de leur courte apparition. Nous pouvons, en revanche, constater que la carrière passée des maîtres de ballet est un critère important aux yeux de Ludmilla pour donner de la crédibilité à la troupe. Leur place dans le programme souvenir permet de saisir l'importance qu'elle veut leur donner, misant sur le prestige de leur carrière. Malgré tout, le bon candidat n'est pas encore trouvé. Mme Chiriaeff saisit bien l'importance d'entreprendre une démarche de recrutement pour un nouveau maître de ballet en vue d'assurer une certaine cohésion à sa compagnie. Certains commentaires de l'époque ne trompent pas, surtout quand ils sont formulés par des spécialistes de la danse. Après une critique détaillée et constructive de la compagnie, Ralph Hicklin déclare: « What they lack is - if 1 may borrow a nasty word - an image. Lettre adressée au Secrétaire du conservatoire de la province de Québec, Jean Vallerand, le 24 septembre 1960 (Idem, p. 354). e 31 Programme souvenir du 20 anniversaire paru en mars 1978 sous forme d'un magazine dans lequel sont mentionnés minutieusement chacun des maîtres de ballet. 30 98 Long hours of working together, developing in concert a discipline to equal their ebullience, might transform them miraculously. » (1962). Août 1963 annonce en grandes pompes l'arrivée de Daniel Seillier. Les journaux font grand cas de sa formation à l'Opéra de Paris et de sa participation comme danseur et maître de ballet de la compagnie du Marquis de Cuevas (Basile, août 1963). L'entrevue rapportée dans Le Devoir par Basile est révélatrice des convictions du professeur: Nous demandons à Daniel Seillier quelles sont pour lui les grande sécoles de ballet actuellement existant dans le monde. « Il y a le Bolshoï, l'Opéra de Paris, le Sadler's Wells de Londres. » [ ... ] Comment envisagez-vous de diriger vos classes? « Je suis partisan convaincude la formation classique parce qu'elle peut mener à tout.» Comment trouvez-vous les éléments sur qui vous allez régner ? « Certainement très intéressants." .Mais je n'ai commencé que ce matin. » (Idem) « Hors des grandes écoles, point de salut! », pourrait-il affirmer. Il est peu probable, à la lumière de ses déclarations qu'il n'a pas vu la compagnie avant son premier matin d'enseignement. Même si son affirmation est sincère, il est difficile de croire qu'il n'ait pas déjà une idée du niveau technique de la compagnie après une seule classe. En revanche, il se dit ravi de : « rencontrer une troupe à la fois aussi jeune, aussi disciplinée et aussi animée d'un même amour du métier ... » (Gin gras, août 1963). Homme d'expérience, il a probablement déjà posé un diagnostic sur les danseurs et se donne le temps d'évaluer l'étendue possible de sa contribution. Il commence avec enthousiasme: « Je suis sûr que nous allons faire du très bon travail ensemble. Je suis engagé pour un an maisj'espère bien y rester plus longtemps» (Idem). À l'époque, les danseurs de la compagnie des GBC sont loin de rencontrer les standards internationaux. Est-il déçu? S'ajuste-t-il ou pas au niveau technique des danseurs? Y -a-til une différence de vue entre la direction artistique et le nouveau maître de ballet? Dès la saison 1964-1965, il ne possède plus le titre de maître de ballet dans le programme mais de professeur de ballet. Il y apparaît aussi comme danseur invité. Dans sa courte biographie, on passe sous silence qu'il ait été maître de ballet de la compagnie. Cette observation semble appuyer à première vue l'affirmation de Lorrain (1973) à l'effet que l'association est difficile et malheureuse avec Ludmilla: « Seillier ne voyait le ballet 99 qu'à travers le souvenir de son maître vénéré (Gustave Ricaud) et des méthodes de l'Opéra de Paris, ne pouvant s'entendre avec une pionnière aimant les traditions mais s'en écartant volontiers pour servir les nécessités de son œuvre de défricheur» (p. 95). Selon leur corresporidance, la relation avec Mme Chiriaeff est plutôt conviviale. Dans une lettre datée du 23 mars 1964 (FALC), elle parle de problèmes « passés et futurs» à régler, constate qu'il a eu une première saison difficile à cause d'un nouveau milieu, d'une nouvelle langue de travail et de conditions de travail nouvelles. De plus, elle mentionne· plusieurs éléments de changement aussi pour elle, en regard de l'entrée d'un grand nombre de nouveaux danseurs dans la compagnie. Elle n'est ni alarmiste, ni acrimonieuse. 32 Certains danseurs apprécient l'enseignement de Daniel Seillier , d'autres non. Ceux qui l'apprécient moins demandent à Mme Chiriaeff d'intervenir auprès du maître de ballet pour modifier ses classes. Dans une lettre du 15 janvier 1964, Ludmi lia « fait la commission des danseurs. » Ils demandent à M. Seillier de « changer les exercices à la barre plus fréquemment» et de « donner au centre des enchaînements à un rythme plus lent» (FALC). Une différence de vue va aussi envenimer la relation avec le nouveau chorégraphe invité à créer Casse-Noisette :M. Nault. Mme Chiriaeff mentionne à Daniel Seillier que le créateur refuse la participation du professeur comme danseur dans le ballet, s'il maintient l'idée de danser sa propre chorégraphie. Mme Chiriâeff donne raison au nouveau chorégraphe (lettre du 27 novembre 1964, FALC) et M. Seillier se retire de la production. Bref, plusieurs éléments créent des irritants de part et d'autre. Forget (2006), suite à une entrevue avec Daniel Seillier (16 mai 2003), affirme que c'est suite à un conflit avec Uriel Luft (le directeur général de l'époque) qu'il quitte. Elle le cite: Ça marchait très bien sauf que je ne m'entendais pas avec Uriel. J'avais quelques accrochages avec lui. Il se mêlait de choses pour lesquelles il n'était pas doué. Je n'étais pas d'accord. Il m'a demandé de partir. J'ai quitté Ludmilla parce que je ne m'entendais pas avec Uriel. (p. 386) 32 Warren (2005) confirme les grandes qualités de pédagogue de Daniel Seillier. En revanche, il confirme aussi que <;les divergences de vue teintaient les relations entre lui et Ludmilla bien qu'il ne sache pas pourquoi. 100 . En 1965, Daniel Seillier devient professeur à l'École du BNe33 où il bénéficiera d'une longue et fructueuse carrière d'enseignant. En 1964, deux importants piliers danseurs de la compagnie Milenka Niederlova et Brydon Paige se retirent de la scène et assument la fonction de maître de ballet. Ils prennent la place d'un homme en principe affublé d'une carrière plus prestigieuse que la leur. Mme Chiriaeff semble avoir tiré leçon de ses divers essais d'embauche sur la base d'une carrière prestigieuse. Elle décide maintenant de miser sur la continuité, la fidélité des anciens, un certain esprit familial et une implication basée sur la connaissance interne du milieu. La nouvelle orientation permet à Ludmilla de constater que le prestige des différents maîtres de ballet ne remplace pas la convergence de vue et le désir de construire une compagnie, reflet de son temps. En 1964, la compagnie ajoute un nouveau titre de collaborateur à sa structure: celui de conseiller artistique. Anton Dolin recale la place du rôle de maître de ballet dans son ordre d'importance dans le programme. Dorénavant, le nouveau nom affilié à la compagnie éclipsera tous les anciens et dans l'ombre, s'activeront fidèlement les maîtres de ballee4 • ANTON DOLIN (1904-1983) Sa personnalité Anton Dolin a marqué le milieu du ballet durant le XX e siècle par sa carrière mais aussi par sa personnalité. Un de ses biographes mentionne que: « who ever met him seerns to have a story reflecting his larger-than-life personality »(Abravanel, 2003). Il a été un homme passionné par la danse sous plusieurs facettes. L'écriture de livres sur différents sujets relatifs à sa discipline montre qu'il est un esprit curieux et préoccupé par la transmission des connaissances liées à la préservation de la mémoire. Il est généreux, toujours prêt à aider de jeunes compagnies ou de jeunes danseurs talentueux: « In later life his generosity and kindness earned him to love of rtew generations of dancers, until 33 Programme souvenir du BNe, saison 1965-1966. 34 Une recherche à partir des programmes souvenirs permet d'affirmer que la tendance se perpétue durant les vingt ans que nous couvrons. 101 his death ... » (Idem). Son tempérament est plutôt jovial avec un sens de l'humour porté à l'auto-dérision. Retiré depuis longtemps comme intreprète, il acceptera de jouer le rôle de Drosselmeyer dans la nouvelle production de Casse-Noisette des GBC à l'âge de 60 ans avec beaucoup de simplicité, de plaisir bon':enfant et un savant dosage de mystère et de tendresse dans l'élaboration de son personnage: «This production is lucky to have so ideal Drosselmeyer as Anton Dolin. Mr. Dolin managed ail the eccentricities without ever appearing grotesque and he seemed the kind of grown-up who would attract children immediatell 5» (Johnson, 1964). Pince-sans rire, il confiera à Basile (12 déc. 1964) :« Il ne faut jamais danser avec des enfants· ou avec des chiens car ils accaparent tout le succès.» De nature généreuse, il aura créé toute sa vie des compagnies, aidé d'autres à s'implanter et fait bénéficier tous et chacun de ses connaissances. Durant ses séjours à Montréal de 1964 à 1967, il accepte de donner une conférence-démonstration au YMCA et YWCA de Snowdon. Il discute de différènts aspects de la danse avec le public, il exécute des mouvements pour illustrer son propos et présente lors de cette conférence une vision de la danse qualifiée de « progressiste» (The Montréal Star, 1964). Il in~pire le respect et se préserite sans affectation36 . Il dit ce qu'il pense avec simplicité souvent avec une pointe d'humour sans complaisance: « We need flamboyant dancers. Flamboyant dancers mean something to the theatre. 1 was pretty flamboyant myself, 1 believe» (HelIer, 1964). Il est conscient de son statut (il a été anobli par la reine en 1981) mais il ne se formalise de rien 37 et n'agit pas par intérêt personnel. Ses choix artistiques sont des coups de cœur et ses actions, des manifestations d'amitié et de respect. Il s'implique quand il aime. Il dira de la compagnie des GBC : «J'aime la façon dont on travaille dans cette compagnie» (Lorrain, 1973, p. 115). Ailleurs:« When 1 am working in a good atmosphere, as here in Montreal, my writing al ways goes weil» (HelIer, 1964). Il adore les enfants. Il ne manque pas d'offrir des cadeaux aux enfants de Ludmilla à l'occasion de Noël. Lettre de Mme Chiriaeff à Dolin, 27 décembre 1965 (Forget 2005, manuscrit partie II, p. 283). 36 Une photo parue dans le Montreal Star datée du vendredi, 6 novembre 1964 le présente en train de régler un ballet avec intérêt. Il ne pose pas pour la caméra. II semble absorbé par ce qu'il· dit aux danseurs. La photo annonce le passage des OBC à la Comédie Canadienne du Il au 15 novembre. Même chose en ce qui concerne une photo incluse dans le programme souvenir de 1964-1965, où il est en train de régler le Pas de Quatre de Perrot. 37 Johnson (1965) mentionne: « ... Mr Dolin with caracteristic mode st y ... ». Cela étant dit, ses relations seront toujours tendues avec Fernand Nault pour des raisons qui datent de leur rencontre à l'ABT (Paige, 2005). 35 102 Ses compétences professionnelles Il est d'origine britannique (par son père) et irlandaise (par sa mère) mais est d'abord formé par des professeurs de l'École russe qui le présentent à Diaghilev. Après la période des Ballets Russes, il va aider son amie et danseuse Ninette de Valois à fonder le Sadler's Wells à Londres avant de créer une compagnie avec Alicia Markova. Le mélange des standards de l'École russe et anglaise dans sa formation lègue une prestance particulière à Anton Dolin. À cheval entre les deux tendances, celle plus fougueuse et intempestive de la danse russe et la rigueur froide et posée du ballet anglais, il aura établi les standards d'excellence pour toute une génération et sera devenu la star masculine à qui l'on veut ressembler avant l'arrivée du transfuge Rudolf Noureev. Historien à ses heures, il a écrit plusieurs ouvrages sur la danse: une biographie d'Olga Spessivtzeva, deux autobiographies pour capturer une époque importante de la danse c'est-à-dire celle des Ballets Russes (Divertissement, 1930), une autre pour cristalliser l'époque anglaise (Pas de deux, 1950) et un livre sur l'art d'être partenaire avec Alicia Markova (Her life and Art, 1953). Son but n'est pas de s'autoproclamer, mais de conserver des traces de ces époques, importantes à ses yeux. En même temps, il reconnaît la difficulté d'écrire: It's the harde st thing in the world to write the real truth in a autobiography. [ ... ] If you praise someone you honestly admire, it's ca lied adulation. If you criticize someone honestly, it's labelledjealousy or meanness.Yes, that's what so hard, telling the truth about others! (HelIer, 1964) . Sa passion de l'écriture sur l'histoire de la danse est complémentaire à son intérêt pour la reconstruction d'œuvres du répertoire romantique. Ses reconstructions les plus célèbres sont celles du Pas de quatre (1963 pour les GBC) et de Giselle (1966, aussi pour les GBC). Les deux œuvres, montées au sein de la compagnie, seront présentées avec grand succès. Il remontera aussi, à la même époque, une de ses rares créations, Variations pour quatre (1957 et 1964 pour les GBC), le pendant pour les hommes du Pas de quatre qu'il présente, lors d'une même soirée de spectacle. Ses connaissances historiques développées grâce à l'écriture et sa propre expérience en tant que danseur et partenaire des grandes ballerines de sa génération lui auront permis de 103 ranimer les ballets de l'époque romantique avec le respect du style mais aussi en insufflant une vivacité et une sensibilité dans l'exécution. Les critiques remarquent: Le moment important de la soirée restait les deux Pas de quatre d'Anton Dolin.[, .. ] Dire qu'ils sont beaux serait peu dire et pourtant suffisant si la beauté .consiste en un équilibre d'une somme particulièrement instable de perfections rassemblées. [ ... ] [En parlant de Variations pour quatre] Volontairement un peu sec, très précis et épouvantablement exigeant pour les interprètes, il restera au répertoire de la danse aussi solide, aussi carré, et pourtant aussi s~nsible qu'une suite de Bach. (Basile, 21 déc. 1964) Il créera une seule œuvre originale durant les quatre années de sa collaboration avec les GBC: Le Cygne de Tuonela (1965). Ce ballet ne laisse rien à commenter dont les critiques ne font aucun cas si ce n'est de mentionner sa présence au programme ou de parler desconditions à négoCier le droit d'utiliser la musique auprès du compositeurOJean Sibelius pour sa réalisation (Johnson, 1965). Son passage aux GBC fut heureux et cela s'explique par plusieurs raisons: complicité dans le choix des méthodes d'entraînement des danseurs (à qui il enseignera), générosité des artistes impliqués au sein de la compagnie, esprit familial de travail, valeurs communes avec Ludmilla sur la façon de développer les interprètes d'une compagnie. Il aime la compagnie et il le dit, sachant pertinemment qu'il la cautionne aux yeux de la communauté de la danse internationale38 • Son ambition artistique Sa collaboration artistique avec les GBC, à l'aube de ses soixante ans, demeure passablement conservatrice. Par contre, sa façon de travailler et de s'investir en danse sur la scène professionnelle démontre un esprit progressiste et ouvert. Sa grande expérience des compagnies, tout au cours du XXe siècle, lùi permet de porter un jugement assez clair de ce qu'il considère adéquat poùr la dynamique et le développement d'une jeune compagnie: « In many companies today you find that new dancers are frustrated. Too often the attitude nowadays is that the individual must be cried down and shut down ail 38 En entrevue, Brydon Paige (2005) mentionne que lors d'une tournée aux États-Unis, il présentait les membres de la compagnie à tous ses contacts américains: mécènes et professionnels de la danse. 104 the time. Mme Chiriaeff develops the individuality of the girls and boys in her company» (Helier, 1964). Il apprécie la vision promulguée par les Ballets Russes. Même si la création n'est pas sa spécialité, il apprécie l'aspect innovateur de l'esprit des GBC, ayant fondé lui-même plusieurs compagnies de ballet importantes. Il comprend, à cette époque, le savant dosage nécessaire entre la p~ésentation des grands classiques et la création originale, gage de santé artistique sur le nouveau ~ontinent. À cheval entre deux cultures à chaque époque de sa vie 39 , il oscille constamment entre la tradition et l'innovation. Il apprécie le travail rigoureux, s'évertue à l'inculquer aux danseurs des GBC, et s'occupe de leur technique. Les critiques de la danse, attachés à la compagnie depuis ses débuts, mentionnent les progrès visibles des danseurs dans leurs articles des années 1964, 1965 et 1966. Claude Gingras de La Presse, titre le 20 décembre 1965 : Les Grands Ballets· Canadiens: des progrès marqués! ; Jean Basile du Devoir commence son article du 14 novembre 1964 en ces termes: « La deuxième soirée des GBC confirme l'impression que j'ai eue lors de la première d'une très nette amélioration de la compagnie tant au niveau de la danse qu'au niveau du répertoire. » En décembre de la même année, il dit: « Il est indubitable que la compagnie des GBC a fait des progrès considérables cette année. » La progression est probablement due à un ensemble de facteurs y compris le passage des autres professeurs et maîtres de ballet précédents, la technique ayant besoin de se mesurer dans le temps. Pourtant, la critique semble reconnaître un regain d'énergie dans la programmation et la performance des danseurs sous son influence. Les GBC sont, pour Anton Dolin, l'occasion de faire profiter de son expérience les jeunes danseurs professionnels désireux d'apprendre. La verve de la compagnie correspond à la nature enthousiaste du maître. Il en est de même de l'impression de Ludmilla à son égard. Elle a apprécié travailler avec lui lors de son passage en 1963 pour montrer le Pas de Quatre (Forget, 2006, p. 380). Sa venue est synchronisée dans le temps à celle de Fernand Nault, celui qu'il avait auditionné vingt ans auparavant (1944) lors de la présence 39 Mentionnons qu'il a participé aux balbutiements de l'American Ballet Theatre durant la Deuxième Guerre Mondiale (Le Moal, 1999, p. 131). 105 du Ballet Theatre (l'ancêtre de l'ABT) à Montréal 40 (Wyman, 1989). Malgré leur conflit de personnalité, Dolin et Nault forment une équipe exceptionnelle. Elle va consolider les assises artistiques de la compagnie durant les années 1960, bien que leur relation professionnelle et ,Personnelle soit difficile. Brydon Paige raconte: B. P. : Anton Dolin est une ·personne formidable. Des fois, il peut être difficile mais avec son expérience ... M. B. : Est-ce qu'il a été difficile? B. P. : Jamais avec moi mais certainement avec Fernand. Je pense que c'est venu de l'époque de l'American Ballet Theatre. M. B. : Ils ne s'entendaient pas nécessairement bien? B. P. : Fernand était encore un danseur pour la compagnie quand Dolin est venu d'Angleterre pour se joindre à la compagnie. Toujours ils se sont opposés. Anton était très exigeant et très précis sur tout ce qu'il voulait. (2005) FERNAND NAULT (1921 - 2006) De toutes les personnes impliquées dans l'histoire des GBC, Fernand Nault est celui qui y aura œuvré le plus longtemps. À l'automne 2003, malgré son âge et la maladie, il assiste aux répétitions pour faire revivre sa version du ballet Casse-Noisette prévu à la programmation de presque toutes les saisons artistiques de la compagnie. Sa contribution est remarquable et sa longévité professionnelle au sein de l'institution témoigne d'un immense respect envers son talent et son investissement, respect auquel n'aura eu droit aucun autre membre. Il a conservé le titre de chorégraphe émérite des GBC de 1990 jusqu'à son décès le 26 décembre 2006. Sa personnalité Fernand Nault (né Boissonneault) consacre entièrement sa vie à la danse. Il s'agit d'une vocation profonde puisque: « Chez nous, il n'y avait pas de musique. On ne connaissait rien de l'art. Ça ne faisait pas partie de la vie. Ma famille n'était pas cultivée, pas·du tout» (Recurt, 1999). Pour un homme de sa génération, issue d'un quartier ouvrier de Montréal (Hochelaga-Maisonneuve) et d'une famille pour laquelle l'art n'a pas de résonance particulière, décider d'embrasser une carrière artistique relève de la passion, de la foi, 40 M. Nault (2005) explique que, lors de cette audition, Rosella Hightower lui avait montré la Mazurka de Coppélia en lui tenant la main car il n'avait aucune idée de ce qu'était un pas de mazurka. 106 d'une volonté aveugle ou des trois caractéristiques en même temps. C'est le cas de M. Nault. Comme il le dit lui-même: « C'était dur, mais j'étais plus que têtu, je ne voyais que ça, je ne pensais qu'à ça, la danse. J'ai tout sacrifié pour elle» (Idem). Tout comme Mme Chiriaeff, sa détermination n'a d'égale que sa passion et il la vit intensément. C'est aussi un être qui a la foi, pratique sa religion et en parle: 1 have always been a deep religious person. Even as a child religion played an important part in my life. [ ... ] 1 came from a devout Catholic home and 1 am still a practising religious person. [ ... ] That early religious atmosphere has stayed with me always and it is very much part of me. (Siskind, juil. 1974) Ses aptitudes particulières de mémorisation (Tembeck in Adams, 2000, p. 432 ; Recurt, 1999 ; Lapointe, 1999, pp. 110-111) ont beaucoup aidé sa carrière à une époque où les appareils d'enregistrement vidéo n'existent pas. Sa mémoire phénoménale et sa fougue expressive le distinguent et le font engager par Anton Dolin pour prendre la place d'un danseur à pied levé, Todd Bolender, (Tembeck in Adams, 2000, p. 432) qui s'est blessé lors d'une tournée de l'ABT à Montréal en 1944. Grâce à sa mémoire, il gravit rapidement les échelons de la hiérarchie de la compagnie pour devenir maître de ballet à une époque où il peut encore danser sur scène. Lorrain (1973) dit: « .. .il mémorisait également les œuvres entières, c'est-à-dire chacun des rôles, même ceux du corps de ballet, et chaque détail, chaque nuance de la mise en scène» (p. 124). Mme Chiriaeff en parle comme d'un homme patient ; il ne perd jamais contrôle de ses émotions et possède une force de travail exceptionnelle (Basile, déc. 1964). Le journaliste témoigne aus'si en ce sens: « Après une heure dé musique à trois temps durant laquelle Fernand Nault s'est levé vingt fois pour corriger une épaule, un pied, un cou, courant ici et là, se pliant, se levant sans qu'il montre le moindre signe de fatigue ou d'énervement, ... » (Idem). Ces deux qualités lui permettront de produire de longues œuvres 41 et de s'intéresser à l'enseignement qui demande entre autres une qualité principale: la patience. C'est une activité dont il s'acquittera à l'ABT (de 1960 à 1964), puis à l'École supérieure de danse du Québec (ESDQ) pendant plusieurs années. 41 En entrevue, M. Nault (2005) confirme que les longues et grandes œuvres musicales sont celles qui l'intéressent davantage. 107 Sa force de caractère, sa personnalité entière et la profondeur de son investissement dans la discipline de la danse auront été des atouts certains pour construire sa carrière et faire des choix judicieux et sensibles pour la destinée et la popularité des GBC. En tenant compte de ses convictions,de son intuition à créer en conformité avec ses aspirations et ses goûts artistiques et une certaine perméabilité à la critique, il se sera avéré un artiste de grande envergure: Monsieur Nault, jeune, dansait ,avec vérité et modération dans l'ivresse même, Monsieur Nault, créateur, chorégraphie avec authenticité et retenue. Son immense expérience lui a appris qu'à ses premières le spectateur et le critique l'attendent de pied ferme; lui s'efface plutôt, se retire même et attend que le temps lui amène l'un et l'autre. Monsieur Nault est un artiste digne. Son âme, que j'ai souvent réclamée entière, sans voiles, sans pudeur au besoin, dans ses créations nous fut peut-être livrée depuis longtemps à notre insu: une âme sereine et saine, qui ne méprise pas l'usage, l'habitude, mais les écarte avec égard, tendresse, piété même, les invitant, avec respect, à faire place au nécessaire changement. (Lorrain, 1973, p. 21442) Sa personnalité passionnée le destine à produire des fresques chorégraphiques. Pendant dix ans, il va créer les œuvres qui vont marquer le paysage québécois de la danse, influencer ses successeurs et amener toute une génération de jeunes hommes au ballet. Il aura été le chorégraphe-phare de la compagnie des GBe pendant quinze ans avec 28 œuvres originales (Tembeck in Adams, 2000, p. 432). Nous ferons le point sur cette affirmation dans le chapitre V, où nous parlerons des œuvres marquantes de la compagnie. Ses compétences professionnelles Jeune canadien-français, adolescent à l'époque de l'entre-deux-guerre, il fait ses premiers pas de danse au studio Lacasse-Morenoff où l'on enseigne plusieurs genres de danse. Maurice Lacasse est autodidacte et artiste de vaudeville (Tembeck, 1991 p. 27). Il donne des bases plutôt intuitives et rudimentairès de ballet. En revanche, il permet à ses étudiants de se confronter à une expérience de scène exceptionnelle grâce à ses spectacles 42 Le témoignage de Roland Lorrain est éloquent d'autant plus qu'il est de la même génération que M. Nault, qu'il a eu une carrière européenne et connaît bien la réalité d'un métier artistique pour un homme de cette génération. 108 annuels. Il fait aussi participer certains d'entre-eux aux mises en scène qu'il monte dans le cadre des opérettes, spectacles des Variétés Lyriques au Monument National (Tembeck in Adams, 2000, p. 431). L'expérience américaine donne à M. Nault une formation de ballet en accéléré de haut niveau à un âge où il devrait être déjà accompli. Son engagement professionnel soudain lui permet de mettre les bouchées doubles pour parfaire sa formation. Ainsi, il sera un danseur de caractère (Taylor-Corbett, 1987), pressenti pour les rôles de composition du répertoire classique comme Hilarion dans Giselle ou la Mère Simonne de la Fille Ma] Gardée. Il a du temps à reprendre et il le sait. La vie à l'ABT lui permet de côtoyer Rudolph Noureev, Melissa Hayden, George Balanchine, Igor Stravinsky. New York J'invite à s'ouvrir à d'autres genres (Matt Mattox; jazz) et à parfaire sa formation de danseur de ballet et d'enseignant auprès de grands maîtres considérés excellents pédagogues, tels: Valentina Preyasvelec et Pierre Vladimiroff. Il voyage à Paris et à Londres où il prendra des cours avec des professeurs prestigieux en plus de s'abreuver à la richesse culturelle des grandes métropoles. Sa passion de la danse l'incite à se cultiver. Il possède une connaissance chorégraphique immense et, s'informe de toutes les tendances artistiques nouvelles. Ses années newyorkaises lui donnent la chance de se rendre en URSS pour donner des classes dans les écoles du Bolshoï et du Kirov. Sa curiosité, sa mémoire et sa polyvalence lui permettent de développer un registre large de mouvements possibles et de styles variés: « ... allant du classique au néo-classique, en passant par le contemporain et la danse théâtrale» (Recurt, 1999). Sa qualité artistique et son talent vont lui donner une réputation d'une certaine envergure internationale. Il va travailler avec plusieurs compagnies américaines: le Colorado Concert Ballet, le Joffrey Ballet, le Harkness Ballet, le Louiseville Ballet, le Kentuky Opera Company, le Maryland Ballet; l'Atlanta Ballet (Lapointe, 1999, p. 118). Il créera aussi pour des compagnies étrangères: le Ballet Federation of the Phillipines et il reprendra Carmina Burana à Séoul en Corée pour le Ballet national du pays. 109 Son ambition artistique Tout comme son collègue Anton Dolin, Fernand Nault navigue entre la rigueur de la danse classique avec le respect de ses références esthétiques et une celtaine modernité de l'architecture chorégraphique. À son arrivée à Montréal en 1964, pour monter son ballet Casse-Noisette, il dit: « Je suis un danseur de formation classique et mon "CasseNoisette" sera un grand ballet classique dans toute l'acception du terme» (Basile, 12 déc. 1964). Toujours dans le même article, le journaliste mentionne qu'il (Nault) se réfère aux compagnies très traditionnelles pour exprimer ses préférences en termes d'excellence: « ... il finit par avouer qu'il aime beaucoup les corps de ballet anglais ... et danois. » Cela . dit, il annonce plus loin son intérêt pour concevoir sa version de Carmina Burana à Montréal un jour, ballet déjà créé pour la compagnie du Kentucky Opera Company. Durant sa carrière, il va aborder des thèmes religieux à plusieurs reprises (Cérémonie, Symphonie de Psaumes, Cantique des Cantiques) jouer avec des genres de danse différents: Tommy, Hip and Straight; remonter des œuvres du répertoire classique: Casse-Noisette, Les Sylphides, Divertissement Glazounov, la Fille mal gardée. Il aborde un thème québécois à une seule fois, La Scouine, peu intéressé, selon ses dires, par ce type d'œuvre (Nault, 2005). L'avantage de maîtriser la technique du ballet tient au fait qu'elle ouvre des possibilités infinies pour l'artiste-danseur. Il la considère essentielle pour accomplir ses desseins chorégraphiques : « Si vous voulez jouer du Stravinsky, il faut jouer du Mozart pour commencer» (Recurt, 1999). En revanche, il déplore que la technique supplante parfois l'expression (Idem). Son intérêt pour la qualité de la formation du danseur se conjugue à celle qu'il entretient pour l'émotion et la sensibilité dans ses créations: « ln my ballets 1 am never interested in steps as such, it is the communication of an emotion that is important to me » (Siskind, juil. 1974). Pour Nault, la passion fait la différence entre un bon danseur et un danseur ordinaire: « Ce qu'il y de beau chez un artiste, c'est qu'il donne de lui-même, qu'il est généreux» (Recurt, 1999). Fernand Nault a beaucoup de respect pour les artistes avec lesquels il travaille. Il les défend au besoin et leur témoigne une très profonde gratitude pour l'investissement généreux dont ils font preuve pour rendre l'esprit de ses œuvres. Au sujet des critiques 110 mitigées de Tommy que la compagnie a essuyées à Paris en 1974, Nault déclare: «... the company fell in behind the work and really out did themselves in their anxiety to make it work. They danced harder and more dedicatedly than 1 have ever seen them before. They were ail really wonderful 43 ! » (Siskind, juil. 1974). Son travail tente de les mettre en valeur, mais jamais au détriment de son projet chorégraphique. Il ajuste aussi le vocabulaire à la vigueur de l'interprète seulement si ces. modifications ne sacrifient pas la force de son œuvre: M. B.: Est-ce qu'on pourrait dire que les danseurs ont de l'importance dans votre travail de création? Est-ce que vous faites la chorégraphie pour eux? F. N. : J'en tiens plus ou moins compte. C'est plus le danseur qui doit s'ajuster à la gestuelle choisie pour le ballet. C'est une collaborationaussL Je regarde la capacité des danseurs et je m'en inspire pour créer la chorégraphie. (Nault, 2005) Il assume sa responsabilité de générateur du potentiel artistique des danseurs. Il explique sa vision du travail de collaboration entre l'interprète et le chorégraphe dans un texte composé pour le programme souvenir du lOe anniversaire de la compagnie (1958-1968) : L'Éternel problème, c'est d'imprégner tous les participants de l'esprit du sujet. Il faut mettre les danseurs dans leur élément le plus personnel, modeler chacun au personnage qui lui convient le mieux et lui permettre de donner une âme à son rôle et de le vivre sur scène. Avoir de la technique n'est pas tout; il faut émouvoir les danseurs spirituellement, afin qu'à leur tout ils émeuvent le public. Gestes, expressions, mouvements, tout doit jaillir du sentiment intérieur ; c'est ce qui permet à une œuvre d'être vivante. La critique journalistique fait ressortir l'essence de ses chorégraphies et démontre certaines de leurs caractéristiques. Sans accorder du génie à M. Nault, Gingras (nov. 1972) écrit: « .. .il a du métier: il connaît les possibilités expressives du corps et il a un certain sens théâtral. » Ces qualités lui permettent de créer des œuvres cohérentes sous tous leurs aspects. Le propos, la façon de les traiter, le choix des mouvements et l'émotion qu'il en fait se dégager, créent une force dont le spectateur retire un effet de plénitude et de finitude: l'ensemble est harmonieux. Toujours Gingras (12 nov. 1966), lors de l'ouverture de la saison de 1966-1967 avec Carmina Burana témoigne: « TrÇlducteur, il a 43 Pourtant, M. Nault quittera la co-direction artistique en même temps que Mme Chiriaeff en 1974 parce qu'il ne peut plus supporter les caprices des danseurs. Au-delà de sa déception, il protège leur réputation auprès des journalistes. 111 décidé de l'être intégralement et nous ne pouvons lui reprocher son exactitude. » Au sujetdu même ballet, Basile (nov. 1966) énonce: Fernand Nault a opté pour l'intériorité. Rien qui ne soit superflu, rien qui ne soit en moins. À partir d'un vocabulaire assez simple; dans lequel ne figurent plus ni les pointes ni les harnachements habituels des danseurs et ballerines, il a su dessiner mieu.x qu'un ballet, l'âme d'un ballèt. Pourtant tout y est, de la douceur à la violence mais comme si c'était le sentiment pur que l'on voyait. Mais on lit son dessein avec facilité. Fernand Nault est trop intelligent pour tomber dans l'abstraction. Au sujet de Suite Glazounov, Johnson (1966) explique: The varions dances are very weil balanced. Mr Nault has succeeded in moving easiJy from rousing character dances in Hungarian czardas style to straight classical ballet without any . sense of incongruity. The small corps de ballet danced with classical elan and the classical solo variations maintained the link with the folk-dance theme. Sa principale qualité de créateur semble être sa capacité à construire des œuvres cohérentes et aussi à lier la musique et la danse parfaitement; à imager les intensités musicales: « Nault does often achieve a ritual effect that is totally appropriate for the music» (Heller, mai 1971). M. Nault affirme que c'est d'abord la musique qui le motive à créer une nouvelle chorégraphie (Nault, 2005). Il aborde une nouvelle œuvre seulement quand il se sent à l'aise pour traiter son sujet (Gingras, 1970) et généralement la teste lors des ateliers chorégraphiques libres de la compagnie, présentés devant public, dans une petite salle, sans prix d'entrée44 • Il ne laisse rien au hasard et ne se contente pas de la mener à terme ; il en vérifie tous les aspects pour garantir la cohésion des éléments du spectacle et s'assure de son évolution dans le temps. Pour lui, l'œuvre n'est jamais terminée. La revue de presse des critiques de danse qui commentent les spectacles des GBC, années après années, fait état de plusieurs présences aux mêmes ballets à plusieurs reprises. Les journalistes témoignent de la propension de M. Nault à modifier ses ballets d'une fois à l'autre: « Since it's premiere Mr. Nault has made several alterations in the mime and dance, particularly in the very Goliard Tavern 44 En entrevue, M. Nault (2005) affirme que ce n'est que par pure coïncidence. Cela dit, nous avons pu remarquer par l'étude des comptes rendus journalistiques qu'il présente ses nouvelles œuvres d'abord aux ateliers chorégraphiques. .J 112 section, [Carmina Burana] which allows the boys to glve a much stronger and more accurate reflections of the words and music» (Johnson, 1968). L'investissement de Ludmilla Chiriaeff en la personne de Fernand Nault a été judicieux. Consciente de la valeur de sa recrue, elle va progressivement s'effacer pour lui laisser· occuper toute la place à la direction artistique. Mais elle garde le titre officiellement. Elle tient à préserver un droit de veto sur le produit artistique, mais délègue les pouvoirs de création à M. Nault et par la suite, à Brian Macdonald, chorégraphe canadien renommé. À la même époque, Sir Anton Dolin s'occupe des reconstructions. Nault (in Recurt, 1999) affirme: « Elle était tellement visionnaire, elle voyait que je menais la compagnie vers quelque chose qu'elle n'avait pas encore touché, mais elle me laissait aller. » Ils auront - connu dix ans d'une entente artistique parfaite. Rien ne filtre à propos d'éventuels différends. En 1974, ils s'effacent tous les deux, devant le nouveau directeur artistique détenteur maintenant des pouvoirs de l'Hydre à deux têtes: Brian Macdonald. BRIAN MACDONALD (1928- ) Sa personnalité Canadien et montréalais d'origine, Brian Macdonald possède une personnalité qUI ne laisse personne indifférent. Du haut de ses six pieds trois pouces, il dégage une impression de majesté et séduit, à première vue, ses congénères: « Il a les jambes trop longues, le torse ramassé, une barbe grisonnante avec du côté gauche une fossette, un sourire éclatant et prompt à s'épanouir» (Gélinas, 198Q). Il subjugue son entourage à cause de son énergie électrisante. Selon son propre aveu, il est un hyperactif et l'assume complètement. Ce trait de personnalité a engendré pour lui une. vie de globe-trotter et de touche-à-tout: 1 was born hyper, he grins, leaning back in his chair and raising his glass. « It's not fashionable now ». He shuttles between his houseand apartment and the hospitality rooms of the company he works for with ease,saying his mother gave birth to a bird. (Howe-Beck, 1986) Il est excessif dans tous les aspects de sa contribution à la danse. li est un chorégraphe boulimique, un metteur en scène au théâtre et à l'opéra, passionné par le genre épique et 113 un directeur artistique à la fois intense et absent car il est toujours ailleurs à monter un ballet: « 1 am in and out of anywhere » (Idem). Les années précédant son passage aux GBC et les années subs~quentes sont un tourbillon de nouvelles œuvres, de voyages et d'activités de toutes sortes. Il ne tient pas en place et dirige différentes compagnies à travers le monde en peu de temps. Sa difficulté à poser ses pénates quelque part semble être aussi liée à son incapacité à dire non: Channelling his enormous energy seems one of his biggets problems. He has trouble saying no. « Sometimes you spray it around ... you experiment along a route that hasn't lead anywhere. Vou may be asked to stage a gala ... and you look at it after and say, "Did theworld really need that or didI waste my time?". » (Idem) [l a une grande force de caractère. Natif d'une famille instruite du quartier Hamstead à Montréal, ses parents souhaitent qu'il embrasse la profession d'avocat. Il persiste, malgré tout et s'engage dans une carrière artistique en abandonnant des études universitaires entreprises en histoire et en philosophie à l'Université Mc Gill. Cette décision aura pour conséquence de le déshériter: « The day 1 joined the National Ballet of Canada in 1951, my father changed his will. He died without ever changing it back » (Mclain Stoop, 1984). Il assume malgré tout ce revers et persiste à se donner une formation dans le but d'embrasser une carrière différente de la majorité des garçons de son âge, à l'encontre de la culture familiale. La vie lui aura appris à profiter de chaque minute intensément. Deux événements dramatiques y contribuent. Lors de ses études universitaires, un copain meurt dans ses bras à la suite d'un terrible accident. Quelques années plus tard,' sa première épouse décède dans un accident de voiture, le laissant seul avec leur fils de cinq ans. À partir de ce moment, Brian Macdonald décide de profiter de chaque instant de sa vie avec intensité: « These tragedies helped him recognize the importance of life and he focuses unabashedly on each day with an uncommon zest and strong sense of humour. "It's a very short trip through this world. [ ... ] It is to me a kind of living death" » (Howe-Beck, 1986). 114 Il est reconnu. comme un personnage excessif, exigeant, talentueux à plusieurs égards, capricieux et difficile sur un plan interperson~eI45. Nous avons pu constater précédemment que les personnalités difficiles n'émeuvent pas Mme Chririaeff. Au contraire, elle a une facilité exceptionnelle à s'ajuster aux êtres excessifs et ce trait de personnalité n'altère pas l'admiration qu'elle voue aux artistes de talent, qualité que semble pouvoir offrir Brian Macdonald à sa compagnie. Ses compétences professionnelles Le moment exact du début de ses études en danse est plutôt confus. Certains articles laissent entendre qu'il a commencé à 16 ans, d'autres à 19. Il dit lui-même: « 1 was a huge six-foot-three man by the time 1 began studying dance. 1 wish 1 had started younger» (Mclain Stoop, 1984). II étudie avec des professeurs montréalais de l'époque à l'insu de ses parentS: Gérald Crevier (ballet) et Elisabeth Leese (danse moderne) puis par la suite avec Ludmilla Chiriaeff et Françoise Sullivan (improvisation). Il s'intéresse aussi à la danse jazz: « J'ai été le premier à enseigner le jazz à Montréal dans les années cinquante! J'avais suivi des cours à New York» (Macdonald in Gelinas, 1986). En 1951, il se présente à la première séance de cours d'été de Celia Franca à l'École du BNC. 11 est aussitôt recruté dans la compagnie. Il participe aux activités du BNC pendant deux saisons consécutives. Son parcours diversifié correspond à sa personnalité de touche-à-tout. Il va s'en servir pour composer des œuvres dans des genres divers de danse, des formes d'aft différentes46 et des tendances esthétiques multiples, faisant de lui un artiste atypique: Cette diversité de champ d'action est assez rare, actuellement, dans le monde du spectacle [.. .]. « Passer de la danse au théâtre lyrique et vice vers,a représente pour moi un défi extrêmement stimulant, dit-il. Chaque fois, il me faut adapter mon esprit à un genre tout à fait nouveau. C'eS(un exercice de discipline qui me fascine. Du reste, je me suis rendu compte qu'à bien des points de vue, . monter un ballet ou monter un opéra, une opérette ou un "musical", c'est finalement la même chose: c'est créer une 45 Les entrevues que nous avons menées confirment toutes la relation difficile de Brian Macdonald avec ses congénères. 46 En plus des mises en scènes d'opéra, il s'intéresse à la comédie musicale. Entre autres activités, il sera le chorégraphe et metteur en scène de My fur lady, comédie musicale satirique qui aura un grand succès au Canada anglais en 1957. On se moque de l'identité canadiemie, du débl\t autour de l'adoption du drapeau canadien et les symboles représentant le pays (Cloutier, 2005). ' 115 émotion dans l'espace. Certains mouvements propres au corps de ballet, par exemple, m'inspirent pour les scènes où je me retrouve avec 85 choristes sur le plateau» (Idem) Sa formation polyvalente, en accéléré, est doublée d'une grande curiosité artistique. Critique musical pendant deux ans au quotidien The Montreal Herald, il aura la chance d'assister à plusieurs événements artistiques différents. Son expérience lui permet de développer une appréciation nuancée et un bon sens de l'observation (Cloutier, 2005). Sa mère, musicienne particulièrement douée, lui a transmis l'amour de la musique et lui enseigne le piano, bien que ses parents refusent qu'il étudie la musique sérieusement (Siskind, mai 1973). Son intérêt à chorégraphier est largement supporté par sa passion musicale: « 1 think my life is music. l'd like to say that my life is dance, but 1 think that my life is music» (Mclain Stoop, 1984). Il croit qu'« il faut l'étudier longtemps et à fond. Durant les répétitions de The Lottery à New York,il peut interpeller le chef d'orchestre au beau milieu du Sacre du Printemps de Stravinsky, et dire qu'il faut aller un peu plus lentement de la mesure 146 à 149 » (Brousseau, 25 sept. 1974). Il est destiné à une carrière de chorégraphe tôt dans sa vie. En avril 1953, il est blessé lors d'un spectacle à l'Hôtel Plaza de Montréal. Dun;mt un saut (un grand jeté), il entre en collision avec un spectateur. L'accident mettra fin abruptement à ses aspirations de danseur. Encore très jeune (23 ans) et déjà intéressé à la chorégraphie, il décide de s'y consacrer définitivement 47 . À la même époque, son passage à la télévision comme jeune chorégraphe lui apprend les rudiments de son nouveau métier: « [ ... ] a period 1 look back on with gratitude for the Canadian Broadcasting Company. 1 learned my ci"aft, learned how to do a comedy tango, how to do something to Bach at a moment's notice» (Mclain Stoop, 1984). En 1962, une bourse de création libre (senior award) du CAC lui permet de fréquenter l'école de Martha Graham à New York, le NYCB, le Royal Ballet de Londres, le Kirov de Leningrad, puis le Ballet Royal de Suède (Brousseau, 25 sept. 1974). Il utilise cette 47 Il prendra quand même le temps de retourner à l'Université Mc Gill en 1953 pour obtenir son baccalauréat en littérature anglaise en 1954 (Clouüer, 2005). 116 bourse sur une période de vingt mois, heureux de diversifier ses connaissances dans des milieux et des univers esthétiques complètement différents. La décision de s'investir dans le métier de chorégraphe et de se donner des outils sérieux le propulsent dans une carrière internationale. Il possède une grande culture, jouit d'une bonne dose de créativité, a un sens théâtral aiguisé et ne manque pas de flair dramatique. Ce sont tous des atouts exceptionnels pour un jeune homme avide de faire valoir sa fibre artistique (Crabb in Macpherson, 2000, p. 363). Ce sont ces mêmes caractéristiques que présentaient dix ans plus tôt son prédécesseur, Fernand Nault. Son ambition artistique De l'aveu de plusieurs (Crabb in Macpherson, 2000, p. 363 ; Mclain Stoop, 1984), il est le premier chorégraphe né au Canada à bénéficier d'une renommée internationale d'envergure. Suite à plusieurs créations considérées talentueuses 48 au RWB, il est nommé directeur artistique du Royal Swedish Ballet (1964-1967), du Harkness Ballet (19671968) et du Batsheva Dance Theatre (1971-1972). Outre son implication avec cette dernière compagnie, il crée pour le Ballet Danois, le ballet de l'Opéra de Berlin et le Ballet National de Hollande, dès 1969. Il souligne ses origines dès qu'il le peut, fier d'appartenir à la culture canadienne49 • Pour lui, cette dimension doit pleinement s'accorder à une démarche de créateur et elle doit faire partie d'un processus d'épanouissement artistique. Il. admire les artistes d'origine canadienne et se fera un point d'honneur, sa vie durant, de créer ses chorégraphies avec des collaborateurs originaires de son pays. Pour Brian Macdonald, faire valoir l'art et la créativité canadJennne sont des conditions essentielles à son action artistique. n explique son point de vue: Ça va paraître chauvinisme (sic) de le dire aussi franchement, peut être, mais je crois que la danse doit refléter les corps, les Un succès de 1962, intitulé Pointe Counterpointe rebaptisée plus tard Aimez-vous Bach? chorégraphié pour le RWB gagne l'Étoile d'or de la chorégraphie au Festival international de danse de Paris (HoweBeck,1986; Crabb in Macpherson, 2000, p. 363).' 49 Cette conscience arrive très tôt dans son parcours: ({ l've been crying in the wilderness here because, for a long time, it seemed much easier to import someone else's culture than to make use our own. 1 went through that in the fifties » (Mclain Stoop, 1984). 48 117 énergies, les poètes, les sculpteurs, les peintres - en somme, la vie d'ici. Car plus je travaille à l'étranger, plus je me rends compte que tout ce que je crée doit venir de l'expérience personnelle. Or, je suis né à Montréal, et j'ai passé la plupart des vacances d'été de ma jeunesse à Métis Beach, près de Rivière-du-Loup. Ce que je crée ne doit pas être faux. Cela ne doit pas être désincarné comme ce qui se fait au Royal Ballet de Londres, mais ressembler à ce que l'énergie physique des Américains leur ont permis de créer d'original dans leur propre pays. (Brousseau, 25 sept. 1974). Il met en lumière sa démarche artistique afin de conserver une authenticité personnelle dans son travail. Dix ans plus tard, il l'explique différemment. Il justifie sa décision de créer un produit artistique original en tous points en regard d'un besoin d'identification nationale comme produit culturel exportable: « l'm not an American. l'm not a brit. 1 was born in Montreal and luckily participated in two cultures there. When les GB go to New York or Japan what people want to see is original to our country. They don't want to see American or British ballet» (Mirolla, 1983). Il apprécie les danseurs aux dispositions musicales particulières. S'ils ne possèdent ras naturellement un sens musical, il impose un temps de pause consacré à une séance d'écoute active durant laquelle les danseurs doivent comprendre la structure formelle de la musique: At reharsals he sometimes stops work and forces his people to sit and listent to the score they are moving to - even to the extend of sitting down with a copy of the music and pointing out the visual patterns on the paper to which they are moving. He feels this is a great help to those who are not able to read music, or respond to its colors aurally. (Siskind, mai 1973) Il s'attend à une vivacité d'apprentissage et à une grande capacité d'adaptation à ses expérimentations chorégraphiques: « Macdonald has choreographed this work with three possible endings and the dancers will not know which of the three endings will close a specific performance until they have drawn their lots on stage50 » (Siskind, juil. 1973). Il apprécie et remarque la dévotion au travail des danseurs nord-américains lors du processus de création: l'm very partial to North American dancers and their way of working. Their concentration in rehearsal, their basic musicality, 50 Mentionnons que cette 'stratégie de composition chorégraphique est développée par Merce Cunningham, considéré le fondateur du mouvement post-moderne en danse dans les années 1960. 118 their kind of want and need to dance is so strong. They take each thought, each movement, and contribute enormously of themselves. In Europe, a dancer joins a company at about seventeen and leaves at forty.The attitude is different, not as compelling. Instead of examining movement, they're inclined to accept its superficiality - 'How high can 1 get my leg? How many pirouettes can 1 do?' That's not what dancing is ail about. 1 have such respect for the North American dancers. They're where it's at today. They have an incredible command of different techniques. (McLain Stoop, 1984) Dans de nombreux articles dépouillés, Brian Macdonald s'exprime très peu sur sa relation aux danseurs mais davantage sur ce qu'il attend d'eux. Sauf quand il s'agit de mentionner l'importance de son épouse (Annette av Paul, danseuse) et l'impact de celle-ci sur son inspiration. Il l'a rencontrée au Royal Swedish Ballet alors qu'il occupait le poste de directeur artistique. Sinon, il' parle davantage sur ses nombreuses créations et son rapport à la musique. Brian Macdonald est davantage intéressé par la création que par les grandes œuvres du répertoire classique. Sa passion de la création tient au plaisir d'explorer des genres différents et de mettre en scène la musique: sa muse. L'acte créateur lui permet aussi de pousser plus loin ses limites. Sa plus grande inspiration demeure le peintre Salvador Dali . qu'il est allé rencontrer chez lui. Cette rencontre le touche. Il comprend, auprès du maître, l'importance de ne pas se contenter de reproduire ce que sa notoriété lui permet d'accomplir artistiquement avec succès, mais de toujours chercher à pousser plus loin son art et à être attentif à l'éclosion d'un élan créateur, sans cesse en émergence et renouvelé par les expériences de sa vie. Howe-Beck (1986) dit de lui en référence à cet événement: ... he prefers to make a new ballet rather than remount an old one simply because he exults in the process of making something new. «You're sitting there in what appears to be a stupor but a movement of something is going through your head. Other guys dream of playing golf that way, or making business deals, or inventing a new way to drill oil. Mine happens to be what's going on stage. Son intérêt se concentre sur un thème ou un événement qui donne lieu à un processus inspirant. Comme son esprit est en constante ébullition, le nouveau ballet n'est jamais bien loin. Il est un chorégraphe prolifique dans les années où il s'impliquera aux OBC, que ce soit comme chorégraphe invité, directeur artistique ou chorégraphe en résidence. Il . va imposer à la compagnie un large éventail de styles de danse. Il aborde les thèmes· 119 folkloriques, les baHets néo-classiques et les œuvres dramatiques. Au début des années 1970, il a la réputation de rajeunir le répertoire des compagnies. C'est probablement cet élément qui, en partie, séduira Ludmilla Chiriaeff et l'incitera à le désigner à sa succession. La boulimie artistique de Brian Macdonald ne comporte pas que des réussites. Quand on regarde son parcours, on constate qu'il a tenté à plusieurs reprises sans succès de fonder une compagnie. En 1954, il fonde Les Ballets Macdonald ; en 1955, Les Ballets Concertantes et, en 1956, le Montreal Theatre Ballet: « Une compagnie disparaît pour faire place à la suivante ou devient la suivante car certains danseurs demeurent au sein de ses compagnies» (Cloutier, 2005). Le MTB ne survit qu'une année. Il récidive en 1973, à Ottawa, où il regroupe vingt bons danseurs des principales compagnies canadiennes lors d'un festival de danse et caresse l'idée de donner une base permanente à la compagnie au Centre National des Arts d'Ottawa. Elle y séjournerait et y aurait des activités un mois par année. Le projet n'aura pas de suites. En 1974, il accepte la direction artistique des GBC et signe un contrat de 3 ans qu'il ne rendra pas tout à fait à son terme. Entré en fonction comme directeur artistique de la compagnie, il continue à accepter des contrats de chorégraphe à l'étranger sur une base régulière comme ill'a toujours fait dans le passé. Cela ne l'empêche pas de s'impliquer en tant que créateur aux GBC durant les trois années de son mandat. Il crée pas moins de dix œuvres originales sans compter les recoristructions. Nous terminerons ce tracé du parcours artistique des premières vingt années de la compagnie par la présentation d'un artiste peu valorisée par la publicité èt les critiques. Pourtant, il répond à nos critères de sélection des personnages importants de la compagnie. À nos yeux, il apparaît comme un joueur principal dans la mesure où il permet, dans notre souci de répondre à la question de recherche, de comprendre certains aspects de la dynamique des vingt premières années des GBC et de justifier certaines constatations, suite à notre analyse. Présent à la naissance des Ballets-Chiriaeff en 1953, il œuvre toujours au sein de la compagnie en 1976. Il aura été, avec Mme Chiriaeff, l'acteur le plus présent dans la 120 compagnie au fil du temps des vingt premières années et le témoin le plus ancien, aux fins de notre recherche. Il s'agit de Brydon Paige. BRYDON PAIGE (1933-2007) Sa personnalité Brydon Paige (Brydone James Duncan) est un homme affable et distingué. Il a un bon sens de l'humour, de l'observation et une trop grande modestie. C'est du moins ce qu'il. nous a été permis de constater lors d'une entrevue de deux heures (Paige, 2005). Aucune publicité de la part des GBC ou de portrait de l'artiste n'ont été ré<;llisés par un journaliste durant la longue période où il a été membre actif de la compagnie (de 1963 à 1976) à titre de danseur, chorégraphe ou maître de ballet. Cette dernière fonction lui est attribuée en 1964. Il possède, entre autres qualités, une mémoire exceptionnelle. Il se souvient très bien des ballets du répertoire de la compagnie et son œil, particulièrement aiguisé, sait reconnaître les erreurs de style comme il est aussi capable de bien identifier les demandes des différents chorégraphes. John Butler dit de lui: « Linda Stearns et Brydon Paige, les maîtres de ballet qui ont assisté à toutes mes répétitions, savent exactement ce que je veux. Mon ballet est entre de bonnes mains» (Butler in La Presse, juin 1968) .. Comme il a été un partenaire exceptionnel, il fait travailler le plus souvent, en répétition, les « pas de deux» et les parties solistes (Paige, 2005). Il est grand et très mince pour ne pas dire maigre, selon sa propre évaluation à l'époque où il commence à danser et durant toute sa carrière. Ila un visage mobile: un nez aquilin, des grands yeux, un regard doux, des pommettes saillantes. Ces caractéristiques lui accordent une palette faciale expressive et nuancée au service des effets théâtraux que l'on retrouve dans certain~s chorégraphies du répertoire de la compagnie. Tout comme ses amis Fernand Nault et Brian Macdonald, l'appel de la danse est plus fort que les interdits de sa famille. Sa détermination à être danseur démontre une force de caractère et une passion de tout son être pour le métier qu'il a choisi. Il y consacrera toute son existence avec l'investissement du travailleur acharné. Le fait d'être refusé par le BNC comme membre du corps de ballet n'altère en rien sa détermination d'être danseur bienqu'il avoue avoir été traumatisé par son audition avec Celia Franca. 121 M. Paige a une personnalité effacée et discrète. C'est un bûcheur, conscient de ses limites et de ses capacités. Il ne cherche ni la gloire, ni la reconnaissance tapageuse. Cela ne veut pas dire qu'il n'ait pas souffert de demeurer dans l'ombre durant la majorité de sa carrière aux GBC 51 . Avant tout, il accomplit ce qu'il croit être son devoir pour aider la compagnie et se concentre sur ce qui nourrit sa passion. Ses compétences professionnelles Canadien de Vancouver, il étudie la danse avec Kay Armstrong dont la pàrticularité est de s'intéresser à la danse Flamenco en plus de donner des cours de ballet. Kay Armstrong a reçu sa formation dans l'atmosphère de la danse américaine de la côte ouest. Elle a aussi fait une partie de sa carrière à Broadway et au Radio City Music-Hall. Dès le début de son apprentissage, les danses espagnoles intéressent au plus haut point le jeune Brydon et l'incitent par la suite à suivre des classes d'un autre genre: le ballet. Le jeune garçon commence à étudier la technique académique en 1950 et se retrouve avec la troupe d'Armstrong deux mois plus tard à participer au Canadian Ballet Festival tenu à Montréal (Paige, 2005). En 1953, sans argent et sans emploi après un contrat à la télévision de Radio-Canada / CBC avec la troupe d'Armstrong, il est présenté par Brian Macdonald à Mme Chiriaeff.· Elle l'engage sur le champ pour participer aux activités des Ballets Chiriaeff à la télévision. Ainsi, il est un pur produit de la compagnie des GBC, à tous points de vue, puisque sa formation est encore bien rudimentaire. Ses maîtres seront ceux des classes quotidiennes de la compagnie au fil du temps (ils ont été mentionnés précédemment). Sa vocation de chorégraphe sera nourrie principalement par Mme Chiriaeff et Fernand Nault. Il apprendra le métier de danseur, peaufinera sa technique et développera des talents d'expressivité grâce à ses expériences multiples à la télévision, puis à travers le répertoire de la compagnie. Il subit l'inspiration russe, en plus de l'innovation américaine, quand il e 51 Sauf un texte signé par lui lors du lO anniversaire (1967) de la compagnie qui explique la complexe tâche de création du chorégraphe et sa façon personnelle d'organiser son travail. Il l'a composé pour le programme souvenir intitulé: « What it means to he a canadian choreographer » et il signe en tant que chorégraphe résident. En revanche, il n'apparaît pas parmi les chorégraphes importants de la compagnie présentés dans le résumé historique des 40 ans des GBC (1998). 122 s'agit de la création. Brydon Paige évolue au rythme de la compagnie, rapidement. Heureusement pour lui, il apprend vite. c'est-à~dire À ses propres dires, il n'est pas un danseur de grande technique. En revanche, il a du panache et un sens de Pexpression hors du commun. Dès le passage de la compagnie au festival de Jacob's Pillow (1959), on le reconnaît comme un danseur de style (Moore, 1959). Son interprétation du mystérieux voyageur roublard et séducteur dans Sea Gallows est une composition mélo-dramatique convaincante et sera un de ses plus grands rôles. 11 est aussi doué pour la comédie que pour le drame. On lui assigne souvent les rôles de travestis: « Les deux sœllfS [dans Cendrillon] jouées en travestis par Brydon Paige et Roger Rochon sont amusantes, surtout au deuxième acte» (Beraud, 1962), les rôles . comiques: « Brydon Paige dont les compositions sont toujours exactes et de bon ton [Bal des cadets]. » (Basile, oct. 1963) et spécialement dans les ballets à grand déploiement. Pour Claude Gingras (1967), il surpasse Anton Dolin dans le rôle de Drosselmeyer dans le Casse-Noisette de Fernand Nault des GBC présenté à l'Aréna Maurice-Richard (1967). Son sens de l'humour ne semble pas être apprécié par la critique anglophone hors Québec: « Brydon Paige, with scarlet fright wig, blacked-out teeth, butterfly net, and Jerry Lewis affinities, tore into the role of Alain, and again left me resignedly unamused » (Hicklin, 1962). On le considère comme un danseur important dès le début de la compagnie des GBC : « Deux nouvelles solistes prendront place à côté des vedettes actuelles des GBC, Margaret Mercier, Eric Hyrst, Milenka Niederlova, Véronique Landory, Brydon Paige et Roger Rochon » (La Presse, sept. 1960). Il apparaît dans les programmes de la coinpagnie à titre de danseur principal dès 1962 et est consacré comme tel par la critique. Sa caractéristique technique est d'être un bon « tourneur» (Basile, 22 janv. 1962). En 1964, il troque les chaussons pour devenir la mémoire des chorégraphes. Il sera assistant-maître de ballet. En 1965, il cumule les postes de chorégraphe attitré et adjoint au maître de ballet. Puis, en 1967, il est chorégraphe attitré seulement. Dans les faits; il continue à assumer la fonction de maître de ballet jusqu'à Ce qu'il prenne en 1972 la direction de la mini compagnie de Mme Chiriaeff, les Compagnons de la danse. 123 Il prend une certaine distance avec la compagnie quand il devient chorégraphe pour le Ballet National du Guatemala (en 1969). Il est aussi assistant-chorégraphe puisque Fèrnand Nault lui confie la reconstruction de Carmina Burana pour cette compagnie. Pendant son séjour en Amérique du Sud, il garde son titre de chorégraphe attitré aux GBC, même s'il ne s'y implique pas durant une courte période. Son ambition artistique Brydon Paige sera traité durement par la critique tout au long de son parcours de chorégraphe avec la compagnie. En revanche, le public apprécie ce qu'il fait en général (Lorrain, 1973, p. 128). Mme Chiriaeff l'encourage constamment comme le font aussi ses amis Nault et Macdonald. Il est invité à chorégraphier régulièrement dès le début des activités scéniques de la compagnie et tout au long du parcours de notre analyse. Au début, il cumule les activités de danseur et à l'occasion de chorégraphe, puis, celles de maître de ballet et de chorégraphe. Les critiques sont mitigées, mais les mêmes journalistes reconnaissent son potentiel créateur. Ainsi, il persiste avec l'appui de ses collègues et la critique commente ses expérimentations audacieuses. Son travail d'organisation des différents éléments du spectacle est pat1iculier. L'influence artistique principale vient de ses expériences à danser les œuvres de Chiriaeff, Hyrst et Nault. Tous les trois ont réussi à créer des œuvres cohérentes par le propos, la musique choisie, le style de danse et la mise en scène. Attaché à ces influences, mais dans un souci aussi de s'en démarquer, il construit des œuvres aux atmosphères étranges. Si on en croit la critique: The dancing was confined to stiff, angular mouvements and strark, spikey gestures. There are good many people who admire this sort of dancing and 1 am not going to quarrel with them. [ ... ] 1 must admit Medea was extremelywell staged, with the company membres demonstrating an admirable discipline in Mr. Paige's difficult looking work. [ ... ] The electronic score 1 had better leave alone. Suffice it to say that it sounded as if it came from outer space. Experiment is the breath of artistic life and Medea was certainlyexperimental. (Whitehead, 1964) Il s'intéresse à créer des univers hors des sentiers battus et pour y arriver, tente d'amalgamer des artistes et des tendances esthétiques hétérogènes. Au sujet de la même production (Médée), Jean Basile (13 nov. 1964) mentionne la confusion entourant le 124 traitement du propos et questionne le choix musical mais il souligne que: « Brydon Paige .a su recréer devant nous un monde digne d'intérêt. » L'année d'après, on reprend la production de Médée (déc. 1965) avec un décor plus imposant. La critique de Claude Gingras (20 déc. 1965) reconnaît le « climat absolument hallucinant» créé par l'agencement des différents éléments du spectacle et conteste encore une fois la pertinence de la partition musicale électronique de la pièce. Comme lors de sa carrière de danseur durant laquelle il excelle dans deux types de ballets différents, soit le drame et la comédie, Brydon Paige le chorégraphe, est attiré par des ballets aux thèmes symboliques et au sens dramatique exacerbé car il s'intéresse aux passions violentes et aux dénouements tout aussi violents (Lorrain, 1973, p. 142). Cependant, il affectionne aussi les thèmes chorégraphiques légers. Il aura abordé Médée, un ballet issu de la tragédie grecque, La Corriveau, personnage du folklore québécois, La Bérubé 52 et Les amours de Samson et Dalila. Sur ces sujets, il s'attaque à des histoires complexes, desquelles la narration, l'aspect symbolique et la mise en scène sont difficiles à concilier. À vouloir amalgamer les trois, il a du mal à conserver l'essentiel du propos: Ce ballet [ ... J, malheureusement, est fait de trop d'éléments et ces éléments se marient mal entre eux, sèment une confusion que ni la danse, ni les commentaires, ni les costumes, ni le décor ne permettent d'ordonner.« La Corriveau» est certainement une œuvre ambitieuse, mais dont l'ambition même a suscité le demiéchec. [ ... J Actuellement, il semble bien que l'anecdotique empiète sur l'essentiel, donnant au tout une précipitation qui va jusqu'à l'incohérence. [ ... J Pourtant, au niveau chorégraphique, l'œuvre de Brydon Paige a beaucoup de valeur, tarit au niveau de la plastique pure que dans l'expression des symboles. (Basi le, 27 déc. 1966) Quand il traite la comédie, les critiques reconnaissent son talent à laisser émerger la fraîcheur du propos. Ses Folies françaises sont «pleines d'humour et de poésie» (Vallerand, 1960). Même chose, quelques années après, avec une pièce appelée Espagnolade dans laquelle il mélange les genres du ballet et des danses espagnoles Le sujet de La Bérubé est inspiré d'un synopsis de Guy Maufette de 1940. Il exploite le thème de la vanité humaine et de la beauté de la nature à travers l'histoire d'une jeune amérindienne qui meurt après avoir sacrifié la nature pour pouvoir se mirer dans un lac (programme souvenir, 1960 ou 1961). 52 125 (Basile, 14 nov. 1964). Plusieurs années plus tard, il crée Astaire, un hommage à Fred Astaire (1983) qui aura une longue vie au répertoire de la compagnie. Folies françaises est parmi les succès des nombreuses tournées faites aux Etats-Unis au début des années 1960 (Maître, 1960). Le ballet Médée est amené en Europe, lors de la première tournée européenne en 1969 et se fait démolir par la critique. Un compte-rendu de la tournée, paru à Montréal, explique: « Le "Times", le plus important journal de Londres, a laissé entendre que le silence était le meilleur commentaire à faire à ce sujet» (La Presse, 4 juin 1969). Son rapport aux danseurs est harmonieux; ils se vouent réciproquement un grand respect. En sa qualité de maître de ballet, il a développé une pédagogie naturelle pour expliquer ce qu'il désire. De plus, sa grande expérience de danseur dans de nombreux styles différents lui permet d'être précis quant à ses demandes gestuelle, expressive et stylistique. Ses interprètes défendent, sans retenue, ses œuvres. En parlant de Sombre Apparition, Claude Gingras (23 déc. 1965) mentionne: « Margery Lambert et Bernard Hourseau ont défendu du mieux qu'ils pouvaient cette chorégraphie pour le moins ... spéciale. » En entrevue, il explique que Mme Chiriaeff choisissait presque toujours ses collaborateurs artistiques et avait le dernier mot en cette matière. Est-il possible de penser qu'il n'a pas toujours eu l'opportunité de s'adjoindre les artistes qu'il désirait? Pourtant, il mentionne son plaisir à travailler avec Alexander Brott et Gilles Vigneault à la musique de la chorégraphie: La Corriveau. Chose certaine, il a une bonne oreille musicale, possède un registre d'expériences stylistiques variées et s'adjoint des collaborateurs de talent. Sa formule préférée est celle où il peut proposer un thème à un compositeur et construire les fondations de son ballet avec lui 53 . Par contre, il est possible de croire que travailler avec une orientation pas toujours « sentie» de sa part, avec un médium imposé a pu influencer son travail et faire dévier ses intentions chorégraphiques dans des sentiers qu'il n'ajamais pu maîtriser .. Quand on fait le compte des collaborateurs attachés cl son œuvre chorégraphique, nous constatons qu'il a travaillé avec un grand nombre d'artistes québécois connus: Michel 53 Tiré du programme souvenir du 10· anniversaire des OBC (1958-1968), dans lequel Brydon Paige signe une présentation intitulée: What il means to be a canadian choreographer. 126 Perrault, François Barbeau, Gilles Vigneault, Claude Girard, Robert Prévost. Il a choisi aussi des oeuvres musicales de Pierre Mercure et de Michel Rivard. Il s'est inscrit dans la démarche créatrice contemporaine de ses pairs dans un contexte canadien-français et s'est imprégné de cette culture. Originaire de la côte ouest, il a embrassé totalement les orientations de sa famille artistique montréalaise. Il est fier de ses origines mais aussi de son orientation artistique: « As a choreographer 1 can think of no other place 1 would prefer to work in than Canada» (programme souvenir, 1958-1968). 11 s'est aussi beaucoup intéressé à l'intensité des atmosphères et des thèmes inhérents à la complexité de la psyché humaine. Il s'investit dans ce genre de projet avec passion et sérieux. Ses collègues, eux, ne s'y sont pas aventurés. Brydon Paige retient, écoute les commentaires et apprend. Cent fois sur le métier, il remet son travail. Il persévère. Il est sensible à la critique pas souvent élogieuse mais continue, malgré tout, sa démarche chorégraphique. Les directions artistiques successives ne cesseront jamais de le supporter et de l'encourager jusqu'à son départ pour l'Alberta Ballet en 1976. Il aura œuvré au sein de la compagnie de façon continue pendant 23 ans. Il est, sans conteste, le premier chorégraphe formé au sein de la compagnie. LES GESTIONNAIRES La direction générale a joué un rôle important dans la survie de la compagnie durant les années dont nous traitons. La présence continue de ces hommes dans la vie quotidienne d'une institution en devenir, leur charisme médiatique et leur implication sur les tribunes politiques, leur perspective, commentée par eux-mêmes ou par le biais des journalistes, auront été des moteurs importants de l'évolution artistique de la compagnie et le reflet voulu ou non d'une certaine image. Leur portrait sera présenté avec moins d'emphase que les personnages du volet artistique. En revanche, nous insisterons sur les mêmes points développés lors de la présentation des acteurs du volet précédent: leur personnalité, leur formation et le « projet» pour supporter la dimension artistique cachée derrière leur implication. 127 Dans la section qui suit, nous tenterons de les définir et d'identifier leur apport à l'évolution de la compagnie. Nous les présentons afin de comprendre les liens qui se sont noués avec la direction artistique et leur influence sur de nombreuses décisions relatives à l'évolution des GBe. URIEL LUFT (1933 - ) Sa personnalité Juif, de descendance polonaise-autrichienne, apatride, né et élevé en Allemagne, résident de la Suisse puis étudiant en art dramatique à Vienne, le jeune Luft appartient plus ou moins à la Société des nations. Certains indices annoncent une appartenance à une cultUre universelle. Il a un accent iridéfinissable en français et maîtrise plusieurs langues. Se dégage de lui un air aristocratique de la vieille Europe, mais il semble apprécier la philosophie de Confucius et la façon de vivre du Soleil levant. Grand, mince, les cheveux et le teint olivâtre, il a des manières raffinées, sans être obséquieuses et un regard perçant. Il ne présente aucun type physique caractéristique d'une nation et les reflètent tous à la fois (il a joué le rôle d'un indien dans un film de Walt Disney: Nikki, Wild Dog of the North) (Cooke, 1970). D'un tempérament réservé et secret54 , il demeure discret sur ses tourments personnels; difficile aussi de dire ce qu'il pense vraiment. En revanche, c'est un homme dur et exigeant avec le personnel des GBC placé sous sa direction. Jacqueline Martineau témoigne: « On n'avait pas le droit de parler. Il surveillait pour voir si on travaillait. À l'heure du midi, il disait: "dépêchez-vous de manger parce que j'ai à vous dicter". Le lendemain, il fallait refaire ce qu'on avait fait la veille» (Forget, 2005, manuscrit, partie II, p. 294). L'important pour lui est d'être reconnu comme un homme d'action. Son éducation européenne lui a enseigné que les subalternes doivent se soumettre à l'autorité. 54 Brydim Paige (2005) raconte une anecdote intéressante à ce sujet: le fait que la compagnie ait été prise sur un traversier dans les glaces du St-Laurent occasionne des réactions intempestives de la part des danseurs. M. Luft n'a jamais manifesté le moindre signe d'impatience et n'a pas mentionné qu'il avait failli être écrasé entre le bateau et le quai au départ du voyage après une mauvaise chute. M. Paige l'apprendra plusieurs jours plus tard. 128 Grand amateur des différentes formes d'art, sa sensibilité navigue entre celle de l'artiste passionné, engagé, et la pensée pragmatique du gestionnaire; il suit instinctivement ses désirs. Ils le conduiront à assumer une direction générale davantage centrée sur le règlement des problèmes d'argent, sans oublier de soigner son image et sa popularité auprès des médias. Son objectif est de pouvoir réaliser de grandes choses, de prendre les moyens pour y arriver, de se retrouver au cœur de l'action et d'abattre les obstacles présents sur son passage. Il lui aura fallu être déterminé et téméraire pour apprendre le métier de gestionnaire dans le domaine de l'administration et assumer la lourde tâche de pourvoyeur de la chose artistique sans en avoir la formation de départ. Uriel Luft est un homme qui ose. Il se confronte à ce qu'il ne connaît pas, non par inconscience, mais par la volonté de réussir à dépasser ses limites. Il y parvient deux fois plutôt qu'une. Bien après que leur couple ait battu de l'aile, Mme Chiriaeff le décrit de la façon suivante: C'est un être extrêmement doué,qui veut essentiellement aider. Il est apte à résoudre bien des problèmes. Un être entier, qui fait tout jusqu'au bout. Extrêmement honnête et direct, animé surtout d'un merveilleux sens de l'humour, qui le fait accepter partout. Il m'a beaucoup aidé à établir mes écoles à travers le Québec. Ce que j'aime le plus en lui, c'est qu'il vit pleinement ce qu'il est ... (Chiriaeff in Lemelin, 1978). Il se révèle un homme pondéré en public; il semble organisé, efficace à faire passer son message auprès des médias et entièrement dévoué à la mission que s'est donnée Mme Chiriaeff55. Ses compétences professionnelles Après des études en sciences pures et en linguistique, il embrasse une formation et une carrière d'acteur pour laquelle il se sait instinctivement voué à obtenir des seconds rôles 56 • Sa formation sera pourtant précieuse dans sa nouvelle carrière, car il maîtrise les rapports 55 Nous l'affirmons en regard des documents de presse d'où transpire sa clarté de pensée et sa facilité à discourir des problèmes liés à la gestion en plus de faire ressortir les enjeux artistiques lors de ses déclarations. 56 H est conscient qu'i\ a un fort accent en fr~nçais et qu'i\ par\e diffici\ement \'ang\ais (Luft, 2(05) .. 129 de communication avec le public. La pose de voix, le sens théâtral, l'assurance et la présence scénique seront des atouts certains pour s'adresser aux politiciens comme aux spectateurs et aux journalistes. Sa carrière aux GBC s'amorce comme éclairagiste quand Mme Chiriaeff l'engage en 1959 : Je travaillais un rôle avec un mime du nom de Hubert Fieldenbriggs, il avait créé les éclairages pour le spectacle des Grands Ballets Canadiens en 1958 et cherchait quelqu'un pour le remplacer pour les spectacles qui devaient avoir lieu en mai 1959. Même sans aucune expérience dans ce domaine, j'ai sauté sur l'occasion et me suis présenté chez Madame Chiriaeff, au studio de la rue Stanley. Alexis, le mari de Mme Chiriaeff57 était décorateur à Radio-Canada, ensemble, nous avons fait les éclairages pour ce deuxièmè spectacle des G.B.C. à la Comédie Canadienne (aujourd'hui le Théâtre du Nouveau Monde). Je ne sais pas de quoi ça avait l'air, mais Mme Chiriaeff m'a demandé de faire encore les éclairages pour les représentations en août 1959, à Jacob's Pillow et pour une tournée «Community Concerts» à l'automne, au Québec et dans les Provinces Maritimes jusqu'à SaintJean, Terre-Neuve. (Luft, 2005) En 1961, il est officiellement présenté comme le directeur technique. Toujours sans connaître rien à l'administration, il y bifurque dès la fin de l'année 1961. Le programme souvenir de 1962 le confirme dans ses nouvelles fonctions. Il occupera ce poste pendant 12 ans. Son projet Selon ses dires, le fait qu'ils soient mari et femme (dès 1963) crée une synergie de pensée et d'action au cœur du couple Luft-Cpiriaeff. Il adhère complètement à la vision de Mme Chiriaeffdont l'objectif premier est de construire une compagnie canadienne d'envergure. Leur passé d'apatride les réunit quand il s'agit de se consacrer à une cause pour donner un sens à leur vie et créer un lieu d'appartenance à leur famille. Il sait aussi que c'est ici qu'il peut être dans l'action: « Et c'est comme ça que les choses se sont faites aux GBC, sans aucune expérience de ma part. Nous avons grandi ensemble et c'est la réalisation de ce rêve, qui m'a fait faire des choses au Québec que je n'aurais jamais pu faire en Europe, d'où j'étais venu» (Luft, 2005). 57 Mme Chiriaeff a été mariée à Alexis ChiriaetT de 1947 à 1963 (Forget, 2006, p. 604). 130 Dès l'arrivée d'Uriel Luft à la barre des finances, un écran s'érige entre Mme Chiriaeff et le discours administratif de la compagnie véhiculé, auprès des médias et de la population. Désormais, ses interventions à elle peuvent porter sur ses intentions, ses réalisations et la direction qu'elle entend donner à son projet artistique et à son « lobby» politique. Il tente de créer la même distance dans ses rapports avec l'équipe artistique. Selon l'affirmation de tous, les danseurs ne soupçonnent jamais les problèmes de gestion ou de financement. Ils sont tenus à l'écart de ces considérations et l'apprécient58 • Ce modus operandi a probablement à voir avec un incident qui s'est produit à ses débuts. Il s'est substitué au régisseur sur le plateau. Suite à une lettre signée par le personnel artistique (18 personnes) adressée à Mme Chiriaeff (Forget, 2006, p. 356), cette dernière n'a d'autre choix que de l'obliger à ne plus se mêler de considérations liées aux responsabilités de l'équipe technique. M. Luft assume toutes les charges afférentes à la production des spectacles sur ses épaules et centralise le pouvoir: il assume la gestion administrative, la direction de tournée, les contacts avec les imprésarii et les problèmes de financement. M. Luft, à ses débuts de gestionnaire, se décrit comme: «directeur général, administrateur; factotum, nettoyeur de, etc ... » (Luft, 2005). Il assumera cette charge multiple pendant 12 ans. Pour M. Luft, les membres d'un conseil d'administration représentent davantage un levier de plus pour apporter du financement et il voit l'implication de ses membres sur une base purement « supportante» et non-interventionniste dans les affaires administratives de la compagnie (Luft, 2005). Nous verrons dans le chapitre IV que ce ne sera pas vraiment le rôle du CA des GBC. Ses interventions auprès des médias permettent de comprendre la perception de l'évolution de la compagnie sur un plan administratif. Souvent, il tente de sensibiliser la population et les gouvernements à la complexité de la gestion et de la direction générale d'une compagnie de danse professionnelle d'envergure internationale ou du moins qui aimerait le devenir: « ... ' this again is somewhat of a miracle, because, despite scientific discoveries and the computer, we cannot, and perhaps never will, find the magic formula 58 Confirmé par Nault, Warren, Paige et Belinsky lors des entrevues (2005). 131 to guarantee that every production be both a success and a work of art » (Luft in Wilson, 1970). Il emploie des exemples simples et son discours sous-jacent est toujours orienté vers la démonstration de la spécificité d'une compagnie en droit de réclamer des mesures adaptées à sa vocation: Nos objectifs ne sont pas les profits ou les pertes. D'ailleurs, aucun économiste n'a osé mesurer la valeur de Jeu de cartes, de Prokofieff, ou de Cendrillon de Mozart ou de Pas de deux de Tchaikovski.» Pour M. Luft, administrer une troupe de ballet, c'est faire un produit, le mettre en marché, l'administrer avec le seul espoir que le déficit ne sera jamais trop élevé. (Tessier, 1971). Le sous-financement et le statut précaire de la compagnie, malgré ses succès artistiques et populaires sont ramenés dans ses discussions avec les journalistes et demeure son credo: « It was nothing short of a miracle. Of course, we wereforced .to cut our expenses and increase our revenus but not much more than other years » (Luft in Wilson, 1970). Au-delà de ses récriminations inlassables auprès des gouvernements,Uriel Luft garde une attitude respectueuse et déférente. Il conclut les conférences de presse avec une petite attention à l'égard des dirigeants politiques, conscient de la précarité de sa situation et de la dépendance des GBC à un investissement via des fonds publics: « We owe a deep gratitude to the Arts council and the Quebec government of Cultural affairs for their incessant help towards the achievement of our goals» (Idem). Il est convaincu qu'il faut trouver un équilibre à trouver entre les financements public et privé. D'ailleurs, il obtiendra des contributions des compagnies Imperial Tobacco et de Canadian Industries limited pendant plusieurs années (Tessier, 1971) : « ln Canada we have a mixture of government and public support for the ballet but we need the help of private business if we are to grow and meet the cultural revolutionhead on » (Lu ft in Cooke, 1970). On observe un glissement de ses déclarations au fil du temps. À la fin des années 1960 et au début des années 1970, il semble s'accommoder assez bien de la situation de précarité dans laquelle la compagnie se trouve et garde toujours un discours philosophe et optimiste, tourné vers une amélioration significative des conditions de vie de la 132 compagnie. En 1972, la compagnie est plongée dans une crise financière jusqu'en 1974. Il continue de dénoncer le sous-financement et la précarité mais, dorénavant, il déplore le fait qu'il n'y ait pas de politique culturelle au Québec. Dans ses affirmations, il souligne le manque de cohésion entre les différents ministères du gouvernement du Québec: « It seems that no one understands the implications of their actions and we are always stuck in the middle » (Luft in Siskind, sept. 1974). À la même conférence, après avoir remercié ses partenaires commerciaux, il enchaîne sur ce qui suit: Until the gouvernemental finally develop a policy towards the arts we will always be treated like unwanted stepchildren. And this is a period in our history when politicians are always talking about democratization of the arts and then end up doing everything in their power to stifle them (Idem). Du ton de ses déclarations émerge une lassitude et une désillusion à la hauteur des espoirs qu'il a .nourris toutes ces années. Il croit avoir fait la démonstration que les GBC possèdent l'étoffe d'une grande compagnie et déplore le manque de reconnaissance à la suite de ce qu'il considère être ses efforts. En 1974, Uriel Luft a perdu la foi et la santé. Il quitte les GBC officiellement le 1erjuillet59 non" sans avoir nommé un successeur capable d'affermir la compagnie auprès des gouvernements et de courtiser le monde. des affaires. Du moins, le croît-il. RICHARD d'ANJOU 60 (année de naissance non disponible) Sa personnalité Lors de la conférence de presse adressée aux médias, un directeur général de grande envergure s'annonce pour prendre la place d'Uriel Luft61. Il demeurera environ six mois à la tête de la compagnie. Son passage est tellement court et sans effets que personne ne se souvient d'actions probantes durant son mandat. En revanche, une correspondance détaillée de Mme Chiriaeff avec le président du CA (F ALC) donne un bon aperçu des 59 60 Lettre de démision adressée au président du CA, M. Delorme (FALC). " Toutes les informations répertoriées ici sont tirées d'un seul article de journal écrit par Jacob Siskind paru le 7 septembre 1974 dans le journal The Gazette. Il est le plus informatif de tous ceux inventoriés. 61 Dans les faits, il est nommé directeur exécutif et Mme Chiriaeff occupe le poste de directeur. (programme souvenir, 1974-1975). 133 difficultés de différentes natures rencontrées sous son règne. Cet aspect sera examiné ultérieurement quand nous traiterons l'internationalisation de la compagnie dans le chapitre IV. II est difficile .de brosser un portrait de sa personnalité et de donner de l'information sur son parcours professionnel. Suries quelques photos disponibles de lui, il semble mal à l'aise devant l'objectif. Le contraste est flagrant à côté d'Uriel Luft. La seule caractéristique de sa personnalité est qu'il affirme avoir besoin de se confronter à des défis de taille: « 1 enjoy putting things together, particularly things that have never been do ne before. » Par curiosité ou par manque d'intérêt à long terme, il change souvent de fonction dans le domaine des communications: « Things were moving SIDoothly this year. So 1 wasbecoming a bit restiess. » II se définit lui-même comme un « problem solver» : « That was the challenge at the New York State Council of the Arts and again at the Foundation. » II laisse paraître son optimisme à la pensée d'entreprendre son nouveau mandat: « My contact with Les Grands Ballets Canadiens is for' a minimum of three years. At the end of that time the company and l will be able to look back and see how much progress has been made. We could go on together indefinitely, ifthat is necessary. » Ses compétences professionnelles Élevé et éduqué à Montréal, il part travailler à l'extérieur du pays. Il y revient, lors de l'Exposition universelle de 1967 à titre de directeur des événements spéciaux et du service d'accueil au pavillon des États-Unis. De 1968 à 1972, il dirige le Conseil des arts de l'état dans la ville de New York. Par la suite, il est nommé à la tête d'une fondation (New York Foundation of the Arts) dont le mandat est d'avancer l'argent aux compagnies à vocation artistique en attendant le financement consenti par ce Conseil des arts ou octroyé par des donateurs privés. II met sur pied la fondation, la définit, y établit un profil de fonctionnement et détermine celui des employés. 134 Son projet À la lecture du compte-rendu de sa conférence de presse (1974), on constate qu'il existe une vision commune des objectifs à atteindre pour les arts entre ce qu'a défendu M. Luft durant son passage aux GBC et ce.que comprend M. d'Anjou des besoins du milieu. Son action passée lui a permis de bien comprendre la dichotomie entre les rouages de l'économie et les besoins artistiques : There is no way you can cut back on expenses in the arts the way you do in business. Producing more units does not reduce the cost per unit. It merely raises the total cost. Businessmen find ways of cutting down on costs through automation but in the arts the essence is the contributions of the individual. They cost more and more money. Il adhère à l'idée que le milieu des arts doit diversifier ses types de financement: What we will have to do is find a way of broadering our base of support. The art will have to find more money from a larger variety of sources and we will have to prave that we are worth supporting. Il comprend la dimension politique de l'action culturelle: Governrhents everywhere are looking for votes.' If we increase our audiences, increase the interest in our activity, the voters will insist that governments continue to support us properly. But we have to get rid of the image of being somesthing that appeals only to a small portion of the community at large. Il croit saisir la direction à prendre avec les GBC : « 1 feel that Les Grands Ballets Canadiens are making genuine contribution to the cultural life of the country and 1 look forward to working with them » et à celle des arts en général: « We are a valuable asset t6 the community, we j ust have to make people realize how important we are. » Enfin, il a conscience du pouvoir économique de la communauté artistique dans la' société: « ... most important government and industrie must be made to realize that the arts provide a service to the community and that it is in their self-interest to support them. » 135 Toutes ces composantes semblent être prometteuses en vue d'assurer une succession efficace. La philosophie et la compréhension du produit artistique sont les mêmes que celles du directeur précédent et, la vision de développement de la compagnie est établie sur les mêmes prémisses. Le nouveau directeur comprend et aime les arts en plus d'avoir foi en la compagnie. Il représente un choix logique pour la défense de ses intérêts. Pourtant, aucun résultat significatif ne découlera de son passage aux GBC. L'histoire chronologique, répertoriée par les GBC eux-mêmes lors de leur 20e anniversaire, parle de l'équipe d'Anjou-Mclntyre pour la saison. 1974-1975, sans plus. À. la lumière des informations disponibles sur ses compétences professionnelles, nous constatons qu'il n'a jamais dirigé une compagnie de ballet et que sa carrière s'est exercée principalement aux Etats Unis: il ne connaît pas la structure canadienne de financement des arts et l'on peut présumer que son réseau de contacts du monde des affaires tourne autour des grands mécènes américains qui encouragent les arts ... aux États-Unis. L'association de la compagnie des GBC avec le nouveau venu ne fonctionne pas. M. d'Anjou quitte subrepticement sans faire le point avec les médias et la compagnie passe ce départ sous silence. Pourtant, on a largement publicisé le départ d'Uriel Luft. Ce dernier n'est parti véritablemènt qu'en 197562 . Rien ne va plus dans la vie amoureuse du couple Chiriaeff-Luft, mais cela ne va pas s'étendre à leur entente professionnelle. L'ascendant de M. Luft sur l'équipe artistique, technique et administrative continue. En plus, Mme Chiriaeff n'est jamais bien loin. Officiellement, elle est occupée à gérer et développer les écoles de formation; son bureau, géographiquement, est demeuré au centre des activités de la compagnie (Warren, 2005). Elle entend et voit tout en regard des activités quotidiennes; elle donne son avis sur tout et à sa guise (Forget, 2006 ; Warren, 2005). 62 Il annonce son départ par le biais des journaux montréalais dès février 1974, effectif en juin de la même année (Billington, juin 1974). De plus, son ~om apparaît en tant que conseiller spécial de la compagnie dans le programme de la saison 1974-1975. Il apparaît aussi, au centre d'une photo représentant une réunion, sur laquelle sont regroupés et le personnel administratif et artistique. Il le dit lui-même: « D'ailleurs quandJ'ai démissionné (après quoi je suis resté 18 mois pour m'assurer que la transition se ferait bien) on m'a offert une augmentation de salaire. Évidemment j'ai refusé; il ne s'agissait pas de cela. Non, j'avais besoin de changement et je crois que la compagnie en avait besoin aussi » (Luft, 2005). 136 Tout cela s'ajoute à la présence d'un nouvel acteur intéressé à diriger la destinée de la compagnie. Il ne demande qu'à montrer son savoir-faire et prendre le haut du pavé. Encore une fois, les informations disponibles sur la vie du nouveau directeur général demeurent partielles. Il n'existe pas de CV dans les documents de la compagnie ou ailleurs. COLIN MclNTYRE Sa personnalité Il est d'origine britannique, plus précisément d'Edimbourg en Écosse. Grand et mince, on peut observer ses mouvements lents et posés. M: Mclntyre s'impose par sa stature et sa façon d'être. Son attitude est plutôt déterminée et il semble contrôler les situations qui demandent du leadership63. Il est un homme de communication et il respire une confiance totale en lui dans les rencontres officielles à l'étranger. Il semble être attentif à son interlocuteur et son rapport aux danseurs est de nature plutôt sympathique. Par exemple, le compte-rendu du comité des finances du 27 avril 1977, sous la rubrique budget 19771978, il est écrit: Le comité des finances, [ ... ] considère qu'il vaudrait mieux, lors de la révision du budget, ne pas prévoir de revenus de la campagne de souscription de façon à ce que les argents obtenus (sic) servent plutôt à réduire le déficit accumulé. M. Mclntyre accepte comme la seule possibilité (sic), tout en soulignant qu'une fois de plus les danseurs 'subventionnent' la compagnie puisqu'ils devront faire les frais de ces coupures en voyant leur période de chômage augmentée. (FALC) Il s'exprime aussi bien en français qu'en anglais. Globe-trotter, il a habité plusieurs pays et il a une grande curiosité pour les arts d'interprétation64 . 63 64 Document visuel : Sur les scènes de l'Orient (Smith, 1985). Il s'identifie à Sergei Diaghilev, l'instigateur des Ballets Russes (Warren, 2005). 137 Ses compétences professionnelles Il est diplômé du Collège d'Art Dramatique Rose Burford, mais il se spécialise plutôt dans la conception d'éclairage, décors et costumes. En 1966, il se joint au London Festival Ballet à titre de régisseur et parcourt 30 pays. En 1969, il dirige leur tournée en Extrême-Orient. En 1970, il est employé à la Fondation Gulbenkian du Portugal également comme régisseur. Il y dirigera trois théâtres importants65 avant de travailler avec des compagnies américaines66 et de se joindre aux GBC en juin 1974, à titre de directeur de production et d'administrateur. Au printemps 1975, il devient directeur général. En 1978, il partage dorénavant la direction artistique avec d'autres personnes en plus de sa charge administrative. Son projet S'étant aguerri grâce à ses compétences étendues de directeur de tournée et à ses contacts européens, américains et asiatiques, il désire augmenter la visibilité de la compagnie. Sans· trop vouloir extrapoler sur la période suivant celle que nous couvrons, il est possible d'invoquer son intention d'utiliser ses contacts internationaux pour développer un réseau de tournées élargi et prestigieux, le nouveau circuit de tournées des GBC en fait foi (AIT). II a des velléités artistiques. Après le départ de Brian Macdonald, il fait partie du triumvirat ou plutôt du comité artistiqué7 désigné par le CA à la direction artistique en 1978 avec Linda Stearns et Daniel Jackson, jusqu'à son départ en 1985. Ainsi, il collabore étroitement à la prise des décisions artistiques en cumulant les deux fonctions. 65 Malheureusement, sa courte biographie officielle reprise dans tous les programmes souvenirs de la compagnie ne dit pas lesquels. . 66 Encore une fi' " . OIS, 1 a note est Imprecise. 67 C'est sous le vocable «comité artistique» qu'est présenté la direction artistique durant ces années dans les programmes souvenirs de la compagnie. 138 Conclusion Les personnages importants de l'histoire de la compagnie qui ont eu des décisions à prendre pour son évolution et sa survie ont fait l'objet de cette présentation. Dans la section des passages furtifs, d'autres artistes ont permis de créer des contrastes de situation. Leur présentation permettra de nourrir l'analyse de la dynamique artistique ultérieure. La section de la présentation des personnages fait ressortir plusieurs éléments relatifs aux choix de la fondatrice, au fonctionnement, à la prise de décisions et à l'organisation. Ils seront traités dans les chapitres subséquents. Àce stade-ci, certains constats apparaissent à la lumière de notre présentation. Premièrement, Ludmilla Chiriaeff est omniprésente dans la chaîne de direction artistique et administrative durant toute la période à l'étude. Elle est à la direction artistique, siège au CA et partage la vie privée du directeur général pendant les 12 premières années. D'une manière ou d'une autre, de façon stratégique, elle a son mot à dire même en regard des décisions susceptibles techniquement d'échapper à son contrôle. Le lieu stratégique où est situé son bureau en fait foi. Elle manifeste de la tolérance à une certaine forme de « lâché prise» quand elle constate chez ses collaborateurs la maîtrise du produit artistique. Par exemple, elle fait entièrement . confiance à Fernand Nault sur le choix des créations quand ses propositions à elle ne sont pas celles retenues. Elle fera de même avec Brian Macdonald même si elle ne se gêne pas pour manifester 68 • une intense désapprobation sur certains sujets de pièces chorégraphiques Cela dit, elle garde le titre de «directrice et fondatrice» jusqu'en 1978. Quelles pourraient être les fonctions précises attachées à ce titre? C'est difficile à dire. À la même époque, il y a un directeur artistique et un directeur général. Il s'agit peut-être d'une forme de droit de veto: à chaque fois qu'un changement s'annonce, qu'un vide se crée dans la structure, elle prend la relève pour assurer la transition, s'attribue le poste au besoin, toujours en douce,et modifie la nomination. Ce titre est gardé dans les programmes, du 68 Elle a vigoureusement manifesté son désaccord à l'élaboration du ballet Variations polissonnes (1975) de Brian Macdonald dont l'action se situait dans un bordel. Le ballet s'est fait, a été dansé sur scène et a connu un grand succès (Warren, 2005). 139 moment de sa démission en tant que directrice artistique en 1974 jusqu'à la nomination du triumvirat en 1978. Comme en ce qui la concerne personnellement, il est compliqué de saisir la signification des titres attribués à ses collaborateurs. La nomination change au gré de critères difficiles à saisir et les termes ne semblènt pas se rattacher à des postes définis et précis. En fait, ils . ne semblent rien dire et tout présumer. Un titre semble être relatif au degré de confiance établi entre elle et ses collaborateurs, en regard de l'importance qu'elle veut bien leur accorder ou du prestige de l'artiste concerné, selon qu'il est profitable ou non à la compagnie. Le parcours d'Eric Hyrst est intéressant à cet égard: il est danseur et chorégraphe en tout premier lieu. En sa qualité de danseur, il est toujours présenté parmi eux, en haut de la pyramide. 11 crée cinq ballets pour la compagnie entre 1958 et 1960. Le nombre est appréciable si on considère l'agenda de spectacles d'une aimée de la compagnie à l'époque. De plus, il a beaucoup aidé Mme Chiriaeff durant lapériode télévisuelle comme chorégraphe. Au lieu de le nommer chorégraphe attitré ou assistant à la direction artistique, elle le présente comme conseiller artistique dans le programme de 1960 et de 1961. L'année suivante, il continue à assumer les mêmes fonctions mais il est officiellement directeur artistique adjoint et un comité de conseillers artistiques est formé. En 1963, il fait simplement partie de la liste des chorégraphes dont les œuvres ont été incluses au répertoire durant la saison et ne récolte aucun autre titre. Le poste de directeur artistique adjoint n'apparait plus au programme. Nous présumons que les déclarations de Ted Shawn ont eu un impact sur la façon dont Mme Chiriaeff traite Hyrst et confirme sa réserve: elle a besoin de lui mais le tient à une certaine distance malgré tout. Quand M. Nault arrive en 1965,. il conserve le titre de son prédécesseur (d irecteur artistique adjoint) mais devient co-directeur artistique en 1966. Quelle est la nuance? Un niveau de responsabilités plus grand peut-être; une plus grande confiance entre les deux? Tout au long de l'histoire de la compagnie, plusieurs exemples apparaissent dans la structure comme autant de jeux de chaises de la part de Ludmilla Chiriaeff. 140 Peut-être est-ce pour cette raison qu'elle s'accomode des tempéraments difficiles quand elle est convaincue du potentiel de certains individus à améliorer le sort de sà compagnie et à servir sa mission. On n'a qu'à penser à Eric Hyrst ou à Brian Macdonald. Elle leur accorde une certaine confiance mais ne la leur laisse jamais entièrement69 . Encourager un certain « flou artistique» lui permet de vérifier son impression sur la personne, de lui donner la chance de faire ses preuves et de changer de cap rapidement, au moment opportun, sans faire trop de dégats. Si elle réalise sa méprise, elle modifie les titres et crée une évacuation progressive de l'individu pour le bien et l'évolution de sa compagnie. Rappelons-nous l'épisode du maître de ballet et professeur Daniel Seillier ; le changement ) de titre est une façon à la fois d'apparence élégante mais fondamentalement cruelle de manifester sa perte de confiance. Son intuition lui a permis de s'adjoindre de vieux routiers d'expérience et d'en tirer le meilleur pour l'évolution de la compagnie (Dolin et Macdonald) ou de gagner la confiance de jeunes et fougueux collaborateurs (Nault, Hyrst et Paige) désireux de développer leur plein potentiel artistique. Elle a été particulièrement motivante dans les trois cas. Son flair lui permet aussi de comprendre le type de compétence dont elle a besoin aux différents moments de l'évolution de la compagnie. Hyrst l'aidera à monter ses premiers classiques, Nault l'incitera à entrer dans une certaine modernité et Paige à diversifier un potentiel créateur conforme à l'esprit artistique de la compagnie. Dolin cautionne son travail au temps où la consolidation est stratégique et nous verrons que Macdonald fait passer à la compagnie le cap du niveau technique nécessaire aux nouveaus standards internationaux. Elle a cette qualité de s'adjoindre des collaborateurs pOlir longtemps. Autant sur le plan artistique qu'en gestion administrative, l'équipe des GBC demeure L1ne équipe stable. Ceux non conformes à une certaine dynamique (qui reste à explique ultérieurement) sont expulsés rapidement. On observe certaines similitudes entre les individus à différentes époques. La ressemblance du parcours de Fernand Naült et Brian Macdonald est frappante. Tous deux commencent leùr carrière relativement tard, mais se dévouent à la chorégraphie 69 Pourquoi avoir gardé le titre de « directrice» quand, officiellement, elle annonce son départ et qu'un nouveau directeur artistique prend toute la place en 1974? 141 relativement tôt ; ils ont une formation éclectique et leur curiosité les incite à se confronter à d'autres systèmes de valeur esthétique; ils sont particulièrement musicaux et désirent chorégraphier dans des genres de danse différents. Deux éléments les opposent: leur caractère (l'un est flamboyant, l'autre est effacé) et la fibre nationaliste de Brian Macdonald: « M. Macdonald était plus nationaliste que moi. Il était attiré par la politique, ce qui n'était pas mon cas» (Nault, 2005). La personnalité de Luft et de McIntyre et leur parcours semblable les lient sous certains aspects. Tous les deux sont européens de l'ouest. Ils sont formés en art dramatique, s'intéressent à la conception liée aux arts d'interprétation et commencent leur carrière dans une compagnie de danse par une fonction de technicien de scène avant de bifurquer vers des charges administratives. Leur implication s'exerce sur une période de temps assez longue: neuf ans pour Colin McIntyre 70 et douze ans pour Uriel Luft. Ils démontrent une facilité exceptionnelle à présenter la compagnie aux médias et deviennent l'ambassadeur -de son image presque au même titre que Mme Chiriaeff. Tous deux vont augmenter la: visibilité de la compagnie chacun à leur époque, selon son évolution et ils vont tous deux montrer un intérêt manifeste pour la dimension artistique 71 • Toutes les personnes présentées témoignent d'une grande culture, d'une personnalité forte et volontaire et sont tournées dans leurs actions vers une certaine forme d'innovation si on tient compte de l'époque et de la génération à laquelle ils appartiennent. Les artistes du volet artistique ont tous un lien avec l'école de pensée russe. Les administrateurs n'ont aucune formation de gestionnaire. En revanche, ils font preuve de leadership, comprennent bien les exigences artistiques d'une compagnie de ballet et viennent euxmême du milieu artistique. Toutes orientations confondues, immigrants ou canadiens ont amorcé leur carrière ailleurs si on exclut Brydon Paige de la liste. D'ailleurs, il est celui qu'on oublie quand on veut donner du prestige à la compagnie: « Nul n'est prophète en son pays! » Ainsi, le renouvellement du personnel se fait avec une certaine constance dans les profils. Chacun avec ses spécificités, ses forces et ses faiblesses sont aptes à aider Ludmilla Chiriaeffà établir une compagnie d'envergure. 70 Directeur général en 1975, puis co-directeur artistique dès 1978 en plus de la direction générale. Il s'absente une année durant la saison 1979-1980 (programmes souvenirs, GBC) et part en 1985. 71 Colin McIntyre aura l'idée de créer le ballet Astaire (chorégraphie de Brydon Paige). Ce sera un grand succès de la compagnie des années 1980 et sous son règne seront montés, plusieurs ballets du répeltoire des Ballets Russes de Diaghilev (Warren, 2005). 142 TROISIÈME PARTIE (portrait de la compagnie) , Chapitre IV LES OBJECTIFS ARTISTIQUES ORGANISATIONNELS DES GRANDS BALLETS CANADIENS La conduite humaine ne saurait être assimilée en aucun cas au produit mécanique de l'obéissance ou de la pression des données structurelles. Elle est toujours l'expression et la mise en œuvre d'une liberté, si minime soit-elle. Elle traduit un choix à travers lequel l'acteur se saisit des opportunités qui s'offrent à lui dans leccidre des contraintes qui sont les siennes. Elle n'est donc jamais entièrement prévisible car elle n'est pas déterminée mais, au contraire, toujours contingente. Crozier & Friedberg (1977, pp. 45-46) LES OBJECTIFS ARTISTIQUES ORGANISATIONNELS DES GRANDS BALLETS CANADIENS Dans le chapître précédent, nous avons brossé le portrait des personnes qui ont donné son âme et sa personnalité à la compagnie des GBC. Dans cette section, nous tenterons d'en cerner une autre facette. C'est ce que nous nommons les objectifs artistiques organisationnels. Ces derniers constituent une étape importante de l'étude pour arriver éventuellement à la compréhension de la dynamique artistique de l'institution. En ayant fait connaissance avec les individus influents et en ayant compris la société dans laquelle ce microcosme a émergé puis évolué, nous sommes mieux outillés pour analyser les composantes importantes et l'action artistique des vingt premières années. Nous avions besoin de repères pour circonscrire le mieux possible l'agencement des liens d'autorité, de leurs rapports aux objectifs à réaliser au sein de l'institution et de saisir les mécanismes fondateurs à l'origine de J'édification d'un mandat artistique de la compagnie des GBC et de son évolution. En effet, la quantité de données, la diversité de leur nature et la multiplicité des sens à leur accorder rendaient la tâche d'analyse difficile. Aussi, s'agissait-il, dans un premier temps, de s'appuyer sur des notions générales relatives à l'organisation des groupes et des organismes, susceptibles de nous permettre de nommer des éléments de conduite artistique, d'identifier leurs composantes et d'en repérer les aspects importants. Dans un deuxième temps, nous voulions mieux comprendre leur interaction. Toujours en regard de la masse des données à traiter, hous désirions établir des balises générales susceptibles de permettre une analyse plus précise et de mieux fouiller les éléments émergeants. 144 Nous avons choisi de nous inspirer de l'ouvrage de Pierre G. Bergeron (1995) : La gestion dynamique. Nous avons trouvé en ce modèle le reflet adéquat de nos ambitions. Ce traité explique un certain nombre de concepts relatifs à la gérance, approche les composantes d'organisations, aborde l'ordre de systèmes ouverts et multiples et tient compte d'aspects dont la nature peut sembler floue à certains égards. On pourrait croire que le modèle que nous avons choisi ne peut s'adapter à la mise en lumière de la dimension artistique. Et pourtant, au fil de notre analyse, les différentes composantes de nature artistique inventoriées trouvaient écho aux explications du professeur Bergeron. C'est pourquoi nous osons nommer ce chapitre: objectifs « artistiques» organisationnels. Nous tenons à préciser que notre étude ne tente pas d'établir le modèle de la gestion administrative mais de s'attacher aux objectifs artistiques de l'entreprise afin de mieux comprendre la structure, l'orientation et la dynamique qui en découlent. Ainsi, en tenant compte de ces facteurs, on posera les questions suivantes: comment s'organisent les relations entre les collaborateurs, tous tributaires de la bonne marche ou non de la compagnie? Il s'agit des danseurs, des chorégraphes, des maîtres de ballet, des administrateurs, des bénévoles, des artisans l du milieu du spectacle, des fonctionnaires gouvernementaux en regard d'objectifs à atteindre. Comment se décident les choix artistiques? Les dirigeants des GBC ne suivaient aucun modèle de gestion artistique appris ou choisi et n'écrivaient pas de plan stratégique pour déterminer leurs objectifs à court, moyen ou long termes. Il n'existait pas non plus d'organigramme avant les années 702 . Les liens que nous faisons entre l'organisation de la compagnie et les catégories de Bergeron (1995) sont le résultat de l'analyse et le fruit de notre interprétation. Ils font ressortir les intuitions, les orientations et les prises de décisions nécessaires au fonctionnement d'une compagnie à vocation artistique au début de ses opérations et dans une première phase de maturité durant son développement. 1 Dans le cadre de ce travail, nous faisons une distinction entre artiste et artisan. Pour nous, ce qui relève de la conception artistique circonscrit le travail des artistes et ceux qui fabriquent les éléments artistiques sont les artisans. 2 Nous l'affirmons après avoir fouillé les archives (FALC). Les premières esquisses datent de 1974. 145 Bergeron présente la hiérarchie et la description des objectifs générau?,- nécessaires à la ' bonne marche d'une entreprise (annexe V). Ils seront présentés dans l'ordre préconisé par l'auteur. À la lumière de 'l'analyse, la conformité entre le modèle de Bergeron et l'organisation spontanée de l'entreprise est apparue rapidement. La pyramide hiérarchique des objectifs est conforme aux visées artistiques de la compagnie après identification de ses éléments constitutifs. Chacun est abordé en regard du contexte historique et accolés à la démarche de structuration des GBC amorcée par ses fondateurs. Dans un ordre d'importance croissant, Bergeron (1995) place en priorité la vision (I), en second lieu, l'énoncé de mission (II), en troisième, l'énoncé de valeurs (III). Les divers objectifs organisationnels se divisent à leur tour en trois parties distinctes: objectifs (IV) stratégiques, objectifs tactiques et objectifs opérationnels. Ils sont tous présentés dans le texte dans l'ordre énuméré. 1: La vision La vision selon Bergeron (1995) : « donne un sens; elle est une image mentale de ce que devrait être l'organisation» (p. 167). Dans le cas présent, nous pouvons affirmer qu'une vision a germé dans l'esprit de Mme Chiriaeff. Elle s'est créée une image du futur; elle avait une « vision inspiratrice, qui démontrait ses habiletés à bien commander» (p. 168). Son expérience d'artiste en danse, amorcée en Europe devient le cartalyseur d'un défi. " Elle portait en elle un projet artistique en gestation: « Danser, chorégraphier, enseigner. .. c'était là mon ambition en foulant le sol du Nouveau Monde, où mes affinités avec la culture française, m'avaient fait opter pour le Québec» (programme souvenir, Chiriaeff, 1968). Ses compétences lui font adopter un projet diversifié. Il embrasse une large perspective: « ...j'ai rêvé pour le Québec d'un lieu de danse professionnelle. J'en ai eu la vision» (Idem). Ses propos reflètent une conception globale de son investissement artistique. Son ambition première est de développer la danse, coûte que coûte. L'expérience artistique de Mme Chiriaeff s'est faite au sein des institutions européennes des maisons d'opéra,présentes dans chaque ville, supportées par les deniers publics. Nous pouvons présumer qu'elle espère doter le Québec d'un environnement propice à une éclosion artistique de la danse, regroupé au moins dans un même lieu. De 146 plus, 'sa formation et son expérience lui ont donné une « vision créatrice qui fait que la danse inspire et se sert de tout autre art connexe» (Chiriaeff, 1995. p. 33). Consciente de son rôle de pionnière, elle envisage sa démarche sur un long parcours. En parlant du privilège de sa générati'on à bâtir à partir de rien, elle dit: « NOLIs nous sommes allumés parce que tout était à faire. Ce n'est pas un travail que nous avions mais une -mission! Alors que les jeunes aujourd'hui entrent dans quelque chose qui existe déjà» (Chiriaeff, in Pelletier, 1993). Prendre l'initiative d'un exil n'est pas anodin. EUe se sait coincée artistiquement dans une Europe d'après-guerre, déjà soumise à des traditions et à des institutions, guides de l'orientation du développement de la danse dans des .créneaux spécifiques. Elle désire s'investir dans sa discipline pour faire valoir ses compétences, développer son art et s'attaquer à une réalisation d'envergure. Elle a toujours insisté sur le sentiment qu'elle éprouvera toute sa vie de poursuivre une mission. Il : L'énoncé de mission Le terme « mission» est récurrent dans les déclarations de Ludmilla Chiriaeff. Pour eUe, il semble signifier un investissement à long terme, mais ne semble pas référer tout à fait aux spécifications conceptuel1es entendues dans le profil de gestion de Bergeron (1995) : Toute organisation a une raison d'être, que l'on nomme mission et qui peut faire l'objet d'un énoncé formel écrit. Un énoncé de mission se définit comme une description générale mais durable de la raison d'être d'une entreprise [ ... ] Il porte sur deux questions importantes: 1) Quel domaine faut-il exploiter et 2) Pourquoi sommes-nous en affaires? (p. 168). La première question fondamentale de Bergeron va de soi dans l'esprit de Ludmilla Chiriaeff. Elle est engagée dans le seul domaine qu'elle connaisse et se sent capable de développer. Cela dit, « sa: » définition de « sa » mission déborde la deuxième question de l'auteur. D'une part, elle se croit responsable de faire changer les mentalités dans son pays d'adoption, d'initier un peuple à la danse et de contribuer au développement d'une identité par le produit artistique que peut constituer une œuvre chorégraphique. Quand elle arrive au Québec, elle constate le manque de connaissances relatives à l'art, son 147 manque d'accessibilité et le peu d'intérêt qu'il suscite. D'autre part, développer un projet artistique est la seule chose qu'elle sache faire. C'est aussi sa planche de salut pour assurer la survie de sa famille. Étrangement, c'est un défi digne d'une personnalité orientée vers une carrière de pédagogue ou de politicien: «Le chemin était ardu mais . l'enjeu était important car il fallait à la fois apprivoiser, initier, éduquer, susciter l'intérêt sans choquer, expérimenter, produire» (Chiriaeff 1995, p. 31). Ainsi, la dimension artistique dl! développement de la danse au Québec, caressée par Ludmilla, va au-delà de celle du milieu des affaires où la mise sur pied de l'entreprise vise essentiellement le profit. Dès que l'occasion se présente, Mme Chiriaeff transforme son groupe de danseurs, les Ballets Chiriaeff (une compagnie informelle3 de danseurs pigistes impliqués dans des spectacles télévisuels) en compagnie à chartre, sans but lucratif. Le 2 mai 1957, Les lettres patentes sont enregistrées. Les Grands Ballets Canadiens4 auront comme objet: 1. Promouvoir,protéger de toutes façons, et encourager le développement des arts musical, théâtral, chorégraphique et oratoire; 2. Promouvoir le ballet pour qu'il soit reconnu comme moyen d'expression d'art canadien; 3. Fonder, établir et maintenir en cette province des amphithéâtres, salles de concert et des maisons où l'encouragement, l'aide et l'enseignement de ces arts seront donnés sous toutes leurs formes. (Forget, 2006, p. 306) Les modalités, associées à son action artistique sont plutôt vagues et reflètent davantage l'action d'un diffuseur artistique que celles d'une compagnie de ballet. Les trois clauses dei 'acte d'incorporation sont abrogées le 30 décembre 1958 par les suivantes: a) Établir, maintenir et opérer une compagnie canadienne de Ballet; b) Promouvoir et encourager le développement des arts du ballet pour qu'ils soient reconnus comme moyen d'expression d'art canadien par la présentation de spectacles de ballet ou par tous autres moyens pouvant être jugés adéquats. 3 La constitution des Ballets Chiriaeff en 1954, aux fins de la programmation culturelle de la télévision, est une créature artificielle et temporaire dans le sens où elle n'est pas incorporée selon les lois en vigueur. Elle permet simplement de désigner le groupe de danseurs qui collabore aux émissions télévisées sur le réseau CBC/SRC dans lesquelles sont incluses des parties dansées dans sa programmation. 4 Mme Chiriaeff aura passé par différentes étapes dans son désir de fonder une compagnie. Elle veut nommer sa compagnie les Ballets de Radio-Canada puis les appeler le Ballet national du Québec (Forget, 2006, p. 78). Le 24 janvier 1956, elle fait enregistrer le nom LES GRANDS BALLETS CANADIENS et le 6 juin 1956 est promulgué le certificat d'enregistrement. 148 c) Percevoir des sommes d'argent par la voie de contribution, de souscription et de dons, lesdites sommes devant servir à la réalisation des objets de la compagnie. (F ALC) La deuxième version est plus spécifique quand il s'agit de circonscrire des actions et elle a le mérite de manifester clairement les intentions de la fondatrice. Le premier conseil d'administration est composé de professionnels de Montréal 5 • Ils sont avocat, architecte, homme d'affaires, comptable et un d'entre eux est un instructeur d'escrime. Tous vivent à Notre-Dame-de-Grâce et leurs enfants étudient la danse avec Mme Chiriaeff. Une journée par mois, ils se réunissent dans un restaurant pour dîner et discutent des différents événements politiques du Québec. À la fin du repas, ils parlent de la compagnie pour une demi-heure (Smith, 2000, p. 2876). Avec l'aide de ses administrateurs, elle affirme concrètement l'énoncé de mission de sa compagnie en regard de sa vision. Sa déclaration de mission inclut la nature de ses activités soit l'utilisation du baUet pour rencontrer ses objectifs. Pour elle, c'est l'évidence. Dans la deuxième version, elle donne plus d'indications sur la façon de s'y prendre. D'autre part, nous constatons un ajout informel dans son énoncé de mission au fil du temps, compte tenu de la rapidité des événements politiques qui se bousculent7 • Au tout début de son action, elle clame l'importance de démocratiser l'art du ballet c'està-dire de le rendre accessible à tous et de lui donner une couleur inspirée du folklore québécois et canadien: « Ce que la radio avait fait pour la musique, la télévision pouvait . - le faire pour le ballet.. .pouvait et devait le faire; c'était une question de vie ou de mort » (Chiriaeff in Le Poittevin, 1955). Quelques années plus tard, au début des années 60, elle insiste sur l'importance de « montrer que la danse est du grand art» (Pelletier, 1993). Ses ambitions deviennent plus grandes quand il s'agit d'établir le ballet non plus comme un moyen d'affirmation identitaire mais comme un instrument de développement artistique majeur dans une société. Il s'agit de Maurice Mercure C.R., Jean-Guy Sauvé, Robert Dejarlais, ML Joe Hart, Jean Morin et Mme Yolande Tourangeau. Ils sont ainsi nommés sur le papier en-tête officiel des GBC (FA Le). 6 Le fait qu'il n'existe pas de comptes-rendus des premières rencontres dans les archives du FALC semble confirmer l'affirmation de Smith. 7 Nous faisons allusion à la Révolution tranquille. 5 149 ta bifurcation vers l'élément central de la mission de la compagnie est importante: c'est le développement de la danse comme art majeur. Il donne des pistes pour comprendre ses choix artistiques subséquents. Il démontre ainsi que les actions posées doivent l'être en conformité avec ses affirmations officielles. Nous constaterons qu'elle transforme la composition de son équipe et modifie ses objectifs à mesure que l'envergure de ses collaborateurs le lui permet. Ce point sera abordé plus loin dans cette section. Notons que Bergeron (1995) mentionne qu': « il arrive que la mission d'une entreprise évolue au fil du temps» (p. 169) . . Ludmilla Chiriaeff va plonger dans la manifestation tangible de sa mission : établir une compagnie dont l'objectif principal est d'élaborer un produit artistique original pour la scène. III : Les valeurs Pour Bergeron, les valeurs permettent de « décrire la culture de l'entreprise, les valeurs et les croyances de ses dirigeants» (p. 167). Les valeurs indiquent aussi dans quelles limites, dans quel encadrement, un organisme se donne des règles de conduite. Les . valeurs organisationnelles viennent influencer la dynamique du groupe et le choix de ses membres. Mme Chiriaeff en établit cinq pour sa compagnie: la passion pour la danse, le dépassement de soi, le respect de l'autorité qui se manifeste par une culture organisationnelle de type familiale (sous sa direction) et autocratique sous Macdonald (quand elle ne dirige plus), le vedettariat comme objet promotionnel et la distanciation entre la dimension artistique et J'administration. Notre présentation des personnes a permis de constater certains éléments récurrents dans le temps, par exemple le choix de recourir aux méthodes russes de formation et d'en privilégier l'esthétique .chorégraphique. D'autres aspects touchent les caractéristiques d'une ambition artistique semblable chez chacun des hommes impliqués au sein de l'entreprise. De la même façon, les collaborateurs sont tous choisis en conformité avec les valeurs, reconnues et encouragées par Ludmilla Chiriaeff. 150 Dans les sections qui suivent, nous comprendrons mieux sur queUes bases Ludmilla échafaude la dynamique interne de la compagnie. Précisons que les valeurs que nous présentons ici sont interreliées. III .1 : La passion La première valeur est la passion: passion de la danse. L'idée sous-jacente est que cette passion puisse permettre de bâtir « quelque chose ». En effet, chacun des membres peut s'épanouir à travers son art et en même temps contribuer à l'édification' d'un projet de compagnie de ballet d'envergure: C'était passionnant parce que c'était des gens passionnés de la danse. Ils aimaient ça. Lorsqu'ils dansaient, ils se donriaient à 100 %. Ça nous motivait et nous touchait beaucoup, tous les autres autour. Vincent, Milenka, elle était fantastique. Brydon aussi, à sa façon. (Belinsky, 2005) Si la passion est au rendez-vous, l'investissement personnel et l'abnégation aident à dir\ger la passion vers la réalisation de la vision de Ludmilla. Le projet de compagnie occupe le créneau principal de la vision de Mme Chiriaeff à l'époque. Cela étant dit, la passion des artistes pour leur art présente aussi des manifestations d'attachement profond à la compagnie. À titre d'exemple, mentionnons que les danseurs trouvent des façons de gagner leur vie durant les périodes creuses de la compagnieS mais y reviennent la plupart du temps9 : La plupart des solistes des Grands Ballets Canadiens étaient à l'étranger durant l'été. Andrée Millaire nous revient de Cannes, Véronique Landory de Paris, Margery Lambert et Vincent Warren des Etats-Unis. Tous ont participé à des spectacles tant en Europe qu'aux Etats-Unis. Plusieurs autres sont demeurés à Montréal, où ils dansaient dans l'opérette « La Mascotte». (P.-M., 1963) Comme la compagnie n'oeuvre que quelques semaines par année, les danseurs doivent participer à d'autres productions pour gagner leur vie. Dans une lettre datée du 4 janvier 9 8 Par exemple, 1959-1960 compte 18 semaines d'activités durant la saison (Smith, 2000, p, 360), Vincent Warren (2005), américain d'origine, raconte qu'il allait passer les étés à danser avec des productions américaines à New York, mais revenait dès que la saison des GBC recommençait. 151 1965, Milenka Niederlova et Brydon Paige demandent la permission de danser dans l'Opéra Madame Butterfly avec'L'Opéra de Montréal (FALC). L'école, rattachée dans une certaine mesure aux activités de la compagnie lO , ne concerne vraiment que Mme Chiriaeff; toutes les autres personnes importantes sont engagées dans les activités de la compagnie. Au-delà de cet aspect, les bénévoles, administrateurs, concepteurs ou danseurs, chacun partage un idéal soutenu par la passion. Tous témoignent de la capacité de Mme Chiriaeff à la susciter. III . 2 : Le dépassement de soi La deuxième valeur est le dépassement de soi. Chacun est appelé à s'adapter rapidement au changement de styles, de visions et de formes esthétiques ; autapt les artistes de la scène que les artisans: « The greatest accomplishment for her [Nicole Martinet, couturière] is to have aIl costumes ready in record time as she did with Giselle. Everyone was outfitted in two months. "It was a tour de force" » (Lowe, 1974). Ceux qui ont des formations dans d'autres domaines ont à ajuster leurs compétences aux besoins d'une compagnie de ballet en même temps qu'ils font bénéficier les artistes de leur savoir: CI~ude Berthiaume, chef de la réalisation des décors ou Nicole Martinet, responsable des costumes ll , en sont de bons exemples. Quand il s'agit des gestionnaires, Uriel Luft (2005) déclare: « Je suis resté aux GBC tant que j'ai pu défendre les GBC honnêtement, en y croyant à 100 % et pas à 99 %. » Il est facile de comprendre ce que cela implique, à cause de son manque d'instruction. Les directeurs généraux des vingt premières années n'ont aucune formation spécifiqUe dans le domaine de la gestion. Ils apprennent au fur et à mesure de l'apparition des problèmes et des défis.· Eux aussi sont dans une dynamique de dépassement confrontés quotidiennement à leur incompétence. 10 C'est lors des spectacles pour enfants de la compagnie que l'on intègre des élèves de l'école à la chorégraphie. II Lowe (1974) raconte: « [Nicole Martinet] with no training in the field of costume design or fashion, found a job helping Fernand Seguin outfit the characters in his Film series on men of science, shown over French and English CBC channe1s. » 152 Dès le début de la compagnie, le répertoire est accessible et diversifié. Les Ballets Chiriaeff ont amorcé leur travail en regard de ces deux critères et le passage de la télévision à la scène a perpétué ce choix pour des raisons de diffusion et d'accessibilité (nous en reparlerons quand nous aborderons les objectifs stratégiques). Le désir de dépassement de soi permet aux danseurs de vraiment s'améliorer dans une certaine homogénéité au fil du temps. À part les danseurs principaux, la formation de la plupart des danseurs est plutôt rudimentaire au début des activités de la compagnie en 1958, si on en croît les biographies et les extraits vidéo. Progressivement, la technique s'améliore, alimentée par un répertoire qui l'exige. Du point de vue artistique, Ludmilla Chiriaeff a la capacité de déterminer, avec un goût sûr, ce qu'il convient à un danseur et ce qui ne lui convient pas: « Madame Chiriaeff does not send her young dancers into a task until they are completely ready for it }) (Schwartz, 1963, p. 81). Vallerand (1960) mentionne: Madame Chiriaeff croit aussi que ce qui fait la qualité d'une œuvre d'art ce n'est pas l'ampleur des moyens qu'elle élabore non plus que la difficulté technique qu'elle offre aux interprètes de vaincre; la beauté, pour reprendre une définition sans doute oubliée de Jacques de Lacretelle, c'est « l'accord de la matière avec l'ordonnance ». Partant de ce principe, Mme Chiriaeff et les èhorégraphes qui travaillent pour elle ont créé des œuvres pensées en fonction des moyens expressifs et techniques des membres de la troupe; en partant du même principe, Mme Chiriaeff a graduellement permis à ses solistes d'accéder à certains rôles du grand répertoire. Les résultats d'une vision aussi claire des choses sont désormais évidents et quiconque assistera aux spectacles des Grands Ballets Canadiens les remarquera. III . 3 : Le respect de l'autorité La troisième valeur est le respect de l'autorité. Mme Chiriaeff inçarne cette autorité. Les autres membres de la compagnie lui reconnaissent des compétences de professeur-. pédagogue, de chorégraphe et de gestionnaire. Sa prestance, la confiance qu'elle inspire et son dévouement marquent son droit de diriger la destinée de la compagnie en devenir, d'autant plus que ses chorégraphies reçoivent les éloges du public et que ses classes sont considérées d'une exigence mesurée et formatrice (Warren, 2005). De plus, elle s'adjoint des collaborateurs de talent ou de prestige, ou les deux qui, eux aussi, provoquent l'admiration. Ainsi, on lui reconnaît l'envergure d'une personne habile à trouver les moyens de nourrir la passion de tous et d'agencer les compétences de chacun. 153 III . 3. 1 : Culture l2 organisationnelle de type « familial )} Pour Bergeron (1995), la culture et les valeurs d'une organisation permettent de définir la culture organisationnelle (p. 170). Durant le règne de Mme Chiriaeff, la culture organisationnelle s'observe sous la forme d'une entreprise de type familial. Au début des activités de la compagnie des GBC, le mot « famille» revient souvent dans la façon dont les personnes qualifient l'atmosphère qui y règne et la dynamique entre les artistes. On attend de chacun un investissement total, une force de travail exemplaire, un désir de s'améliorer et d'évoluer tous ensemble « ... Et puis voyez-vous, m'explique Mme Chiriaeff, c'est l'esprit de la troupe qui est exceptionnel. .. Une Unité parfaite, ce qui est déjà très rare, et une capacité de sacrifice à la "cause" qui est la condition des grandes réussites » (Chiriaeff in Le Poittevin, 1955). Dans les cinq premières années, Mme Chiriaeff assure à tous un toit et un couvert et ce, à même ses propres revenus, au besoin\3. Une certaine harmonie demeure malgré les crises d'Eric Hyrst et la file successive des maîtres de ballet, remerciés les uns après les autres faute de cadrer dans une culture familiale dans laquelle chacun est prêt à joindre ses efforts à la force collective dans un dénuement presque total et un désintéressement individuel à sortir du lot; Anton Dolin aussi respecte et approuve le mode de fonctionnement de Ludmilla. III. 3. 1. 1 : Un noyau d'artistes fidèles Dès le début des emplois, un groupe d'individus s'implique de façon continue au sein de l'entreprise même si les activités sont limitées à un certain nombre de semaines. Année après année, l'équipe artistique et ceBe des artisans demeure stable si on se fie aux programmes souvenirs de l'époque. En 1965, la première vague des danseurs (le premier noyau) a pris sa retraite, faisant place à une génération davantage formée par l'école ou incluant des danseurs que M. Nault a ramenés des États-Unis dans son sillage (Richard Beaty, Lawrence Gradus par 12 Le terme culture doit être compris ici dans 'le sens que lui donne Bergeron (1995), c'est-à-dire comme « l'ensemble des caractéristiques que partagent les membres d'un groupe ... » (p. 170). \3 Déjà à l'époque des Ballets Chiriaeff, Ludmilla logeait à la maison Sheila Pearce (15 ans), malgré le fait qu'elle-même et sa famille étaient logées très à l'étroit (Forget, 2006 p. 231). 154 exemple, programmes souvenirs). Le noyau est une composante principale par sa fidélité à l'institution des GBC ou à M. Nault. Il est composé de danseurs dotés d'une persistance à s'investir dans une carrière sérieuse: certains professionnels aguerris ont fait leurs classes au début des années 60 (Vincent Warren, Margery Lambert, Véronique Landory, Irène Apinée, Andrée Millaire). Ils assurent la continuité de la culture organisationnelle de type familiale en plus de Brydon Paige et Milenka Niderlova passés de la scène à la coulisse à titre de maître de ballet. Puis, Linda Stearns et Daniel Jackson, eux aussi danseurs, prennent leur relève et font travailler les œuvres chorégraphiques comme ·les maîtres de la génération précédente. Jusqu'en 1970, le noyau demeure, avant de s'effriter progressivement jusqu'à l'arrivée de Brian Macdonald en 1974. . . Mme Chiriaeff garde toute sa vie une correspondance soutenue avec les danseurs des différentes générations, les collaborateurs et les parents de certains élèves qu'elle affectionne particulièrement. Elle joue le rôle d'une mère, d'une confidente pour tenter de résoudre les petits problèmes des uns et des autres et, à plusieurs reprises, celui des objecteurs de conscience. D'ailleurs, elle relance tout le monde à intervalle régulier quand ceux qu'elle veut s'attacher ne lui donnent plus de nouvelles (FALC). III. 3. 1. 2 : Jeu des titres et des fonctions individuelles Les rôles et les titres changent selon les années et personne ne semble en souffrir selon nos entrevues. D'aucuns conservent leur place attitrée malgré le passage du temps. Certains postes disparaissent tandis que d'autres naissent subitement. Tout est nommé selon les besoins du moment de l'organisation. Par exemple, le titre d'animateur culturel de la compagnie est assumé par Roland Lorrain. Nous qualifions ce titre de : directeur des relations publiques. Sa nomination apparaît dans le programme de la saison 1968-1969 dans la section « personnel artistique» mais n'y est plus dans celui de 1970. Quand nous avons posé la question à M. Luft (2005), il a répondu: Roland était un ami; c'était un ancien danseur. Il avait une grande connaissance de la danse. Il a écrit des livres (un livre sur Ludmilla, publié en 1973, mais déjà en préparation à ce moment-là). Il nous semblait être le communicateur iqéal face à nos Interlocuteurs européens et face à la presse où il avait œuvré. Enfin, son français était bien meilleur que le mien. 155 Roland Lorrain n'occupera le poste qu'une seule année. Ni son nom, demeurent dans les programmes subséquents. ni son titre ne Dès l'arrivée de Fernand Nault (1965), MmeChiriaeff ne chorégraphie plus. Elle agit plutôt comme catalyseur des idées de Nault, comme muse, ou en tant que directrice-quipasse-des-commandes-spécifiques. La' direction générale et le groupe des artisans gravitent autour de la compagnie et suivent les aspirations de l'équipe gagnante: Nault/Chiriaeff. Avec l'arrivée de M. Nault, Mme Chiriaeff est moins présente artistiquement, mais conserve un droit de regard même si M. Nault est le créateur des produits artistiques importants de la compagnie. Officiellement, elle est toujours la directrice artistique mais.elle exerce son rôle avec beaucoup moins d'insistance. Quant à M. Nault, il passe de directeur artistique adjoint (1965-1966) à co-directeur artistique jusqu'à la fin de son mandat. Pour se donner bonne conscience et pour ne pas heurter la sensibilité d'Anton Dolin, elle lui écrit (lettre du Il juin 1974, F ALC) et lui demande si la nomination de M. Nault le dérange. Nous n'avons pas la réponse écrite de Dolin, mais nous pouvons supposer qu'elle fût favorable. Jamais Mme Chiriaeff n'aurait pris le risque de blesser l'amour propre de l'étoile qui conservera son titre de conseiller spécial aussi . longtemps qu'il le désire. Mme Chiriaeff prend soin d'indiquer dans sa missive que M. Nault accepte l'aide du Maître pour sa version de Casse-Noisette. Anton Dolin interprétera Drosselmeyer, dans la première version du ballet du nouveau chorégraphe (Johnson, 1964). Les irritants potentiels se négocient dans le respect des susceptibilités de chacun .. La période NaultiChiriaeff est une phase de grande harmonie dans Ja culture organisationnelle artistique. M. Nault préserve les valeurs instaurées par sa patronne tandis qu'elle le laisse naviguer avec les projets de création. Mme Chiriaeff est très heureuse de sa collaboration avec lui: « Pour moi, le grand moment de bonheur, c'est celui de voir cette compagnie devenir telle que je J'avais conçue dès les premiers jours avec en tête un être exceptionnel comme Fernand l4 • » Le départ de M. Nault et de Mme Chiriaeff à la tête de la direction artistique en 1974 met fin définitivement à la culture organisationnelle de type familial de la compagnie. Le 14 Lettre de Ludmilla adressée à Roland Lorrain, le 9 août 1966 (Forget, 2006, p. 432). 156 premier changement de garde de son histoire correspond à une modification presque radicale de la culture interne. III. 3 . 2 : Culture organisationnelle de type « autocratiq ue » À cause de son tempérament et de son expérience sur la scène intrenationale, Brian Macdonald va conserver une autorité absolue sur le produit artistique et va insuffler une culture compétitive entre les danseurs. Le courant passe entre Mme Chiriaeff et Brian Macdonald: « Ludmilla s'entendait bien avec lui; Ils se connaissaient depuis longtemps. Elle lui a donné la compagnie sur un plateau » (Luft, 2005). Ainsi, Mme Chiriaeff renonce totalement à influencer la dynamique organisationnelle de ses troupes. Elle laisse son successeur en prendre l'entière responsabilité. III. 3. 2. 1 : Prise de décision unilatérale Brian Macdonald a les travers et les qualités d'un directeur artistique de son temps si on le compare à Balanchine (Mazo, 1974 ; Shearer; 1987). Il ne souffre aucune contestation sur le plan artistique et il entend bien imposer sa philosophie et ses méthodes aux danseurs dans les moindres détails. Par exemple, il engage des professeurs nouveaux, en lien avec sa perception du niveau d'excellence à atteindre, pour augmenter le calibre des danseurs et se préoccupe des résultats qui, selon les critiques, ne se font pas attendre sur scène: The dancers have never displayed such enthousiasm and maturity, the obvions result of a rigid discipline they have been acquiring under instruction 'of William Griffiths, a new teacher Macdonald has employed to take charge of daily cla:sses. Seldom have l seen such marked results in such a short period oftime. (Galloway, 1975) Il impose son autorité plutôt que de la susciter par une attitude' de respect, de confiance et des pratiques de négociations comme le faisait Mme Chiriaeff. Le rapport du Directeur artistique daté du 8 septembre 1977 témoigne de sa perception du travail des danseurs. Il les remercie en soulignant: « [ ... ] les danseurs qui ont su non seulement conserver ce qu'ils possédaient au point de vue professionnel, mais augmenter leur rendement» 157 (FALC). Ainsi, il les ~onsidère une force de travail au même titre qu'une entreprise privée orientée vers des bénéfices et où les résultats doivent se manifester. Nous sommes loin de l'attitude maternelle de Mme Chiriaeff. Nous verrons les effets de son attitude quand nous aborderons la partie historique de la tournée, produite en Amérique du Sud dans ce chapitre. La seule collaboration égalitaire entretenue scrupuleusement par Brian Macdonald est celle avec les artisans et artistes engagés à l'élaboration des ballets. Les compositeurs, concepteurs de costumes, de décors etc. sont considérés comme des partenaires essentiels à la réalisation des œuvres. Sans nécessairement mettre sur pied des comités artistiques pour la création et la production des ballets, Brian Macdonald est stimulé par les œuvres d'autres artistes et les met à contribution dans ses œuvres chorégraphiques. Pensons ~ Gilles Vigneault pour Tam Ti Delam (1974) ou Leonard Cohen pour The Shining People of Leonard Cohen (1970). III. 3. 2. 2 : Climat de compétition Brian Macdonald se soucie peu des relations interpersonnelles entre lui et les danseurs. Par contre, il mise sur leur force de caractère et leur personnalité. Pour obtenir des rôles dans ses ballets, il va les obliger à faire preuve de.tempérament en les mettant à l'épreuve de différentes façons. Il va jauger leur perméabilité aux insultes et à l'humiliation 15 • Il sélectionne ainsi ses solistes. La culture organisationnelle n'est plus celle de la collaboration entre les différents niveaux d'implication, mais une application autocratique de l'autorité comme on peut le constater dans d'autres institutions de la même époque 16 . L'atmosphère de création devient étouffante au lieu d'être conviviale, basée sur la capacité des danseurs à améliorer leur calibre et à résister aux invectives. Cette attitude n'aura pas que des conséquences heureuses sur les résultats; le même critique qui vantait les progrès de la compagnie une année auparavant note un malaise et 15 Les témoignages des danseurs, lors de nos entrevues (2005), permettent d'affirmer que certaines pratiques de la direction artistique étaient tournées vers des stratégies d'humiliation pour tester la force de caractère de certains danseurs, jugés pas suffisamment bons, ni compètents. 16 On n'a qu'à penser à l'organisation du NYCB, sous la férule de George Balanchine que l'auteur de Dance is a Contact Sport qualifie d'autocrate (Mazo, 1974). 158 la dispersion des énergies des troupes dès la deuxième saison: «Les Grands Ballets Canadiens has never looked so badly in need of a few tirst class imported soloists and a better disciplined corps than it did on Friday night » (Galloway, mars 1976). C'est un changement majeur d'atmosphère. Les effets sont malheureusement perceptibles sur scène. III. 4 : Ambiguïté face au vedettariat Le milieu de la danse regorge de vedettes danseurs et danseuses. Ils ont influencé l'histoire et la visibilitéde nombreuses compa~nies. Nous pouvons penser à la compagnie des Ballets Russes avec la notoriété et le charisme des Nijinsky, Karsawina et Pavlova, ou encore le Royal Ballet de Londres avec le couple Fonteyn/Noureev. Le ballet a traversé les époques avec ses vedettes de la danse auquelles le public s'attachait et qu'il adulait. De plus, les œuvres chorégraphiques sont largement constituées avec des distinctions très claires entre les artistes plus performants ou charismatiques et les autres. Les premiers sont davantage mis en valeur que les. seconds. L'Opéra de Paris a hiérarchisé les titres des danseurs et leur importance l7 ce qui, dans les faits, est rattaché à un degré de visibilité sur scène. Étant donné la tradition hiérarchique formelle ou informelle du ballet, il était inévitable que Ludmilla ait été confrontée à la question du vedettariat. Elle devait faire des cpoix. III. 4 . 1 : Utilisation de vedettes sur une base permanente Dans la culture de fonctionnement, on observe un inconfort persistant avec le système de vedettariat sous le règne de Ludmilla Chiriaeff. Dès le début de la compagnie, Eric Hyrst (premier .danseur de 1957 à 1963) et Eva von Gencsy (danseuse étoile de 1957 à 1959) assument les rôles importants des ballets. Une jeune recrue au talent prometteur, Margaret Mercier, montréalaise anglophone d'origine (malgré son nom) et formée au Ballet Royal de Londres joint les rangs de la compagnie dès 1959. Elle attire rapidement le regard des critiques et de nombreux commentaires élogieux émaillent son parcours: 17 Le danseur commence dans la compagnie avec le titre de quadrille, puis de coryphée, ensuite de sujet, de premier danseur et finalement devient danseur étoile (Miller, 2003). 159 « Ce ballet [Labyrinthe] nous aura valu la révélation d'une admirable jeune danseuse qui me semble destinée à une extraordinaire carrière, Margaret Mercier» (Vallerand, 1959). Elle semble en voie de devenir la danseuse principale de la compagnie. Eva von Gencsy est partie; Milenka Niederlova est une danseuse dramatique cantonnée dans des rôles exaltés ; Véronique Landory est une danseuse volontaire dont le profil correspond davantage à celui des rôles où la détermination et le caractère priment sur la candeur d'une ingénue. Dès son arrivée, Margaret Mercier partage l'espace principal dans les 'programmes avec Eric Hyrst, Milenka Niederlova et Véronique Landory. Elle séduit les assistances par sa fraîcheur, sa technique sobre et sa music.alité. Dès 1962, elle occupe la place de choix à côté d'Eric Hyrst. Elle est considérée danseuse étoile au sein de la hiérarchie des danseurs. En 1962, le Dance Magazine de septembre lui consacre deux pages. Elle quitte au printemps 1963 pour suivre son époux, aux ÉtatsUnis, lui aussi danseur. Elle avait été un espoir important; son talent et sa popularité, la destinaient à devenir une étoile canadienne. Ce départ n'ayant pas respecté la notion de fidélité de la culture organisationnelle entretenue entre les membres, va remettre en question la visée des GBC en ce qui a trait à l'investissement dans un système de vedettariat. Notre analyse confirme que plus jamais dans l'histoire de la compagnie, on n'investira dans la « fabrication» d'une étoile: J'étais là aussi quand Margaret était vraiment spéciale mais elle a quitté. Après toute cette publicité autour d'elle, elle a quitté pour le Joffrey Ballet. Ça a blessé Madame. Ils ont mis toute leur publicité autour d'une danseuse et elle part. Quand David et Anne-Marie [Holmes] sont venus aussi ce n'était pas une belle expérience pour tout le monde. Ils étaient difficiles comme couple. De bons danseurs mais eux aussi ils ont quitté. Alors, c'est clair qu'à ce moment-là, la décision était prise de miser sur la compagnie, de ne pas faire de vedettes. (Warren, 2005) Uriel Luft confirme ce point de vue: If our leading dancer had sprained his ankle just prior to an appearance in Washington, D.C. we would not have had to cancel our appearance. Another dancer could have stepped in. When we perform on tour people come to see the company, not a guest star. (Luft in Siskind, juin 1973) Ce choix devient une politique institutionnelle et philosophique. Elle est confirmée par une déclaration de Mme Chiriaeff: 160 1 don't believe in stardom, 1 don't think that our society wants stars. Instead, 1 want a company to reflect the people that it is a good and beautiful thing to be a dancer. 1 would like our dancers to be thought of as a congregation of human beings - athletes with the souls of poets - who contribute something to the .life of the people, humble because the artist must be humble, and loved, because they bringjoy. (ChiriaeffinDance magazine, nov. 1971) Dorénavant, les danseurs bénéficient presque tous de la même visibilité. Autant les débuts officiels des GBC avaient favorisé les statuts hiérarchiques des danseurs dans les programmes, autant cette pratique se perd de 1960 à 1964. Ce n'est qu'en 1965 que l'on mentionne dans le programme souvenir les titres de premier danseur, soliste et corps de ballet et en 1968 on y joint le statut de demi-soliste. D'ailleurs, on constate une certaine réserve de la direction à énoncer un profil hiérarchique. Il faut lire attentivement les biographies dans les programmes pour saisir les nuances liées à la place des danseurs dans une certaine forme pyramidale. Tout au plus, nous constatons une disposition typographique particulière quand il s'agit d'énumérer les noms des membres de la compagnie. Il y a aussi une certaine importance accordée à l'ordre des photos des danseurs et à leur dimension. Rappelons le flou qu'aime entretenir Ludmilla Chiriaeffsur la question des nominations et des distinctions. Elle conserve l'idée de faire travailler tous les danseurs pour la cause. Cependant, M. Nault a ramené avec lui des États-Unis des danseurs qui lui sont fidèles mais qui ont vécu dans un système où l'on reconnaît les différences de statut. Elle crée ainsi un système mitoyen pour plaire à l'un et à l'autre. En 1964, Ludmilla poursuit, malgré tout, une forme d'investissement dans le vedettariat. Elle essaie de conserver à demeure des artistes déjà consacrés sous d'autres cieux. Un couple de danseurs, David et Anne-Marie Holmes (premiers danseurs au RWB puis danseurs au Kirov l8 ) se joignent à la compagnie. Leur nom et leur titre (danseur étoile) éclipsent tous les autres sur l'affiche de novembre de la même année. Les critiques leur reconnaissent un certain talent, sans plus. Au sein de la culture organisationnelle, c'est le désastre. Il semble que leur statut de danseur étoile (programme souvenir de 1964) leur donne le privilège de se montrer odieux avec leurs congénères et leur attitude au travail 18 C'est ce que le programme souvenir des OBC de la saison 1964-1965 indique. Dans les faits, ils ont bénéficié d'une bourse d'études du CAC pour étudier à Leriingrad (rapport du CAC, 1964-1965, p. 6). Ce n'est pas la même chose. En effet, il aurait été surprenant que des dan~eurs canadiens puissent être intégrés si facilement dans une des plus grandes compagnies du monde, hermétiques aux influences extérieures et jalouses de la supériorité de la virtuosité de leurs interprètes. 161 les fait détester davantage qu'apprécier (Warren, 2005). Mme Chiriaeff se confie à Anton Dolin dans une lettre du 12 mai 1965 (F ALC) ; elle parle de « problèmes» suscités par la personnalité de David Holmes. Toujours à Dolin, elle se défendra d'avoir engagé le couple Holmes uniquement parce qu'ils étaient canadiens (3 juil. 1965, FALC). Pendant leur séjour, ils ont mis en danger la culture organisationnelle de l'entreprise. Ils ont ébranlé la cohésion du groupe. Ils quittent la compagnie au printemps 1964. Dorénavant, Mme Chiriaeff ne mise plus sur l'embauche à long terme de vedettes. Indépendamment de son état d'esprit, on lui en impose deux en 1969. Cette nouvelle expérience renforcera son désir de ne plus investir dans un tel. type de publicité. Elle demeure prudente quand elle engage Ghislaine Thesmar à la fin de 1968 19 • La danseuse ne bénéficie d'aucun traitement de faveur dans la présentation que l'on fait d'elle dans les programmes. Aucune publicité n'annonce sa venue. L'étoile a été imposée par la société de l'imprésario de la première tournée européenne Albert Sarfati (Lorrain, 1973, p. 160) réalisée en 1969. Lors de la tournée, elle est appréciée du public français, sans l'être plus que les autres solistes de la troupe, du moins si on en juge par les fils de presse européens et canadiens (AIT). Elle ne revient pas en 1970. La même obligation est imposée lors de la même tournée. Melissa Hayden, première danseuse au NYCB, considérée la muse de George Balanchine de l'époque, interprète Thème et Variations du maître avec la compagnie des GBC à Paris et à Londres. Sarfati a imposé deux vedettes et le partenaire de Mme Hayden, Bruce Marks. Comme il contrôle une ·partie de la subvention canadienne pour « payer lui-même» les invités (Lorrain, 1973, p. 166), il ne se gêne pas pour décider des gros canons attachés à la compagnie. Encore là, les retombées positives sont difficiles à saisir, les critiques ne semblent pas impressionnés (Saint-Germain, 1969). Les danseurs locaux, (le noyau de la compagnie), Vincent Warren, Erica Jayne, Véronique Landory et Armando Jorge reçoivent bien plus d'éloges (AIT). Mme Chiriaeffa fait la démonstration que sa compagnie n'a pas besoin de vedettes étrangères pour faire valoir les talents de ses chorégraphes et danseurs. Elle a bâti une culture interne, inspirée des valeurs énoncées précédemment et il apparaît 19 Ghislaine Thesmar, française d'origine, a été membre des Ballets du Maquis de Cuevas, artiste invitée chez Marie Rambert à Londres et première danseuse chez Roland Petit (programme souvenir GBC, saison 19691970). 162 évident qu'un artiste importé n'arrive pas à percer la cohésion toute particulière de la compagnie, établie sur les valeurs qu'elle a instaurées et qu'elle a su faire partager. III. 4. 2 : Utilisation de vedettes sur une base ponctuelle Autant intégrer des artistes vedettes sur une base permanente semble poser de nombreux problèmes, autant Mme Chiriaeff les intègre selon ses besoins quand ils peuvent servir les intérêts de son entreprise. De façon sporadique, elle fait appel à des vedettes de renommée internationale dans d,es contextes où des étoiles peuvent rehausser son produit artistique et servent certaines visées politiques. Ses invitées ne risquent pas de porter atteinte à l'esprit familial, bien au contraire: leur envergure a pour effet de stimuler le moral des troupes. Elle s'en sert dans des circonstances où elle ri le plein contrôle des considérations politiques et médiatiques. Ces danseuses étoiles ponctuent l'histoire des \ GBC des vingt premières années à deux reprises, lors d'événements spéciaux; pour interpréter les rôles difficiles du répertoire de la période romantique. Les événements sont locaux et ont de grandes chances de positionner les GBC en tant que compagnie d'envergure sur le sol canadien et impressionner le public. Comme nous avons pu le constater dans la section traitant des personnages, des vedettes comme Anton Dolin ont un effet positif sur l'évolution artistique de la compagnie. Par exemple, Rosella Hightower, amie et partenaire du danseur étoile (Prima ballerina assoluta) est l'invitée des GBC lors du Gala d'ouverture de la PdA en 1963 20 • Elle y interprète la partie de Marie Taglioni dans le Pas de Quatre de Jules Perrot, monté par Anton Dolin. Elle accepte de bonne grâce d'être la partenaire d'Eric Hyrst, artiste invité pour. l'occasion dans un ballet qu'il a créé pour ponctuer sa retraite de danseur: Hommage. Lors du même spectacle, on présente aussi Le Bal des Cadets, de et avec la partiCipation de David Lichine. Ce dernier a remonté l'œuvre lui-même. Le ballet permet à la compagnie de passer le cap d'une maturité plus grande. La critique énonce: J'ai suivi depuis quelques années, tous les spectacles des Grands Ballets Canadiens et j'ai été étonné, samedi, des progrès incroyables accomplis par cette compagnie depuis la dernière 20 Ludmilla avait invité pour l'occasion une danseuse de chacune des deux autres compagnies canadiennes. Le RWB a envoyé Sonia Taverner qui deviendra plus tard membre de la compagnie des GBC et le BNC refuse l'invitation (Forget, 2006, p. 369). 163 saison. Le corps de ballet affiche une excellente tenue, si l'on excepte quelques défaillances au niveau de la simultanéité des figures d'ensemble; les solistes ont désormais l'allure de véritables vedettes, chacun ayant affermi sa technique et affirmé sa personnalité. (Vallenind, 1963) Alicia Alonso est l'invitée du Gala de l'Exposition universelle en 1967. Elle interprétera Giselle, une des œuvres à l'orgine de sa célébrité. L'histoire veut qu'elle ait remplacé Alicia Markova à une semaine d'avis en 1943 pour interpréter Giselle avec ... Anton Dolin (L'Avant scène, mars 1980, p. 136). La reconstruction élaborée par le maître est présentée au gala. Bien que les GBC aient produit ce ballet une année avant avec succès et avec des danseurs locaux, il faut maintenant exposer au monde son importance et sa prestance. Cet été-là, dix troupes de danse, plus prestigieuses les unes que les autres se produisent: The Australian Ballet, le Ballet de Roland Petit, Les Ballets du XX e siècle de Béjart, The Eric Hawkins Dance Company (U.S.A.), le BNC, The NYCB, le Ballet de l'Opéra de Paris, The Royal Ballet, le RWB et les GBC (Lorrain, 1973, p. 148). Mme Chiriaeff sait que des critiques viendront de partout au Canada et de l'étrange?l. Ainsi, les vedettes, dans certains contextes, permettent d'atteindre le but spécifique chéri par la directrice. Ces deux exemples sont le reflet de sa sensibilité aux avantages de considérer des artistes de prestige. Pourtant, les vedettes officielles des GBC seront celles du noyau, reconnues par le public comme telles à travers l'éloge des critiques et la: force des applaudissements qu'ils auront générés (Warren, 2005). III. 4. 3 : Fabrication de ses propres vedettes Le temps de Brian Macdonald va modifier l'approche de « tous pour un et un pour tous. » Le nouv.eau directeur subit une influence plutôt européenne 22 . Il veut mettre en valeur un Alicia Alonso est d'origine cubaine. Elle est donc frappée d'interdit sur le territoire américain. Plusieurs personnes se sont déplacées des États-Unis pour avoir l'opprtunité de la voir danser. Clive Barnes manifeste sa mauvaise humeur dans un article de 1971 (Zarhina, 2008). Les ballettomanes et critiques américains ne pouvaient que contribuer à accroître la réputation .de la compagnie des GBC, dotée d'une telle légende. Ils voudraient presque que ce soit un retour chez eux. Don McDonagh (26 juin 1967) titre sa critique du spectacle: Montreal company brings star back to America. Le 4 décembre 1957, elle avait dansé à L'Heure du concert avec son partenaire Igor Youskevitch (Forget, 2006, p. 323). 22 En Europe, le titre est attaché à de nombreux privilèges, entre autres financiers. La grosseur du nom sur l'affiche publicitaire permet de gagner des revenus supplémentaires et de la popularité. 2l 164 certain nombre d'artistes impliqués dans la compagnie depuis un certain temps: Sasha Belinsky (Alexafldre Belin), Vinc~nt Warren 23 , Mannie Rowe, Manyia Barredo, Sonia Taverner, y compris la femme de Brian, Annette av Paul. Il les choisit selon son inspiration et leur capacité à mettre ses œuvres en valeur. Il crée ses ballets pour eux. N'oublions pas que sa direction autocratique encourage la compétition. Ses ballets dégagent une énergie dynamique et rehaussent la virtuosité des danseurs. Il n'en tient qu'à eux d'être à la hauteur. Alors que Mme Chiriaeff protégeait ses danseurs, Macdonald les obligent à faire leurs preuves. Il crée des vedettes, au mérite, au sein de la compagnie. III. 5 : Distanciation entre les domaines ,artistique et administratif Une dernière valeur attire notre attention. Mme Chiriaeff et Uriel Luft ont établi la distance voulue entre les artistes danseurs et les problèmes financiers de la compagnie. La règle est scrupuleusement respectée à l'interne: jamais les danseurs ne sont mis au fait des problèmes d'argent. Les domaines artistique et administratif restent deux univers séparés24 . De plus, les gestionnaires sont au service des artistes et non l'inverse (Luft, 2005; Delorme, 1974 et Macdonald, FALC). III. 5. 1 : Affirmation de l'autorité artistique' La personnalité de Mme Chiriaeff, sa compétence artistique et le mélange de relation professionnelle et privée avec son directeur général, en plus de la relation amicale avec les membres de son CA, semblent avoir créé une distinction nette entre les deux aspects de la vie de la compagnie. Tous servent la dimension artistique. Cela va de soi. Riel) dans les comptes-rendus des réunions du CA ne permet d'affirmer le contraire25 . Cela étant dit, Brian Macdonald, le chorégraphe, va créer un ballet pour Vincent Warren lors de son spectacle d'adieu en 1979, Hommage à Robert Schumann. 24 Ni le personnel artistique, ni M. Luft d'ailleurs ne semblaient pouvoir se rappeler les crises financières de la compagnie durant les périodes que nous couvrons ou les démêlés avec les gouvernements. 25 Nous faisons référence aux nombreux documents dépouillés dans le cadre de cette recherche (FALC). Dans les comptes rendus des réunions, il n'y a jamais de propositions amenées en séance, ni de vote réellement pris. 23 165 les années Macdonald vont provoquer des fluctuations. Au début des activités de la compagnie, un comité artistique faisait office de support à la direction artistique. Dans les années Macdonald, le comité va devenir un instrument pour réaffirmer la suprématie de la direction artistique sur le volet administratif. Macdonald tient à conserver cette valeur fondamentale au sein de la compagnie. III. 5 .1. 2 : Mise en place d'un conseil artistique Dès 1961, la direction artistique se dote d'un « conseil artistique». Composé d'artistes de renom des différents arts d'interprétation tels que Jean Gascon (acteur), Gabriel Charpentier (musicien26 ) ou Jean Vallerand (critique 27 ), ce comité siégera tout au long des activités de la compagnie soumis à notre étude. Cela étant dit, sa fonction change au fil du. temps. Les années 60 étant une période de consolidation du mandat et des orientations artistiques, nous pouvons comprendre l'existence du comité, d'autant plus qu'il est composé, en grande partie, d'artistes avec qui Ludmilla a travaillé à la télévision où elle s'était sentie appuyée et stimulée comme artiste 28 . Smith (2000) fait ressortir l'originalité d'un tel comité et ce qu'il représente: « ... an Artistic Advisory Committee, something unique to the Montreal company. The existence of this Committee underlined Gorny Chiriaeff's excellent connections within the Montrealartistic community » (p. 289). Le Juge Vadboncoeur dans son bilan au ministère des Affaires culturelles souligne: « Les membres du conseil artistique se réunissent pour faire bénéficier de leurs critiques et de leurs conseils la compagnie et contribue au développement de celle-ci» (16 mars 1962, FALC). Le conseil se réunit au besoin. On y discute de la programmation, des collaborateurs à approcher et des danseurs à engager (compte rendu du 29 mars ] 963, FALC). Par exemple, on discute des ballets à programmer pour l'ouverture de la PdA : le ballet La Sylphide est envisagé pour clore une soirée: 26 Garbriel Carpentier connaît tous les compositeurs canadiens. Il a concocté L 'Heure du concert avec son ami Pierre Mèrcure. Ludmilla dira de lui: « Travailler avec lui était très stimulant. Il était l'âme de cette é~uipe nous étions tous très pris par le présent; lui, il nous apportait le lendemain» (Forget, 2006, p. 286). 2 Jean Vallerand a été enseignant, critique musical, compositeur,cdirecteur d'orchestre et Secrétaire général du Conservatoire de musique et d'art dramatique de la Province de Québec (Idem, p. 273). 28 Le comité pour la saison 1961-1962 est composé de: Françoys Bernier, Gabriel Charpentier, Hugh Davidson, Jean Gascon, Robert Prévost, Hugh MacLennan, Roger Matton, Eric McLean et Jean Vallerand (demande au Conseil des arts de la province de Québec, 16 mars 1962, FALC). 166 On pense alors au projet qui avait été soumis il y a quelques temps par M. Gabriel Carpentier et qui serait un ballet se basant du point de vue de la musique sur des thèmes de chansons 1870 (sic) à Montréal. Il fut donc recommandé que l'on fasse appel à M. Hugh Davidson qui s'occuperait de la musique et à M. Gabriel Charpentier pour qu'ils se consultent sur la possibilité de réaliser ce ballet dans une période aussi courte. Si ce ballet n'était pas possible, un autre fut suggéré: Le Bal des cadets ou encore les Femmes de bonne humeur. (Idem) On commente la programmation en regard des besoins et possibilités de la compagnie. Par exemple, « on déconseilla de se servir de la musique de Glazounov pour le ballet qui devait être monté sur les Quatres saisons. On désapprouva aussi l'emploi de la musique d'Alberto Ginastera à cause de la dimension de l'orchestre qui serait nécessaire pour présenter une telle œuvre» (compte rendu du comité artistique, 4 déc. 1961, FALC). C'est aussi un comité où l'on réfléchit sur les orientations stratégiques en regard d'un développement de public. M. Vallerand en séance pose une question fondamentale: « Est-ce que Montréal a réellement un public qui saurait soutenir par sa présence au théâtre une compagnie de ballet permanente ?» Après discussions, la réponse est oui dans la mesure où la compagnie présente un répertoire s'adressant à un auditoire d'une certaine jeunesse, susceptible de s'intéresser à des oeuvres originales et contemporaines (première rencontre, non datée, FALC). Certains membres participent à titre de professionnels et sont actifs sur le terrain pour aider I~ compagnie. L'acquisition du ballet Allegro Brillante de Balanchine « exige un nombre considérable de musiciens et il a été remis à M. Vallerand de voir la réduction musicale que l'on pourrait y apporter» (compte rendu du 29 mars 1963, FALC). D'après la correspondance entre les membres, la participation des différents artistes est plutôt inconsistante. Élément à signaler, Uriel Luft, le directeur général est présent bien qu'il n'en soit pas fait mention dans les programmes souvenirs de la compagnie des mêmes années. Dans les années 70, le comité artistique se transforme, il relève maintenant du CA. Il est dorénavant composé de membres du CA, de la direction artistique et du responsable des projets spéciaux, M. Henri Barras. Les rencontres ont lieu aux domiciles de Brian Macdonald ou de Mme Chiriaeff qui, bien qu'elle ne soit plus officiellement à la 167 compagnie, fait partie du comité. Les discussions touchent tous les aspects de la production: budgets d'équipement technique et de publicité, cachets minimums de la compagnie, prix des billets. des spectacles, commandites. On se distribue un certain nombre de tâches à faire: listes des villes de tournées, personnes à contacter pour aider à l'organisation des tournées, budgets spécifiques à élaborer. Brian Macdonald veut donner aussi de nouveaux défis au comité: des discussions sur « le style, la technique et le répertoire en fonction de l'identification des GBC, [ ... ] la question d'un nom (sic) de la compagnie et de sa définition sur le plan québécois et international» (compte rendu du 24 mars 1977, FALC). Le 27 juillet 1977, Mme Chiriaeff, M. Macdonald, Daniel Jackson et Linda Stearns se réunissenr 9 pour changer les normes et le fonctionnement du comité. Dorénavant, « un comité artistique permanent aura à traiter des questions de programmation, de planification, d'engagement de personnel, de distribution pour les ballets. Le comité sera chargé des décisions à long terme. Outre les quatre personnes présentes, le comité sera composé d'un membre du comité exécutif avec droit de vote, le président du conseil et le directeur général comme observateurs, de Brydon Paige avec droit de vote et d'un conseiller invité si besoin est. » Il est aussi entendu qu'un sous-comité « traitera des questions quotidiennes courantes», il sera composé des quatre membres qui tiennent la réunion. Il doit se réunir une fois par semaine et devra convoquer au besoin des « traffic meetings». On comprend que ce sont des réunions de production. Deux fois l'an, le « Comité artistique permanent tiendra des assemblées pour étudier des questions à très long terme.» Pour terminer, « il est décidé de proposer au CA des GBC de supprimer le Comité artistique déjà existant au sein du CA étant [donné] que deux membres du Conseil seront invités à siéger sur le nouveaun comité 3o • » L'évolution d'un comité artistique se manifeste 'selon les besoins du moment et des visées de la direction artistique. Brian Macdonald désire garder un parfait contrôle sur l'aspect artistique de la compagnie et sur ses orientations futures. 11 se sert de ce comité pour Le compte rendu indique simplement: procès verbal (FALC). Il est à noter qu'en 1977, on invoque la possibilité d'avoir un danseur sur ce comité. Après réflexion, l'idée est rejetée parce qu'elle mettrait le danseur dans une situation difficile; il pourrait « subir des pressions de la part des autres qui souhaiteraient connaître les décisions du Comité »en terme de répertoire et de distribution (Recommandations du Comité artistique, non daté qui annonce la programmation du printemps 1978, FALC). 29 30 168 affirmer son autorité artistique. Les changements qu'il impose montrent bien son désir de garder la direction artistique en haut de la pyramide et d'en conserver la maitrise. Son action semble être une réaction directe à une initiative de M. d'Anjou à qui il adresse une lettre virulente. Le conflit est à l'effet que Robert d'Anjou lui présente une définition de tâches dans laquelle la direction artistique est soumise à la direction générale et doit appliquer les politiques adoptées par le CA. Brian prétend que la direction artistique: « should report and be responsible DlRECTLY tothe Board, not through the Executive Director or any committee31 • » Il affirme aussi: The artistic director determines policy and the Board agrees, disagrees, counsels caution, offers an alternative, supports a particular vision, demands -a more concrete result at the box-office, or seeks another artistic director. Essentially, therefore, the policy of the company is determined first by the implemented and adhered to. Ainsi, le Comité de la Direction artistique ne souffre d'aucune restriction de pouvoir sous Macdonald et du temps· de Chiriaeff, la question ne se pose même pas. Soulignons qu'il ne faut pas confondre ce comité avec des comités artistiques formés pour la production de ballets spécifiques. Lors de la production de l'œuvre chorégraphique Tommy en 1970, M. Nault exigera un comité artistique spécial à la production afin de s'assurer de l'ajustement de tous les aspects techniques et artistiques. Le comité est dissous après les débuts de la production. La culture et les valeurs de l'entreprise vont engendrer un certain nombre d'objectifs stratégiques, tactiques et opérationnels, reflets de la richesse et de la diversité des possibilités de la compagnie. IV : Les objectifs Cette section du travail nous amène au cœur des objectifs organisationnels de l'entreprise. Dans l'ordre hiérarchique de Bergeron (1995), les catégories d'objectifs s'énumèrent comme suit: objectifs stratégiques, objectifs tactiques et objectifs opérationnels. En ce qui concerne les objectifs stratégiques, l'auteur explique: « les objectifs stratégiques 31 Document non daté, ni titré mais signé de la main de Brian Macdonald (F ALC). 169 d'une organisation prennent la forme d'énoncés écrits lui donnant une orientation plus précise» (p. 171). Ces derniers constituent les orientations majeUres de la compagnie et commandent des moyens spécifiques. Dans le cas présent, ils n'ont jamais été élaborés de façon systématique encore moins écrites mais sont manifestes dans les actions posées par les acteurs de la compagnie. Précisons que les objectifs doivent s'harmoniser autant à l'horizontal qu'à la verticale (annexe VI) et qu'ils doivent être partagés par l'ensemble des individus pour se réaliser (Bergeron, p. 183). Six objectifs stratégiques apparaissent dans le projet de Mme Chiriaeff: 1. fonder des institutions; 2. produire des spectacles; 3. assurer la relève artistique; 4. développer un public de tout âge; 5. atteindre une reconnaissance internationale; 6. assurer le financement récurrent. Ils sont présents durant les vingt premières années d'existence de la compagnie. Les quatre premiers ont été plus nettement développés et réalisés sous la direction artistique de Mme Chiriaeff et ont été poursuivis par Brian Macdonald ; le cinquième est accompli plus spécifiquement sous la direction de ce dernier. Par contre, la sécurisation du financement ne se réalisera jamais durant les vingt premières années que nous couvrons. Nous allons définir, présenter et commenter de façon consécutive chacun d'eux dans le temps et à chaque fois, leurs sous-objectifs. Lors d'une déclaration en entrevue accordée plus de dix ans après la fondation des GBC, Ludmilla Chiriaeff utilise la métaphore du cercle. pour expliquer son plan de développement. À notre connaissance, il n'y a pas eu d'écrit formel autre que celui présenté ci-dessous. Il permet de comprendre la globalité de son projet et pourquoi il lui faut conjuguer les éléments qu'elle lie entre eux. L'esprit des objectifs stratégiques de son entreprise est inclus dans ce passage: In fact, a ballet company has to grow not only as a circle, but as an inneractingcercle that is kept continuously interacting by three indispensable parts, ail equally important, and interrelated : The company itself, it's school and its public. Obviously, you must first have a ballet company of certain accomplishments, a company the general population can take to heart. And then you must have a school that supplies young dancers suitable to the company, trained in the style the company has made its own; a school staffed largely by members of the company who are no longer dancing, but who can bring to the new generation the results and profits of their careers, as weil as the individual style the ensemble has made his own. And finally, but no less important, you must have a local following of which a respectable large part has a personal interest 170 and involvement in this local dance organization. From this public cornes not only appreciative and partisan and demandingly critical spectators, but also new dancers, new choreographers, musicians, decorators, costumers, to make the company grow; and back into this public, to enrich it, go young dance amateurs who didn't quite make careers, professionals too old to practise, and simple enthousiasts ready to co-operate with them ail. These three entities make up the three-ply circle, which makes a truly important ballet organization possible. Public to profession to pedagogy, to public and round again. Such a circular inter-relationship is one. of the secrets of Russian ballet, for instance. (Chiriaeff in Heller, 1971) Les objectifs tactiques sont déflllis par Bergeron (1995) comme étant: «ce que prévoit accomplir une fonction 32 de l'organisation. [ ... ] Ces objectifs doivent venir appuyer les objectifs stratégiques et s'accompagner de plans détaillés qui expliquent la manière dont on compte les réaliser» (p. 172). La catégorie d'objectifs tactiques en regroupe plusieurs en lien avec leur objectif stratégique respectif. Nous les énumérons sous chacun d'eux. Par contre, nous comprenons qu'aux premiers balbutiements de la compagnie, il n'y a pas de plan détaillé et l'on ne saurait parler d'« une fonction de l'organisation» du modèle de Bergeron même si celui-ci est implicite dans la façon dont Chiriaeff organise son entreprise. Les tactiques exigent de la dire~tion artistique et générale d'établir des moyens à prendre pour rencontrer les objectifs opérationnels par la suite, c'est-à-dire, la mise en œuvre des moyens identifiés. Tous les objectifs tactiques sont menés de front comme les objectifs stratégiques et se réalisent consécutivement et souvent simultanément par la direction. Chacun des objectifs tactiques est suivi dans la pyramide par des objectifs opérationnels. Ils concluent la hiérarchie de l'ensemble des objectifs de Bergeron. Ils : ... sont aussi reliés aux objectifs tactiques et agissent à la manière de principes directeurs qui amènent les gens à fournir des résultats concrets, à concentrer leurs efforts sur les priorités de l'organisation et à mieux comprendre leurs rôles ainsi que leurs responsabilités. Les objectifs opérationnels sont axés sur le rendement, ont un caractère précis et génèrent des résultats mesurables. (p. 172) Intuitivement, « le plan» est mis en place par la directrice artistique et il est accompli par tous les membres. Ces derniers ne mesurent pas toujours l'ampleur de la démarche dans 32 Nous entendons par fonction, le mandat spécifique assigné à chacun, selon son rôle dans l'entreprise. 171 laquelle ils s'inscrivent et ne perçoivent pas nécessairement le plan d'ensemble de la fondatrice. Les objectifs organisationnels sont détaillés sur le plan artistique et démontrent la complexité de la vision de Mme Chiriaeff. Ils permettent d'établir un portrait de l'organisation de la compagnie des GBe. Comme nous avons analysé le développement de chacun d'eux dans le temps nous sommes à même de constater comment chaque objectif évolue et se transforme. IV. 1 : Fonder des institutions . .0 BJECTlfSSTRATÉGIQUES 1 > Fonder des inslilutions . ..0IlJE.Cr.I.fS..T~.CTI.~~.E~..... . 1.1 ..... 0IlJECTlfSOPÉ~~TIONNELS . 1.1.1 > Etablir une compagnie de ballel >Fanderuneécole > Recruter des danseurs > RecrulerdescolliÙlorateurs 1.11 1.2 1.2.1 > DispenserunenseiynementdeQualiléàlapopulation En regard du premier objectif stratégique, nous avons mentionné que Mme Chiriaeff se . croit investie d',une mission qui doit permettre à la société québécoise de se reconnaître dans le répertoire et d'apprécier la danse. Influencée par le modèle européen, elle désire établir une compagnie de ballet et fonder une école. Les deux objectifs tactiques voient le jour simultanément. IV. 1. 1 Établir une compagnie de ballet Le premier objectif stratégique est qe bâtir des institutions dont la survie dépend de leurs liens réciproques. Établir une compagnie de ballet, c'est le maillon principal de la mission à accomplir. C'est la partie transcendante du projet. En effet, une compagnie est susceptible d'apporter de la reconnaissance par le succès et l'épanouissement artistique, si le milieu est réceptif. Puis, si la notoriété s'installe, l'argent nécessaire au bon déroulement des opérations devrait être assuré, en plus de réussir à payer des artistes sur une base régulière et continue. Les autres institutions en reçoivent les retombées positives en mêm~ temps qu'elles contribuent à sa survie et à sa notoriété. C'est le scénario plutôt simple mais combien difficile à réaliser qu'organise Mme Chiriaeff. Nous verrons 172 combien il est exigeant de s'accrocher à un tel projet. Une compagnie viable, vivante et reconnue est au cœur des ambitions de sa fondatrice tout au long de ce travail. Les objectifs tactiques se traduisent par l'obligation de recruter des danseurs et des collaborateurs. Pour Mme Chiriaeff, c'est un défi relativement facile dans la mesure où elle bénéficie déjà des deux, dans un contexte avantageux. IV. 1. 1. 1 : Recruter des danseurs De nombreux passages à la télévision de Radio-Canada ont assuré un groupe fidèle de danseurs à Mme Chiriaeff. Semaine après semaine, ils participent aux nombreuses émissions culturelles et de variété sur le réseau télévisuel n~tional. Comme elle enseigne à l'école de Yolande Leduc à Ottawa durant la saison 1952-1953, elle y recrute la majorité des danseurs pour entamer la série de chorégraphies prévues pour la télévision (Forget, 2006, p. 231) en plus des solistes venus de Winnipeg (von Gencsy et Hyrst). À l'époque, des apparitions continues de chorégraphies sur une chaîne de télévision, une société nationale de surcroît, est une situation exceptionnelle en Amérique du Nord. Les cachets sont intéressants pour l'époque (Dansereau, 2003).et permettent à des danseurs de pratiquer leur art dans un contexte de grande visibili1:é. Le groupe des Ballets Chiriaeff a été l'incubateur de la compagnie. Dans toutes ses déclarations subséquentes qui relatent le chemin parcouru, Mme Chiriaeff rappelle l'importance du créneau télévisuel pour. démarrer son projet (programme souvenir, 1973-1974): La danse au Québec n'aurait peut-être pas fleuri avec autant d'éclat, sans l'avènement, en 1952, de cette technique bouleversante de communication, la télévision. Repliées jusque là sur eux-mêmes, les familles québécoises ne pouvaient entrevoir la puissance évocatrice de leurs membres et tenaient forcément pour suspects, les éléments étrangers qui sollicitaient leurs aspirations ensevelies. (p. 6) Ludmilla Chiriaeff aurait créé plus de 133 ballets chorégraphiques pour la télévision en 13 saisons, toutes émissions confondues (Forget, 2005, manuscrit, partie II p. 69). Sa matière première, les danseurs, aura été recrutée par des conditions facilitantes sous tous les points: contexte artistique stimulant, salaires avantageux, institution de prestige. Tout au long des activités de la compagnie On travail de recrutement intense continuera, 173 chaque année. Cela amènera des artistes danseurs de partout dans le monde et Brian Macdonald continuera la poursuite du sang neuf. IV. 1. 1. 2 : Recruter des collaborateurs La Société Radio-Canada a embauché plusieurs artistes des arts de la scène pour développer un produit culturel et les collaborations artistiques foisonnent sur les différentes émissions à vocation culturelle de la programmation (Roy, 2000). Pour les collaborateurs des Ballets Chiriaeff, il en va des mêmes conditions que pour les danseurs ; un contexte de travail exceptionnel. Mme Chiriaeff va y rencontrer des artistes imprégnés d'un désir de création tout comme elle. Des accointances vont se forger audelà de l'expérience télévisuelle. Dès le début de la compagnie des GBC, on reconnaît les collaborateurs des beaux jours de L 'Heure du concert: Michel Perrault, Robert Prévost, Gilles A. Vaillancourt et Alexis Chiriaeff(programme souvenir, 1957-1958). Plusieurs la suivent dans la nouvelle aventure des GBC. Tout au long de son implication au sein des GBC à titre de directrice artistique, elle entretient une relation personnelle privilégiée avec tous les collaborateurs. Sa correspondance avec plusieurs d'entre-eux, à toutes les époques, est éloquente. Elle les complimente de leur succès au sein de la compagnie, prend des nouvelles, les informe des changements apportés à leur contribution artistique. Elle prend la peine de remercier tout le monde lors d'événements spéciaux. Par exemple, elle envoie une lettre de remerciement à tous les participants de la production filmée de Pierrot. de la lune « pour l'esprit de corps qu'ils ont montré à cette occasion33 » (F ALC). La correspondance entretenue avec le chef d'orchestre Claude Poirier explique certains aspects de sa relation avec les collaborateurs (F ALC). Premièrement, la compagnie les aide dans leur carrière en dehors de l'institution. Ludmilla ou Uriel écrivent des lettres d'appui, font du « lobbying » auprès des décideurs, quand il le faut, pour mousser leur candidature à l'obtention de bourses de perfectionnement. 33 Lettre non datée mais identifiée avoir été écrite par Ludmilla Chiriaeff. 174 Cependant, les aléas d'une compagnie de ballet peuvent provoquer des situations délicates. Dans une lettre datée du 16 mars 1965 (FALC), adressée àUriel Lùft de la part de l'agent ou d'un avocat responsable des intérêts de Claude Poirier, nous comprenons qu'une tournée des GBC aux États-Unis a été annulée au printemps 1965. Certains. engagements moraux exigent réparation puisqu'un nombre important de musiciens se sont libérés pour la tournée et se retrouvent sans travail. Claude Poirier ou son avoué, réclame des montants de 50 $ à titre symbolique « as a gesture of good faith and an investment in future dealings » et pour lui-même 2 000 $ à titre compensatoire. Sur une copie carbone de la lettre, ont été rajoutés, à l'encre, les numéros de chèques accordés aux dix musiciens engagés au départ pour la tournée. Par contre, aucun numéro de chèque n'apparaît sous le nom de Claude Poirier. Dans sa lettre du 9 avril 1965, il démissionne et déclare: «Malheureusement des divergences croissantes d'opinions que nos rencontres, péniblement rares n'ont pu solutionner, rendent la situation stérile et intenable» (FALC). Mme Chiriaeff lui répond personnellement le 21 avril 1965. Elle lui rappelle les risques encourus par elle en l'engageant alors qu'il était sans expérience. Elle invoque le fait qu'elle ne l'a pas toujours informé de certaines décisions en lien avec des difficultés de la compagnie «pour ne pas propager le découragement et la panique. » Ainsi, Mme Chiriaeff sait aussi se montrer directe quand elle se sent trahie. Elle exige une fidélité à de transparence quand il s'agit d'expliquer l'égale la sienne. Par contre, elle manque . . clairement la situation comme elle le reconnaît dans sa lettre à Claude Poirier. Cette histoire ne reflète pas l'ensemble des relations avec les artistes et artisans de la compagnie. Elle témoigne de certaines diffièultés rencontrées au fil de l'évolùtion des GBC inhérentes aux aléas d'une vie de compagnie soumise à des événements imprévisibles en regard du développement du produit artistique. Aussi, il s'agit de créer un dosage savant entre le respect du travail artistique et les besoins de la compagnie. Nous prendrons en exemple le contrat passé entre Solange Legendre et Uriel Luft le 28 octobre 1964 (FALC). Le travail original de l'artiste est respecté par différentes clauses du contrat. Entre autres modalités, il est écrit que la costumière est payée même si la production est annulée ({ autant que le travail de dessin et les maquettes en couleur seront terminés (sic) » ; on assure de donner le crédit «à la tête du programme en dessous de celui du chorégraphe et de donner ce crédit à toute publicité» ; « de ne pas changer les costumes après la pate d'ouverture» ; tout le matériel (dessins, maquettes, travail de recherche) demeure la propriété du costumier mais il {( ne peut les vendre à d'autres 175 productions. » Les différèntes clauses témoignent d'un respect certain du travail de création individuel dans les productions. Les collaborateurs s'activent selon leurs compétences en coopération avec leurs collègues de toutes disciplines mais il est clair que la direction artistique garde le dernier mot. Il en est de même avec Brian Macdonald. Comme nous l'avons mentionné dans le chapitre des personnes importantes de la compagnie, il accorde une grande considération aux artistes collaborateurs mais il est certain aussi, compte tenu de sa personnalité, qu'il conserve un droit de véto sur le produit final. Ainsi, Mme Chiriaeff a sous la main « la manne» professionnelle ou les éléments essentiels pour établir sa compagnie. D'abord, elle a recruté des danseurs et Gréé des liens avec de nombreux artistes et artisans avec lesquels elle est appelée à travailler au quotidien sur de nombreuses productions à la SRC. Ses multiples collaborations ont été garantes de possibilités futures dans d'autres contextes puisque les liens artistiques et personnels ont été favorisés de façon récurrente avec de nombreuses personnes. Elle développe un nouveau réseau à partir du premier et se trouve entourée d'un nombre important d'artistes de renom tout comme le fera Brian Macdonald. Elle concrétise ses deux premiers objectifs opérationnels en lien avec son premier objectif tactique et stratégique. IV. 1. 2 : Fonder une école Le deuxième objectif tactique consiste à établir une école de formation de ballet pour éventuellement supporter le besoin de recrutement de danseurs. L'activité bouillonnante des premières années de la télévision n'est déjà plus ce qu'elle était en 1957. La compagnie doit développer un autre moyen pour assurer le recrutement à long terme selon ses besoins spécifiques. Ludmilla, dès son arrivée (1952), a trouvé un petit local au 1460 rue Union pour donner des cours de danse aux infirmières qui l'ont aidée à accoucher de son troisième bébé (Forget, 2006, p. 228). Elle déménage son studio à plusieurs reprises. Elle développe une pius large clientèle à chaque nouvel emplacement. Le 1216 de la rue Stariley, aménagé le 7 juin 1956, est cher au cœur de Ludmilla (Idem, p. 295). Le 6 décembre, elle y installe l'Académie des GBC (Forget, 2005, manuscrit 176 partie II, p.159). L'Académie est fondée officiellement la même année que la compagnie (1957). IV. 1. 2. 1 : Dispenser un enseignement de qualité à la population Elle a pour objectif opérationnel de dispenser un enseignement de qualité à la population afin de garantir la survie et le développement de son école, recruter des candidats sérieux et· éventuellement « former des danseurs pour la compagnie)} (programme souvenir 1971-1972). Grâce à l'école, Mme Chiriaeff caresse probablement le rêve de donner à long terme un résultat artistique professionn~l. Nous en reparlerons sous le troisième objectif stratégique: assurer la relève artistique. Elle sait qu'une formation solide est nécessaire à la rencontre des exigences de la scène mais aussi que l'accès de la population à la discipline de la danse lui permettra d'éduquer la jeunesse, un public potentiel. Elle est en mesure d'assurer la formation elle-même et de trouver des enseignants de qualité (par exemple Claire Brin d'Amour34 pour les petits dans les premières années). Elle sait que la survie de sa compagnie est tributaire d'un bassin suffisamment large de danseurs pour alimenter les obligations de la compagnie professionnelle naissante. Elle a besoin d'une grande quantité d'étudiants pour faire vivre l'école afin qu'éventuellement un nombre acceptable de recrues soient considérées valables pour la compagnie qui doit se produire en spectacle. De surcroît, pour Ludmilla, fonder des institutions dépasse la réalité des besoins alimentaires et de subsistance. Compte tenu de sa popularité d'enseignante et de chorégraphe, elle aurait très bien pu se contenter d'une compagnie de la dimension de celle des Ballets Chiriaeff et développer une école dont le nombre d'inscrits gonfle chaque année. Elle cherche plutôt à concrétiser sa mission. Ses déclarations convergent toujours vers son projet fondateur: doter le Québec d'institutions d'envergure, durables, qui lui survivront. 34 Elle fait l'objef d'un reportage dans The Ga=ette, le 26 décembre 1963 (Tiffin, 1963). .177 IV. 2 : Produire des spectacles . ? > Pm:iuil1l des spectacles ...... ...~.~JECl]'~I~Ç!19~~~ tl >eonslnlire '"....J~ d. ,peclllcJe dédiée 1 Jad31l.. Un deuxième objectif stratégique suit immédiatement le premier car, la fonction première d'une compagnie de danse est de produire des spectacles, reflet d'une direction artistique et d'une orientation esthétique. Mme Chiriaeff désire se manifester en tant qu'artiste créateur (chorégraphe) mais aussi à titre d'artiste moteur d'une pratique sociale. Nous avons vu dans le chapitre précédent combien elle a réalisé ou supporté la production d'un produit artistique original et créatif comme l'a fait son successeur Brian Macdonald. Afin de donner au spectacle toute sa valeur, elle souhaitait concrétiser le projet de construire un lieu adapté à la danse et reconnu officiellement comme tel. IV. 2. 1 : Construire une salle de spectacle dédiée à la danse La seule partie du projet lié à sa mission qui ne sera pas réalisé au fil de sa vie professionnelle, sera celui d'un théâtre pour la danse. JI fait partie de ses objectifs tactiques en regard de la production de spectacles. C'est un théâtre pour sa compagnie, pour les autres compagnies locales et celles de passage à Montréal. La revue de presse démontre qu'elle a fait plusieurs déclarations en ce sens. Déjà en 1972, elle avait entrepris des démarches pour obtenir l'édifice de l'Expo-Théâtre construit pour l'Exposition universelle de 67. La compagnie s'y produisit à chaque été de 1971 à 1976, année où la venue des Jeux olympiques a provoqué la tenue d'un certain nombre d'événements culturels. Le 18 août 1972, un article signé C. G. (La Presse) parle d'une rumeur à l'effet que le MAC céderait ce lieu aux GBC qui «non seulement y présenteraient leurs spectacles mais s'y installeraient en permanence avec salles de répétition, burea!Jx administratifs et résidence pour les danseurs et le personnel. » Par la suite, plus rien ne filtre de la rumeur, avant la conférence de presse de 1974 lors de l'annonce de la venue de Brian Macdonald, nouveau directeur artistique. Elle précise que 178 les négociations n'ont pas permis d'arriver à un arrangement afin d'occuper le théâtre sur . une base permanente (Siskind, mai 1974). Ainsi, Mme Chiriaeff s'activait en coulisses pour doter sa compagnie d'un théâtre depuis presque dix ans. L'objectif tactique qui consiste à négocier avec le gouvernement du Québec ne portera pas fruit. Pourtant, M. Luft démontre avec éloquence les avantages pour la compagnie et l'école de s'établir à l'Exo-Théâtre (lettres adressées aux ministres des Affaires culturelles François Cloutier, le 26 août 1971 et à Denis Hardy le 6 février 1974, FALC). L'achalanda~e aux spectacles d'été 35 , les dimensions idéales de la salle36 , les problèmes liés à la location à la PdA, la décrépitude progressive des lieux, furent invoqués pour convaincre le gouvernement. Hélas, en vain! En 1980, après vingt années. d'existence de la compagnie, elle reçoit le prix Denisel Pelletier des arts de la scène. Des articles lui sont consacrés. Elle en profite pour annoncer l'ouverture prochaine de la Maison de la danse (1981), le nouveau nid des institutions à son actif {la compagnie des GBC et L'École supérieure de danse du Québec 3\ temps, Mme Chiriaeffrevient sur cette idée d'un théâtre consacré à la danse: A la PDA, prétend-elle, la compagnie est mal logée, perpétuellement bousculée par les horaires de l'orchestre et de l'opéra, incapable de monter sur scène parce que [la salle] Wilfrid Pelletier n'est jamais libre et d'un coût prohibitif. Il n'est pas normal, poursuit-elle qu'une compagnie et même des apprentisdanseurs ne puissent jamais avoir un· contact direct avec la scène mis à part leurs représentadons formelles devant le public. [ ... ] C'est ainsi, qu'est venue à Ludmilla Chiriaeffl'idée de créer un théâtre de deux salles - une de 2000 places et un autre de 500 places - qui serait réservé en priorité aux compagnies de danse de Montréal et possiblement celles qui sont de passage. (Dagenais, 1980) En même 90 % de l'achalandage, soit 37000 personnes aux spectacles de Tommy du 9 au 31 jui li et. Il est fait mention d'une salle de 1990 sièges au lieu des 3 000 places de Wilfrid Pelletier trop grande et de Maisonneuve avec 1 300 places trop petite. 37 L'école rattachée aux OBC changera de dénomination selon la vocation de l'école. En 1957, Ludmilla Chiriaeff fonde l'Académie des OBC. À l'époque, l'école accueille tous les adeptes de la danse. En 1966, l'école devient l'École supérieure des OBC puisque deux programmes de formation s'y dispensent officiellement: le programme de formation professionnelle avec bourses d'études goUvernementales et la partie « loisir» de J'école. En 1979, le nom de L'École supérieure de danse du Québec regroupe la formation professionnelle avec les programmes rattachés au système scolaire de l'école Pierre-Laporte et le Cégep du Vieux-Montréal. En 2002, le nom sera changé pour l'École nationale de ballet contemporain . Une injonction récente (2006) obtenue de l'École du BNC, a obligé la direction à nommer l'école: École supérieure de ballet contemporain. 35 36 179 Dix ans plus tard, elle revient à la charge: « What 1 would like to see now is a permanent theatre built for dal)ce. That's a big project. 1 dream in color now, 1 have a right}) (Chiriaeff in Fitzgerald, 1983). En 2008, la compagnie n'a toujours pas de théâtre désigné qui réponde aux exigences et aux besoins spécifiques de la danse. Malgré tout, la compagnie va produire des spectacles sans salle dédiée. IV. 2. 1. 1 : Danser sur scène L'ultime concrétisation de la chose artistique est de la montrer dans un environnement propice et la motivation profonde de l'artiste en danse, c'est de danser devant un public. Ainsi, malgré le fait qu'un théâtre pour la danse ne sera pas construit, la compagnie va se développer. Sa directrice mise sur la réalisation du plus grand nombre de spectacles possibles. Elle satisfait ainsi les ambitions artistiques des danseurs et des chorégraphes, leur assure le plus grand nombre de semaines d'engagement et accroît un produit artistique consistant. Du Her Majesty's à la Comédie Canadienne, puis à la salle Wilfrid Pelletier et au théâtre Maisonneuve de la PdA, la compagnie se produira année après année, à la recherche d'une niche, pour assurer sa visibilité et répondre à l'objectif opérationnel du deuxième objectif stratégique: produire des spectacles. IV. 3: Assurer la relève artistique 0. BJ;~n~STRATÉ&.lau ~s... 3 :> Assurer la relèi. art~tique ..... .o.BJ~.ÇJ:I.f~I~c:rJ~UES ........ al :> !.lettre sur pied un progrnmme de!""",,1iIllI pro!eot~...Ue 31 > Filrmer des chOléglapb.. ....... YBJ§~If:S0PÊRATIOH.N~lS au :> Ilê'IeIflIlIJl!f un bassin de d_1IB larmés al'iIllilm. Comme elle bâtit pour le futur et défend la pérénité de ses actions, elle vise donc à former une relève artistique: son troisième objectif stratégique. Deux types de succession compte à ses yeux: celle des danseurs et celle des chorégraphes. Dans les deux cas, il s'agit de les former et de les faire vivre au sein de ses institutions. Les objectifs tactiques s'élaborent à travers les moyens suivants: mettre sur pied un programme de formation professionnelle et trouver une façon de former des chorégraphes. 180 IV. 3. 1 : Mettre sur pied un programme de formation professionnelle La première génération de danseurs la suit après la période intense de création à RadioCanada. Tout au long des activités de la compagnie, elle et son successeur, Brian Macdonald, continueront de recruter des danseurs du reste du Canada, des États-Unis et de l'Europe. Il faut huit à dix ans pour former un danseur. Elle a vécu la difficulté de regrouper une vingtaine de danseurs de calibre suffisant pour fonder les Ballets Chiriaeff. Elle sait qu'il faudra du temps pour alimenter éventuellement sa compagnie. Elle s'attaque tôt à la mise sur pied d'une formation solide en comptant sur le temps pour générer une relève adéquate. IV. 3. 1.1 : Développer un bassin de danseurs formés à l'interne La fondation de son école, en plus d'offrir des cours de danse pour tous, permet de commencer à recruter les élèves de talent et leur donner un enseignement adapté à des besoins professionnels. Elle permet aussi d'assurer une transition de carrière aux danseurs actifs dès qu'ils en manifesteront le désir et présenteront quelques dispositions pour l'enseignement: Andrée Millaire, Véronique Landory, Vanda Intini, Vincent Warren et même M. Nault en sont les meilleurs exemples. Déjà au début des activités de la compagnie, les élèves les plus doués de l'école participent à des émissions pour enfants l'après-midi. Cela oblige les parents à signer dès billets d'absence auprès des autorités scolaires (Forget, 2006, p. 299). En 1966, presque dix ans après la fondation de J'école, elle en dissocie les deux volets : elle fonde l'École supérieure des GBC qui, dorénavant, assurera la formation professionnelle (Tembeck, 1991, p. 293) indépendamment de l'Académie, école ouverte à la population dont le mandat est de former les enfants pour le programme de formation professionnelle (programme souvenir, 1971-1972). À l'époque, des succursales essaiment à travers le Québec (Forget, 2006, p. 404). Tout au long du règne de Mme Chiriaeff, des liens étroits existeront entre la compagnie et l'école malgré l'évolution de l'une et de l'autre. Mme Chiriaeff explique: « Il nous faut doter notre jeunesse de ces institutions complémentaires au risque d'étouffer sans cela ce 181 qui vient de germer. L'une serait le temple de la connaissance et l'autre celui de l'inspiration. Nous donnerions aussi à la fois un corps et une âmè à la danse de ce pays» (in Forget 2005, manuscrit, partie II, p. 15938 ). L'entrée à la compagnie est l'aboutissement du projet de formation des élèves et des nombreux artistes venus d'autres provinces ou pays qui transitent de l'école à la compagnie. Ils y feront carrière: « Je vais donner tout mon temps et plus que jamais au côté éducatif afin de former au plus tôt la première génération et de pouvoir fournir à la compagnie nos propres talents [ ... ] La compagnie n'a de toute façon de sens qu'en fonction d'attirer des artistes de chez nous 39 • » Dans les années 70, les deux entités, école et compagnie de danse, partagent les mêmes locaux. Se crée alors une émulation chez les recrues. Elles partagent au quotidien la passion de leurs aînés et saisissent, par l'exemple, la discipline nécessaire pour devenir des professionnels. L'école est la principale source d'alimentation d'artistes amateurs pour les spectacles dont l'envergure demande un nombre plus imposant de participants. Que ce soit à titre de figurants ou de danseurs, les spectacles des GBC, dès le début de ses productions pour enfants, recrutent des « espoirs» de l'école de formation: Cendrillon (1962), puis Pierrot de la lune (1963) ou Casse-Noisette, production annuelle pour laquelle la compagnie enrôle plus de 144 rôles de danseurs, enfants et adultes (WEB, Christian, 2005). Mme Chiriaeff désire garder des enseignants fidèles pour conserver un certain contrôle de ce qu'elle croît être une formation de qualité. Ayant quasiment formé la première génération aux exigences du spectacle, elle emploie leurs connaissances à la constitution des générations futures susceptibles d'accéder à la compagnie. Rappelons-nous les déclarations de Mme Chiriaeff quand elle a exposé sa vision: elle énonçait l'importance d'engager des ex-danseurs de la compagnie comme répétiteurs, professeurs ou autre pour conserver l'esprit et la transmission des valeurs nécessaires à l'évolution de la structure artistique. 38 Tiré du FALC par l'auteur qui mentionne que le texte est non daté, mais fait référence à la « réalisation d'une Académie de ballet au Manoir. » 11 s'agit du Manoir Notre-Dame-de-Grâce. 39 Lettre adressée par Ludmilla au Juge Vadboncoeur pour lui demander à qui elle doit s'adresser pour développer un projet d'école d'envergure (Forget, 2006, p. 370) . ., 182 Sa stratégie opérationnelle ne fonctionne qu'à moitié sur la période que nous étudions. Un ç:ertain nombre de recrues de l'école franchissent le seuil de la troupe, mais le volume d'interprètes de la compagnie croit plus rapidement que la vitesse à laquelle se forme le nombre de danseurs talentueux aptes à embrasser une carrière professionnelle. Une analyse succincte de la démographie des danseurs de la compagnie permet d'affirmer que Ludmilla va devoir agir promptement pour recruter des danseurs au fil des besoins du développement artistique ou en éliminer lors des contraintes budgétaires. La formation exige beaucoup plus de temps. Nous constatons trois phases de croissance dans l'histoire de la compagnie: de la naissance en 1957 jusqu'à 1963 (petit nombre de danseurs); de 1963 à 1974 (développement démographique important), et de 1974 à 1977 (récession sous le règne de Brian Macdonald). Le programme de la saison de 1957-1958 présente 19 danseurs. Selon les biographies, cinq sont européens, une est originaire d'Amérique du Sud, un des ÉtatsUnis, trois sont Canadiens d'une autre province que le Québec et parmi les neuf qui viennent du Québec, cinq semblent provenir d'autres écoles de danse. À l'époque, la compagnie n'est active que quelques semaines par année4o • En 1963, il y aura un « boum démographique» à cause de l'ouverture de la PdA. Le passage d'une salle comme le Her Majesty's ou la Comédie Canadienne à une grande scène comme la salle Wilfrid Pelletier, oblige Ludmilla à recruter rapidement. Sans cela, le déploiement de ses danseurs sur le plateau de scène aura l'air ridicule. De plus, si elle ne croît pas davantage, elle ne pourra pas s'attaquer à des œuvres plus longues et plus im posantes. De 20 danseurs à la fondation de la compagnie, on passe à 31 en 1963 pour un contrat de 29 semaines (FALC). Après le « boum» de 1963, suit une période de stabilité relative dans le recrutement. Nous parlons d'une progression faible des danseurs formés par l'école si on tient compte de l'accroissement rapide du nombre total de danseurs de la compagnie. Le programme 40 Pour la saison de 1958-1959, les danseurs seront payés pour 10 semaines d'activités (Smith, 2000, p. 354), en 1959-1960 pour 18 semaines (Idem, p. 360) et pour la saison de 1961-1962, 28 semaines (rapport d'activités soumis au CAC, le 16 mars 1962, FALC). 183 de la saison de 1964-1965 inclut une seule soliste formée par l'école; en fait, elle est demi-soliste et trois recrues de l'école font partie du corps de ballet sur les 34 danseurs. C'est donc dire que plusieurs artistes originaires de l'extérieur de la province ont été engagés 41 • L'année d'avant, Ludmilla mentionne que 15 danseurs masculins sont américains: « Cela est dû à la pénurie de danseurs montréalais » (Gingras, août 1963). À la saison 1965-1966, un nombre plus important de danseurs ont transité par l'école. Si on se fie. aux biographies de chacun, incluses dans le programme souvenir (saison 19651966), huit nouveaux danseurs ont complété leur formation à l'école sur un total de 35. Si on tient compte qu'il faut entre huit à dix ans pour former un interprète en ballet et que l'on considère l'année de fondation de l'école (1957), on peut comprendre la remontée nouvelle des candidats « maison ». Pourtant, par la suite, ce nombre ne sera atteint qu'une seule fois. La compagnie grossit progressivement: 1967 c'est l'Exposition universelle et 1969 la première tournée européenne. En 1968, (entre les deux événements), on recense 40 danseurs dont aucun soliste formé à l'école et, sur 26 danseurs du corps de ballet, on compte cinq artistes issues de l'école. Mme Chiriaeff est inconfortable avec cette réalité à un point où elle sent le besoin de demander une mise au point à la direction du journal La Presse publiée le 25 mars 1967 : À la suite de l'article paru le 4 février dernier dans le Magazine de LA PRESSE et intitulé: « Silence! On répète! », Mme Ludmilla Chiriaeff, directrice des Grands Ballest Canadiens, nous fait tenir une mise au point que l'on pourrait ainsi résumer: contrairement ce qui a été dit dans l'article, les membres de la troupe des Grands Ballets sont en forte majorité canadiens. Mme Chiriaeff souligne en outre «qu'il n'existe presque pas de danseurs masculins canadiens », ce qui explique qu'elle doive recourir aux services de danseurs d'autres nationalités, dont les américains. Elle doit constamment se justifier lors de la tournée européenne quand les critiques déploreront le fait que la majorité des danseurs d'une compagnie canadienne sont de nationalité étrangère: 41 Dans cette évaluation, nous tenons compte du fait qu'aucune école de ballet du Québec n'est en mesure à cette époque de rencontrer les standards exigés par Ludmilla qui ont grimpé rapidement suite à la série de spectacles à Jacob's Pillow et aux tournées américaines (1959 et 1960). 184 Répondant aux remarques du « Guardian », selon lesquelles les quelques-uns seulement des 41 danseurs des Grands Hallets sont Canadiens, elle a déclaré: « D'une part, le Guardian exagère. D'autre part, dans un pays où il y avait peu de professionnels du ballet lorsque notre compagnie y a été créée il y a Il ans, nous ne pouvons que petit à petit former· des danseurs. » (St-Germain, 10 juin, 1969). Les difficultés financières servent à expliquer les fluctuations du nombre de danseurs engagés par les GBC. Dès la saison de 1971-1972, on mentionne les stagiaires issus de l'école; quatre sur une possibilité de 41 danseurs. En 1972-1973, on réduit la compagnie de 41 à 34 avec six stagiaires en plus. Comme c'est une crise financière, on compense le nombre de danseurs de calibre par des apprentis42 • C'est à la saison de 1973-1974 Uuste avant l'arrivée de Brian Macdonald toujours sous les auspices d'une crise financière importante) que l'on atteint une autre apogée: 49 danseurs dont cinq apprentis. Dès la saison 1974-1975 (arrivée de Macdonald), on diminue à 41 43 danseurs et Il stagiaires, pour atteindre 52 danseurs 44 • La saison suivante (75-76), 35 danseurs demeurent; il n'y a aucun apprenti. La crise financière de 1974 a purgé la compagnie d'un nombre appréciable d'artistes. Dès la saison 76, année des 25 ans d'existence de la compagnie, on compte 52 danseurs. La présentation ne distingue pas les apprentis des membres du corps de ballet. Ainsi, le nombre de danseurs fluctue énormément d'une année à l'autre. Il nous est impossible de savoir pourquoi. L'aspect financier est invoqué une seule fois dans les documents du CA pour justifier les changements. Une évaluation sommaire permet d'affirmer qu'une trentaine de danseurs, toutes promotions confondues, proviennent de l'école sur une période de 20 ans. Ce nombre a persisté malgré le fait que la direction artistique ait changé. Brian Macdonald cautionne la formation donnée à l'école et considère ses gradués de calibre suffisant pour leur passage à la vie professionnelle avec la compagnie car il a consèrvé les danseurs engagés par la direction artistique précédente. Rapport sur la crise daté du 9 novembre 1973 ; il n'est pas indiqué par qui il a été rédigé (FALC). Nous avons considéré le programme souvenir de cette année-là car une différence existe entre les danseurs énumérés au programme et la déclaration titrée par Brousseau du journal La Presse, le 12 septembre 1974 affirmant que la compagnie passe de 58 à 39 danseurs. 44 C'est ce nombre qui fait passer la compagnie d'un statut moyen à celui de grande compagnie institutionnelle. 42 43 185 En résumé, l'école n'a jamais permis de fournir la totalité ou même la moitié des membres actifs de la compagnie malgré les très nombreuses fluctuations de sa dimension. Il faut spécifier que ce n'est qu'en 1975 que Ludmilla obtient du ministère de l'Éducation la possibiHté d'offrir un programme de formation professionnelle intégré au système scolaire québécois, dont le mandat permet de recevoir une clientèle de toutes les régions du Québec dans un encadrement propice à favoriser les apprentissages et les rudiments d'une carrière de danseur. Son désir de croissance et de reconnaissance l'aura rendue gourmande à un point où il lui sera devenu difficile de justifier l'embauche de jeunes recrues dont le calibre ne serait pas de niveau acceptable. Les jeunes gradués de son école. sont en compétition avec ceux issus des autres écoles canadiennes, des grandes écoles américaines et européennes. La marche est encore haute. Son objectif n'aura été comblé qu'à demi, et à la lumière de notre analyse, à peine au quart. IV. 3.2: Former des chorégraphes Le bassin de créateurs potentiels est plutôt restreint quand il s'agit de créer des chorégraphies dans des styles variés et développer un répertoire diversifié, sans parler d'assurer une relève. D'autant plus que le créateur, comme le danseur ou l'enseignant, a besoin, lui aussi, d'une certaine formation sur le terrain. Afin d'encourager le développement des compétences et des habiletés de ceux qui manifestent un certain talent pour la création chorégraphique, Mme Chiriaeff organise des ateliers chorégraphiques dont le produit est présenté devant public. IV. 3.2. 1 : Organiser des ateliers chorégraphiques Mme Chiriaeff explique, en entrevue, sa stratégie opérationnelle pour assurer ce type de relève. On ouvre au public des ateliers chorégraphiques au sein desquels les danseurs de la compagnie peuvent présenter des essais chorégraphiques et ainsi diversifier leurs aptitudes: Nous avons organisé un atelier chorégraphique dans le cadre duquel nos danseurs peuvent avec le concours des danseurs de 186 l'Académie s'essayer à des chorégraphies. [ ... ] Il y a des éléments très intéressants à qui est promise une belle carrière que nous encouragerons. (Chiriaeff in Basile, 4 août 1963). Les danseurs ainsi que les aspirants chorégraphes qui ont accroché leurs chaussons (par exemple Brydon Paige45 ) présentent leur création tandis que les chorégraphes attitrés46 testent leur nouveau matériel. Une telle tribune permet de garantir minimalement la cohérence d'une œuvre et son impact. À l'époque, la compagnie ne découvre l'effet final que sur la scène, lors des représentations. Cela constitue toujours le risque d'un échec et encore aujourd'hui. Kevin McKenzie, directeur de l'ABT témoigne: « Let's face it, putting a new work on the stage is very expensive. That's why we need workshop.You can'tjust plop people on the stage in something new and hope it will be a success. That's irresponsible » (Smith, G., 2000). Peu importe qui chorégraphie. Les apprentis et étudiants de l'école peuvent augmenter leur expérience scénique. Formés par leurs aînés, renforcés par une telle expérience, ils se montreront plus aguerris pour embrasser la profession d'artiste en danse: ' The philosophy behind the workshop idea is to bring along promising young dancers who have been studying at the company's academy for sorne years and who appear ready to enter the professionnal rank. Although sorne of the students have appeared with the company at performances, they still need the valuable experience of full audience exposure on stage. « Private coaching and production rehearsals with company professionnal dancers are very helpful » says Madame Ludmilla Chiriaeff, fonder and artistic director of the company, « but after the foundation has been set, it is up to the individual dancers to reach the level of excellence that will either make them great or average and this can only be done on stage and before a critical audience. » (The Montreal Star, 1965) L'outil rentabilise les efforts de formation de l'école dont les moyens sont restreints pour offrir des expériences de scène aux étudiants. On stimule la relève et on produit un bassin potentiel d'œuvres à travailler pour les spectacles de la compagnie. Les ateliers chorégraphiques vont commencer en 1963 et se perpétuer jusqu'au règne de Brian Macdonald. Lui-même va y participer en 1976, lors de l'atelier présenté au théâtre Rappelons-nous comment Mme Chiraeff tenait à encourager Brydon paige à la chorégraphie. Il participera régulièrement aux Ateliers chorégraphiques dès ses débuts en 1963. 46 En novembre 1969, M. Nault va présenter son ébauche de Symphonie de Psaumes au théâtre du sous-sol de l'Université Sir George Williams (Gin gras, 1969). 45 187 Centaur du 2 au 5 juin (Siskind, 1976). Lors de la conférence de presse, au lancement la saison 1974-1975, on annonce que le dernier spectacle d'avril de la compagnie présentera une« création choisie parmi les œuvres que travaillent actuellement quatre chorégraphes dans le cadre de l'Atelier chorégraphique des GBC .. » (Brousseau, 12 sept. 1974). Sur une période de vingt ans, la direction artistique va assumer la responsabilité de susciter l'émergence des chorégraphes et ce, même si ces chorégraphes ne sont plus ou pas affiliés aux GBC. Par exemple la montré al aise Linda Rabin, issue du milieu de la danse contemporaine et toute jeune diplômée de la prestigieuse école Juilliard de New York, va participer à l'atelier de 1974. À la suite de cette tentative, aucune œuvre ne sera retenue pour le spectacle d'avril comme l'avait annoncé Brian Macdonald à la presse. En revanche, la jeune artiste répète l'expérience en 1975, grâce à une subvention du CAC. Son œuvre Souvenance/ A Yesterday's Day, créée dans le contexte de l'atelier, est présentée durant la saison 1975-1976 (programme souvenir, 1975-1976) et insérée officiellement à son répertoire. Par la suite, la collaboration entre les GBC et Linda Rabin donnera lieu à quatre œuvres demeurées sur la liste des chorégraphies des GBC à ce jour (liste du Répertoire des GBC de 1998). Les spectacles des ateliers chorégraphiques vont régulièrement être produits dans différents secteurs de la ville au fil des ans. La première édition de 1963 est l'exception qui confirme la règle. Elle aura lieu au Mont-Orford dans le cadre des Jeunesses musicales (Basile, août 1963). L'année d'après, l'atelier est présenté au Westmount High School (The Montreal Star, 1965); en 1966, au Gésù (Gingras, 6 août 1966) ; en 1968· (The Montreal Star, 1968) et 1969, à l'Université Sir George William (Gingras, nov. 1969); dans les studios de la rue Queen-Mary en 1974 (Brousseau, mai 1974) et enfin au théâtre Centaur en 1976. Les prix d'entrée varient selon les années; quelquefois les entrées sont gratuites ou des sommes modiques sont exigées (entre 1$ et 3$). Le fait de se déplacer augmente la visibilité de la compagnie, rejoint des publics différents et projette l'image d'un groupe accessible, jeune et dynamique. La critique est empathique et reconnaît le bien-fondé de l'expérimentation, apprécie l'audace et la fraîcheur qui se dégagent de certaines œuvres (Brousseau, Idem ; Gingras, 6 août 1966 et 1969). 188 IV. 4 : Développer un public de tout âge OBJECTIFS STRATÉGIQUES OBJECTIFS TACTIQUES OBJECTIFS OPÉRATIONNELS Ul >tœer ... IIlOCIac.....jeu ..... Hl > Alimente, le de Yén1.""lIIement • > Ilévelopjler un public de !Du! Ill" u >Intlr....rle...lan" 4,l > Inléresser t!l adlllle$ .en. > tœer UlIlépertOÎll! di",,,ifié' Ul > Réaliser des IDumée" •.u > Offrir d...bonn'!IlI!nl$ de sa!ro. 12.' > Assurer.", ~~bmlé 1li1évls...1~ m > Souligner tes événements .fJéciallx 421 1 6) AUpmer du œlmU aa:m!JIas flac: du !m'fat pM Ql~nu. BlG_",lllIIillliJlllll:)llJlljJu~t1IIlI,,_Iru~!lt. '1)l>!.... m ..,B)ll..",C)llolllql.iIIloo. Les ateliers chorégraphiques vont non seulement faire partie des objectifs opérationnels pour assurer la relève, mais ils vont contribuer à rencontrer le quatrième objectif stratégique: développer un public de tout âge et le conserver. Nous l'avons placé dans l'item précédent mais, il est aussi intimement lié à l'objectif tactique d'intéresser les enfants et les adultes afin de développer un public. En effet, le travail de développement de publics va se concentrer sur l'adhésion de deux clientèles: celle des enfants et celle des adultes. Cette dernière clientèle est visée sur le plan local, national et international contrairement à la première, davantage développée sur un plan local. Nous traiterons les objectifs opérationnelsattach~s au quatrième objectif stratégique, déployés pour chacune des clientèles. Pour développer un public d'enfants, la direction a créé des spectacles-jeunesse et a cherché à alimenter leur sens de l'émerveillement. Les objectifs opérationnels de développement de public adulte sont au nombre de cinq. Il s'agit de créer un répertoire diversifié, réaliser des tournées, offrir des abonnements de saison, assurer une visibilité télévisuelle et souligner les événements spéciaux rattachés à la compagnie. Un tel travail de la part de Ludm il/a Chiriaeff sur le développe n'lent de publics rejoint le dernier élément de sa déclaration en vue de développer la danse au Québec (présenté auparavant). Pour elle, sans spectateurs, J'artiste perd la raison même de son action c'est-à-dire partager, communiquer et être apprécié. Sans le public, la notion même d'artiste perd son sens. IV. 4. 1 : Intéresser les enfants Dès le début de ses activités artistiques, la compagnie a présenté des spectacles dédiés aux enfants dans le but avoué de développer leur intérêt pour les spectacles de danse. Les 189 stratégies sont multiples et diversifiées. De 1958 à 1974, l'attention accordée au développement du jeune public et à son éducation ne sera jamais laissé-pour-compte, bien au contraire. Les stratégies évoluent selon les générations et les moyens financiers disponibles. Chaque année d'existence des GBC apporte de nouvelles activités destinées aux enfants. Après 1974, ne subsistera que le spectacle annuel de Casse-Noisette, œuvre emblématique de la période des fêtes au Québec. Le ballet de Fernand Nault est loin d'être la seule œuvre qui a démontré l'initiative et les talents pédagogiques de la directrice artistique. En effet, le répertoire de la compagnie a toujours compté des œuvres spécifiquement créées pour l'éducation à la danse d'un jeune public ou d'autres pour alimenter le sens du merveilleux. Ainsi, il faut distinguer les deux aspects: certains spectacles peuvent divertir mais aussi instruire, développer chez les enfants des connaissances sur le ballet et aiguiser leur sens critique. Cette stratégie a pour tactique principalement de produire des spectacles pour les jeunes dans un but pédagogique et de faire leur éducation en regard de la discipline. Nous commenterons les stratégies opérationelles mises en place pour faire l'éducation dujeune public. IV. 4. 1. 1 : Créer des spectacles-jeunesse Les programmes de présentation de 1958 et les comptes-rendus journalistiques annoncent les spectacles: Initiation à la danse. Il s'agit de matinées ·offertes spécifiquement « aux enfants et aux étudiants» à la Comédie Canadienne. Les chorégraphies sont élaborées en vue de leur donner des références sur l'histoire du ballet et en faire découvrir l'esthétique et le style en lien avec sa tradition: Cette initiation commence par une étude sur Schumann qui montre dans sa forme la plus pure le ballet classique. Avec Nonagone et Farces Mme Chiriaefftrace la chorégraphie en respectant la musique ·de Bach et chaque danseur et danseuse représente un thème musical. (Le Petit Journal, 1959) À chaque représentation, les ballets sont commentés et expliqués par Mme Pierrette Champoux. Lors de ces spectacles, certains titres d'oeuvres ne trompent pas sur leur but 190 pédagogique: Étude de la danse de caractère47 , Étude de la pantomime classique (programme des GBC du 3 mai 1958 àla Comédie Canadienne). 48 Certaines stratégies opérationnelles sont déployées afin d'inciter les enfants à demeurer fidèles aux spectacles et à les apprécier: Près de 50 000 dépliants ont été distribués dans les écoles de la Commission Scolaire de Montréal afin d'inviter la jeunesse à s'initier à l'art de la danse et du ballet. À cet effet, les Grands Ballets Canadiens guidés et dirigés par Ludmilla Chiriaeff, présenteront une première série de spectacles d'initiation à la danse, au théâtre de la Comédie Canadienne, les 12 avril et 3 mai en matinée. Les dépliants remis aux étudiants sont munis d'un bulletin d'inscription que chacun devra remplir et poster, avant le 6 avril. De plus, des cartes de membres seront émises à ceux et celles qui en feront la demande au guichet du théâtre de la Comédie Canadienne. Ne seront admis aux spectacles d'initiation à la danse que les détenteurs d'une carte demembre. (La Presse, 1959) Les GBC collaborent avec les institutions d'éducation du Québec, autant les écoles catholiques que protestantes. Un premier spectacle chorégraphique est présenté dans les auditoriums des écoles protestantes du grand Montréal durant la saison 1962-1963. Il rejoindra plus de 4 000 enfants. Dès 1963-1964, les GBC offrent leurs matinées à la PdA toujours en collaboration avec la CECM et ce, grâce à des subventions reçues des trois paliers de gouvernement et des souscriptions privées. Seulement en 1966, 12 000 élèves assistent à des matinées durant l'année académique. Elles sont commentées par Urie! Luft (La Presse, 1966). Bien que la compagnie ait pris beaucoup d'expansion durant la deuxième partie des années 60, des spectacles ont lieu dans les écoles secondaires. de la province: Joliette, Montréal, Rigaud, Sorel, Vaudreuil (La Presse, 1969). Comme il devient de plus en plus difficile de présenter des spectacles de la ,compagnie, même en région périphérique de Montréal, à cause de l'ampleur des besoins du spectacle en termes de décors, costumes et équipement, Ludmilla Chiriaeff a l'idée de créer « les Les danses de caractère sont des danses d'inspiration folklorique incluses dès le XIX' siècle dans les ballets de la période romantique. Ces danses sont censées représenter les divertisseinents des villageois. Par exemple, la Csardas du deuxième acte de Coppelia s'exécute au cœur du village lors d'une fête des vendanges. 48 La pantomine classique consiste en une série de mouvements explicites et symboliques qui sont aussi intégrés à la même époque dans les ballets romantiques afin d'expliquer le déroulement de l'histoire. 47 191 Compagnons de la danse» en 1970. Mini compagnie itinérante de 14 danseurs, elle est alimentée principalement de stagiaires ou d'apprentis destinés à joindre éventuellement les rangs de la grande compagnie49 . En même temps, elle donne de l'expérience à ses recrues, permet à de jeunes chorégraphes comme Lawrence Gradus 50 de se faire valoir et à la population estudiantine du Québec et de l'Ontario (34 écoles visitées) de cont,inuer à être adepte de l'art de la danse. Le mandat spécifique de la troupe est: « d'initier à la danse le milieu étudiant et d'oeuvrer sur les scènes situées en dehors des grands centres» (programme souvenir, 1978). « The pro gram this year is a quick moving show that gives a short story of ballet proper, explains sorne of the gestures (but not too many) and then moves on tocontemporary dance as typified by Hip and Straight» (Siskind, 1971). Des œuvres accessibles et divertissantes sont incluses au programme mais la structure du spectacle consiste à présenter une soirée dont le thème principal est l'évolution de la danse à travers les âges. Le groupe parcourra le Québec pendant 4 ans. John Stanzel témoigne: Ce travail est très stimulant, car on danse dans des endroits inusités, mais surtout, on danse pour le public le plus vrai et le plus honnête qui soit, celui des enfants. Ce sont les meilleurs éléments critiques et les plus intransigeants. Ils sorit ouverts des yeux et du cœur lorsqu'ils vous observent. (Stanzel in Alonso, 1975) Ni l'influence de Ludmilla Chiriaeff, ni celle d'Uriel Luft n'auront su infléchir un des paliers gouvernementaux pour supporter les activités de développement de publics des « Compagnons» par de quelconques subventions. Les danseurs auront donné plus de 250 représentations, dont 157 seulement pour la saison de 1972-1973 (Brousseau, fév. 1974). Faute de fonds, on diminue les représentations à 63 pour la saison 1973-1974 (Lorrain, 1973, p. 207). Bien que son importance ait été démontrée pour l'éducation du jeune public par le succès et la vitalité de ses spectacles, Ludmilla Chirriaeff fermera sa mini compagnie en 1974. Brian Macdonald ne donnera jamais suite à aucun projet en vue de développer du jeune public. 49 Il Y a quelques exceptions à cette règle: John Stanzel participe comme animateur de ces spectacles. Il a dansé pendant plusieurs années avec la compagnie. Personnage haut en couleur, il cadre parfaitement avec la d6'namique interactive que l'on désire créer. Christine Clair a aussi dansé avec la compagnie dans le passé. 5 Lawrence Gradus a joint les rangs de la compagnie à titre de danseur soliste en 1968. Il est officiellement responsable des Compagnons de la danse et son chorégraphe attitré mais il demeure supervisé par Mme Chiriaeff (Siskind, 1971). . 192 Il est difficile de comprendre les motivations du gouvernement à ne pas encourager un outil de développement innovateur et polyvalent. Ce dernier n'aurait pas demandé un investissement aussi -imposant que l'est une compagnie de grande dimension et aurait permis une meilleure incursion de la danse dans les différentes régions du Québec.. Surtout qu'à l'époque, un vent de démocratisation de la culture anime les hommes politiques et les organismes gouvernementaux51 • Dans son rapport de départ adressé au président du CA de l'époque M. Dudley Mendels, J'administrateur sortant, M. JeanClaude Delorme explique (27 mai 1974, FALC) : Le Ministère, cependant, semble voir d'un mauvais œil que les Grands Ballets Canadiens se manifestent sous un autre nom en dehors de Montréal et de Québec; il soupçonne que la population locale' est probablement blessée du fait qu'on lui envoie les Compagnons et non la grande compagnie semblant indiquer qu'ils sont des citoyens de seconde zone. Ou le ministère se défile, car il ne veut pas vraiment investir dans le développement de la danse, ou il n'a pas compris la mission du groupe, importante dans le développement de la culture dans les milieux extra-urbains du Québec52 • La décision aura un impact important surIes projets de tournées futures au Québec. À une question posée par un membre du CA lors de la réunion du 9 décembre 1976 (FALC), à savoir pourquoi les GBC ne font plus de tournées au Québec, Colin McIntyre en explique les raisons: {( Les cachets offerts par les centres culturels· des petites villes de la province sont minimes et les dépenses de la compagnie pour de seml:?lables tournées, énormes. » Pour sa part, lors de la même réunion, Brian Macdonald .explique «la difficulté de soustraire quelques danseurs pour· des spectacles dans les petites villes et laisser les autres danseurs inoccupés. » La compagnie est maintenant de trop grande dimension pour se produire en région. Ludmilla avait anticipé la difficulté et avait tenté de la contrer mais n'avait pas été entendue. Nous faisons référence au document de travail du ministre des Affaires culturelles Jean-Paul L'Allier, intitulé Pour l'évolution de la politique culturelle, daté de mai 1976 qui met de l'avant la responsabilité ~ouvernementale de rendre la culture accessible à tous. 2 C'est à cette époque que Jacqueline Lemieux-Lopez prendra son envol avec une nouvelle compagnie, Entre-Six. Son mandat ressemble étrangement à celui des Compagnons, groupe pour lequel son mari Lawrence Gradus a beaucoup investi ses qualités artistiques et pédagogiques, d'abord dans la compagnie des GBC puis dans la mini-compagnie. 51 193 IV. 4. 1. 2: Alimenter le sens de l'émerveillement D'autres actions ont été menées, dès les premières années, afin de divertir et séduire le jeune public. Dans le répertoire du ballet romantique, il existe plusieurs œuvres féériques, inspirées de contes populaires dont l'intérêt persiste, année après année, auprès du jeune public et de leurs parents. Ces ballets à grand déploiement requièrent un nombre impressionnant de danseurs, de décors élaborés, de costumes fastueux et des plateaux de scène imposants. La complexité des danses, leur ampleur et les histoires, dont la narration n'est pas toujours facile à suivre dans la construction des ballets, constituent un défi de taille pour une compagnie dont le désir est de satisfaire les petits et les grands. Dès le début des activités de la compagnie, malgré les moyens modestes et les effectifs limités, le répertoire a été constitué d'une partie de ces œuvres, mais pas toujours avec succès. En 1961, les GBC offrent un spectacle en matinée à mi-chemin entre le répertoire pour adulte et celui pour enfant. Le fait de le présenter en matinée attire des jeunes enfants de ['âge de la maternelle à la pré-adolescence. Le compromis a un effet plus ou moins heureux: The simple steps and humorous cavortings in the commedia dell'arte ballet Farces were weIl suited to this audience and the reaction seeemed to give this colorful little piece new Iife. The dolls and the hum or in Coppelia also interested the children, but the audience was neither large enough nor sufficiently aware to respond to the technical brilliancies of the more c1assical or romantic numbers. [ ... ] Even the world's best companies, however, would have difficulty drawing the audience straight into the second act without the exposition of the first. (Johnson, 1961) En 1962, le ballet Cençlrillon de Ludmilla Chiriaeff, présenté en trois actes, n'arrive pas à créer d'arrimage entre les deux types de public: ou l'œuvre manque de consistance et d'imagination pour les adultes, ou elle manque de féerie et de simplicité pour les enfants (Johnson, 1962 ; Beraud, 1962). Malgré les tentatives plus ou moins réussies, Ludmilla persiste et apprend de ses expériences. Noël 1963 est consacré à sa nouvelle création : Pierrot de la lunes3 . Le 53 Le ballet commence au royaume des étoiles, avec Pierrot assis sur son croissant de lune, assistant au spectacle des étoiles autour de lui. Au deuxième acte, Pierrot descend sur la terre, c'est-à-dire au Royaume des jouets. S'anime devant ses yeux émerveillés un petit théâtre de marionnettes,. un caroussel, des clowns et· 194 personnage est connu, mais l'œuvre est fictive. La chorégraphe utilise une quarantaine d'étudiants de l'école, fait osciller la danse entre l'imaginaire et la fête; elle réussit à entretenir un certain intérêt des enfants comme des adultes (Gingras, déc. 1963). Le faste et l'élaboration majestueuse qu'exigent ces ballets a pour effet de c,réer des trous financiers importants dans les budgets des compagnies. C'est le cas des productions pour enfants des GBC : Cendrillon et Pierrot de la lune (Forget, 2006, p. 214). Pourtant, il existe en Amérique du Nord, un ballet dont la participation financière a déjà contribué jusqu'au tiers du revenu annuel des compagnies (Fisher, 2003). C'est le ballet CasseNoisette. George Balanchine a créé sa version en 1954 et l'a portée à la télévision en 1958. Depuis ce temps, les productions essaim~nt partout en Amérique du Nord. En 1964, les compagnies du BNC et les GBC offrent toutes deux leur Casse-Noisette à la période des fêtes 54 . La version de Fernand Nault, créée exclusivement pour les GBC, suivra les générations et deviendra une tradition pour les Québécois. Il séduit autant les grands que les petits: « Although this is primarily a ballet for children the adults who .take them to it will be equally entertained » (Johnson, 1964). Mme Chiriaeff rappelle que « M. Nault - tout seul - l'avait réalisé en trois semaines et demi en travaillant de 9 h le matin à 10 h du soir (avec les enfants compris) 55. » En 1963, la compagnie a déménagé ses spectacles à la salle Wilfrid Pelletier de la PdA. Ses effectifs ont augmenté et la salle offre un plateau scénique plus vaste et mieux équipé pour inclure des effets spéciaux dans une œuvre chorégraphique (par exemple, un arbre de Noël qui grandit dans le ballet Casse-Noisette). L'effet spectaculaire et féerique n'en est que plus probant. Spectacle familial par excellence, la compagnie offre des matinées et des soirées, les samedi et dimanche et des programmes de soirée avec des œuvres différentes, les vendredis. La production coûte 25 000 $ pour une saison. Les billets se détaillent comme suit: les vendredis, ils sont à 6 $, 5 $, 4 $, 3 $ et 2 $, les soirées CasseNoisette sont à 5 $,4 $, 3 $ et 2 $ et enfin, les matinées Casse-Noisette sont à 4 $, 3 $, 2 $ et 1 $ (affiche de 1965). des poupées, un régiment de chevaux et des caniches. Las de tout cela, Pierrot retournera dans son beau ciel et le ballet se terminera un peu comme il a commencé (Gingras, 1963), . 54 Une critique du Montreal Star compare les deux versions. Elle prétend que celle des OBC est « thrilling and a beautiful performance» tandis que celle du BNC est « distracting, garish and quite ugly» (Mass, 1966). 55 Extrait d'un mémo adressé à Brian Macdonald, non daté (FALC). . 195 Le succès du ballet ne se dément pas année après année. La couverture journalistique . relate les applaudissements, les expressions des enfants émerveillés et un niveau d'assistance continu. En 1967, la compagnie déménage le spectacle à l'Aréna MauriceRichard dans le but d'augmenter possib~ement son auditoire dans un secteur de la ville où les habitants ne se déplacent pas jusqu'à la PdA s6 • L'expérience n'est pas renouvelée: les aménagements nécessaires pour monter un semblant de scène afin de servir le spectacle est coûteux et le déroulement du spectacle est périlleux: il n'y a pas vraiment de coulisses de scène, donc tous les changements se font dans l'obscurité et il y a des loges de fortune pour 150 personnes où s'entasse une grande quantité d'enfants à superviser durant la présentations7 • La compagnie a englouti 15 000 $ dans l'aventure quand ce ballet doit plutôt rapporter de l'argentS8 • Il n'en demeure pas moins que le spectacle du ballet Casse-Noisette sera présenté, année après année, presque sans interruption pendant douze ans (1964-1977, la période que nous couvrons). M. Luft (2005) déclare: « Ça été un afflux financier extraordinaire, c'est-à-dire un stabilisateur pour la compagnie parce que, en le présentant tous les ans, cela augmentait la saison de cinq .:t sept semaines, à peu de frais. Pour les danseurs et pour les budgets de la compagnie, c'était très important. » En 1969 le spectacle sera annulé, même s'il a été prévu et publicisé au lancement de la saison 1969-1970. Les journaux annoncent une version officielle du désistement. La . compagnie déplore l'absence de danseurs étoiles, demeurés en Europe à la suite de la tournée de la compagnie au printemps de 1969 (communiqués de La Presse et Le Devoir). La réalité est tout autre. Une réduction de fonds du CAC59 et le déficit de 64 285 $ (Forget, 2005, manuscrit, partie II, p. 435) de la tournée européenne que le ministère des Affaires extérieures n'entend pas combler, force le Juge Vadboncoeur à écrire à Léon Lortie le président du CARMM, le 1er décembre 1969 : « Cette année en raison des difficultés financières, il n'y aura pas de Casse-Noisette durant la période des tètes» Ludmilla remercie Aubert Brillant: « je suis certaine que sans votre aide, nous n'aurions pas osé tenter l'expérience [ ... ] où un nouveau public qui n'a pas l'habitude de fréquenter la PdA est venu assister à un ballet .sur scène pour la première fois pour la plupart »(Lettre du 18 déc. 1967 in Forget, 2005, manuscrit, ~artie II, p. 304). 1 Nous avons vécu Pexpérience avec la compagnie de danse Eddy Toussaint en 1987. À 22 danseurs, plus les membres de l'OSM, l'expérience avait comporté de nombreuses difficultés sans compter les éléments techniques difficiles à maîtriser comme la distorsion du son. Il est facile d'imaginer les éléments complexes en cause dans le cas d'une production comme Casse-Noisette. S8 Le programme souvenir du 10· anniversaire présente les dépenses et revenus pour la saison 1967-1968 : Casse-Noisette à l'Aréna a coûté 52 000 $ et a rapporté 37000 $. 59 Lettre de Peter Dwyer au JugeVadboncoeur qui annonce dès l'été 1968 que: « 1969-1970 sera une année d'austérité en matière de dépenses gouvernementales » (lettre du 8 juil. 1968, FALC). 56 196 (Idem). La déconvenue ne se reproduira plus. Mme Chiriaeff insiste sur la vocation du ballet: « Il faut refaire Casse-Noisette! Et vous savez pourquoi? .. Pour la simple raison qu'on ne peut éduquer sans danse, sans les bases, toute une génération. On fera des matinées pour les petits, et avec Casse-Noisette» (Chiriaeff in Benoît, 1972). Dix ans après les premières présentations, les prix ont suivi l'inflation mais demeurent accessibles poùr l'époque: les billets sont à 9 $,7 $,5 $,4 $ et 4.50 $ pour les étudiants et les enfants au parterre et au premier balcon (affiche de 1975). En 1971, on présente Tommy à la place (The Gazette, 1971 6°) et en 1972, le ballet Casse-Noisette est repris avec de nouveaux décors et costuines. Ainsi, il n'y a que trois années où le ballet n'est pas présenté après sa création : 1969, 1971 et 1976. En 1976, Brian Macdonald caresse l'idée de changer le spectacle de Casse-Noisette pour une version intégrale du Lac des Cygnei J• Le projet est ambitieux financièrement, au point où, il annonce le projet de monter le deuxième acte en novembre 1976 et prévoit compléter l'œuvre pour le Noël de l'année suivante. La chorégraphie est confiée à Brydon Paige. Il a pour mission de faire des recherches afin de trouver la version la plus conforme à l'originale (Galloway, nov. 1976). Le projet est prometteur: le premier soir de la présentation du deuxième acte du ballet à Wilfrid Pelletier, la salle est remplie à pleine capacité de balletomanes. On a dO mettre en vente les places des ouvreurs. The Gazette annonce 2 900 places vendues (1976, nov.). C'est plutôt un cahier spécial, album-souvenir que l'on imprime au sujet de Casse- Noisette en 1977 puisque, dès ['automne 1977, Brian Macdonald n'agit plus à titre de directeur artistique et n'a donc plus le pouvoir de décider de la programmation. De plus, la production du Lac des Cygnes, dans une présentation éventuelle intégrale, a été évaluée à des coOts de plus de 50 000 $. Les statistiques de 1976, après dix ans de présentation de Casse-Noisette, annoncent 95 % d'assistance et des revenus pour la compagnie de 172 000 $ pour la même période (Howe-Beck, mai 1977). À la lumière de ce qui précède, il ne fait plus de doute: le ballet Casse-Noisette est une valeur sOre et l'investissement dans 60 Mme Chiriaeff y déclare: « Why should we keep performing Nurcracker for our Christmas production when we have a ballet with a more valid message for our audience. [ ... ] The NUlcracker's trip is through a child's faryJand. Tommy is through the acid world ofthis generation. » 61 Il faut mentionner que ce choix aurait fait glisser l'objectif de développement vers la clientèle adulte; ce ballet n'est pas particulièrement accessible aux enfants. 197 une œuvre nouvelle, comporte de trop grands risques financiers pour .les moyens de la compagnie. L'œuvre d'envergure du Casse-Noisette a généré beaucoup d'estime: « That's the longest running nutcracker in Canada and probably, it might even be the better» (HoweBeek, 2005). Sa survie est liée aussi à la sympathie générée par le plaisir des enfapts auprès de certains groupes influents, intellectuels ou commerciaux. Dès sa première présence à la programmation, la production est commanditée par la Société d'Étude et de Conférences (regroupement de femmes de notables impliquées socialement qui ramassent des fonds pour soutenir des causes qui leur tiennent à cœur) (The Montreal Star, 1964). Plus tard, la compagnie des marchés d'alimentation Steinberg, par le biais de Nathan Steinberg, va acheter 3.000 billets pour permettre à des enfants handicapés du Montréal métropolitain de voir le spectacle. Il a regroupé des enfants du Douglas Hospital, du East boys and girls Club, du Mackay Center for Deaf and Crippled Children, du Montreal Children's Hospital et du Négro Community Center (The Montreal Star, 1967). Il récidive en 1970 et paie aussi pour un goûter et des autobus, car il a invité des enfants des banlieues (Gail, 1970). En règle générale, même quand il s'agit de spectacles pour adultes, les billets sont presque offerts à moitié prix et les étudiants bénéficient d'une réduction de 50 % sur le prix déjà réduit lo~s des matinées de la compagnie à la PdA62. Tout ce travail de développement de public auprès des enfants de toute condition en vue de leur faire connaître le ballet par l'intermédiaire du « merveilleux chorégraphique », aura été une occasion de se faire valoir en tant que compagnie majeure et essentielle au développement de la culture au Québec. Ce travail de sensibilisation aura été concentré presqu'exclusivement dans la province. Les œuvres du répertoire spécifiquement dédiées à la clientèle enfantine, étaient imposantes par leur déploiement technique et organisationnel (sauf au tout début de la compagnie, avant 1963). Il aurait été difficile de les exporter. Les coûts relatifs au transport des décors, au montage technique et le voyage 62 Cette réduction s'explique aussi par le fait qu'il en coûte moins cher de louer la salle Wilfrid Pelletier pour les matinées que les soirées. Au début de ses activités, la PdA loue la salle 1 500 $ le soir et 1 000 $ en matinée (Duval, 1988, p. 350). 198 des étudiants de l'école à la salle et la logistique entourant leur participation auraient demandé des déboursés astronomiques à la compagnie. IV. 4. 2 : Intéresser les adultes Les objectifs de développement d'un public adulte sont plus diversifiés et se sont modifiés au fil du temps. Ils ont été énumérés précédemment. premier objectif opérationnel, c'est-à-dire créer un répertoire diversifié ne s'est jamais démenti durant le règne des deux directions artistiques consécutives. Pour eux, il ne s'agissait pas de se spécialiser dans un type de ballet63 mais de varier les thèmes et les styles dans le but de fidéliser un public hétérogène,d'abôrd par le choix d'artistes créateurs eux-mêmes solidaires de cette vision. De plus, Ludmilla décide de diversifier le style de ses ballets. Elle veut faire des tournées pour augmenter sa crédibilité institutionnelle et elle met sur pied un système d'abonnements pour supporter les représentations locales. Elle s'assure aussi d'un minimum de visibilité télévisuelle sur une base régulière et enfin met sa compagnie en évidence entre autres, grâce à sa participation à des événements spéciaux. Brian continue son action dans l'esprit de la fondatrice. IVA.2.1 : Créer un répertoire diversifié En cette matière, l'époque précurseure à la naissance des GBC, soit celle des Ballets Chiriaeff, a été riche d'enseignement pour Mme Chiriaeff pour évaluer les clientèles auxquelles elle s'adresse et l'orientation à donner à ses premières oeuvres. Les nombreux collaborateurs avec lesquels elle a été appelée à travailler lui ont bien fait comprendre le type de public auquel elle doit s'adresser: « Elle parle avec ferv~ur des rencontres avec Michel Perrault (qui deviendra le premier directeur musical de la compagnie), le musicien Pierre Mercure et le réalisateur Jean Boisvert}} (Breniel, 1987). Déjà, à la période télévisuelle des Ballets Chiriaeff, puis durant la période de 1957 à 1963, elle oriente, son action chorégraphique autour de trois façons de diversifier son répertoire pour rejoindre le plus de monde possible : (a) combiner des œuvres accessibles avec des œuvres plus Par exemple com~e I,'a fait leBNe en développant son répertoire autour des grandes œuvres du répertoire des ballets romantiques. 63 199 complexes dans un même programme de soirée, (b) élaborer un produit original et (c) tenter d'y refléter la culture canadienne-française. Elle met en pratique son expérience de pédagogue et de communicatrice pour charmer son premier public, celui de la télévision, et rencontrer ainsi les trois aspects de la mise en œuvre de son objectif: Très vite, Ludmilla Chiriaeff comprend que c'est par le folklore et les légendes qu'elle apprivoisera les Québécois. « Je me disais qu'en leur racontant avec la danse des histoires qu'ils connaissaient, je les amènerai (sic) à accepter ce langage. Petit à petit, j'ai ajouté des choses plus abstraites.» Pendant qu'elle illustre, pour des émissions de variétés, les chansons de Gilles Vigneault et de Félix Leclerc, elle poursuit son œuvre de création et d'éducation dans les spectacles de L 'Heure du concert. Les programmes mêlent adroitement les pièces d'inspiration folklorique et celles de chorégraphes encore inconnus du public d'ici. (Breniel, 1987) De surcroît, son expérience européenne lui a donné une plus grande facilité à développer un travail de création originale plutôt que de remonter les œuvres du répertoire romantique qu'elle connaît peu et qu'elle n'a jamais dansées. Ses plus grandes influences sur le plan artistique (Massine et Fokine) ont été des modèles et les pères d'une révolution chorégraphique originale du XX e siècle. Elle les rejoint à plusieurs égards, entre autres en ce qui concerne l'idée que l'œuvre doit être cohérente sous tous ses aspects et que sa composition doit être associée à celle d'artistes d'autres disciplines artistiques: The dance need to be a mere divertissement introduced into pantomime. In ballet the whole meaning of the story can be expressed by dance. Above aH, dancing should be interpretative .. .it should express the whole epoch to which the subject of the ballet belongs. The music must be eqüally inspired .. .it is necessary to create a form of music which expresses the same emotion as that which inspires the movement of the dancer. The harmony which these dances must have with the theme, the period and the style, demands a new view-point in the matter of decoration and costume. .In place of the traditionnal dualism, the ballet must have complete unity of expression, a unity which is made up of a harmonious blending of the three elements-music, painting and plastic arts. Through the rythms of the body the ballet can find expression for ideas, sentiments, emotions. The dance bears the same relation to gesture that poetry bears to prosé4 ... (Chiriaeff in Williams, 1978) 64 L'auteur précise que ces paroles sont de Michel Fokine mais il ne donne pas la référence. 200 Ainsi, son approche populaire allie ses compétences, les conseils de ses collègues artistes canadiens-français et son intuition de ce qu'il faut mettre en scène pour séduire. Elle crée, mais utilise aussi des extraits de répertoire romantique le plus souvent remontés par Eric Hyrst ou Anton Dolin. Les créations originales sont dramatiques ou amusantes, puis leur contenu oscille ent(e des thèmes traditionnels, abstraits ou inspirés de légendes canadiennes. La stratégie des trois éléments conjugués n'a pas pour but unique de gagner le cœur deS canadiens-français. Cette option permet également d'utiliser des danseurs en dépit de leur inexpérience de scène et leur manque de technique dans .des œuvres chorégraphiques originales où la pantomime et la danse folklorique peuvent pallier les faiblesses de virtuosité: Les Grands Ballets Canadiens ont présenté l'autre soir un spectacle magnifique qui a été presque d'un bout à l'autre un émerveillement. Que cet émerveillement soit provoqué avec des moyens chorégraphiques qui ne vont pas puiser dans le vocabulaire de la haute virtuosité n'importe pas du tout. Ce qui importe c'est que ce spectacle fut de l'art. (Vallerand, 1959) Les résultats sont présentables, en général assez bien reçus et ils satisfont les aspirations nationales de l'époque, du moins pour un certain temps: «Les Grands Ballets Canadiens, par cette soirée chargée de pensée, d'invention et de théâtre au sens le plus riche du terme, nous confirment dans la conviction que nous possédons à Montréal une compagnie de ballet qui est devenue un élément essentiel, irremplaçable, de notre vie artistique» (Vallerand, 1960). Les différentes programmations consistent en un savant dosage de créations et d'extraits de répertoire. Elles incluent, avec parcimonie, des « extraits» du répertoire romantique. Les œuvres originales côtoient de courts moments de ballets comme le pas de deux de . . ( Don Quichotte et celui du deuxième acte du Lac des Cygnei5 . Certains danseurs solistes de la compagnie comme Eric Hyrst, Milenka Niederlova ou Eva von Gencsy ont l'expérience et la formation pour interpréter de tels extraits.· . 65 Œuvres qui font partie du programme présenté en 1960 à la Comédie Canadienne le Il janvier (programme de la soirée). 201 En alternant les chorégraphies de création plus narratives et simples dans leur travail gestuel et celles plus exigeantes et complexes des ballets romantiques connus, Mme. Chiriaeff s'assure de plaire à tout le monde durant une même soirée. Elle montre aussi le calibre des danseurs et leur polyvalence. Si on en croit les programmes des premières années, les ballets sont toujours de courtes pièces différents lors d'une même soirée 66 . et on peut en voir jusqu'à sept Elle confie à sa biographe Nicolle Forget (2005) : « Il faut réchauffer le public. Ne jamais donner la pièce principale au début, à moins que ce ne soit un ballet en trois actes mais l'orchestre a toujours l'ouverture. Il faut finir si possible avec quelque chose d'enjoué, de très dansant, divertissant. Comme un peu de champagne» (manuscrit, partie II, p. 207). Dès le début des activités des GBC, ily a une œuvre originale d'inspiration folklorique québécoise ou canadienne dans chacun des programmes 67 . Ces créations font appel au travail d'artistes d'ici: peintres, musiciens, scénographes, créateurs pour la scène. Leur succès est plutôt mitigé. Par exemple, le ballet Bérubé (1960) de Brydon Paige, inspiré d'un poème de Guy Maufette, est une création originale sur une musique de Michel Perrault, avec des décors de Robert Prévost. Plutôt sombre et difficile d'accès à cause de son propos psychologique, la création aura une courte vie de scène. Dès la saison d'après, elle n'est plus programmée même si elle figure toujours au répertoire de la compagnie (répertoire de la compagnie des GBC de 1998). L'idée d'insérer des pièces originales, à contenu folklorique canadien est espacée au fil des saisons. On tourne toujours autour des mêmes thèmes: Ali these Canadian folk ballets seem to have the same plot and the same choreographic design. Michel Perrault's contrapuntal arrangement of old French tunes was skilful and very agreeable; but the very familiarity of the melodies deepened the impression that the ballet was an old friend in new guise (Johnson, 1961). Mme Chiriaeff garde l'idée de s'inspirer de légendes du terroir mais dorénavant, les essais seront dispersés au fil des saisons. En même temps, la compagnie continue de faire appel à des artistes d'ici pour participer aux autres créations. Programme de la soirée du Her Majesty's du 14 au 18 février 196 L 67 1958: Suite canadienne; 1960: Bérubé et Sea Gallows; 1961: Belle Rose (programmes respectifs de soirée de ces années). 66 202 . À mesure que le niveau technique de la compagnie atteint un certain degré de virtuosité, les œuvres prennent de l'ampleur. Elles occupent un plus grand temps de soirée et leur capacité à raconter des histoires, drôles de surcroît, sont tirées d'un répertoire plus classique. En 1961, la Fille mal gardée est un succès. Le Bal des Cadets (1963) pendant longtemps clôt les spectacles et laisse une atmosphère de détente, d'amusement. Les spectateurs comprennent l'histoire dans laquelle des personnages, plus grands que nature, alternent le travail de pantomime et de danse et permettent au spectateur de suivre la trame narrative. Dès 1963, l'orchestre accompagne la compagnie lors de ses représentations à la PdA. On ne renonce pas pour autant à créer. des œuvres originales, reflèt de la culture du Québec à l'époque de la Révolution tranquille. On ne renonce pas non plus à produire un répertoire varié dans lequel alternent des compositions dramatiques ou abstraites et d'autres, plus légères. Dorénavant, les thèmes sont qualifiés de québécois et non plus de canadiéns-français comme c'était le cas avant la Révolution tranquille. La venue de Fernand Nault en 1965 maintient l'objectif à trois volets de développement d'un public adulte déjà inscrit dans les volontés de Ludmilla, mais la compagnie se tourne vers une création plus contemporaine à thèmes plus universels. L'identité québécoise passe davantage par sa capacité à inscrire sa danse dans des préoccupations partagées à une grande échelle et à une culture de danse internationale, liée à un courant néoclassique qu'ont amorcé George Balanchine aux États-Unis et Maurice Béjart en Europe. Fernand Nault, du fait qu'il vivait à New York pendant 25 ans a été en contact avec George Balanchine et ses œuvres. Il est plausible de penser qu'il ait été influencé par le chorégraphe. Les chorégraphes peuvent dorénavant décomposer le mouvement pur du ballet académique dans les chorégraphies, choisir des thèmes liés· à la spiritualité, la mort et l'amour dans des sens métaphoriques (avec des traitements plus modernes que les amours inaccessibles romantiques), danser sur des musiques électro-acoustiques68 et accaparer une soirée complète avec un seul ballet ou seulement quelques-uns. C'est l'époque des œuvres longues et monumentales (à grand déploiement) des GBe. Comme nous avons pu 68 Maurice B1éjart a été le premier à utiliser ce genre de musique avec la création de Messe pour le temps présent en 1967. 203 le constater le nombre de danseurs a aussi augmenté pour soutenir l'ampleur des productions. La venue de Brian Macdonald suit la même règle sous les mêmes trois volets. Il croit au développement d'un produit typiquement canadien et son travail de créateur va dans le même sens pour diversifier les genres présentés au public: « Il est parfois difficile d'être frais chaque soir, mais il le faut. Pour le public, il ne doit jamais y avoir de routine » (Macdonald in Gingras, 1987). Lui aussi crée pour la compagnie en collaboration avec des artistes canadiens et se fait un point d'honneur de respecter la règle: When les GB go to New York or Japan whatpeople want to see is what is original to our country. They don't want to see American or British ballet. [ ... ] You don't go to SalzQurg and play Mozart. You go to Salzburg and play Harry Freeman and Murray Schafer. People need to identify with their own country and their own land. (Macdonald in Mirolla, 1983) Macdonald organise des programmes dans lesquels il inclut plus de pièces chorégraphiques que du temps de Fernand Nault. Sous son règne, on revient à une possibilité de quatre à cinq œuvres par représentation car le momentum de ses explorations chorégraphiques donne lieu à des œuvres plus courtes que celles de son prédécesseur. Son désir d'explorer plusieurs genres à la fois est manifeste, si on fait le compte de tous les ballets de sa création du temps de sa direction artistique et de ses déclarations: You must not let yourself get in the position of so many choreographers of cutting the same piece of cloth over and over again. [ ... ] Now l am doing less, more carefully. l want to restrict myself to only one or two pieces a year that have real value. l used to just push the button and.out wou Id pop another ballet. Of course one's personnal artistic characteristics carry over from one ballet to another. But you have to renew yourself constantly. (Macdonald in Heller, déc. 1971). Cela étant dit, Brian Macdonald s'inscrit dans la même lignée de pensée que ses prédécesseurs en ce qui concerne l'originalité, la diversité et la pertinence des œuvres à inclure au répertoire: Ce que je crée ne doit pas être faux. Cela ne doit pas être désincarné comme ce qui se fait au Royal Ballet de Londres, mais 204 ressembler à ce que l'énergie physique des Américains leur ont permis de créer d'original dans leur propre pays. Là-dessus je m'entends beaucoup avec Ludmilla (Chiriaeff) - qui ne cesse de parler de danse au Québec - ce pour quoi il faut reconnaître qu'elle a tant fait en 25 ans. Avec Fernand Nault aussi, qui a travaillé avec les mêmes vues et les mêmes bases. (Macdonald in Brousseau,· sept. 1974) Ainsi, le développement d'un public adulte durant les vingt premières années de la compagnie a gravité autour des trois stratégies énoncées au début: l'accessibilité avec des œuvres plus abstraites, un produit original ou nouveau pour le public montréalais et des œuvres reflétant la culture des gens d'ici. IV. 4. 2. 2 : Réaliser des tournées Un deuxième objectif opérationnel de la compagnie vise à développer son public sur les scènes régionale, nationale et internationale. Le choix de faire des tournées avec un répertoire hétéroclite n'est pas étranger à sa popularité nord-américaine plutôt rapide dès le début de son existence et aura probablement sauvé la compagnié9 d'une mort èertaine en 1962. Les tournées ont eu unimpact sur la popularité de la compagnie et sur sa capacité à se faire reconnaître comme un joueur majeur du développement culturel du Québec. La compagnie des GBC a été considérée comme une ambassadrice importante du Canada à l'étranger. Les tournées ont permis à Mme Chiriaeff de marquer des points sur les plans politique et artistique, mais elles ont exigé aussi des replis stratégiques. Nous retenons trois tournées particuIlèrement déterminantes dans le parcours historique des GBC. Elles ont été névralgiques pour la suite des décisions entourant la compagnie: le festival de Jacob's Pillow en 1959, la tournée en Europe en 1969 et celle d'Amérique du Sud en 1977. Dans les deux premiers cas, deux événements vont provoquer une tournée, dans le troisième cas, une tournée provoquera un événement. 69 Nous allons aborder le sujet en détail quand nous expliquerons les rapports des GBCavec le CAC. 205 A) Jacob's Pillow La première sortie de la compagnie, à l'aube de son existence, a lieu chez nos voisins du Sud. Après une seule saison de quelques représentations, Ted Shawn 70 l'invite à se produire au prestigieux festival de Jacob's PiUow 7 ! au Massachusetts à l'été 1959. L'invitation ne se refuse pas. Le directeur, surnommé « Papa Shawn» par les danseurs de tout le continent, invite la jeune compagnie à ce festival déjà reconnu à l'époque, en Amérique du Nord, comme un passage obligé vers la reconnaissance. Toujours à l'affût de nouveaux talents qu'il désire faire connaître, Ted Shawn a vent de la naissance d'une nouvelle troupe de danse à Montréal. Il se fait envoyer, à New York, une bobine kinétoscopique du travail de la compagnie. Charmé, il fait lui-même une visite aux GBC pour vérifier la qualité du produit et engage les vingt danseurs pour clore la saison du festival les 27, 28, et 29 juillet de l'année 1959. La presse montréalaise ne manque pas d'annoncer l'événement. Elle pèche toutefois par ignorance quand elle annonce que c'est la première fois qu'une compagnie canadienne s'y présente (La Presse, 29 août 1959). Le BNC s'y était produit les 4 et 5 août 1953, à peine deux ans après sa fondation (Neufeld, 1996). Le succès est retentissant. La critique américaine est élogieuse et confirme le choix de Ludmilla à prévilégier un produit original qui met en valeur les qualités expressives de ses danseurs et démontre la vitalité de la jeune compagnie par des œuvres qui ne sont comparables à rien d'autre. Mme Chiriaeff évite toute comparaison chorégraphique peu flatteuse, compte tenu du manque d'expérience de plusieurs de ses danseurs. On insiste sur lajeunesse et l'enthousiasme de la compagnie: Lilian Moore (1959), du New York Herald Tribune a dit que les représentations de cette troupe étaient marquées par un caractère attirant d'intimité et de simplicité. Elles se distinguaient par la fraîcheur, l'enthousiasme et la jeunesse. Richard V. Happel, critique du. Berkshire Eagle, de Pittsfield, Mass. a parlé de Ted Shawn est considéré comme le père de la « Modern Dance» américaine. Partenaire et mari de Ruth StDenis, il a contribué à mettre sur pied la première école de formation en danse moderne (Benninghton College, 1934) où se sont côtoyés les Martha Graham, Doris Humphrey et Charles Weidman, première ~énération de danseurs modernes. e ! Le festival en 1959 en est à sa 27 saison. Cette ancienne ferme dans les montagnes du Berkshire a été baptisée de son nom par des colons du XVIIIe siècle. «Depuis sa création, le festival a présenté plus de cent premières œuvres chorégraphiques et a présidé à de nombreux débuts. » (La Presse, 22 août, 1959). 70 206 l'originalité de la compagnie. John F. Kyes de l'Evening Gazette, Worcester, Mass., souligne que le Canada a envoyé une troupe de ballet superbe. Il a souligné l'élégance, l'énergie et la formation solide de l'ensemble. Wayne C. Smith dans le Springfield Sunday . Republican estime que les GBC sont l'expression artistique de l'esprit et de la culture du peuple canadien-français dans le 72 . domaine de la danse. (La Presse,3 sept. 1959) On fait aussi l'éloge de l'originalité de la troupe: It does not model itself on any for the longer-established companies and does not rely on warmer-over versions of those standard works which are so often considered box-office necessity. AH the ballets on this production were created for the company and, though they were uneven in quality, it was a pleasure to anticipate the ri se of each curtain, knowing that what followed would be completely new and have the merit of surprise. (Manchester, 1959) La presse perçoit « une originalité canadienne ». Que connait-elle de la danse au Canada ? Peut-être la venue du BNC en 1953, spécialisé dans la reconstruction des grands classiques, a t-elle laissé une impression spécifique de ce qu'est la danse au Canada? Le produit original des GBC contraste largement avec son pendant ontarien. Fait-elle référence à la programmation ? Fort probablement: l~s chorégraphes et concepteurs (éclairages, décors, costumes et musiques) sont majoritairement du Québec. Cependant rien ne permet d'affirmer que le contenu soit canadien, sauf en ce qui concerne le ballet Sea Gallows, inspiré d'une légende de la Nouvelle-Écosse (La Presse, août 1959). M. Manchester (oct. 1959), du magazine Dance New ~s manifeste une appréciation plutôt négative de toutes les pièces chorégraphiques de la compagnie des GBC et de celles des autres compagnies, comme d'.lns le cas de l'article précédent. Seuls les danseurs trouvent grâce à ses yeux. Leur présence, leurs qualités techniques (pour les solistes) et surtout expressives ont fait apprécier le spectacle. Tous les solistes sont nommés: Eva von Gencsy, Margaret Mercier, Milenka Niederlova, Véronique Landory, Eric Hyrst, Brydon Paige et John Stanzel. Le suc.cès des GBC à Jacob's Pillow sera celui de la fraîcheur et de la jeunesse, vision plutôt conforme à l'idée de Ted Shawn du Canada artistique de l'époque. Le contraste est Nous avons vérifié l'article original de chacun de ces auteurs et la traduction reflète adéquatement selon nous la teneur des propos de chacun. 72 207 grand avec la présentation du répertoire du BNC soucieux de reproduire le mieux possible les grands ballets romantiques. Quoi qu'il en soit, « Papa Shawn» insiste, plusieurs fois plutôt qu'une, sur les qualités 'd'ambassadeurs du Canada que présentent les, GBC en terre américaine. Un journaliste inconnu traduit ses propos et cite: Les Grands Ballets Canadiens font honneur au Canada et sont représentatifs des Canadiens. [ ... ] Maintenant, tous les Canadiens peuvent être fiers de la façon dont les Américains ont reçu la jeune compagnie de ballet du Canada pour ses débuts aux Etats-Unis. [ ... ] Cette compagnie reflète la verve, l'éclat, l'entrain et la vitalité du Canada. (Shawn in La Presse, sept. 1959) L'occasion est inespérée mais elle engendre aussi des problèmes de taille. À cette étape de développement de la compagnie, il n'existe pas d'infrastructure pour supporter un tel voyage. Au-delà des fonds à trouver, il n'y a pas de personnel technique employé sur une base régulière et la compagnie ne possède pas d'équipement de scène. Plusieurs personnes conjuguent leurs efforts pour suppléer au manque de ressources: M. Paul Boudreault de CKAC a nolisé un avion pour transporter la troupe et le personnel nécessaire aux représentations. [ ... ] Les costumes et les décors ont voyagé avec Gervais Transport et Ludmilla a dû faire appel à Québec pour une subvention spéciale , couvrant le déficit qu'elle entrevoit même avant le départ pour les États:- Unis. (Forget, 2006, p. 333) , Ted Shawn invite la compagnie une deuxième fois à l'été 1960. La presse américaine confirme largement son coup de cœur en qualifiant la jeune compagnie la meilleure sur le continent nord américain (Le Devoir, 15 juil. 1960). L'engouement n'est pas partagé par tous. Walter Terry Guillet 1960), important critique newyorkais se plaint des choix chorégraphiques: « ... it was up and down with Les Grands Ballets Canadiens. At the worst, the company and its choreography were woefully amateurish and effortful, but at the best, one found freshness, energy, attractiveness and fundamental talent. » Mme Chiriaeff justifie une demande de fonds supplémentaires pour participer au festival de Jacob's Pillow. Elle signale que leur présence au festival sera suivie, à l'automne, d'une tournée en sols américain et canadien73 • Malgré un déficit accumulé de 18210 $, 73 La tournée ies mènera à New York, en Pennsylvanie, en Ohio, au Michigan, en Indiana, en Illinois au Kentucky, en Iowa et en Virginie occidentale (La Presse, 17 sept. 1960). 208 elle se tourne vers le Secrétariat de la province7\ pour réclamer une aide supplémentaire (FALC). Avant même d'avoir obtenu la réponse, elle organise la tournée américaine. Le financement lui sera finalement accordé, malgré le changement de gouvernemene 5, mais bienaprès les élections. La persistance de la directrice artistique à réaliser des tournées malgré le manque cruel d'organisation et de fonds n'est pas anodine. Mme Chiriaeff a compris que la reconnaissance est tributaire de l'influence et de l'appui des détenteurs de la notoriété et de la crédibilité au sein du milieu de la danse et en périphérie: les impresarii et les compagnies de diffusion, organisateurs des tournées à vocation artistique. Ces différents partenaires l'aideront à asseoir le prestige de sa compagnie et à donner de la crédibilité auprès des organismes subventionnaires. D'autant plus qu'originaire du vieux continent, Ludmilla a expérimenté le proverbe: «Nul n'est prophète en son pays! » Ted Shawn lui offre une opportunité en or de se faire valoir et de gagner en crédibilité. Elle décide de saisir l'occasion et de frapper un grand coup. Elle tirera tous les avantages possibles d'un engouement soudain et passager. Les subventions passeront du simple au double au provincial et au fédéral (annexe VIII), entre les saisons 1957-1958 et 1960-1961. Sa popularité et son initiative vont, en quelque sorte, faire grimper les subventions reçues du nouveau gouvernement du Québec de Jean Lesage et celle du CAC. Elle tapisse le programme souvenir de la compagnie de la saison 1960-1961 de critiques élogieuses des journaux américains. Enfin, elle convoque une conférence de presse durant laquelle elle passe plusieurs messages importants relatés par les journalistes. Un article important en fait foi. Il s'intitule: « L'expérience des Grands Ballets Canadiens FAUT-IL TOUJOURS S'EXILER POUR ATTEINDRE LA GLOIRE 76 7 » Mme Chiriaeff relie son passage au festival et son triomphe pour justifier la tournée américaine qui a suivi 77 • Ainsi,· le gouvernement du Québec a eu raison de la subventionner car elle se considère une ambassadrice importante du Canada: Lettre à M. Raymond Douville sous-secrétaire de la provin~e datée du 9 juin 1960. Le gouvernement d'Antonio Barrette a été battu par le parti libéral de Jean Lesage le 22 juin 1960. 76 L'article en question occupe une pleine page du journal La Patrie du Dimanche (Maitre, Il déc. 1960). 77 La première tournée est née de sa propre initiative. Elle est plus prudente quand elle s'adresse aux politiciens à qui elle demande un surplus de fonds. Elle ne fait aucunement mention d'une demande américaine ou d'un producteur quelconque. Réf. lettre à M. Raymond Douville sous-secrétaire de la province datée du9 juin 1960. À sa biographe, elle explique que l'initiative vient d'elle (Forget, 2005 manuscrit, partie II, p. 203). 74 75 209 La critique a été partout élogieuse ainsi que le prouvent de nombreuses découpures de presse, poursuit Mme Chiriaeff en nous les montrant et son intérêt a été manifeste ainsi qu'elle l'a souligné à maintes reprises et en maints endroits, à l'égard d'une troupe de ballet venant du Canada français et dont le genre et la conception différents étaient remplis de verve et de chic français. (Maitre, déc. 1960) En revanche, par la déclaration suivante tirée de la même conférence de presse, elle manifeste à mots couverts le manque d'appui du gouvernement fédéral qui subventionne peu les GBC, Gomparativement au BNC 78 : « Nous avons eu là-bas un accueil dépassant toutes nos prévisions et bien que ne connaissant absolument personne aux États-Unis, l'on a parlé de nous en bien comme on l'a rarement fait au Canada jusqu'à présent» (Idem). Elle place sa compagnie sur l'échiquier nord-américain à titre de joueur majeur de la culture canadienne. Elle évoque la tournée de 196079 et celle prévue pour 1961 sous les auspices de la Columbia Artists Management, prestigieuse compagnie de tournées: Cette dernière a produit en Amérique de Nord plusieurs compagnies de danse professionnelle européennes importantes depuis les trente dernières années 8o • A~ssi, elle assied sa valeur sur la reconnaissance manifestée par Ted Shaw en le citant: « Le Canada et le Canada français en particulier peuvent être fiers de posséder une troupe comme la compagnie des Grands Ballets Canadiens, qui leur fait grandement honneur. »(Forget, 2006, p. 333-334)· Les propos rapportés par Mme Chiriaeff diffèrent légèrement de ceux émis par Ted Shawn. Jamais il n'a mentionné le « Canada français» dans ses déclarations. Cette interprétation permet à Ludmilla de faire valoir sa compagnie comme une troupe importante, mais surtout originale et sans alter ego dans le reste du Canada. Finalement, avec l'expérience de 1959, les GBC ont développé rapidement un réseau de tournées nord-américaines. Ce réseau durera les vingt années de notre étude. Le rapport annuel du CAC montre que le BNe reçoit pour la saison 1959-1960, 100 000 $ comparativement à 15 000 $ pour les GBC : « pour faire des tournées et donner 3 représentations aux enfants. » 79 La compagriie a fait une tournée à travers le Québec et les provinces de l'Atlantique: 13 villes et 5 78 ~rovinces. o Columbia Concerts Corporation a été fondée en 1930 à New York. Elle devient la Columbia Artists Management en 1948 (www.cami.com). 210 Mme Chiriaeff a atteint trois objectifs: obtenir le support financier des gouvernements, atteindre la reconnaissance de ses pairs 81 et susciter l'admiration de la poptilation 82 • Sa stratégie a été payante. Elle utilisera la même pour la deuxième étape de développement d'un réseau de tournées de sa compagnie, mais elle n'obtiendrapasle même succès. B) L'Europe Les événements se déroulent de la même façon que la première tournée d'envergure. D'abord, un spectacle produit un impact important (cette fois-ci sur la scène montréalaise). Il ouvre une porte à la compagnie pour réaliser une percée encore plus significative. Le succès des ballets Carmina Burana et Giselle, présentés à l'Exposition universelle de 1967, sera le moteur d'un lancement européen. Les deux œuvres occupent chacune presque toute une soirée contrairement aux habitudes de la compagnie et elles marquent de ce fait, un changement dans la façon de prévoir et programmer un spectacle. Cependant, il faudra encore quelques années pour réaliser le rêve. La deuxième tournée importante de la compagnie est celle de 1969 en Europe. L'Amérique du Nord connaît les GBC, le triumvirat Nault-Chiriaeff-Luft83 désire aussi conquérir le vieux continent. En 1966, Mme Chiriaeffcaresse le projet de créer un ballet de facture plus contemporaine qui pourrait combler une soirée complète: Elle m'a parlé de faire une"sojrée entière avec un seul ballet. Le projet original c'était Ti-Jean. Elle devait le faire elle-même. Finalement elle m'a donné le projet. Moi, je ne le sentais pas du tout. Je lui ai dit: « Je ne peux pas!» Alors, elle m'a dit:« Qu'est-ce qu'on va faire?» Je lui ai dit:« J'ai fait un ballet au Kentucky qui s'appelle Carmina Burana. Ce sont des poèmes du XIIIe siècle qui traitent de l'amour, du printemps .. J'ai fait la première partie, je lui ai montré· et elle a trouvé ça formidable. » (Nault, 2005) L'envergure d'un tel projet commande des fonds à la hauteur de ses aspirations. L'Exposition universelle s'en vient et aussi le 10e anniversaire de la compagnie. Entendons les gens du BNC qui la regardent de haut et ceux du RWB qui la voient comme une rivale. En comparaison, le BNC n'a jamais fait grand cas de son passage à Jacob's Pillow. Il en est fait mention sur une seule ligne de la présentation de la compagnie par Celia Franca dans le programme de la saison 19531954. Aucun battage médiatique n'a entouré l'événement par la suite (Newfeld, 1996, p. 63). 83 Si on tient compte du moment où arrive Fernand Nault dans l'histoire de la compagnie en 1965, nous pouvons présumer qu'il adhère au projet du couple de conquérir l'Europe. 81 82 211 Des fonds attribués par le gouvernement fédéral sont maintenant disponibles pour souligner le centenaire de la Confédération. Il s'agit de saisir l'occasion pour créer une œuvre d'envergure. Ce sera Carmina Burana, de Fernand Nault. Financer décors, costumes, engager chanteurs solistes et chœurs en plus des musiciens de l'orchestre demande beaucoup d'argent. De plus, la compétition sera importante lors de l'Exposition universelle de 1967. De grandes compagnies de danse sont attendues à Montréal pour l'événement comme nous l'avons vu précédemment. Il faut encore une fois marquer l'esprit populaire et démarquer les GBC de leurs compétiteurs. Mme Chiriaeff obtient un financement de 70 700 $ de la Commission du Centenaire. Il servira à monter un spectacle imposant pour l'événement. Officiellement, l'argent doit servir à créer des ballets à saveur québécoise, mais Carmina Burana en sera l'œuvre maîtresse. Étrangement, le montant de la subvention correspond exactement au coût de la production de Carmina 84 • Cette dernière est testée à Montréal à l'automne 1966 en même temps que les deux ballets officiellement subventionnés (La Corriveau et Pointes sur glace) en plus du ballet Giselle, monté par Anton Dolin. La réception critique est décevante au sujet des ballets de commande. Par contre, elle est élogieuse sur Giselle et enthousiaste à propos .de Carmina 85 • Pierre Dupuy (1972), Commissaire Gél)éral écrira au sujet de l'œuvre présentée au Pavillon de la jeunesse de l'Expo 67: Les Grands Ballets Canadiens nous ont réservé une belle surprise avec Carmina Burana. C'est l'œuvre qui correspond le plus intimement à Terre des Hommes. Je ne sais trop comment féliciter le directeur artistique, Madame Ludmilla Chiriaeff, de ce choix qui révèle chez elle la profondeur d'inspiration exceptionnelle. Après ce spectacle, nous étions sûrs que le Canada figurait parmi les plus grands ensembles dont nous étions les hôtes. (pp. 217-218) Une tournée américaine à l'automne 1967 confirme l'engouement autour du ballet Carmina (AIT). La tournée a conduit la compagnie dans vingt États américains d'ouest en est et du nord au sud avec taux d'occupation de 90 à 100 % des salles de spectacle (Maitre, 1967). Le montant est annoncé dans un pré-papier de Gingras (12 nov. 1966). La facture chorégraphique est d'inspiration néo-classique dans un esprit médiéval: elle ne recèle aucune saveur québécoise. Le ballet Giselle l'est encore moins. 84 85 212 Entre temps, la venue d'Alicia Alonso dans le cadre des présentations officielles de l'Exposition universelle a rehaussé le spectacle et a consacré la capacité de la compagnie à présenter des ballets du répertoire classique. Comme il a été mentionné auparavant, sa participation à une production des GBC a généré la venue d'un grand nombre de critiques du monde entier qui assisteront aux spectacles des GBC et ceux des autres compagnies 86 . On peut croire que maintenant la compagnie est davantage connue sur un plan international, du moins du côté du réseau des gens de la critique en danse. C'est remarquable à l'époque 87 . Une telle ouverture devrait inciter les journalistes à se déplacer pour voir les GBC quand ils se présenteront en Europe ou en Amérique. Le fruit est mûr pour envisager une tournée européenne et devenir ainsi la deuxième compagnie de ballet canadienne à se produire en Europe 88 • Le projet s'est concrétisé au lendemain du succès de la compagnie à l'Exposition universelle. Le ministère des Affaires extérieures du Canada finance la tournée pour cette raison: « Sans Carmina, il n'y aurait pas eu de tournée 89 » (Lu ft, 2005). Ludmilla sait fort bien qu'elle n'a aucune chance d'y faire sa marque avec le répertoire des grands classiques. À l'époque, le couple mythique de la danse Rudolf NoureevlMargot Fonteyn interprète tous les ballets du répertoire romantique et représente la mesure de l'excellence dans l'interprétation de ce type d'œuvre en Occident. Ludmilla connaît le degré de virtuosité auquel les européens sont habitués (Ross, 1969) et elle est consciente des standards plutôt moyens de sa compagnie. Toujours avec l'aide et les bonnes idées de Fernand Nault 90 , elle concocte le projet de monter les Trionji, trilogie musicale de Carl Orff.·M. Nault a déjà vu le Carmina Burana 86 À l'époque, il n'existe pas encore de festivals de danse canadiens qui regroupent plusieurs troupes d'envergure internationale. C'est une aubaine pour un critique d'assister à la présentation d'un grand nombre de compagnies différentes. 87 Plus que maintenant, on constate que les critiques de cette époque connaissent Je ballet très bien par la façon dont ils la décrivent. De plus, les genres de danse sont moins hétérogènes. Le nombre de spectacles étant moins importants, les journalistes assurent une couverture médiatique complète (pré-papier, critique et suivi des œuvres). Cette constatation est aussi faite par Smith (2000). 88 Le RWB est la seule compagnie à l'avoir fait auparavant dans le cadre du festival du Commonwealth et le BNC ne s'y produira qu'en 1972 (Neufeld, 1996). . 89 Selon Uriel Luft, c'est grâce à l'imprésario Sarfati, qui, grâce à ses relations, a réussi à obtenir les subventions nécessaires du gouvernement canadien (Luft, 2005). 90 Il ne veut pas créer les deux autres ballets de la trilogie de Carl Orff parce qu'il croit que ce serait trop redondant sur le plan chorégraphique (Nault in Gingras, 15 fév. 1969). . 213 de John Butler91 aux États-Unis et il sait qu'il a réalisé Catulli Carmina, la deuxième partie des Trionfi. Norman Walker avait lui aussi créé Triomphed'Aphrodite (troisième partie de la trilogie) auparavant. Comme les œuvres existent déjà, elles seront montées plus rapidement. Le MAC accorde une subvention spéciale à la réalisation des deux nouveaux ballets92. Le projet de la tournée européenne est annoncé en conférence de presse dès novembre 1967 (Maitre), mais il n'est pas fait mention des deux autres sections de la trilogie. En juin 1968 (La Presse, le 1er juin 1968), la partie du projet européen est rendue publique. Entre les deux moments, Mme Chiriaeff et M. Nault ont mûri la programmation de façon à ce qu'elle frappe l'imagination. Le projet artistique dépas~e tout ce qui a été fait auparavant dans l'histoire de la compagnie et bien au-delà: «La plus importante [production] pour les Grands Ballets mais la plus importante, je pense jamais montée à Montréal, et même au Canada, pour ne pas dire en Amérique, dans le domaine du ballet en tout cas» (Nault in Gingras, 15 fév. 1969). Bien que M. Nault· n'ait pas voulu chorégraphier les trois partitions, les collaborateurs sont les mêmes pour les trois œuvres de la trilogie: Robert Prévost aux décors et François Barbeau aux costumes. Cela crée une certaine unité conceptuelle et coupe les prix. Le montage financier s'est fait sur une longue période: subvention spéciale pour Carmina en 1966, subvention spéciale pour les deux autres œuvres en 1968, œuvres à petit budget pour le reste du programme et un budget de dépenses de tournée défrayées par le gouvernement fédéral bouclè le tout93 • Il aura fallu à Ludmilla quatre ans pour préparer une programmation d'une si grande envergure et offrir aux GBC une première tournée européenne. John Butler, chorégraphe américain, a fait le succès du Harkness Ballet et du Pensylvania Ballet. Il a aussi travaillé en Europe avec le Nederland Dans Theatre et il a ·été directeur artistique du festival de Spoleto, section italienne. 92 . . Programme souvenir de la compagnie de 1968-1969. 93 Il Y a contradiction entre les propos de Naultet les affinnations de Luft. Selon M. Nault, ce sont les fonctionnaires fédéraux qui sont venus voir le ballet Carmina et qui ont décrété qu'il fallait absolument le présenter en Europe (Nault, 2005). Cela étant dit, rien n'empêche que Sarfati ait incité les fonctionnaires fédéraux à aller voir le ballet et à faire des représentations pour qu'il soit au coeur d'une tournée européenne. 91 214 Les autres œuvres présentées en Europe comprennent: Thème et variations de Balanchine94 , deux œuvres de Brydon Paige, La couvée et Médée 95 puis Divertissement Glazounov de Fernand Naulë6 • Il est difficile de comprendre ce choix car rien de logique ne le sous-entend. Donc, le plat de résistance sera la trilogie et les autres ballets serviront de faire-valoir en termes de durée et de mise en scène. C'est ce que semble insinuer Claude Gingras (17 fév. 1969): « Une heure de ce climat [la Trionfi] assez difficile d'accès, c'est suffisant. La formule idéale me semble être celle du prochain programme (vendredi soir) : Triomphe d'Aphrodite, complété par d'autres ballets du répertoire de la compagnie. » Une série de spectacles à la PdA se déroule pendant deux semaines en février pour tester tous les ballets; ceux de la trilogie et les autres. La critique prend son, rôle très au sérieux. Les commentaires visent à donner l'heure juste à propos de l'impact des œuvres sur le public européen et sur leur degré de finitude. Gingras dira: On me trouvera sans doute sévère. Tant pis. Samedi soir, je regardais le spectacle avec d'autres yeux, des yeux plus exigeants peut-être, me disant que bientôt nos Grands Ballets Canadiens seront sur la scène européenne et, qui plus est, défendant le même répertoire. Mieux vaut mettre les choses au point à la maison. (17 fév. 1969) L'œuvre la mieux achevée est, selori tous les critiques, Triomphe d'Aphrodite. Autant les spectacles de la première semaine (Catulli Carmina et Carmina Burana) ont montré une compagnie nerveuse et désorganisée dans les ensembles chorégraphiques97 , autant la troisième partie de la trilogie a charmé par son propos et son exécution: « Je crois qu'il faut remonter à la création de Carmina pour retrouver dans un spectacle des Grands Ballets la même perfection » (Gin gras, 22 fév. 1969). Pour tous les spectacles, la présence remarquable de Vincent Warren est mentionnée. Des allusions à des similitudes avec le travail de Béjart dans les œuvres de la Trionfi sont notées par tous les journalistes (Gingras, Basile, Siskind et Helier, dans leurs papiers du 17 et du 22 fév. 1969). La faiblesse de la chorégraphie de Médée et Mère Courage est souligné de nouveau: « La Imposé par le producteu~ européen Sarfati que doit danser absolument Melissa Hayden et son partenaire. 95 Deux œuvres aux critiques plutôt mitigées (Gin gras, 20 déc. 1965). 96 Qualifié de « ballet d'école» par Jean Basile (LeDevoir, 14 nov. 1966) et décrit comme un rare bonheur ~ar G ingras (La Presse, 14 nov. 1966). 7 La compagnie a changé le tiers de ses danseurs à l'automne précédent (comparaison des noms des programmes de saison entre la saison 1967-1968 et 1968-1969). 94 215 Médée de Brydon Paige est un ballet moderne qui ne l'est déjà plus ... » (Gingras, 22 fév. 1969) ; « Quant à la Couvée [ ... ] je me demande si on peut vraiment parler de 'ballet'» (Gingras, 24 fév. 1969). Par contre, la distribution montréalaise de Thème et variations est louangée par la presse francophone et décriée par la presse anglophone: « The opening Thème et variations does not show the company at its best ... » (Heller, 22 féy. 1969). Malgré les commentaires formulés dans le but d'aider Mme Chiriaeff à f~ire ses choix de programmation et à raffiner le travail grandement avancé, rien ne sera changé des œuvres inscrites au répertoire à emporter dans les bagages de la compagnie. Cette dernière s'envole pour Lausanne le 6 mai 1969, pour 10 semaines, avec 41 danseurs, 36 choristes, quatre .solistes et cinq instrumentistes (base d'un orchestre à compléter en Europe). Mme Chiriaeff a évalué, avec plus ou moins de précision, les différentes programmations pour satisfaire les différents publics: À Londres, les gens sont très balléttomanes. Paris, c'est un autre . public. On le gagne ou on ne le gagne pas. Si c'est le coup' de foudre, alors ça y est. Si on tombe juste, tant mieux. Tandis qu'à Londres, les gens s'y connaissent, c'est sérieux. Jene veux pas dire qu'à Paris les gens ne s'y connaissent pas, mais il faut bien tomber, voilà! (Chiriaeff in La Presse, 10 mai 1969) . La tournée se déroule en dents de scie avec un succès plutôt mitigé98 • Plusieurs détails techniques et des facteurs humains vont influencer la performance des interprètes, le .succès de la tournée et la suite des événements. Le premier acteur à l'origine des complications est l'imprésario Albert SarfatL Ses· exigences au sujet de l'ajout de danseurs vedettes (imposés) vient à l'encontre de l'organisation familiale habituelle de la compagnie. L'équilibre de la troupe est ébranlé. Les danseurs ont fait un excellent travail artistique à Montréal et pourtant se retrouvent relégués au second plan. Cela n'est rien pour aider le moral des troupes 99 , ni pour créer un esprit de corps devant les difficultés à venir. De telles exigences auront plutôt l'effet compag~ie (Forget, 2006, p. 423), Elle n'est donc pas dans les meilleures conditions pour prendre des décisions et réagir rapidement aux difficultés éventuelles qui peuvent survenir. 99 Sonia Taverner et Richard Beaty ont reçu des critiques élogieuses pour leur interprétation de Thème variations. Ghislaine Thesmar, malgré sa carrière européenne, ne s'est pas démarquée à Montréal des autres .danseurs durant son séjour (AIT). 98 Mme Chiriaeff est malade. Son médecin lui a fortement déconseillé de partir avec la et 216 de créer un effritement de la culture « familiale» en place depuis le début et de toucher· directement les valeurs de l'institution. Ne pas se faire reconnaître, malgré tout le professionnalisme et la dévotion est un moteur de dissension qui couve. Mme Chiriaeff accepte les conditions de l'imprésario sans prévoir l'effet pervers que cela risque d'engendrer. Sarfati prend des décisions inconsidérées sur le plan artistique et empiète ainsi sur les prérogatives de Mme Chiriaeff. Cette dernière plie, mais réalise après coup les dommages créés sur l'atmosphère du groupe. Comme les critiques britanniques ont été mauvaises, Sarfati s'énerve: ... exige de Ludmilla qu'elle change le programme ·du gala d'ouverture des Champs- Élysées. Alors, les artistes manifestent leur mécontentement. Il ne s'agit pas que des danseurs mais aussi du chœur et des solistes: « J'aurais dû dire non à Sarfati et m'en tenir au programme que j'avais choisi. » (Ludmilla in Forget, 2005, manuscrit, partie II, p. 25) D'ailleurs, il s'avère incompétent: il n'a pas assuré la coordination des orchestres dans les différentes villes, ni fait de publicité suffisante pour attirer le public aux spectacles. Uriel Luft avait été averti à l'avance du manque de professionnalisme de l'imprésario mais il n'a pas cru bon de réagir à une lettre reçue un mois avant le départ: J'ai appris que votre agent en Europe est uri certain SARPATI ou quelque chose du genre. Je n'ai jamais entendu ce nom et je crois connaître tous les imprésarios de renom. Ce qui m'a étonné c'est que ni Mme Vrouska ni Mme von Knorring (ex Diaghilev) n'avaient rien entendu de J'arrivée de votre Ballet à Lausanne, ni aucune de mes nombreuses connaissances dans ce pays. J'ai l'impression que la publicité a été négligée 100 • . En fait, Uriel Luft est pieds et poings liés. Albert Sarfati est celui « qui a organisé la tournée en Europe et a réussi par ses relations à (nous) avoir les subventions nécessaires pour entreprendre cette tournée avec la trilogie de Carl Orff» (Luft, 2005). Il avait été présenté à la presse montréalaise dès 1968 comme « un important imprésario parisien» (La Presse, 26 avril 1968). Les ravages de sa mauvaise planification sont considérables sur l'achalandage aux spectacles: L'imprés?lrio Sarfati attribue. la fréquentation plutôt moyenne au fait que les OB sont peu connus et qu'en France, les spectacles ont 100 Lettre datée du 14 avril 1969, adressée à Uriel Luft de M. Antony biamantidi ami de la famille (Forget, 2006, p. 424). 217 coïncidé avec la campagne à la présidence de la République. C'est pourtant lui qui a négocié les dates et était chargé de la publicité. C'était à lui de savoir. C'est peu de dire qu'il ne sera plus dans les bonnes grâces de Ludmilla. (Forget, 2005, manuscrit, partie II, p. 18). La négligence de Sarfati et de Luft va avoir comme conséquence que les salles vont d'abord être presque vides (par exemple) à Lyon et Paris (Idem). Il faudra le bouche à oreille dès l'arrivée de Carmina à l'affiche et la parution des premières critiques qui vont attiser la curiosité des spectateurs potentiels. En définitive, le despotisme et l'incompétence de Sarfati, liés à l'inertie d'Uriel Luft lOl et de Mme Chiriaeff vont handicaper le succès du périple européen. L'analyse des éléments importants de la tournée européenne à partir de la documentation ne fut guère facile. Nous avons été confrontés à plusieurs niveaux d'interprétation: celui de MmeChiriaj::ff elle-même, celui des critiques européens, celui des journaux montréalais interprétant les critiques européennes et celui du filtre de Roland Lorrain « animateur culturel» de la compagnie. Il y a un point sur lequel Ludmilla a vu juste avant son départ: l'importance des publics et des critiques de Paris et de Londres. COmme nous l'avons signifié auparavant, le peuple britannique vit depuis un certain temps sous le charme du couple de danseurs Noureev/Fonteyn : The arrivaI of a Kirov-trained dancer, RudolfNureyev, as a regular guest-artist from 1962 onwards, further stimulated the dancing, while his reconstructions of sorne of the old Russian classic tipped the repertoire towards traditions. His partenership with Fonteyn meanwhile produced a peak in ballet popularity. (Bland, 1985, p. 146)102. La préséance du ballet dans sa forme virtuose totalement maîtrisée avec un contenu narratif traditionnel est l'étalon-or de la qualité de la danse classique en Europe à l'époque. Son public est énormément sollicité, et de ce fait, développe un goût en lien avec les forces du couple vedette: « London is now one of the world's main dance lOI Son manque de vigilance est étonnant, surtout après avoir déclaré: « This tour is extremely important for us.» (Luft in Kennedy, 1969). Il dit cela en lien avec le fait qu'il espère que le succès de cette tournée donnera une reconnaissance qui fera avancer la danse au Canada. Il est allé lui-même à trois reprises pour ~lanifier la tournée et aplanir les difficultés (Ross, 1969). 02 Extrait tiré d'un article écrit p~r l'auteur le 30 septembre 1973. 218 capitals (rivalled only by Moscow and New York) with a very large and experience audience » (Idem, p. 145). Il exige des œuvres bien ficelées, avec des standards techniques élevés et, en même temps, une certaine affiliation aux styles surannés du début du siècle. A va nt ces deux étapes, la performance de la compagnie est considérée un succès artistique et aussi d'estime. La Presse (12 mai 1969) reproduit un a.rticle de Lausanne. Elle décrit le spectacle et mentionne que Catulli Carmina « fut reçu avec enthousiasme. » Le 17 mai, La Presse J03 a reçu des détails additionnels de Roland Lorrain: « les danseurs sont revenus saluer 20 fois après Catulli Carmina, le public a été partagé par La Couvée, Mme Chiriaeff écrit en toutes lettres qu'après pivertissement Glazounov, on hurlait dans la salle. » On reçoit aussi très bien la compagnie à Lyon: « L'assistance a salué chaleureusement le corps de ballet... » (La Presse, Lyon AFP, 13 mai) et à Lisbonne: « se classe parmi les plus célèbres troupes internationales de danse» (Idem, 26 mai). À ce stade, la compagnie se laisse bercer par l'euphorie du succès et les danseurs ont eu le temps de juguler le décalage horaire, s'.habituer aux scènes en pente et roder les différents ballets. Tout semble prêt pour affronter les balletomanes et critiques de Londres. En réalité, il n'en est rien. L'information est d'abord filtrée pour tenter de minimiser l'impact de la mauvaise critique. Un article non signé du Montreal Star (28 mai 1969) fait un compte-rendu de la prestation du 27 mai au Sadler's Wells de Londres qJ.,li annonce un autre triomphe. Les informations ont été obtenues par l'agence de presse Reuters (1969). On titre: « Les Grands Ballets in London Rapturous reception greets Montreal troupe ». Dans l'article, on souligne: « There were 14 curtain calls and ovations for the principals as weil as for the company's fonder, Ludmilla Chiriaeff and her assistant artistic director, Fernand Nault. » Le 31 mai, un article dans La Presse (sans auteur) contribue à semer un certain doute sur l'issue des représentations. La date du 31 mai n'est pas anodine non plus. La compagnie a fait parvenir les coupures de journaux. Il s'agit pour elle de frapper l'imagination avant que les critiques londoniennes soient toutes disponibles sur les fils de 103 Article de La Presse intitulé: « Le Québec libre de danser! ». 219 presse. D'ailleurs, le journal apporte une précision pour mettre en garde contre un certain triomphalisme: « On ne spécifie pas si l'envoi contient tous les articles que la troupe a suscités, sans exception, mais la quantité et la qualité des articles laissent clairement entendre que la troupe a été acclamée par la majorité sinon la totalité des critiques. » À la suite de ces propos, les extraits cités viennent de Bruxelles, Lyon et Lausanne: rien de Londres. Le 4 juin, La Presse fait un compte rendu des différents articles parus à Londres: « Les critiques ont été moins sévères que pour les spectacles précédents mais, dans l'ensemble, ils continuent de dire que la troupe a encore' beaucoup de chemin à parcourir avant d'atteindre une véritable grandeur I04 ,. » ; le Montreal Star dit exactement la même chose (Morrison, 1969). Pierre St-Germain (10 juin 1969), correspondant de La Presse à Paris, rapporte les commentaires de Ludmilla sur la visite des GBC à Londres. Elle nua.nce l'accueil londonien en faisant une différence entre la réception d'un public enthousiasme et celui de la presse. Pour cette dernière, elle se demande si : « Londres n'était pas simplement un endroit où l'on n'a pas compris notre message et notre personnalité. » En privé, elle s'épanche davantage : Le public est gentil, chaud, élogieux et très enchanté de nous. Comment expliquer cette réaction de la part des journalistes? Je ne sais. pas !! On me dit que la troupe de Balanchine a été terriblement déchirée ainsi, il y a 14 ans et ceci pendant les trois premières visites à Londres - 13 ans plus tard il a été accepté par los ces tigres de journalistes . Son commentaire est appuyé par une vision incomplète de la réalité. Mme Chiriaeff ne connaît pas l'historique des différents passages de la compagnie de Balanchine à Londres au fil des ans et son évolution avec le public londonien. Si on tient compte du regard des critiques sur le passage du NYCB à Londres dans les années 50 et 60, on constate que son style est souvent contesté, ses danseurs considérés capables d'une prestation exceptionnelle ou simplement correcte. En revanche, jamais le génie créateur du chorégraphe n'est remis en question (Blan d, 1985) : Article non signé parvenu de Londres PC. Note manuscrite non datée adressée à Françoise Belhumeur (Forget, 2005, manuscrit, partie II, p. 23). Les mots soulignés le sont dans le texte. 104 105 220 Suchinequality adds to the interest of the future rather than detracts from it. Which dancer will this week suddenly emerge triumphantly from the ranks, and in what masterpiece? We can be sure that the great Russo-American maestro has a few aces up his elegant sleeve. (p. 80) À la fin des années 70, la critique acclame presque sans réserve les œuvres de Balanchine (Idem). En 1969, Ludmilla n'est pas consciente de l'évolution du public britannique en regard de l'impact du travail d'un des plus grands chorégraphes du XX e siècle. Et puis vient Paris. On accueille la compagnie avec plus d'enthousiasme, mais on déplore « l'ennui» des différentes programmations'. C'est l'élément récurrent de la critique londonienne et parisienne, deux foyers de culture ballétique plus que centenaires. Paris vit dans l'effervescence de Maurice Béjart qui, à l'époque en Europe, repousse admirablement les frontières du ballet comme le fait George Balanchine en Amérique du Nord: The genius of George Balanchine is an accepted fact. He has no rival in his particular field, which is classic ballet in the Petipa tradition and its grafting into the twentieth-century America. It is as impossible for George Balanchine to design a cheap ballet or one without style as it would have been for Raphael or Picasso, for that matter, to draw badly. (Palmer, 1978, p. 112) Donc, le répertoire choisi mine les efforts de la compagnie à se faire reconnaître comme troupe majeure de ballet dans les deux capitales. Pourtant, rien de cela n'est évoqué par la critique sortie des prestations dans les villes précédentes. Londres et Paris adressent des commentaires sur chacun des ballets: Triomphe d'Aphrodite est l'oeuvre la mieux reçue à Londres et la moins appréciée à Paris; Médée est celle « that it would be best to remain sUent out of sheer politeness » (Morrison, 1969) pour tout le monde~ En général, à Paris, on déplore « trop de sérieux tout au long de cette soirée» (St-Germain, 13 juin 1969) et l'on considère que c'est « une très honnête compagnie, mais un programme d'un ennui puissant» (Olivier Merlin, Le Monde rapporté dans La Presse le 13 juin 1969). Un peintre américain, John Franklin Koenig l06 (1980), résume assez bien l'esprit de ce qu'ont gardé en mémoire les Européens du passage des GBC lors de cette première incursion. Dans un livre de commentaires portant sur toutes les compagnies du monde 106 Il a vécu 31 ans à Paris et a été chroniqueur chorégraphique des revues Cimaise et Art vivant. 221 qu'il a eu le loisir de voir, en spectacle, au fil de ses activités professionnelles, il témoigne: Mais les {( Grands» Ballets Canadiens ne me parurent pas à la hauteur de cette épithète, si ce n'est par le nombre de danseurs qui participaient à ce spectacle. Il semblait que l'on avait essayé de justifier leur présence en scène, alors qu'un peu de simplicité aurait permis d'éviter certaines lourdeurs. On avait invité certaines étoiles, mais elles n'avaient pas plus d'éclat que des membres de la troupe tels que Ghislaine. Thesmar, Vincent Warren ou Heinz Spoerli 107 • Ceux-ci et quelques autres solistes, auraient très bien pu encadrer le corps de ballet. .. , qui malheureusement, était souvent faible et chancelant. [ ... ] Donner Thème et· variations de Balanchine fut une.double erreur: ce ballet de 1947, plein de tutus frissonnants, ne montrait que trop clairement les faiblesses et les manques d'homogénéité de la troupe, en même temps que les failles du travail de Balanchine. Sans une technique parfaite, ce ballet devenait creux; avec une technique à la hauteur, et même éblouissante, il restait limité, permettant au spectateur de se rendre compte comment la virtuosité et le spectaculaire éloignent J'œuvre de l'art. [ ... ] Après quelques ballets de Nault et Brydon Page qui ne furent guère meilleurs, vinrent deux des trois grands ballets tirés de la trilogie de Carl Orff: Trionfo d'Aphrodite et le Carmina Burana 'que Nault avaient créés (sic) pour l'Exposition de Montréal en 1967. Moments assez réussis, soutenus par une musique passablement spectaculaire. (p. 130) Ainsi, la direction artistique des GBC et Sarfationt fait de mauvais choix artistiques sans tenir compte du type de spectacle appréciés des critiques dans chacune des villes. L'assortiment oes pièces du répertoire a convenu à Bruxelles, à Lausanrie, à Lyon ainsi que dans les autres villes d'Europe de l'Ouest et ont permis à tous et chacun d'apprécier les spectaCles. Londres et Paris, avec leurs goûts spécifiques, n'ont pas trouvé les choix chorégraphiques appropriés. Malgré tout, Mme Chiriaeff sera évasive sur les résultats de sa première tournéè européenne. Dans le programme souvenir de la saison 1973-1974, le texte de présentation, en français et en anglais, signé par Olga Maynard lO8 , dit: «Les Grands Ballets Canadiens connurent leur premier grand succès en Europe, en 1969. »' C'est à moitié vrai. . On comprend mieux maintenant le rôle de Roland Lorrain. En sa qualité «d'animateur culturel» de la compagnie, il doit filtrer et interpréter la réaction du public européen et Ce dernier se retrouvera plus tard à la tête de l'Opéra de Bâle et travaillera pour la télévision suisse. Mme Maynard est professeure à l'Université de Californie à Irvine .et collaboratrice au Dance Magazine de New York. 107 108 222 nuancer la performance des GBC comme nous l'explique Uriel Luft à mots couverts. C'est donc dire que, dès le début du projet de tournées, la direction des GBC doutait d'un accueil favorable en Europe sans pourtant savoir comment s'y prendre pour contrer les effets d'un échec. L'engagement de M. Lorrain aux relations publiques visait à placer un intermédiaire (lui-même danseur en Europe, connaisseur de ce public et de la danse) pour nuancer les informations sorties des fils de presse et au besoin gommer les impressions. négatives susceptibles de traverser l'Atlantique. On comprend aussi pourquoi le poste disparaît aussi vite qu'il a été créé, c'est-à-dire après la fin de la tournée. Les danseurs vivent aussi leur lot de difficultés, mais ils seront épargnés par les ondes négatives. Les scènes en pente, no~me de tous les théâtres officiels européens de l'époque, créent des ajustements difficiles. Ils changent l'attention artistique des danseurs: « C'était la première à Lausanne de la tournée européenne. [ .. .]. C'était pas aussi "clean" que ça a été auparavant parce qu'on était pas habitués à danser sur la pente» (Belinsky, 2005). Les hôtels sont vétustes. À Londres, Melissa Hayden arrivée plus tôt, va refuser de demeurer au Leinster Towers. Elle entraîne toute la troupe avec elle dans un autre hôtel, sauf Armando Jorge et sa femme Margery Lambert. À certains égards, les danseurs gardent un bon souvenir de la tournée. Ils ont été frappés par la réception du public:.« Le public européen est beaucoup plus démonstratif et respectueux des artistes. En Europe vous êtes un artiste et pas un "entertainer" » (Warren, 2005) ; « [... ] De la scène, j'ai senti une réponse exceptionnelle du public» (Warren et Belinsky 2005). Ils ont raison. Dans toutes les coupures de presse ou presque, la personnalité des solistes, leur talent artistique, leur niveau technique et leur générosité sont mentionnés par les critiques. Les plus souvent signalés s0I:1t: Vincent Warren (que l'on qualifie de nouveau Noureev), Erica Jayne, Richard Beaty, Margery Lambert, Armando Jorge et Véronique Landory. Aucun critique denotre répertoire n'a émis de commentaires négatifs sur les danseurs solistes. L'adulation du public européen pour les danseurs va inciter un certain nombre d'entreeux à y rester, après la fin de la tournée, pour tenter leur chance sous d'autres cieux et espérer des conditions de travail plus avantageuses qu'en Amérique du Nord. Surtout que 223 la grogne couve de l'intérieur des GBC parce que les étoiles. n'ont pas de meilleures critiques et font de l'ombre inutilement aux indéfectibles danseurs du noyau de fidèles interprètes de la troupe. Ainsi, la tournée a eu plusieurs effets: elle a permis à la compagnie de se faire mieux connaître à l'extérieur de l'Amérique du Nord; elle l'a obligée à réaliser ses premières œuvres d'importance; elle a donné une valeur artistique de plus grande envergure à son chorégraphe principal, Fernand Nault ; elle a incité les danseurs à être plus performants \09; elle a laissé germer un changement des mentalités des danseurs, désormais orientés vers le développement de leur carrière et leur épanouissement artistique personnel. En revanche, la compagnie revient épuisée, disséminée: « And the company has had to dismiss a number of associates and allowed sorne of its own artists to go elsewhere » (Helier, 30 oct. 1969). Elle a perdu, entre autres, trois danseurs de grande envergure, à la forte personnalité. Ils sont des artistes de rigueur technique et artistique, des solistes importants et d'une influence positive au sein de la compagriie: Vincent Warren, Armando Jorge et sa femme Margery Lambert. Cela va miner davantage l'esprit « familial» du groupe. Le succès n'est pas retentissant comme Mme Chiriaeff l'avait escompté pour payer en notoriété llO le temps et l'argent il"lVestis. D'autant plus que les gouvernements provincial et fédéral coupent définitivement les subventions dédiées aux arts pour la saison 1969-1970 111 et.ne se laissent pas amadouer, considérant qu'ils avaient .beaucoup investi depuis quatre ans pour supporter la compagnie. La gourmandise de Mme Chiriaeff en termes de reconnaissance et d'ambition risquait de porter atteinte à l'avenir de « sa» compagnie. Dans le tourbillon des dernières quatre années, elle n'a pas réalisé combien elle a épuisé des danseurs, fidèles depuis longtemps. Elle a usé trop rapidement son capital politique et a bénéficié largement des fonds publics 109 « M. Nault nous a poussés à faire Thème el Variations qui est extrêmement difficile et il n'était pas question de changer la chorégraphie de Balanchine» (Warren, 2005). IlO Uriel Luft déclare: « The future of the company depends largely on the outcome of its upcoming European tour» (Ross, 1969). III Mme Chiriaef(avait été prévenue à l'été 1968: « 1969-1970 sera une année d'austérité en matières de dépenses gouvernementales »(Lettre de Peter Dwyer au Juge Vadboncoeur, 8 juil., 1968, FALC ). 224 dans une période plus ou moins réceptive au financemént des arts l12 . Dans ces conditions, elle n'a pas le pouvoir de négocier férocement avec les gouvernements des modalités avantageuses. Elle se sait minée de l'intérieur et ne suscite pas autant d'estime qu'elle l'aurait voulu à l'extérieur. Elle le comprend rapidement. Elle montre sa bonne volonté et ramène sa compagnie de 41 à 34 danseurs 113 (ce qui est plus facile étant donné les défections) et lance un message d'austérité. Elle devra modérer ses ambitions et canaliser ses énergies d'une autre façon c'est-à-dire s'organiser mieux au Québec car le financement est loin d'être assuré. Elle annonce que la compagnie commence une nouvelle ère: « Les Grands Ballets Canadiens have kept their promise. They have established the fondations, developed the interests and given the vital impulse which established the dance on the Quebec scene. We are now turning"a neW page» (Chiriaeff in Helier, 30 oct. 1969). De son côté M. Luft déclare: « It's not only that ail government subsidies have been lowered, but that the artistic atmosphere has altered. What we want to see now instead of the ultra-lavish productions of previous years, is a new artistic economy of means that better suits our new level of artistic achievement » (Luft in Helier, 30 oct. 1969). Par la suite, la tournée européenne est mentionnée dans les programmes et biographies de la compagnie comme un « événement» dans le parcours des GBC. Aucun qualificatif, aucune présentation valorisante ne sont faits à partir de l'expérience européenne pour mousser la publicité ou à titre d'instrument de leur savoir-faire, à part l'exemple cité précédemment. La page est définitivement tournée. Elle a été riche part de la direction artistique et générale 11 \ d'enseigneme~ts et cruelle à la fois. "Les événements se sont précipités puis des ambitions trop élevées de la de mauvais choix artistiques et des collaborateurs plutôt médiocres à la diffusion, ont empêché un développement réel de la compagnie au même rythme que la vitesse du rêve de Ludmilla. Cela dit, le nom des GBC est maintenant connu en Europe ; la porte a été ouverte. Comme le mentionne 112 La période 1967-1971 en est une de ralentissement économique et Manic V (1968) est le projet d'envergure du gouvernement Bourassa. (Linteau et al., 1989, p. 429). 113 Ce sont les chiffres de la saison 1972-73. Elle réagit à retardement aux pressions de coupure dans ses effectifs bien qu'elle ait procédé il des ajustements rapides sur le plan artistique dès 1969. 114 Il faut lui reconn"aÎtre le bénéfice d'une ascension fulgurante et rapide; se présenter sur des grandes scènes d'Europe seulement après dix ans d'existence est louable. 225 Fernand Nault (2005) : « La première tournée européenne a été très importante pour faire connaître les Grands Ballets sur le plan international, parce qu'après on a continué sur l'élan qu'on avait acquis avec la première tournée. » C) L'Amérique du Sud Une troisième tournée annonce un tournant durant la période historique à l'étude : il s'agit de celle qui a été effectuée en Amérique du Sud. L'arrivée de Brian Macdonald n'a changé en rien les ambitions de la compagnie à réaliser des tournées d'envergure pour accroitre sa visibilité et sa réputation. Le nouveau directeur endosse complètement l'objectif opérationnel de réaliser des tournées pour développer du public mais surtout . pour devenir une compagnie d'envergure artistique: ... que la culture au Québec possède des éléments riches et propres au pays, convenant merveilleusement à une compagnie de ballet classique active et innovatrice, intéressée aux créations, aux classiques contemporains et aux grands classiques de l'histoiredu ballet. Toute décision devrait en premier lieu tenir compte du rôle de «leader» que doit jouer la compagnie; que cette créativité,. image de la culture québécoise devrait rayonner dans la province, dans le pays, et à l'étranger. Tout élan de la compagnie devrait être examiné attentivement et ses créations utilisées au maximum. La création est donc l'élément de base de la compagnie. (rapport du Directeur artistique, 8 sept. 1977, F-ALC) Lors de la première sortie européenne, des difficultés internes, relatives aux relations des danseurs avec la direction artistique, ont influencé l'investissement personnel des interprètes dans des situations de stress. Ceux-ci ont alors eu tendance à prendre la fuite. Durant la tournée de 1977, l'action des danseurs se manifeste différemment: ils s'affirment et prennent position sur leurs conditions de travail. Ils remettent en cause la compétence de la direction artistique à faire des choix judicieux qui les concernent. Dans ce cas-ci, la défection de quelques danseurs aurait été un moindre mal en comparaison avec l'issue grave du conflit, soit la démission de Brian Ma~donald à titre de directeur artistique. La crise va changer totalement l'organisation artistique des GBC pour les douze aimées subséquentes. Il n'y aura plus de directeur artistique unique avant 1989. Pendant tout ce temps, on assumera la direction artistique de façon collective. Le traumatisme a été puissant. 226 Comme nous l'avons mentionné auparavant, la venue de Brian Macdonald a rapidement et drastiquement modifié l'équilibre du milieu. Les valeurs sont restées officiellement les mêmes, mais la culture de gestion artistique, pour réaliser la mission, a été profondément modifiée par une personnalité fort différente de celle Ludmilla Chiriaeff. Cette dernière n'a plus dorénavant de contrôle sur les rapports interpersonnels entre ·Ia direction artistique et les artistes danseurs ou très peu. Brian Macdonald a un style de gestion artistique autocratique: il exige de prendre seulles décisions artistiques l15 , instaure un climat de compétition et préfère mettre des individus en valeur davantage que le groupe. Son court passage dans les différentes compagnies où il a été directeur artistique ne permet pas de penser qu'il a des qualités particulières de gestionnaire des ressources humaines et artistiques. Toutes les personnes interrogées sur la personnalité de Brian Macdonald mentionnent son caractère difficile et son côté égocentrique (Warren, Belinsky, Luft, Howe-Beck, Forget, et Paige, 2005). M. Nault (2005), pour sa part, mentionne simplement sa particularité chorégraphique en la comparant à la sienne: «Il était plus théâtral que moi. [ ... ] Pour moi, c'était plus dans les décors, dans les costumes, dans la façon de les marier. Brian, lui, l'était dans la matière chorégraphique, dans la façon de faire interagir les danseurs. » La passation des pouvoirs s'est faite difficilement, même si Mme Chiriaeff tient Brian Macdonald en très haute estime. Elle fait officiellement partie de la compagnie. Elle a gardé du reste son bureau dans les mêmes espaces. Pourtant Brian Macdonald, de façon symbolique et concrète, va lui signifier le changement de régime: « Une journée, elle est arrivée et Colin et Brian avaient mis ses meubles dans le corridor. Ça été un scandale, mais elle a survécu. Dans les discussions artistiques, les décisions étaient prises par Brian maintenant. Madame n'avait rien à dire même si elle était la fondatrice» (Warren, 2005). Elle n'ajamais contesté les décisions de Brian Macdonald même si elle ne partage pas ses vues: Comme chorégraphe, je trouve que Brian est génial. Il fait des choses théâtrales et aussi espiègles, comme une de ses chorégraphies, Variations polissonnes sur une musique de Ragtime qui se passe dans un bordel. Madame n'était pas contente; pour elle 115 Bien qu'il garde Mme Chiriaeff comme « conseillère» et ne considère ce qu'elle dit que si cela lui convient (correspondance Chiriaeff/Macdonald, FALC). 227 c'était choquant. Mais à ce moment-là elle n'était plus directrice. (Idem) Brian Macdonald garde quand même une excellente relation avec elle '; il la garde à distance mais la plupart du temps avec déférence. Quelquefois, il la sollicite dans des contextes qui lui conviennent. Par exemple, il lui demande de les rejoindre durant la tournée en Amérique latine: « It will give you inspiration and a little relief from ail the problems colloques, déficits and exams. Vou will be able to see what you have accomplished. [ ... ] 1 am confident that you will be proud of US 116 . » Howe-Beck (2005) confirme son appréciation: « ... she cou Id not have let the company go to somebody that she didn 't trust. » Son arrivée correspond à un moment charnière. Il se produit en effet un changement de garde à tous les niveaux de la compagnie : artistique et administratif. Un nouveau président du CA II7 , l'équipe d'Anjou-Mclntyre semble se partager la direction générale à la suite du départ d'Uriel Luft et M. Nault qui devient chorégraphe attitré et davantage rattaché à l'école. La compagnie doit se restructurer sous tous les aspects. Dans le passé, Mme Chiriaeff et M. Luft avaient assumé leurs fonctions respectives, avec une répartition de tâches plus ou moins claire, sans que cela ne pose de problèmes majeurs. M. Luft était un employé aux multiples chapeaux. Maintenant, la compagnie a pris de l'ampleur. Le personnel administratif a augmenté considérablement et un grand nombre de personnes sont engagées à différents niveaux de travail, de la production et de la gestion 118. Il est important de développer un climat de travail favorable entre les volets administratif et artistique, devenus de plus en plus complexes. Soulignons que dans le cadre de notre analyse, il a été.difficile de déterminer de qui relève une imposante équipe de production. Jamais du temps de Brian Macdonald, un climat propice de travail n'émergera. Nous prendrons le temps d'élaborer davantage autour des différents événements défavorables entourant le début de son nouveau mandat et ceux qui, par la suite, viendront miner son Lettre adressée à Mme Chiriaeffpar Macdonald, datée du. 31 mai 1977 (FALC). 117 Il s'agit de M. Yves J. Ménard qui occupera ce poste du 24 septembre 1974 au 8 septembre 1977. 118 Si on compare les personnes engagées sous le volet administratif pour la saison 1964-1965 (7) et celles engagées en 1974-1975 (16), il Y a 9 personnes de plus en 1974 (programmes souvenirs de ces années). Par exemple, dès, 1964, un atelier de décor et de costumes est à pied d'oeuvre surùne base permanente pour créer et rafraîchir les costumes et décors (Forget, 2005, manuscrit, partie II, p. 261). 116 228 implication, pour démontrer que son mauvais caractère est loin d'être la seule source de conflit pour tout ce monde et la cause principale de son départ. Nous savons que M. d'Anjou s'est révélé un très mauvais choix. Heureusement de courte durée, mais assez longtemps pour mobiliser les énergies de tout le monde et détourner l'équipe de ses visées artistiques. Il a créé un climat d'animosité au sein de l'entreprise à tous les paliers. La correspondance adressée par Mme Chiriaeff à différents membres du CA et à son président pour se plaindre de lui est abondante. Des documents appelés « Suite des événements 1 et II » (F ALC), rédigés par elle, font état, mois après mois, des problèmes accumulés. Nous nous en servons avec réserve (elle semble relater des événements auxquels elle n'a pas participé) mais ils permettent de suivre la détérioration du climat de travail et de constater la confusion, fruit de l'ingérence de Ludmilla. Elle convoque une réunion autour du mois de mars 1974 119 pour tenter de préciser le rôle de chacun. Elle relate ce qui s'y passe: ... M. d'Anjou s'est dit soulagé de voir M. McIntyre accepter la responsabilité de la troupe, avouant de façon très sincère n'avoir ni la motivation ni les connaissances nécessaires pour mener à bien les multiples démarches qui se rattachent à ce poste important. M. Macdonald lui demande alors si les responsabilités qui lui restent, à savoir les contacts avec les gouvernements en rapport avec la troupe et les écoles, le rendrait heureux et M. d'Anjou a répondu qu'il aime le « paper work» ainsi que « to shift papers and documents around ». Mme Chiriaeff ne réalise pas combien elle contribue elle-même à la confusion~ Elle a créé avec Uriel Luft une structure ne tenant pas compte des compétences. Elle suscite des conflits en raison du laxisme dans la définition des tâches en vigueur. Les titres officiels de chacun sont, à l'automne 1974 : Ludmilla Chiriaeff, fondatrice et directrice l20 , Richard d'Anjou, directeur exécutif et Colin McIntyre, administrateur et directeur de production .. Dans ce scénario, M. Luft assure la transition avec M. d'Anjou, mais il n'est plus le mari Il n'y a pas de date précise sur le document ni d'intitulé. Il est difficiJede comprendre la signification du titre et ce qu'il délimite en termes' de responsabilités et de liens d'autorité. Dans le journal des GBC, L'envol de la danse (1974), elle se dit assumer «la direction générale du secteur création. » Il faut mentionner qu'à la même époque, Mme Chiriaeff devient une salariée. Dans le passé, elle recevait un salaire de l'école seulement. Maintenant que l'école est incorporée et qu'elle est monoparentale, elle reçoit 8 000$ par an pour les dépenses encourues dans l'exécution des responsabilités qu'elle assume en collaboration avec Brian Macdonald et Richard d'Anjou. Entente du 26 novembre 1974 ou 1975 (Forget, 2005, manuscrit, partie Il, p. 82). 119 120 229 de Mme Chiriaeff. À ce jour, le couple marié ChiriaefflLuft a dirigé la compagnie en se partageant les tâches à accomplir selon leurs compétences respectives au gré de ses discussions, de ses disponibilités et de son désir de prendre le « leadership» dans des dossiers aux moments considéré opportun par chacun. L'entente professionnelle a été somme toute harmonieuse: M. B. : Donc, dites-moi, comment s'organisait le pouvoir entre direction artistique et direction générale. Comment se faisait le lien entre les deux ? U. L. : Les discussions se faisaient à la cuisine! M. B. : Donc le fait que vous ayez une relation intime avec Mme Chiriaeff avait inévitablement un impact sur l'organisation. U. L.: Oui, nous avons eu des discussions assez tendues quelquefois, car j'étais très ferme avec mes opinions, même au début quand je- n'avais aucune expérience. Mais cela s'est toujours réglé à la fin car c'était toujours pour le bien de la troupe que nous discutions. Parfois je me mêlais même de la direction artistique. (Luft; 2005) En 1974, quelles· sont les tâches de M. d'Anjou par rapport à celles de M. Mclntyre ? Par rapport à celles de Mme Chiriaeff ? Officiellement Mme Chiriaeff: « consacrera ses énergies à l'orientation et à la surveillance générale de l'ensemble de la compagnie qui comprend, outre les GBC, l'Académie, l'École supérieure de danse et les Compagnons de la Danse» (Brousseau, mai 1974). Officiellement. M. d'Anjou a été présenté comme le successeur de M. Luft à La Presse (Siskind, 7 sept. 1974) et devait occuper, à ce titre, un poste de directeur général. Habituée à jouer avec les nominations et à les modifier à sa . guise, Mme Chiriaeff a créé une situation qu'elle va envenimer à son corps défendant: À la lumière du dossier imposant monté par elle contre M. d'Anjou (F ALC), elle dit, en même temps, vouloir améliorer les choses et régler les problèmes. Son action a plutôt l'effet inverse. Le président du CA ne lui renvoie pas ses appels et ne répond pas à ses lettres. On le comprend ; elle tente de régler les problèmes en faisant fi des liens d'autorité entre le CA et. la direction « exécutive et générale» de M. d'Anjou . Parallèlement un conflit au sein duquel Brian a de sérieux problèmes de mise en marché et de publicité en tournée persiste car la définition de tâche n'est pas claire entre McIntyre et d'Anjou. Le nouveau directeur artistique s'accomode, tant bien que mal, de la situation et met la main à la pâte comme il le peut. Il est tellement découragé qu'il propose de payer, à même son salaire, la venue en tournée d'Uriel Luft pour redresser la situation de la promotion (Chiriaeff, « Suite des événements », mars 1975, p. 5 ; F ALC). 230 Mme Chiriaeff est probablement consciente des effets néfastes du manque d'organisation et de définition des tâches dans l'organisation. Elle propose au président quatre modèles d'organigramme afin de (ré)organiser l'entreprise mais en même temps elle se plaint « déçue de me trouver seule et sans mandat particulier» (Idem, p. 6). En revanche, elle mentionne: Après vous avoir fait le rapport sur les résultats des délibérations, lesquelles se sont avérées indispensables à cause d'un grand nombre de défaillances de notre administration actuelle, je me suis penchée - tel que vous me l'avez demandé - sur l'élaboration de différents organigrammes. J'ai entrepris ce travail avec toute mon objectivité qui, comme vous l'avez si bien dit, est dorénavant possible grâce à mon nouveau titre de neutralité, celui de fondatrice et directrice. (Idem, p. 7) 1 On saisit le degré de confusion vécu par tous les partenaires impliqués dans l'organisation. Brian Macdonald peut bien trouver que ses énergies, habituellement concentrées à créer et à prendre des décisions artistiques, sont mal employées et mal supportées. La situation perdure jusqu'à l'été 1975 où, de guerre lasse, Mme Chiriaeff démiSSionne une deuxième fois 121 de son poste de « collaboratrice à l'administration» et où Colin Mclntyre obtient le poste de directeur général (programme souvenir 19751976). Brian n'a d'autre choix que de s'ajuster rapidement à de nouvelles personnes et de nouvelles relations de travail. Ces dernières semblent fluctuer constamment. Il devra composer maintenant avec un directeur général qui, comme Uriel Luft, a des idées bien arrêtées sur la chose artistique. Les relations sont difficiles entre deux hommes de nature contrôlante, chacun à sa façon. Autant Brian n'est pas estimé des danseurs et est souvent absent, autant Colin Mclntyre est constamment sur le terrain et apprécié: « C'est Colin qui est autour de nous, He 's running the show» (témoignage des danseurs, BeI1Ïamin, 1999,p. 79). Si on regarde le carnet de création de M. Macdonald durant son implication aux GBC, on constate une diminution progressive de son investissement de créateur au fil du temps. 1974 est l'année la plus fructueuse: trois œuvres du répertoire sont créées avant le mois 121 Elle a envoyé une première lettre de démission le 30 avril 1975 au Conseil exécutif qui ne l'a pas acceptée. M. Mendels lui remet la lettre et lui dit qu'il avait besoin de temps et que tout finirait par s'arranger (Suite des événements, partie II; FALC) et une deuxième le 14 juillet 1975 au président di.! CA qui est définitive. 231 de mai, moment de sa nomination. À l'automne, il ne crée qu'une œuvre: Tam Ti De/am . . En 1975, il crée quatre ballets, en 1976, trois dont un est une commande pour être présenté dans le cadre des Olympiques. Il n'a aucune création à son actif en 1977, année de son départ. Brian Macdonald est hyperactif et ne tient pas en place. Il est facile de penser qu'il continue à remplir un carnet de commande pour d'autres compagnies et, d'ailleurs, il ne s'en cache pas (Brousseau, 25 sept. 1974). Sa boulimie créatrice, doublée d'un désintéressement progressif pour le développement des GBC, à cause des nombreux problèmes de gestion interne auxquels il ne veut pas s'attaquer, va permettre à Colin Mclntyre d'occuper davantage de place. Les frictions entre les deux hommes vont. augmenter jusqu'à provoquer la démission de Colin McIntyre avant la tournée en Amérique latine : « Je pense que la chicane a pris entre lui et Brian juste ayant l'Amérique du Sud car il écrit qu'il démissionne. J'ai vule papier» (Forget, 2005). Brian Macdonald croit que la situation n'est pas dramatique et il ne s'émeut pas outre mesure de la démission de son collaborateur: If he is leaving then we must act quickly in the preparations for next year.We are co-operating quite weil, although he continues to make artistic decisions without consulting me. [ ... ] and claims that the technical staff is responsible to him and not to me ect ... 1 am being patient, trying not to create difficulties (we have enough already) and relying on Linda' and Danny for good advice 122 • Ce bout de lettre est indicateur de plusieurs éléments. Premièrement, il est visible que la définition de tâches n'est toujours pas claire entre les directions générale et artistique. Deuxièmement, les collaborateurs principaux et ceux investis de la confiance de Brian Macdonald sont les répétiteurs, pas la direction générale. Troisièmement, il utilise ses collaborateurs-répétiteurs comme tampons entre lui et Colin. La situation est trouble sous tous les aspects. Il ne sait pas encore combien la colère gronde encore davantage chez les danseurs artistes qui forment la matière première de la compagnie. Elle est encore plus grande que la colère à l'endroit de son directeur général. Il est loin de se douter que c'est lui qui partira et que Colin McIntyre restera avec des pouvoirs élargisdont ceux de codirecteur artistique. 122 Lettre de Brian adressée à Ludmilla le 31 mai 1977 de Buenos Aires (FALC). 232 Brian Macdonald semble être'détesté dès le début de son règne. Vincent Warren (2005), pionnier de la compagnie (1961-1979), rend un témoignage intéressant de ses rapports avec lui: Quand il est - là je ne parle pas du chorégraphe mais du directeur - rentré dans la compagnie, moi j'étais ({ lazy dancer».' J'étais reconnu par le public, malgré ma paresse. Il me traitait comme un ... J~ n'étais pas dans la distribution, j'étais parmi les remplacements dans Roméo et Juliette. Tout ce que je faisais c'est que je portais un cadavre. De tout le ballet. Il faisait tout pour me descendre et il le faisait exprès. Au bout de la ligne, j'étais un excellent partenaire. Sasha a été choisi pour être le partenaire d'Annette [épouse de Brian] mais il y avait des conflits de personnalité. Éventuellement, je suis devenu son partenaire. La situation ne cesse de s'envenimer au fil du temps: Il y avait beaucoup de danseurs qui le détestaient. Le résultat c'est que pendant la tournée en Amérique latine, à ce moment-là la compagnie était mieux que jamais, excellente! Mais à quel prix? Il avait perdu l'amour des danseurs. Il portait toujours «a chip on his shoulder». Toujours prêt à la bataille. Il avait beaucoup d'ennemis, à ce moment-là, j'étais assez vieux et assez mature pour savoir ce qui se passerait. Quand il y a une grosse tournée comme ça, même les danseurs qui veulent partir restent parce qu'ils veulent aller en tournées. 11 y avait aussi des jeunes dans la compagnie qui n'avaient jamais connu de tournées qui étaient très mécontents parce que des tournées comme ça c'est très difficile. Il y a beaucoup de gens qui n'étaient pas contents. (Idem) Au-delà de son attitude réprouvée par les danseurs, d'autres problèmes ont émergé. Warren et Belinsky lui reprochènt de s,e soucier uniquement de la présentation de son répertoire. Tous deux mentionnent: il «voulait monter ses chorégraphies à lui ; pas tellement celles de M. Nault. Carmina était mieux pour terminer un spectacle mais il ne voulait pas » (2005). Son épouse, sa vénération et sa muse, excellente danseuse, obtient tous les premiers rôles de ses ballets. Ct) choix répété crée de la jalousie et de la frustration de la part des autres danseuses: L. H. B.: He's hyperactive. And his wife was definitely made the primadonna. The ballerina in those days. There were a lot of harsh feelings among the dancers against Brian. For many reasons, one of which was Annette. 233 M. B.: Annette was part of the problem? L. H. B.: Weil, Annette looked good and could do things, and 1 don't think that was wrong. It just happened to be. She was fortunate in that she was his wife at the same time. He was accused of favouritism, and there were petitions and reports. The dancers finally got rid of Brian. He was reaUy a difficult character! As a choreographer, he never finished a ballet until just before the curtain went up on opening night. That was hard on dancers. Such pressure; (2005) Il ne considère pas certains ajustements secondaires qui auraient pu faciliter la vie des danseurs: Moi, ça ne me dérangeait pas de danser pieds nus ou avec des souliers de danse, mais pour les filles sur pointes, c'est difficile. Alors, c'était des choix [de répertoire] à faire. C'est aussi parce qu'on lui a parlé assez civilement, même chaleureusement. On lui a expliqué que ce n'était pas bon pour les danseurs, et il a dit: « Bon, je vais y penser. )} Il a quand même fait à sa tête. Quand on a vu que vraiment il pensait juste à lui·même, c'est là qu'on a dit: « Bon, il faut qu'on fasse quelque chose. » (Belinsky, 2005) Ainsi, la situation est explosive. La fatigue de la tournée aidant 123, Brian plus souvent absent l2 4, les danseurs se mobilisent à Bogota, Ils envoient une pétition à Montréal, ils demandent de nouveaux aménagements de leurs conditions de travail avec la direction artistique. La pétition a été envoyée au président de la compagnie. Les danseurs espèrent une prise en charge de la situation par les membres du CA· et souhaitent que ceux·ci parlent à Brian pour lui faire changer un certain nombre de comportements: «On ne voulait pas nécessairement s'en débarrasser. On voulait juste qu'il soit approché, que les choses changent et qu'il accepte» (Belinsky, 2005). Pourtant, la pétition est claire : Selon le désir des soussignés, il serait meilleur et ce, dans l'intérêt de la compagnie entière, de démettre le directeur artistique actuel de ses. fonctions. Nous devrons retarder les négociations des nouveaux contrats jusqu'à ce que cette situation soit résolue. (FALC) 123 Il ne faut pas oublier que plusieu;s des principales villes de passage sont en altitude ajoutant à la fatigue et aux problèmes de santé: Quito, Bogota, Mexico. 124 Il n'avait pas prévu de classe quotidienne d'entraînement pour les danseurs. (Benjamin, p.78.). 234 Le président a comme réflexe de faire revenir le directeur artistique à Montréal et d'envoyer un émissaire pour faire le point avec les danseurs. Dès son retour à Montréal, le CA a officiellement décidé de ne pas renouveler le contrat de son directeur artistique. Brian Macdonald ne se laisse pas.« virer ». Son contrat de trois ans arrivait à échéance et indiquait que: « tel que son contrat le stipule, ce dernier serait automatiquement prolongé d'une année 125. » Le président sortant lui avait' indiqué que c'était bien le cas. Afin que personne ne perde la face et suite aux événements précipités, il est reconduit dans son rôle de chorégraphe attitré. Cela lui convient beaucoup mieux, une fois la colère passée. Il annonce d~nc sa. démission officiellement de la direction artistique: « Macdonald saiçl· he was pleased to be relinquishing his administrative duties in favor of creating dances. "Artistic director duties rob me of dream-time"» (Howe-Beck, déc. 1977). À la décharge de M. Macdonald, la programmation de spectacles prévue pour l'Amérique du Sud est le fruit d'une collaboration entre lui, McIntyre et un imprésario vénézuélien. Cela dit, comme il est celui qui doit répondre de ses actes auprès des danseurs, il sera tenu seul responsable par ces derniers et les membres du Conseil d'administration d'une planification considérée difficile pour le bien-être des membres de la compagnie. C'est bien vite oublier les ajustements, pas toujours faciles à faire, de la part d'une direction artistique soumise aux aléas des ambitions des diffuseurs et des cultures de production différentes: Colin ·has discovered, along with me, that we were manipulated somewhat by the woman who runs the concert group here (the Mozarteum). We could have changedthe programme l26 , we could have done L & P [Lignes et Pointes] to tape, AND much more important, if there had been time in the theatre, we could have . played another three or four days completely sold out 127 • Toute la situation d'incohérence et de désorganisation,' à son arrivée en Amérique latine, aura bien mal démarré un climat de collaboration et de développement. Elle se perpétue tout au long du mandat de Brian, doublée de ses difficultés relationnelles avec certains de ses collaborateurs et les danseurs. Ajoutées à cela ses mauvaises décisions pour entretenir une bonne atmosphère, le changement presque drastique de la culture « familiale» ainsi . 125 Lettre de Ludmilla au président datée du 26 mai 1977. 126 E n. firançals . d ans 1e texte. 127 Lettre de Brian adressée à Ludmilla le 31 mai 1977 de Buenos Aires (F ALC). 235 que le temps et la persistance des problèmes auront eu raison de lui. Cela dit, ses relations sont demeurées cordiales avec les gens de la compagnie par la suite bien qu'il refusera d'inclure les danseurs à l'origine de la pétition dans ses nouveaux ballets (Belinsky, 2005). Il occupera le poste de chorégraphe attitré pendant presque 13 ans Qusqu'en 1990) et son épouse continuera de danser avec la compagnie jusqu'à la fin de sa carrière sur scène en 1984128 . Malgré tout, la tournée de la compagnie en Amérique du Sud est un succès retentissant (Crabb, 1998, p. 231; Marey, 1977). Devant l'adversité, les danseurs ont fait preuve de solidafité sur scène dans un répertoire, qui, quoi qu'ils en pensent; les avantagent. Même Brian Macdonald le pense: « There is an excellent company spirit, even with the normal tour cliques, and best news of ail, they are dancing better than ever l29 • » Ils auront été aussi, sans le savoir, les détonateurs d'une décision déjà amorcée. La menace. de démission de Colin McIntyre, annoncée à la fin de mars 1977, suscite des discussions fort musclées entre Ludmilla et le CA. Le 21 avril, elle écrit une lettre au président et plaide en faveur du réengagement de Brian. C'est donc dire ·que la réflexion, à la suite du départ de Colin, prévoit le non-réengagement de Brian, peut-être pour garder Colin McIntyre déjà au printemps. Dans sa lettre, elle fait allusion au fait que Colin part à. cause de Brian: « la démission de Colin ne se base pas uniquement sur le problème de Brian. » Elle propose de « prolonger le contrat de Brian pour une autre année, mais avec certaines modifications permettant l'amélioration des relations de travail» (FALC). Elle fait valoir qu'il est très difficile de trouver un directeur artistique de son calibre et qu'un changement radical à brève échéance pourrait avoir des répercussions sur le financement gouvernementaL Elle mentionne aussi que Brian ne se doute de rien. Au CA du 19 mai 1977, « les membres de l'administration de la troupe (Macdonald et Danièle Côté ainsi que Mme Chiriaeff quittent la salle, et la réunion se poursuit à huit clos» (F ALC). On parle déjà de supprimer le poste de directeur artistique et on prévoit 128 Information tirée d'un bon de commande de billets pour la saison du printemps 1984. Il annonce son spectacle d'adieu. Elle est entrée à la compagnie pour la saison de 1973-1974, une année avant la venue de son mari à titre de directeur artistique. 129 Idem. 236 une situation de rechange telle que nous la connaîtrons après le départ de Brian c'est-àdire un Comité artistique de plusieurs personnes. Aussi: ... que M. Macdonald se rendrait en Amérique du Sud pour la toute première partie de la tournée et au retour de la compagnie, l'exécutif s'entretiendrait avec lui pour le mettre au courant de la nouvelle organisation de la compagnie et négocierait une nouvelle entente avec lui, lui offrant de demeurer chorégraphe attitré. Mme Chiriaeff, « sortie» de la salle comprend que quelque chose se prépare. Elle réécrit à son président le 26 mai 1977 et souligne qu'il faut « nous donner un an pour appliquer toutes les modifications nécessaires, « à moins d'un incident précis qui nécessiterait une action chirurgicale immédiate \30. » Quant à Brian, il croit que les modalités de son contrat seront respectées (Idem). Nous connaissons la suite. Brain Macdonald va continuer de s'impliquer lors de la tournée en Amérique du Sud comme s'il continuait pour la saison 1977-1978 (lettre adressée à Ludmilla, 31 mai 1977 de Buenos Aires, FALC). Il ne se doute de rien. Malgré l'issue douloureuse de la situation, sa compétence et son envergure auront permis à la compagnie de vivre un premier vrai triomphe international, qualificatifqui ne sera plus jamais remis en question. Ce succès a un effet inattendu si on considère que les critiques des spectacles, rapportées à Montréal, ont largement vanté leur succès : en juin 1977, période durant laquelle se tient la campagne d'abonnement, on compte déjà 7 000 billets vendus pour la saison de 1977-1978 (La Presse, juin, 1977). Les abonnements sont devenus essentiels au fil du temps pour assurer le développement artistique de la compagnie. Voilà un beau cadeau d'adieu de la part de Brian Macdonald. IV. 4. 2. 3 : Offrir des abonnements de saison Le troisième objectif opérationnel de Ludmilla Chiriaeff pour parvenir à fidéliser et intéresser un public adulte voit le jour à l'automne 1970 : créer une série d'abonnement 130 Sou l'Igne 'd ans 1 e texte. 237 arinuel l31 • Le retour de la tournée de 1969 annonçait une période d'austérité. Cela dit, Mme Chiriaeff ne semble pas vouloir attendre la prospérité. Son désir de se conformer à une certaine sobriété ne freine pas ses projets de travailler à de nouvelles stratégies pour développer davantage de public jeune adulte et ainsi assurer plus de travail à ses danseurs. La première série d'abonnement est donc publicisée au printemps 1970. La programmation est variée et équilibrée entre le ballet néo-classique, la danse plus contemporaine et des ballets narratifs traditionnels 132. Pour attirer le public jeune adulte, Mme Chiriaeff décide de surprendre. Elle a ce don de comprendre rapidement ce qui est dans l'air du temps. Elle a su créer dans le passé des œuvres accessibles pour la télévision et elle mesure l'impact d'un répertoire plus « moderne» avec Carmina Burana. Cette fois « elle observe ses fils aux cheveux longs qui font leurs devoirs au son des Beatles» .(Breniel, , . 1987) pour trouver la clé. Ce sera Tommy (1970), qui, comme nous le verrons au chapitre suivant, fracassera tous les records d'asSistance de la compagnie et de longévité «active l33 » sur la scène. L'œuvre est prévue au programme deux fois dans la saison, à l'automne et au printemps, de façon à ce que le bouche à oreille fasse son effet et que le public, (qui aura assisté à l'un ou l'autre des spectacles) ait çnvie de s'abonner la saison d'après. M. Nault déclare: « Après mûre réflexion en ce qui concerne Tommy» - Les Grands Ballets ont décidé d'élargir leur horizon et du même coup leur public - «je crois que cette saison, nous en avons vraiment pour tous les goûts» (in Gingras, 1970). Il s'agit de deux blocs de spectacles différents: un à l'automne et un autre au printemps. De 1971 à 1976, la compagnie off~e aussi des spectacles à saveur populaire à l'Expo- Théâtre du Jardin des étoiles. Si les gens s'abonnent, ils reçoivent un billet de faveur pour assister à Tommy en octobre ou Casse-Noisette durant le temps de Noël (dépliant d'abonnement, saison 1970-71). La saison estivale à l'Expo-Théâtre n'est pas incluse. Cela dit, les spectacles de l'été rajoutent des activités sur une réelle base annuelle. Lors l31 Rappelons-nous que, dans les années 70, la soif de loisir de la ~ociété de consommation est propice au . développement de formules de fidélisation d'une clientèe avide de distraction. 132 Par exemple, au mois de mars 1971, on présente Allegro Brillante (Balanchine), Villon (John Butler) et la Fille mal gardée (Fernand Nault) (programme de soirée, mars 1971). 133 Nous faisons référence au nombre de fois où le ballet est présenté et à la longueur des saisons de danse que cela engendre. 238 des premiers engagements de spectacles de la compagnie, les danseurs la quittaient pour gagner leur vie pendant la saison estivale puis revenaient à l'automne. Depuis le début de ses activités en 1958 jusqu'en 1970, la compagnie se produisait une fois à Montréal, en plus du spectacle de Noël et elle complétait sa saison par une tournée au Québec, au Canada ou aux États-Unis, ou les trois à la fois (annexe IX). Ces tournées se font sur de longues périodes de temps et parcourent de vastes espaces. La nouvelle formule d'abonnement annuel n'a pas seulement l'avantage de drainer un nouveau public .. Elle permet aussi de diversifier le répertoire. Se produire au même endroit exige un répertoire plus varié et impose un plus grand investissement au personnel artistique et technique : plus de costumes à concevoir et à fabriquer, de conceptions d'éclairages à élaborer, de décors à produire et de directions musicales à assurer. La formule des abonnements augmente inévitablement le support technique et le travail de tous. Phénomène intéressant, ,la compagnie ne diminue pas le nombre de tournées à l'extérieur de Montréal. Son débit demeure tout aussi abondant. Cependant, les longues tournées se font plus rares .et elles sont plus compressées dans le temps. Cela augmente dans une certaine mesure la qualité de vie des danseurs à long terme et diminue leur fatigue à court terme. Le fait de se déplacer souvent affecte la qualité de vie des danseurs à plusieurs égards. Plus le corps du danseur devient performant, plus il réagit et se trouve fragilisé par les modifications des conditions de vie. La tournée est un facteur extrêmement perturbateur en cette matière: la qualité de sommeil est affectée par les changements de climat, d'environnement et par les décalages horaires; la variation du type de nourriture crée des ajustements dans l'alimentation et peut influencer l'énergie au travail ; les longues journées en autobus ou en avion agissent sur l'élasticité des muscles. Au fil du temps, tous ces éléments contribuent à faire perdre progressivement la technique entretenue et développée au quotidien. Un danseur d'expérience mesure chacune de ses actions de façon à préserver ses énergies durant les moments très exigeants. Travailler à demeure facilite la vie quotidienne du danseur. 239 Progressivement, la compagnie investit la PdA quatre fois durant l'année, (incluant le spectacle de Casse~Noisette). Elle demande une subvention de tournée au CAC et invite une compagnie étrangère pour meubler la quatrième plage d'occupation I34 . Le désir de Mme Chiriaeff, rappelons-le, est de trouver une niche pour sa compagnie. Le fait .de s'incruster à la salle Wilfrid Pelletier permet de démontrer, au fil du temps, la présence réelle d'un public suffisant, attiré par les spectacles de danse. Elle tente de justifier la construction d'un lieu dédié à la danse. Cela dit, occuper la salle Wilfrid Pelletier quatre fois par année n'apporte pas que des avantages: les coûts de loéation sont faramineux et le calendrier de la PdA, peu flexible. En plus, la salle a musique et non pour la danse: À en juger par le plancher de chêne et par le nombre considérable d'ascenseurs et de trappes sur le plateau, personne n'avait porté la moindre attention aux impératifs de cette discipline. La Compagnie fera contre mauvaise fortune bon cœur et elle fera l'acquisition d'une immense toile de revêtement [tapis de danse] sans laquelle les danseurs et danseuses auraient connu la catastrophe. Loin de trouver prétexte à l'inaction, les GBC feront de leur entrée à la Place des Arts l'occasion tant attendue de relever de nouveaux défis. (Duval, 1988, p. 308) Néanmoins, pour Ludmilla, la fidélisation d'un public est un pas de plus vers la reconnaissance de sa compagnie comme levier artistique et culturel, montréalais et québécois. Elle souhaite se hisser al,! même niveau d'importance que celui d'une grande institution installée avant elle à la PdA : l'OSM (Orchestre Symphonique de Montréal), fondé en 1934, l'institution à laquelle elle se compare continuellement (elle aussi offre des abonnements). ét~ conçue pour la Si on en juge par la pérennité des abonnements, la formule a eu et continue d'avoir du succès. Depuis 1970, lesGBC n'ont jamais cessé d'offrir des abonnements année après année. Ils ont changé de lieu de présentation en 1999 ; ils occupent maintenant la salle Maisonneuve, beaucoup plus petite. 134 Par exemple, le dépliant de la saison 1974-1975 annonce la venue du RWB; celui de la saison 1976-1977, le Ballet de Cologne, le Dutch National Ballet et le RWB en plus de deux programmes maisons et le CasseNoisette. 240 IV. 4. 2. 4 : Assurer une visibilité télévisuelle Tout au cours de son parcours; la compagnie a gardé des liens étroits avec le médium à l'origine de son envol: la télévision. À intervalles réguliers, des ballets de la compagnie sont filmés et enregistrés à des fins télévisuelles. La plupart du temps, ces spectacles sont présentés dans le cadre d'émissions culturelles et la majorité demeurent affiliés à la télévision francophone (annexe X). Il est difficile d'évaluer dans quelle mesure ces « spectacles» ont amené de nouveaux publics dans les salles mais ils ont, à tout le moins; fait connaître davantage la compagnie des GBC et son répertoire. Être présenté à la télévision est une forme de publicité. Elle atteste d'une reconnaissance culturelle et sociale et constitue une visibilité de premier choix durant les années soumises à notre étude. Il était important de le mentionner même si nous ne pouvions pas mesurer de façon précise son impact sur le développement de la compagnie dans le cadre de la recherche. Avec le nombre d'émissions à son actif, il est apparu clair que cet aspect constituait un objectif opérationnel pour intéresser un public adulte. À la lumière de ce que nous avons présenté de sa situation sociale dans le Québec des années 60 à 80, nous pouvons quand même affirmer que cette stratégie lui a permis de rayonner dans la société québécoise, de se distinguer de ses compétiteurs des années 70 et d'affirmer son « leadership» institutionnel. IV. 4. 2. 5: Souligner les événements spéciaux La culture russe et son propre tempérament sont à l'origine de l'habitude de Ludmilla de souligner le moindre anniversaire et le plus petit événement. Le sens de la célébration est prononcé chez elle. Cela étant dit, il faut aussi considérer son désir de marquer de façon significative chacun de ses pas vers une plus grande reconnaissance. Elle saisit chacune des opportunités de participer à des célébrations d'envergure, susceptibles de lui accorder de la visibilité. Au cours des vingt premières années, plusieurs événements de différente nature soulignent le parcours de la compagnie. Les événements dont nous parlerons sont quelquefois des moments forts de la compagnie, des anniversaires importants pour elle ou des célébrations collectives, d'ordre culturel et artistique. Cet objectif opérationnel permet aussi d'intéresser le public adulte à sa compagnie. 241 Une célébration sous forme de festival s'annonce à Montréal. L'inauguration de la Place des Arts sert de prétexte à la tenue de spectacles en rafale à partir du 21 septembre 1963 (Duval, 1988, p. 211). Les GBC ont déjà réservé leur soirée le 3 octobre et se préparent à· assumer les défis reliés à l'utilisation d'un immense plateau de scène, ce qu'ils n'ont jamais expérimenté auparavant. C'est une étape à franchir. La nouvelle salle présente des possibilités de développement non négligeables :un plus grand nombre de spectateurs possible, un plus grand nombre de spectaCles à demeure et des équipements à la fine pointe de la technologie du moment. C'est aussi l'occasion d'être associé à un lieu de prestige où se produisent les institutions artistiques importantes de l'époque: le Théâtre lyrique, le TNM, le Théâtre de Quat'sous et, le plus important d'entre eux, l'OSM (Duval, p. 200). En plus, elle devance la compagnie rivale du BNC qui doit accéder au O'Keefe Center de Toronto en mai 1964. Ainsi, l'expérience souligne une étape majeure du développement des GBC. Le nombre de danseurs a presque doublé (de 20 à 34 en 1963). Pour l'occasion, le répertoire se bonifie d'œuvres associées à un répertoire de grande envergure: Le Pas de quatre. (reconstruction d'Anton Dolin) et Le Bal des Cadets (David Lichine). Montés et répétés par des artistes de renom à réputation internationale, ces ballets annoncent un tournant dans l'histoire de la compagnie: augmenter ses standards et, de ce fait, montrer son calibre. C'est à ce moment que l'on engage Daniel Seillier à titre de maître de ballet afin d'augmenter les chances de rencontrer cet objectif: En vue de l'inauguration de la Place des Arts, qui sera un peu leur pied-à-terre, les Grands Ballets canadiens viennent' de faire l'acquisition de nouveaux membres et parmi eux, d'un nouveau maître de ballet. Notre corps de ballet métropolitain prend de plus en plus de l'importance et tient à être à la hauteur de sa tâche 135 . Rappelons-nous aussi la venue de Rosella Hightower à titre d'artiste invitée pour l'occasion. L'excellente acoustique pour l'époque permet de présenter les ballets avec un orchestre d'envergure. Claude Poirier tient la baguette pour les GBC. Victime d'un conflit qui, finalement, jouera en sa faveur, la compagnie ne se présentera pas le 3 mais le 12 du mois d'octobre, en matinée et en soirée (annonce, La Presse, 28 sept., 2, 10 et Il oct. 1963 ). 135 L'article est signé C.P .-M, non daté, ni identifié à un journal. (AlT)~ 242 Le NYCBdevait donner une série de représentations dans le cadre du festival d'ouverture de la PdA du 9 au 14 octobre. La série est annulée 136 et remise à plus tard en raison d'un différend syndical entre l'Union des Artistes et le « puissant syndicat américain, l'Actors' Equity, qui régnait en roi et maître depuis des décennies sur toute l'Amérique du Nord» (Duval, 1988, p. 181) pour l'obtention de l'accréditation syndicale de la salle Wilfrid Pelletier. Le conflit va passablement perturber le lancement. Il aura pour effet l'annulation de plusieurs spectacles programmés dans le cadre des cérémonies d'ouverture dont celui du NYCB et celui des GBC (Gingras, 28 sept. 1963) qui se désistent (Forget, 2006, p. 373). Dans le cadre des célébrations, les GBC devaient recevoir un cachet de 25 000$ de la PdA. Ils ne recevront rien 137 puisque la représentation du 3 octobre ~'a pas lieu. Comme Mme Chiriaeff a déjà engagé. des frais de 40 000 $ (Idem, p. 252) pour la représentation J38 , elle n'a d'autre choix que de foncer. Elle produira donc une soirée le 12 octobre à ses frais 139 car entre temps, les deux syndicats ont accepté une trêve de six mois 140 « de façon à entreprendre de vraies négoCiations» (Duval, 1988, p. 239). La soirée du 12 octobre 1963 est un succès. Tous les critiques s'entendent pour vanter « la tenue vraiment professionnelle qu'affiche maintenant la compagnie » (Vallerand, 1963). On dit: « les Grands Ballets Canadiens was able to live up to the grandeur of its surroundings» (Johnson, 1963) et on couronne l'œuvre marquante de la soirée le Bal des cadets.' « les GBC y ont donné leur pleine mesure remplissant enfin la salle, parfaitement à l'aise,joyeux, même brillants ... » (Basile, 15 oct. 1963). 136 La raison invoquée par l'imprésario Samuel Gesser auprès des médias est que plusieurs danseurs de la compagnie n'étaient pas disponibles (Gingras, 28 sept. 1963). . 137 Soulignons quand même qu'à titre de dédommagement, la corporation de la PdA offrira un crédit de location pour la période du 13 au 26 décembre 1965 (CE, 25 décembre 1965, FALC). 138 La venue de Rosella Hightower, l'achat des ballets de Dolin et Lichine sans compter leurs frais de séjour à Montréal. 139 Le gouvernement du Québec par le biais de son ministre Georges-Émile Lapalme comblera une partie du manque à gagner en accordant une subvention de 78 000 $ comparativement à l'année précédente où le gouvernement du Québec avait accordé 30 000 $ (La Presse, 4 mars .1964). 50000 $ vont pour la couverture des frais encourus. 140 En fait, elle durera un an (Duval, 1988, p. 239) .. 243 Ludmilla a porté un grand coup. Les critiques sont positives et reconnaissent le calibre de la compagnie qui ne souffre d'« aucun décalage sensible [ ... ] entre elles [les solistes]141 et leur illustre camarade [Rose lia Hightower]» (Vallerand, 1963). Ainsi, Mme Chiriaeffa réussi à frapper l'imagination, s'est imposée dès le début sur la plus grande scène de Montréal de l'époque et n'a pas eu à souffrir de la comparaison avec la célèbre compagnie américaine le NYCB. Anecdote intéressante, l'ABT se présente à la PdA le 13 novembre 1963 et s'annonce comme les « Grands Balletsd' Amérique» (affiche de La Presse, 29 et 31 oct. et 2 nov. 1963). Le producteur est le même qui aurait présenté le NYCB, un mois auparavant. Il aura eu vent du succès des GBC maintenant difficiles à déclasser et tente lui aussi de frapper l'imagination en s'appuyant sur le succès d'une compagnie locale importante. Nous ne ferons que rappeler l'engagement des GBC dans le cadre des célébrations du Centenaire de la Confédération et leur implication dans le cadre des activités de l'Exposition universelle en 1967. Le déploiement de leurs activités et leur impact sur J'évolution de la compagnie en termes de popularité et de développement de public ont été abordés lors de la section qui parle de la préparation de leur grande tournée européenne et seront renforcés dans la section suivante qui aborde Jesoeuvres. Le rayonnement de la compagnie et son travail de développement de public adulte sont bien établis. Entre l'Expo de 1967 et la tournée européenne de 1969, les GBC célèbrent dix ans d'activités. L'incorporation date de 1957. L'année 1968, année faste en succès et en publicité pour la. tournée européenne, servira de moment fort de célébration. Le programme de 1967 est celui de la « décennie anniversaire» et celui de 1968 titre en page couverture: Les Grands Ballets Canadiens 1958-1968. Une légère confusion entoure le début des activités de la compagnie mais permet de glisser l'événement entre deux dates I42 aussi significatives l'une que l'autre . 141 Le journaliste nomme: Linda Stearns, Fiona Fuerstner, Margery Lambert, Andrée Miliaire, Milenka Niederlova et Véronique Landory. 142 Forget (2006) indique que le CA a préféré retarder les célébrations afin, de bénéficier de plus grandes . retombées financières (p. 413). 244 La publicité insiste sur le rang de grande compagnie internationale (programme souvenir de 1967). L'affirmation est plutôt téméraire car son succès s'est affirmé en Amérique du . Nord seulement. Pour sa part, le Commissaire général de l'Expo, M. Pierre Dupuy dit des GBC qu'ils « s'apparentent aux meilleurs» (programme souvenir, 1967). Les grandes compagnies de ballet du monde seront à Montréal, il faut se montrer à la hauteur et affirmer sa prestance auprès de son propre public. Heureusement pour eux, les GBC « surfent» sur le succès de Carmina encore récent et l'utilisent pour les célébrations du 10e annniversaire. La salle est bondée le soir du 9 mars 1968 à la salle Wilfrid Pelletier de la PdA. C'est un succès de la reconnaissance de la part des pouvoirs politiques. Le Premier Ministre de l'époque, Daniel Johnson (père), et le président du CA des GBC, le Juge Vadbonceur, rendent hommage à Mme Chiriaeff et celle-ci, en retour, remercie le public et les danseurs (Gingras, 1968). Le spectacle est repris à Québec et à Ottawa. C'est un pas important pour Ludmilla et sa compagnie. Elle a du succès et la reconnaissance de son produit artistique (Gingras et Johnson, 1968). Le fait d'avoir rempli la salle pour l'occasion montre que le public la suit et fait de cette célébration un moment privilégié pour lui rendre hommage. C'est un événement important de la communauté montréalaise, fière de sa compagnie de ballet l43 . Mentionnons que les 15 ans de la compagnie ne seront ni soulignés,ni célébrés. Un gala hommage en l'honneur de Ludmilla se tiendra à la PdA pour souligner le 20 ième anniversaire de son arrivée au Canada (Helier, 1972). Un autre événement permet de développer davantage de public. Il se réalise les 25, 26 et 27 mars 1970 durant la semaine sainte, dans la nef de l'Oratoire St-Joseph. Non seulement ils'agit de danser dans des lieux saints mais de briser les préjugés à l'effet que la danse pervertit les âmes. Danser dans un tel endroit touche une nouvelle clientèle et réconcilie les esprits dévots avec les manifestations du corps. Un article de La Presse (3 mars 1970) annonce les billets « à prix populaires ». Sans préciser ce que cela signifie, on peut penser que les prix sont abordables pour la majorité 143 Rappelons que dans les années 60, il n'existe aucune autre compagnie de ballet au Québec. 245 des éitoyens. Mme Chiriaeff ne recevra aucune lettre à l'effet que son spectacle est indécent. C'est une nette amélioration. Dans le passé, elle était régulièrement l'objet d'insultes (Forget, 2005, manuscrit, partie Il, p. 37). Cela démontre, dix ans après la création des GBC, une évolution des mentalités à l'égard de la danse à vocation artistique. Deux mille personnes assistent à chacune des représentations 144 (Idem). Les prochaines célébrations soulignent celles du 10e anniversaire de la mort de, Pierre Mercure, en 1976. Mercure est musicien et admire particulièrement les artistes, èntre autres, ses collaborateurs chorégraphes. Il a été le premier à supporter Mme Chiriaeff au cours de sa carrière télévisuelle dans les années 50, car il était producteur, animateur et chef d'orchestre de l'émission ['Heure du concert. Brian Macdonald a aussi travaillé avec lui. Il poursuivra sa collaboration avec les GBC durant les premières années d'existence de la compagnie. En somme, le spectacle a à la fois une valeur sentime,ntale et artistique pour la compagnie. Mais est-ce aussi autre chose? Le spectacle est grandement inspiré du répertoire d'œuvres musicales de l'artiste: trois ballets sur six sont des créations originales de chacun des trois chorégraphes officiels de la compagnie sur de la musique du Ma~stro. La soirée commence par un montage de scènes de l'émission ['Heure du concert où défilent le visage de nombreux artistes canadiens et étrangers qui y ont participé. Plusieurs collaborateurs des premiers temps de la télévision contribuent au spectacle de la PdA : Gabriel Charpentier (texte et musique), François Bernier (chef d'orchestre)145, Louis Archambault (sculpture) (Gin gras, 1976). La soirée se termine avec un défilé chorégraphié des danseurs et des étudiants des écoles affiliées aux GBC. La presse francophone apprécie et qualifie de « magistral» le spectacle (Idem). Les journalistes anglophones y voient davantage un coup de publicité: « It closed with an item which looked embarrassingly like a commercial as students from the company's ... » (Galloway, 22 mars 1976). Ils sont agacés par l'aspect nostalgique et familial: « It is a nostalgic evening. It is also an obviously parochial one which is not likely to travel with 144 Lorrain (1973) prétend qu'il y avait 5 000 personnes par représentation (p. 177). Le rapport annuel du CAC rapporte 4 000 spectateurs en tout (1969-1970, p. 62). Le chiffre de 2000, invoqué par Forget (2006), nous semble plus plausible, nombre en soi considérable dans l'église pour une seule représentation. 145 Les deux premiers ont fait partie du comité artistique des années 60 (programme souvenir, saison 19651966). 246 any great success outside the province of Quebec. The music is the important item, the dance but an embellishment » (Idem). En réalité le spectacle est un ensemble de tout cela: un rappel historique, une publicité et un positionnement politique. Dans les années 70, la montée du Parti québécois est constante et le débat autour de la question nationale se radic.alise (Linteau et al., p. 679)'. La compagnie s'érige comme moteur de l'identité nationale et se sert de cette production pour l'affirmer: Les Grands Ballets Canadiens ont toujours recherché à inscrire leurs activités au sein de la collectivité, le Québec, qui les a fait naître et qui les particularise. La danse s'est toujours identifiée à une culture et à une époque et c'est ainsi q\le Les Grands Ballets Canadiens, par leurs créations incessantes, sont le reflet de la richesse culturelle d'ici. Bon an, mal an, les œuvres nouvelles s'ajoutent au répertoire de la compagnie et entraînent de plus en plus la collaboration de créateurs canadiens de diverses disciplines artistiques. C'est ainsi que des musiciens, des chansonniers, des sculpteurs, des peintres, des décorateurs et des costumiers canadiens ont participé aux succès et à l'originalité de ballets qui placent la compagnie au rang des précurseurs. (programme souvenir, saison 1975-1976 146) Le texte n'est pas simplement un hommage aux artisans du spectacle, toutes disciplines confondues. C'est aussi un plaidoyer pour la reconnaissance de la compagnie comme moteur de croissance artistique et culturelle et comme un instrument de développement de l'identité nationale. Ainsi, nous comprenons le malaise du journaliste anglophone peu touché par l'hommage. En revanche, les critiques anglophones ortt raison de dire que le spectacle n'est pas exportable. Brian Macdonald le sait. Il n'aura lieu qu'à Montréal à des fins de promotion. Les représentations de Toronto et des provinces maritimes prévues juste après n'incluent aucun de ces ballets (Galloway, 6 mai; Edinborough, 1976). Les anniversaires de toutes sortes ont donc constitué des événements marquants dans le parcours de la compagnie. Ils ont généré des impacts de différents ordres ou ont fait l'objet d'un certain espoir de développement: une plus grande visibilité, des rentrées d'argent à des moments stratégiques et des publicités à peine déguisées empreintes de 146 Ce texte apparaît au début d'une section du programme qui présente les pri.ncipaux collaborateurs artistiques de la compagnie au fil des ans avec leur nom, une courte biographie et ce qu'ils orit réalisé avec la compagnie. 247 messages à caractère politique. Ils visaient aussi à accroitre le goût du ballet auprès de la population en frappant la curiosité des gens et en leur rappelant à intervalle régulier qu'une compagnie de ballet importante vivait en leurs murs. C'était une stratégie de plus pour attirer le public aux spectacles des GBe. IV. 5 : Atteindre une reconnaissance internationale ......~.lHm.!f~~~~IÊGIIIUES........ 5 > Atteindre une "",onnal...nc. Inlem.lilnal. ...OIHEC]mJ~ç!1g~~ 5.1 > DéYe~pper un 00"00. "pert,i.. ;.2 > H ..... ' h li ,.eau lecbn~u. 5.1.1 > AI1II"",œr lB niveau de dlilcultè du "pem.. W > Modifier 1 .. exlge.eu d>otègœphiq.", Ut > CQ"U~'I pour ~ reai!saUoo de.! !nur. > Réaliser de.! lIlumée, .ttuct..... Un autre objectif stratégique a hanté Ludmilla dès le début de l'existence de la compagnie: donner une dimension internationale aux GBC. Elle a tout mis en œuvre pour l'atteindre sans jamais abdiquer. Elle a fait tous les compromis nécessaires pour y parvenir. Cela dit, elle n'a jamais révélé publiquement ce rêve. Aucune déclaration ne mise sur un développement d'une telle envergure. Son discours demeure à l'effet qu'elle désire doter le Québec d'une compagnie de ballet prenant appui sur les valeurs et l'âme du peuple québécois. Sa réserve manifeste prudence et réalisme. Cela ne l'a pas empêchée de diriger inlassablement ses actions vers une telle reconnaissance. Tout au long de ce qui précède et plus particulièrement dans la section traitant. des tournées importantes, nous constatons que Mme Chiriaeff poursuit des ambitions de reconnaissance de sa compagnie: quand elle engage ses collaborateurs, quand elle fait des choix de chorégraphies ou saisit des occasions, elle n'a qu'un seul but, celui de faire reconnaître les GBC au même titre que les grandes compagnies de ballet du monde. N'a t-elle pas grandi dans la traînée de la comète des Ballets Russes de Diaghilev? Elle s'en est servi comme modèle pour élaborer sa compagnie. C'est son cinquième objectif stratégique. Malgré ses ambitions, le temps demeure un facteur déterminant d'essais et d'erreurs, de témérité et de replis stratégiques dans la construction progressive d'une compagnie dont l'importance se précise graduellement au Québec, au Canada et à l'étranger. Elle ne peut aller plus vite que la dure réalité des étapes nécessaires à franchir, tributaire qu'elle est 248 des effectifs disponibles et de la trop grande limite de ses moyens financiers. Malgré tous ses efforts, la réelle reconnaissance internationale viendra plus tard. Surtout que certains critiques ne se gênent pas de le lui rappeler: « Les Grands Ballets Canadiens have made tremendous' progress in the past two years, but they are still not a company of international calibre» (Siskind, 1969). Mme Chiriaeff, dans un communiqué de presse du 3 décembre 1968 (F ALC) utilise le titre: Les Grands Ballets Canadiens, compagnie internationale de danse. L'affirmation est habile. Elle fait l'éloge de son parcours personnel d'artiste (européen), de celui de ses collaborateurs (aussi européens) et elle annonce la tournée américaine prévue au printemps. Effectivement, ceux qui l'entourent et à qui elle fait appel viennent du vieux continent et de différents pays. À cette époque c'est tout ce qu'il y a d'international en lien avec la compagnie Elle navigue habilement entre la réalité et les demi-vérités dans la façon de formuler son titre. Qu'entendons-nous par reconnaissance internationale ? Les différents dictionnaires généraux s'entendent pour définir le terme international par: « Qui a lieu, qui se fait de nation à nation» (Robert, 1993 ; Larousse, 1992); « Qui s'exerce dans plusieurs pays» (Rey, 2005). Ainsi, la dimension internationale peut exister quand un organisme sort de son pays et fait des échanges avec un seul autre. tette interprétation a été largement utilisée par la compagnie dans l'élaboration de son image. Dès 1967, dans le texte d'introduction de présentation de la compagnie, il est écrit: « .. .la troupe des Grands Ballets Canadiens se classe au rang des grandes compagnies internationales» (programmes souvenirs. de 1967-1968 et de 1968-1969). Or à l'époque, ils n'ont foulé que le sol américain. La surenchère est difficilement justifiée autrement qu'en considérant qu'ils ont été sur les mêmes scènes que d'autres compagnies de ballet, jugées importantesdans le monde, lors de leur venue à l'Expo de 1967. Durant la saison de 1971-1972, il est dit: « les Grands Ballets Canadiens ont acquis un prestige international » (programme souvenir) et, en 1972-1973, on insiste sur le fait que «les Grands Ballets Canadiens connurent leur premier grand succès en Europe en 1969» (programme souvenir). Nous savons que le périple européen a été un désastre en ce qui concerne la reconnaissance de la part des critiques familiers avec la danse qui savent ce que sont les valeurs esthétique et stylistique du ballet. Le succès n'est toujours 249 probant que sur le territoire nord-américain. En 1976, on a modifié le discours: « les GBC, la compagnie la plus novatrice au Canada» (programme souvenir 1975-1976). Une telle affirmation promotionnelle de reconnaissance internationale n'est nullement justifiée et est quelque peu abusive. Elle donne l'impression d'une image de prestige au large public qui n'a pas les moyens d'évaluer la portée de ces propos. En même temps, chacun veut bien croire qu'il a chez lui une compagnie de ballet prestigieuse. Aux fins de notre recherche, nous avons considéré « réelle» la dimension internationale de la compagnie des GBC, dès le moment où le succès était sans équivoque, constaté dans , plusieurs pays différents de plusieurs cultures différentes. La surenchère des dirigeants des GBC est mentionnée par un critique qui s'en plaint et ne se gêne pas de le noter: Les GBC annoncent un peu prétentieusement qu'il s'agit de trois « créations mondiales ». L'expression laisse entendre que le monde entier était au courant, ce dont je doute fort. « Premières montréalaises» serait plus juste, encore que là j'ai bien peur que, dans un cas et peut être deux; il s'agisse de dernières. (Gingras, 1972) La pratique de la surenchère n'est pas un cas isolé. Dans le milieu de la danse montréalais, avec la venue de la « Nouvelle Danse» et de son Festival dans les années 80, une certaine enflure de la réputation de chacun est observée. La plupart des chorégraphes annonçaient leur première « mondiale» parce qu'ils étaient diffusés dans un cadre qui se voulait international bien qu'ils aient à peine foulé le sol d'autres territoires, espérant que le monde s'ouvrirait à leur création. C'est ce phénomène que nous observons avec la mise en marché des GBC en 1967 et par la suite. L'éxagération des succès cache un certain malaise s'apparentant à un « manque d'estime de soi ». Il disparaît quand le succès réel se produit. Pour les GBC, ce sera en 1977 comme nous l'avons constaté. Le temps doit faire son œuvre et l'impatience de Ludmilla est en quelque sorte justifiée. En effet, l'ascension a été exceptionnelle de 1957 à i972, période assurée par Mme Chiriaeff à la direction artistique. Celle-ci a réussi à orchestrer des bases solides pour une compagnie avec la précieuse collaboration de Fernand Nault. En 1974, la compagnie a certains acquis. Elle est déjà prête à se confronter à des œuvres complexes, aux grandes 250 scènes et aux grands courants. Les danseurs sont d'un bon calibre, ont de nombreuses expériences de tournée sur des scènes de différentes importances et la structure de gestion, malgré ses ratées, semble relativement adéquate pour supporter un mouvement de développement davantage tourné vers le marché international. IV. 5. 1 : Développer un nouveau répertoire Le premier objectif tactique de l'objectif stratégique visant à assurer une reconnaissance internationale touche le cœur du rayonnement d'une compagnie, c'est-à-dire son répertoire. C'est du moins ce que notre analyse des données démontre jusqu'à maintenant. Dans les premières années, avant la venue de Brian Macdonald, Mme Chiriaeff s'est appliquée à développer un répertoire diversifié. Les œuvres de Fernand Nault offraient un certain potentiel. Constituées de grandes fresques, avec des mises en scène complexes, elles ne « challengent» pas les publics avertis sur le plan de la virtuosité. D'autant plus que Ludmilla n'a pas pu développer à la fois, une facture canadienne et québécoise de la danse et la transposer à un niveau international. Il faut du temps pour se faire connaître, imposer une marque originale et grandir en qualité. Cela dit, nous avons pu constater auparavant qu'une des erreurs majeures de Mme Chiriaeff a été de choisir une mauvaise programmation lors de sa première tournée en . Europe. Elle n'a pas su trouver grâce aux yeux des critiques de France et d'Angleterre bien que le public ait apprécié les spectacles. Ces pays, à cette époque, donnent le ton à la danse et en établissent les critères et standards. Les grandes écoles de formation sont toutes européennes, la majorité des chorégraphes également à l'exception de George Balanchine. Petit à petit, « Mr. B.» impose ses méthodes de formation, ses critères esthétiques et ses œuvres originales. Au même moment, la compagnie des GBC suscite l'intérêt d'une nouvelle direction artistique chevronnée, prête à s'investir dans une nouvelle étape de développement d'une compagnie qui n'en est qu'à la période adolescente de sa vie. En fait, l'ancienne et la nouvelle direction se choisissent. 251 Le flair de Ludmilla la servira encore une fois pour nourrir ses ambitions non avouées et faire face à son objectif de développement. Brian Macdonald prendra « sa » relève. Elle sait ne pas être la bonne personne pour réaliser son rêve. Elle se consacrera dorénavant à « finir les structures de la danse au Québec» (Chiriaeff in Brousseau, sept. 1974). De son côté, Brian Macdonald a besoin de s'investir à long terme quelque part: « Montreal is my pied-à-terre now. 1 have two more years on my contract with les Grands Ballets, but 1 foresee staying here a good deallonger than that » (Lanken, juil. 1975). Durant ces années de direction artistique, il est le premier chorégraphe canadien de réputation internationale (Crabb, 1998, p. 89) à émerger du Canada et à lais~er sa marque à l'étranger. Cette denrée est plutôt rare à l'époque: « Great choreographers are as rare as great playwrights throughout the world. Les Grands Ballets Canadiens is the only Canadian company tohave a prolific choreographer [Brian Macdonald] as its artistic director » (Galloway, mai 1976). Sa principale force est Un répertoire personnel original. Deux actions conjuguées du nouveau directeur artistique vont permettre une. réelle reconnaissance internationale de la compagnie au temps de cette direction: Brian impose un répertoire ajusté aux tendances internationales (premier objectif opérationnel) et il instaure un niveau technique supérieur (le deuxième). Ces deux aspects sont interreliés dans le projet de dévelopement du nouveau directeur. Le troisième objectif opérationnel vient de la compétence et du flair de la direction générale à organiser une tournée d'envergure en collaboration avec la direction artistique. IV. 5. 1. 1 : S'ajuster aux tendances chorégraphiques internationales Il faut garder en mémoire l'expérience passée et présente (en 1974) de Brian Macdonald. Il a dirigé de bonnes compagnies de ballet européennes, il continue de créer des œuvres à l'étranger durant son mandat de directeur artistique et il connaît parfaitement les exigences de virtuosité nécessaires à l'obtention des standards internationaux. Il impose dès le départ son répertoire personnel et sa signature originale de chorégraphe. Il se calque avantageusement sur celui du maître montant des années 70 et 80, George Balanchine qui, à ce jour, demeure une figure emblématique de l'évolution de la danse 252 classique du XX e siècle. Déjà à l'époque fructueuse de creation de Macdonald, « Mr. B. » a 'réussi à imposer· son style dans le monde. Maurice Béjart, autre chorégraphe emblématique du XXe siècle dira de lui: Semblable à ce magnifique pont suspendu qui, un peu au nord d'Istambul relie l'Europe à l'Asie, le seul au monde à relier deux continents, Balanchine, sans conteste le plus grand chorégraphe de tous les temps, relie la grande tradition du ballet classique à la modernité la plus absolue. (Volkov, 1988, p. 9) George Balanchine et Brian Macdonald partagent plusieurs valeurs artistiques en plus d'avoir des tempéraments semblables. Nous avons expliqué la personnalité complexe et les ambitions artistiques de Brian Macdonald dans la section consacréeà l'encadrement artistique. Il s'agira ici de mettre en lùmière certaines caractéristiques partagées par les deux artistes. Nous expliquerons les orientations de Balanchine. Elles sont nécessaires pour comprendre comment Macdonald s'inscrit dans un courant chorégraphique important. Il a la capacité de donner une envergure internationale aux GBC par son propre répertoire et celui qu'il ac·quièrt. Personnages intransigeants et despotiques à certains égards (Mazo, 1974 ; Stevens, 1976 en ce qui concerne Balanchine), ils ont Un but ultime, moteur de leur vie: faire de la création originale. Personne ne peut les en détourner. Leur curiosité est insatiable et à ce titre, ils désirent exploiter plusieurs genres l47 • Comme ils fonctionnent par thèmes, les œuvres sont plus courtes et plus denses. Tous deux désirent élaborer un produit original national. Enfin, ils sont tous deux reconnus pour avoir une sensibilité particulière à la musique. De Balanchine, on dira que, dans ses çhorégraphies, on « visualisait» la musique (Hazan, 1957, p. 23). Ces attributs communs ont un effet important sur leur création: de hauts standards techniques et virtuoses: « American dan cers whose athletic bodies Balanchine likes to celebrate, have an arid quality. [ ... ] Their superbly trained athletic bodies obediently execute graceful or stirring exercices and exhibitions of elegant gymnastics» (Palmer, 147 À consulter à cet effet, l'ouvrage élaboré par Balanchine lui-même et Francis Mason (1977). On y explique chacune des chorégraphies de Balanchine du début de sa carrière de créateur à la date de parution: autant, le contexte de création, les intentions, l'élaboration du ballet que la réception d'une certaine critique américaine pour chaque œuvre. 253 1978 p. 112). Les deux respectent la mise en valeur de quiconque est capable de rencontrer de tels objectifs: .One of the most ihteresting facets of his company was its lack of an old-fashioned corps de ballet. The body of his company possessed the technical calibre of soloists - this standard was expected, the training made it possible, and the ballets exploited it. (Shearer, 1987, p. 147) Rappelons-nous les témoignages de danseurs au sujet de Brian Macdonald, les commentaires sur ses exigences techniques et son utilisation des interprètes aveç une hiérarchie de solistes. Brian Macdonald est au bon endroit, au bon moment, avec les bonnes qualités. En effet, l'Amérique du Nord est en train de devenir la référence esthétique et artistique du monde Occidental depuis le début des années 70 : «Risking a few swingeing generalisations after a short visit, 1 would say that New York is now unquestionably the dance emporium of the world, with an unmatched wealth and variety of choice ; ... » (Bland, 1985, p. 158). Il est donc un homme de son temps et son profil correspond aux qualités recherchées par les artistes du ballet sur le continent nord-américain. Son potentiel artistique est un des éléments déterminants. La qualité de ses chorégraphies, en accord avéc une orientation stratégique à l'échelle de la planète (celle de Balanchine), va faire la différence. Cela dit, Brian Macdonald a besoin d'un répertoire extérieur tactique pour valider et faire cheminer son propre matériel. Il annonce dès son arrivée: « qu'on verra entre autres plus d'œuvres de Balanchine» (Brousseau, 25 sept. 1974). Il les choisit pour deux raisons, leurs vertus pédagogiques et le rayonnement qu'elles peuvent procurer si elles sont bien dansées. IV. 5.2: Hausser le niveau technique Les affinités d'ordre philosophiques ne sont pas sans rappeler à Brian Macdonald qu'interpréter les œuvres de Balanchine est une école en soi pour des artistes. Danser de telles œuvres est un exercice de style et de virtuosité au même titre que le sont les ballets du répertoire romantique dans un registre plus traditionnel. Maîtriser des pièces chorégraphiques du maître garantit un sceau de qualité recherché par. toutes les 254 compagnies 148 des années 70 et 80. Brian Macdonald en fait un objectif tactique pour tendre vers la reconnaissance internationale. La mise en œuvre de cet objectif consiste à augmenter le niveau de difficultés du répertoire et modifier les exigences chorégraphiques, objectifs opérationnels qui s'y rattachent. IV.5.2.1 : Augmenter le niveau de difficultés du répertoire L'objectif motive grandement le nouveau directeur artistique quand il s'agit de faire des choix de chorégraphies nouvelles, dans le but de faire cheminer sa compagnie vers de nouveaux standards. Techniquement, la troupe n'est pas dans sa meilleure forme en 1974 bien qu'elle conserve d'excellents danseurs en mal de défi; Tommy a eu certains'effets pervers comme nous le constaterons dans le chapitre suivant. Brian le sait, il connaît déjà le groupe l49 • Il désire augmenter la qualité et ajouter à la compagnie un produit artistique' qui va, dans le même sens que le sien, donner des outils pédagogiques et artistiques aux interprètes. Il décide d'acquérir certaines œuvres marquantes du NYCB pour ajouter au répertoire de la compagnie des GBC. Il choisit trois œuvres de la première époque de création de Balanchine aux États-Unis: Sérénade (1934), Concerto Barocco (1940) et Quatre Tempéraments (1946). Ce sont trois œuvres abstraites, sur des musiques' complexes, de facture stylistique différente qui exigent une rapidité et une précision exemplaire. La première, de l'aveu même de Balanchine, est sa première œuvre créée ~ux États-Unis. Elle a été montée avec un groupe d'étudiants de l'école à partir d'exercices appris en classe (Balanchine & Mason, 1977, p. 565). Au départ, la compagnie des GBC éprouve des difficultés à les interpréter et cette faiblesse est mentionnée ,par un critique montréalais qui, en parlant des Quatre Tempéraments déclare: «This is one of Balanchine's gems, intrication, elegant and 148 Chaque vague de popul'arité d'une compagnie ou d'un chorégraphe durant toute l'histoire du ballet incite les autres compagnies à acquérir des œuvres de l'artiste dont il est question à une époque donnée pour démontrer sa capacité à observer les nouveaux standards. Par exemple, le courant des années 2000 est considéré comme étant celui du chorégraphe William Forsythe (Wulff, 1998, p. 101). 149 Il est venu monter Jeu de cartes en 1971 (Heller, déc. 1971), Au-delà du temps (Brousseau, 1973) et La Loterie en 1973 (Siskind, mai, 1973). 255 breathtakingly beautiful in its choreography, and the company· worked hard to put it accross on a purely technical level. It received only polite applause » (Galloway, nov. 1974). Cela dit, le directeur artistique a entrepris un travail de renforcement technique et de cohésion. II paraît déjà au spectacle de novembre 1974 (Galloway ; Billington; Brousseau). Nous n'oserions pas affirmer que le changement observé dans la prestation de la compagnie est dû uniquement à l'inclusion du répertoire de Balanchine. L'embauche de professeurs exigeants et compétents comme William Griffiths par exemple est sûrement un facteur d'influence aussi. En revanche, le fait que Macdonald annonce dès son arrivée son désir de choisir aucun autre chorégraphe de l'extérieur est un signe des vertus qu'il accorde au répertoire de Mr . B. en vue de renforcer la tenue de sa compagnie. IV. 5. 2. 2 : Modifierles exigences chorégraphiques À la même époque, les autres chorégraphes attitrés vont continuer leur implication créatrice: Fernand Nault crée cinq nouveaux ballets et Brydon Paige trois, dont un ballet en collaboration avec M. Macdonald. Les œuvres de ces deux chorégraphes ne semblent , pas percer la scène au même titre qùe celles de Macdonald ou Balanchine si on se fie aux articles de presse. Un examen attentif des critiques écrites sur la compagnie (de 1974 à 1977) laisse transpirer certaines observations: les pièces de Balanchine et de Macdonald sont vives, bougent beaucoup, sur des musiques enlevantes et sont teintées de plusieurs pointes d'humour quand celles de Nault et de Paige présentent des univers sombres. Le contraste est flagrant entre Time out of Mind (Macdonald, 1974) et Cantique des . cantiques (Nault, 1974) lors d'un même spectacle (Siskind et Galloway, juil. 1974). Plusieurs autres exemples sont à noter: Villon (Butler, 1971) et Tam Ti De/am (1974); Variations polissonnes et celles de Diabelli (Macdonald, toutes deux créées en 1975) avec Variations pour une voix ténébreuse (Paige, 1975). À chaque fois, les journalistes font remarquer ce contraste désavantageux. Il est normal d'équilibrer une programmation avec des œuvres plus légères et d'autres plus difficiles d'accès. Dans le cas qui nous intéresse, il semble que les pièces de nature joviale écrasent les autres de façon démesurée avec une certaine constance. 256 Brian Macdonald va aussi modifier le gabarit des danseuses de la compagnie et engage des recrues plus conformes au prototype esthétique balanchinien : corps filiforme, sans courbes accentuées, jambes démesurément longues, pieds très arqués et long cou. Vincent Warren (2005) témoigne: « Brian a aussi changé le look de la troupe. Les danseuses étaient plus longues, plus minces. Il y avait aussi des jeunes de l'école qui commençaient à sortir comme Michelle Morin, Sylvie Normandin, Christiane Berardelli. Il y avait les longues filles minces. » Ce choix accentue les rapprochements de nature esthétique à faire entre les deux chorégraphes. Durant les mêmes années, les deux autres compagnies canadiennes ne recrutent pas de direction artistique doublée d'un chorégraphe et n'encouragent pas les produits locaux. Un répertoire exhaustif compilé par Neufeld (1996) démontre qu'à cette période (19741977), le BNC ne programme que du répertoire tiré des ballets de l'époque romantique lSO et le RWB tente de faire connaître un chorégraphe d'Amérique du Sud, Oscar Araiz. Il va donner huit nouvelles œuvres populaires à la compagnie 151 (Wyman, 1989, p. 147). L'orientation de la concurrence peut justifier le fait que les GBC, dans leur programme souvenir des célébrations de leur 15 ans (1958-1976), insistent sur leur contenu canadien original afin de se démarquer de leurs compétiteurs. La compagnie des GBC offre plusieurs œuvres originales à chaque programme. Par exemple, le 15 novembre 1975 (programme de soirée), le spectacle est composé de quatre nouveaux ballets: Variations Diabelli (Macdonald, 1975), Variations pour une souvenance (Rabin, 1975), Variations pour une voix ténébreuse (Paige, 1975) et Variations polissonnes (Macdonald, 1975). La poursuite par la direction artistique de l'objectif de développement d'un répertoire original, amorcé par Mme Chiriaeff et M. Nault, cristallise l'étiquette des GBC comme compagnie dynamique et inovatrice à une· époque où le concept de l'innovation est grandement encouragé dans la culture nordaméricaine (Tembeck, 2002, p. 777). La critique locale et canadienne remarque une nette amélioration du niveau technique et une meilleure cohésion sur scène de la compagnie des GBC durant les années ISO Cela dit, ils le font avec succès ayant dans leurs rangs RudolfNoureev (Billington, fév. 1974). Arnold Spohr est à ce moment à la tête de la compagnie mais il n'y a jamais chorégraphié sur une base régulière. . 151 257 Macdonald. En faisant référence à ces années, Myron Galloway se rappelle, avec nostalgie le spectacle qu'il avait pu admirer à Toronto le 6 mai 1976 : Les Grands Ballets Canadiens, in the first of six performances at the O'Keefe Center, made it abundantly clear that its distinctive characteristic is having the greatest number of weIl disciplined dan cers trained to razor-sharp precision with each in possession of his and her own ingratiating personnality to enhance a technique of truly formidable proportions. En novembre 1979, il se remémore les propos de 1976 puis déclare que la compagnie est devenue l'ombre d'elle-même: « It was difficult to believe This was indeed the same company. » Après l'énumération des chorégraphies mal interprétées, il ajoute: « Judging from its current program Les Grands Ballets Canadiens is in a sorry state. » Cela dit, notre analyse démontre que la cohésion de la compagnie et sa prestation sur scène vont plutôt en dents de scie : prestation un jour extraordinaire et l'autre décevante. Un tel contraste est presque inévitable quand on se rappelle combien les relations internes sont difficiles et minées par des problèmes de toutes sortes. D'autant plus qu'une baisse de qualité se remarque automatiquement par un public avisé dont les attentes élevées suivent à la loupe les performances successives de la scène locale. Cela dit,ces facteurs ne semblent pas influencer le rayonnement de la compagnie à l'extérieur du Québec, bien au contraire. Les tournées de 1974 à 1977 seront couronnées d'un succès bien senti 152 • Brian Macdonald a donné une force technique nouvelle aux GBC. Il a permis de raffermir au Canada sa réputation de compagnie de répertoire original et ce, peu importe les méthodes. Quant à sa réputation aux États-Unis, elle n'est plus à faire depuis la popularité du ballet Tommy. Cependant, le test ultime est de sortir du continent nord américain. Deux essais décevants ont eu lieu dans le passé. Après un premier périple en 1969, la compagnie se présente à Paris une deuxième fois en 1974 avec Tommy et reçoit encore un accueil glacial (Billington, juin 1974) malgré le fait que le ballet ait été monté aux nues partout où il a été présenté en Amérique du Nord pendant trois ans. 152 Nous faisons référence à une tournée dans l'Ouest Canadien en 1974 et 1976, dans les provinces maritimes en 1975, l'Amérique latine en 1977. 258 IV. 5.3 : consulter pour la réalisation des tournées Nous avons constaté combien la tournée est importante dans la vie d'une compagnie. Elle devient une pierre angulaire de ses activités pour plusieurs raisons: visibilité donc reconnaissance possible, reconnaisance donc financement possible. Aucune compagnie n'y échappe. À l'interne, il faut assurer aux dan,seurs et aux chorégraphes des occasions de ,pratiquer leur art et à tous ceux qui gravitent autour des productions. Cependant la manœuvre exige un certain nombre d'éléments à maîtriser pour faire face aux espoirs. Ainsi il ne s'agit pas d'organiser des tournées en regard un.iquement de besoins internes. Il faut planifier et structurer méticuleusement les voyages de spectacles en regard du milieu dans lesquels ils s'inscrivent. L'objectif opérationnel fait toute la différence sur le succès du périple ou ses succès mitigés: rappelons-nous la première tournée européenne et ses déboires. IV. 5.3. 1 : Réaliser des tournées structurées On a pu constater qu'au temps du couple LuftlChiriaeff, la planification des tournées a laissé à désirer. Une certaine forme d'improvisation a eu cours. Durant la nouvelle direction artistique, le paysage a changé: les gouvernements donnent de l'argent moins qu'il n'en faut pour subvenir aux frais encourus par la tournée, les médias sont à l'affût de tout faux pas et la compétition est plus grande sur les marchés de production internationale. Cela étant dit, l'Amérique du Nord est au coeur de l'action. Le répertoire peut faire la différence quand il s'agit de se faire valoir. Les chorégraphies de Brian Macdonald sont dans l'air du temps comme nous avons pu Je constater et le directeur général, Colin McIntyre, est un homine avisé et prudent. Ce dernier avait fait une tournée en Amérique du Sud en 1971 avec le Festival Ballet de Londres (Maskoulis, juil. 1977). Il a compris qu'une tournée dans une autre culture, doit être planifiée avec soin, surtout quand il s'agit de sa programmation. Maskoulis fait un post mortem élogieux du périple et rapporte les circonstances de l'organisation de la tournée: 259 [Colin McIntyre] started planning this trip two yeàrs ago knowing full weil that it was slated for success. But it could not have gone as smoothly as it did without his Argentinian impressario, Alejandro Szterenfeld, who not only made the arrangements and travelled with the company but helped choose the repertoire. « He was very pedantic about saying he would not take the company unless he saw them first. He was very precise and made excellent arrangements », said McIntyre. Malgré les problèmes internes, la tournée en Amérique du Sud connaît un vif succès à cause de son organisation, de son répertoire méticuleusement choisi et d'une grande solidarité des danseurs. Les œuvres particulièrement appréciées sont Tam Ti De/am (Macdonald) « un exemple d'un excellent mélange d'éléments folkloriques et de technique classique de haute qualité », Carmina Burana (Nault) « dont la force et la virilité ont fait l'événement majeur de la soirée» et Concerto Barocco (Balanchine) remarqué pour « la fluidité des mouvements et la précision du style classique» (Revue de presse du journal La Presse, juin 1977). Carmina Burana, vilipendé par une certaine critique en 1969 en Europe, est apprécié en Amérique du Sud en 1977. Encore une fois, une programmation adéquate dans une culture spécifique fait toute la différence. En 1974, l'improvisation autour de la présentation de Tommy à Paris a été fatale malgré l'enthousiasme de Luft à la réaliser et . ce qu'il en dit: Depuis lors, de dire Luft, je voulais l'amener en Europe. Mais il y avait une question de droits, une question de subventions, une question de théâtre et puis j'ai réussi. .. Et finalement, l'automne dernier j'ai eu les droits. Et quand je les ai eus, je suis devenu fou et je suis parti en Europe pour essayer d'organiser une tournée. C'était beaucoup trop tard, mais Paris ça a marché. J'ai réussi à trouver un théâtre et j'ai réussi à trouver une subvention. (Brousseau, mai 1974) La précipitation de Luft, sans plan stratégique, est probante. La déconfiture est d'autant plus difficile comme nous le constaterons dans le prochain chapître. Cette déclaration renforce l'idée d;une planification tactique nécessaire pour la conquête d'un nouveau marché. Le temps et l'expérience n'ont pas permis _à Uriel Luft d'en prendre conscience. L'engouement nord américain pour Tommy ne convenait pas au 260 public de Paris qui fréquente habituellement le théâtre des Champs-Élysées l53 pour y voir des ballets plus traditionnels et légers. Organiser une tournée à la hâte, dans un pays de culture différente, aura été un mauvais choix, deux fois plutôt qu'une. Brian Macdonald ne s'entend pas personnellement avec son directeur général, pourtant un homme prudent et organisé. Il comprend combien les mouvements stratégiques artistiques ont une influence sur l'organisation des tournées. Brian Macdonald semble avoir été assez sage pour se laisser guider par l'imprésario compétent et par McIntyre pour établir la programmation. Les GBC, au meilleur de leur forme technique et virtuoses, reviennent d'une tournée en Amérique du Sud où ils ont fait salle comble tous les soirs pendant 10 semaines et 43 spectacles et où les cri~iques ne tarissaient pas d'éloge à leur égard. Ce succès populaire a marqué l'imagination et cristallisé le calibre international de la compagnie, ce dont Ludmilla avait toujours rêvé. On reconnaît la valeur des GBC grâce à un répertoire original enthousiasmant et vivant et une prestation quasi impeccable des danseurs. Dorénavant, les difficultés de parcours seront considérées comme telles sans remettre en questibnpour autant la valeur de la compagnie sur aucun continent, d'autant plus que Colin McIntyre continuera d'organiser des tournées de façon minutieuse par la suite l54 • Elles seront, elles aussi, couronnées de succès. Ainsi, le passage de Brian Macdonald a été de courte durée mais le succès recueilli à son contact et sous sa gouverne compenseront pendant bien des années les difficultés passées et futures. Par .la suite, on ne sent plus le besoin de parler de reconnaissance internationale. En revanche, on insiste sur : « le plus important contenu canadien des trois compagnies » (programme souvenir, 1958-1983), misant sur sa particularité. La confiance et la personnalité de la compagnie se sont affirmées'et clarifiées. 153 Les Ballets Russes ont inauguré le théâtre en 1910, à J'époque, le reflet de l'avant-garde: « with the english comfort, german technology and french taste » (Miller, 2003), C en'est plus le cas à la fin des annnées 60 et le début des années 70. Le théâtre a conservé un certain conservatisme de programmation de la belle époque. 154 Nous citerons en exemple, une tournée en Asie du Sud-Est en 1982 qui sera, elle, un succès du côté du Soleil levant. La tournée a fait l'objet d'un reportage de l'ONF (Smith, 1985). . 261 IV. 6 : Assurer le financement récurrent ....... ~.~~mlF.~. .S!.R.~!.É.~.lgu~.~...... 6 > Assurer le linancement !écurent 6.1 > Planmer des actions internes de financement 6.1.1 > Organiser des campagnes de financement 6.1.2 > Organiser des galas bénéfices 6.2 > Assurer un financement récurrent desgouvemements 6.2..1 > Créer des liens BYeC le milieu politiQue' Toutes les tournées et un déploiement sur les différentes scènes du monde exigent de l'argent, beaucoup d'argent. Les gens de la direction artistique ne cesseront de chercher des stratégies afin d'en obtenir le plus possible durant toute l'époque que nous couvrons. , Nous pourrions penser à première vue que les moyens et la mise en œuvre de cet objectif stratégique incombent à une direction générale ou administrative. Pourtant, la recherche de financement est constamment discutée et défendue par la direction artistique dans les conférences de presse lors des deux mandats successifs de directions artistiques. Ainsi, notre analyse nous a amené à placer cet objectif stratégique dans le modèle artistique puisqu'il est assumé et défendu par la direction artistique comme par la direction générale: Elle était de toutes les conférences de presse inimaginable. Elle était là, parce qu'au fond, le produit, c'était Chiriaeff. Quand elle n'était pas là, ce n'était pas pareil. On voit bien aussi qu'elle est le développeur, l'entrepreneur, et le risque est grand quand le nom n'y est plus, quand la personne physique n'y est plus. Le danger de faire de la publicité sur son nom. (Forget, 2005). Donc, dès le début des activités des GBC, les deux directions assurent conjointement ce volet. Sous le règne de la deuxième direction, ce n'est plus le cas. Pour mieux comprendre cette section, on peut se référer à l'annexe VIII. Nous traiterons d'abord de l'objectif tactique mis de l'avant par l'équipe des GBC pour compenser le manque à gagner dû à un financement insuffisant des différents gouvernements. Il s'agit aussi d'une obligation décrétée par le CAC pour justifier son appui aux activités de la compagnie. Puis, nous aborderons l'objectif tactique. li consiste à assurer les liens des GBC avec les milieux politiques canadien, québécois et montréalais en regard du financement. 262 IV. 6. 1 : Planifier des actions internes de financement La compagnie des GBC est elle-même sollicitée par le milieu des affaires et celui de la politique pour participer aux spectacles de levées de fonds au début de son existence. Profiter de ce modus operandi pour répondre à ses propres besoins de financement semble être dans l'ordre des choses. En effet, le début des activités scéniques de la compagnie des GBC se fait dans le cadre d'une levée de fonds pour inaugurer la naissance de ce qui deviendra le Conseil des Arts de Montréal, un des principaux subventionneurs de la compagnie. Le maire Jean Drapeau convie tous les mécènes et gens fortunés à assister à la création du Conseil municipal des Arts l55 le 5 mars 1955 (Forget, 2006, p. 265), événement au cours duquel les Ballets Chiriaeff se produisent I56 ,157. La même année, le 22 septembre, ils renouvèlent l'expérience scénique au chalet de la montagne lors d'un gala, dans le cadre de la campagne des œuvres de charité de l'organisme la Plume rouge (programme de soirée)l58. L'événement rassemble tout le gratin de la société montréalaise anglophone et se déroule sous la présidence de l'Honorable Gaspard Fauteux, lieutenant gouverneur du Québec (Forget, p. 276). À cette occasion, le maire Drapea4 suggère à Mme Chiriaeff d'incorporer sa compagnie de façon à ce que la Ville de Montréal puisse la subventionner. M. Beaubien de la Corporation Sir Georges-Étienne Cartier la sollicite l59 aussi le 12 mai 1959 pour participer au gala de levée de fonds pour la construction de la PdA (Idem, p. 372). Il faut alors récolter 3.5 millions de dollars. Les deux expériences, coup sur coup, permettent à Mme Chiriaeff d'élaborer ses deux objectifs opérationnels en regard d'un financement privé récurrent: prévoir des campagnes de financement auprès du milieu des affaires et aussi organiser des galas bénéfices pour la compagnie. 155 Premier nom donné à l'organisme qui deviendra le Conseil des arts de la communauté urbaine de Montréal (CACUM) puis, le Conseil des arts de Montréal (CAM), suite à la fusion des municipalités. 156 Ils recevront un chèque de 150 $ à titre symbolique de la part de Jean Drapeau pour les re~ercier d'avoir dansé dans le Hall d'honneur de l'Hôtel de Ville (mémo du maire daté du 31 mai 1955, FALC). 157 Smith (2000) avance l'hypothèse que le maire Drapeau a convié les Ballets Chiriaeff à cette soirée parce qu'il croyait que: « the group's quality would convince his fellow politicians that it was time to establish a civic arts council » (p. 279). 158 La production est assurée par Pierre Mercure et Gabriel Carpentier. 159 Forget (2006) indique que M. Beaubien « assure» Ludmilla de 25 000 dollars (p. 372). Le programme de soirée indique que les artistes « ont accepté de participer bénévolement au spectacle de ce soir pour témoigner de leur intérêt au projet de la Place des Arts ... » (programme de soirée; AIT). 263 IV. 6. 1. 1 : Organiser des campagnes de financement Trois apparitions publiques consécutives devant le gratin économique et politique de Montréal et du Québec permettent un lancement exceptionnel dans le milieu des affaires et sont riches d'enseignement. Immigrée depuis peu, sans relations autres que celles des artistes de Radio-Canada, Ludmilla saisit l'occasion et mesure probablement les nombreux bénéfices à tirer d'une telle participation. Elle considère aussi dans sa démarche que le CAC, formé depuis peu, exige d'elle un apport de fonds de la communauté pour recevoir ses subventions (Forget, 2006, p. 323). Sa visibilité auprès de gens influents permet de ramasser près de 3000 $ en dons dès sa première saison d'activités, seulement par sollicitations privées. La première campagne de souscription est nommée: « Les Petits Souliers Rouges ». Elle mobilise plus de 150 personnes « dont la sympathie et l'intérêt pour lesGBC constituent une aide infiniment précieuse »(demande d'aide à la province de Québec, avril 1959, FALC). L'objectif est de 50 000 $ au printemps 1959 (demande de subvention, CACUM 1959-1960). Le résultat est de 12 656 $. L'objectif de la campagne de 1960 est ramené à 25 000 $ (dépliant, AIT). On récoltera 23 446 $. Ce montant équivaut presque à la subvention de 25 000 $ demandée au gouvernement' du Québec et dépasse de presque 10 000 $ la subvention du CAC pour la même saison d'activités. En proportion du montant total des revenus, c'est beaucoup. Par contre, les dons et subventions ne couvrent pas la totalité des besoins de la compagnie durant cette année de 1960 qui se termine avec un déficit de 1 927 $160. Mme Chiriaeff a compris qu'il faut demeurer pragmatique quand il s'agit d'établir des plafonds financiers de collecte d'argent. Nî elle, ni son directeur général, ni les membres de son CA, nouveaux professionnels canadiens-français n'ont de formation, ni d'expérience pour établir les montants réalistes à engranger par des donations privées. Ils n'ont pas d'expérience avec les activités de levées de fonds non plus. Mme Chiriaeff avait jusqu'à présent compté sur le matériel scénique fourni par la SRC. Elle n'avait pas 160 Dans les 25 000 $ octroyés du gouvern~ment du Québec, 10 000 $ sont accordés pour éponger le déficit de Jac,ob's Pillow (rapport annuel des OBC (1960, FALC). 264 d'expérience pour évaluer les coûts relatifs aux tournées. Il lui faut maintenant beaucoup d'argent. Le recrutement de gens fortunés impliqués dans l'organisation de levées de fonds spéciales ne se fait pas attendre. Un comité de soutien féminin s'organise. Il apparaît dès 1960 dans la section du programme-souvenir réservée aux différents comités. Le dé~archage de membres du comité de soutien est important pour soutirer des commandites de taille. Par exemple,en 1968, le comité féminin a organisé un défilé de mode à l'hôtel Champlain: la maison Eaton paie « toutes les dépenses de cet événement mondain», et pour honorer les billets de tirage, la maison Morgan a consenti à donner un manteau de fourrure d'une valeur de 1 500 $ et en offre un autre de 4 000 $ (compterendu du Comité excutif, 23 avril, 1968, FALC). Une telle activité est un rrioyen privilégié pour sensibilier les gens d'affaire et leurs épouses à l'existence et aux activités de la compagnie. À chacune des campagnes, on indique le nom du« président de la campagne». Nous supposons qu'à cette époque-là, Mme Chiriaeff et Uriel Luft assurentla supervision de la campagne sans faire de sollicitation eux-mêmes ; les différents comités y pourvoient. Ludmilla a réussi à créer des équipes de bénévoles pour l'aider à assurer le financement privé. Lors de la deuxième campagne des « Petits Souliers Rouges », un dépliant bilingue vend bien la compagriie de façon succinte : réalisations de 1959, extraits de critiques, projets de 1960 et raisons pour lesquelles il faut donner de l'argent. Le tout se termine sur une phrase destinée aux gens d'affaire : Si Montréal tend à devenir une capitale mondiale par sa situation géographique et son industrie, elle se doit aussi de le devenir par les arts. En souscrivant généreusement à la Campagne des Petits Souliers Rouges des Grands Ballets Canadiens vous aidez au prestige de votre ville. (dépliant AIT) Le support des gens d'influence politique et d'affaires est indéniable quand il s'agit de s'intéresser aux participants et contributeurs des levées de fonds de la compagnie. Dès le début de son incorporation, la compagnie recrute des « parrains». Ils alimentent la corporation en service de toutes sortes et s'activent dans les campagnes de souscription 265 en plus de fournir une cotisation annuelle l61 . Ils constituent une aide appréciable par la valeur de leurs dons de commandite. Par exemple, M. Raymond Hétu (de Ratelle et Hétu, Courtiers en Assurances) fournit de l'assurance, alors que M. Jack Tietolman (CKVL) offre de la publicité gratuite (programme-souvenir,. 1957-58). Leur nombre est impressionnant dans tous les programmes-souvenirs de la compagnie, à toutes les époques. Les, catégories et titres donnés aux différents donateurs changent au fil du temps. En 1965, on crée « Les Amis des GBC », ce qui attribue un titre spécifique avec une échelle des dons reçus (annexe Xl). Autour de Ludmilla se regroupent des hommes et des femmes de tous les milieux dont l'influence permettra de développer la cOJ!lpagnie par des dons de toutes sortes etdes subventions (Smith, 2000, p. 229). En 1965, le comité de coordination de la campagne de souscription des GBC, sous la l62 suggestion de Laurent Girouard , engage un Consultant externe en levées de fonds en la personne de M. Ken Johnstone de la compagnie Informedia (programme souvenir, 19651966). L'objectif est de 100 000 $. M. Johnstone incite la compagnie à participer à un événement haut en couleurs. Le' 13 octobre 1965, le~ GBC collaborent à un spectacle appelé: Auto-.Élégance. L'événement a lieu depuis dix dans les Laurentides. On le tierit exceptionnellement à la PdA. Il s'agit d'unir haute couture et voitures. Des numéros de danse servent à valoriser les modèles « 66» de voitures américaines, européennes et japonaises sous des thèmes différents (Bernier, 1965). Les principaux créateurs de mode de Montréal participent et rivalisent d'originalité pour créer des. vêtements harmonisés aux voitures de luxe. Les danseurs jouent les mannequins et dansent dans des numéros orchestrés par Brydon Paige : « L'éclairage en jeux de lumière, des images projetées sur écran, costumes des danseurs, défilé de mannequins descendant de superbes voitures, constituaient dans l'ensemble, un plaisir pour les yeux» (Idem). Monique Leyrac anime la soirée, le ministre des Affaires culturelles, Pierre Laporte, en assume la présidence d'honneur et le maire Jean Drapeau le parrainage (Montreal-Matin, 1965). Les profits sont versés aux GBC (La Presse, 15 oct. 1965)163. Le 8 novembre 1967, on tient un défilé de mode d'hiver à la salle de bal du Château Champlain auquel participent 580 personnes 161 Pour la saison 1958-1959, il s'agit de 25 $ (FALC). 162 Lettre adressée au Président du CA qui propose d'engager un publiciste pour compléter le travail du Président d'honneur (28 janv. 1965, FALC). 163 Dans le programme de la soirée, on mentionne que les profits seront versés à L'Académie des GBC (FALC). 266 (Compte-rendu du CA, 10 septembre 1968 FALC)164. Le 29 mai 1968, on tient une soirée Blue Bonnets, incluant courses, diner et tirages (La Presse, mai 1968) ; cette soirée rapporte 71 500 $ (programme souvenir de 1968). On essaie par tous les moyens d'attirer l'attention du public et des donateurs potentiels. Un article non signé du journal de quartier, The Westmount Examiner (1967), vante les mérites de la compagnie, son succès et il souligne le prestige des membres du Conseil d'administratipn. Il se termine comme suit: Les Grands Ballets Canadiens receives annual grants from the Greater Montreal Arts council, The Ministry of Cultural Affairs of the province of Quebec, and the Canada Council. However, it cannot exist on these and box-office receips alone and, each year, is forced to go to the public for help to meet deficit. En 1967, juste après le triomphe de l'Exposition universelle, la compagnie propage un dépliant publicitaire pour appâter de nouveaux donateurs. On y énumère les raisons pour encourager le ballet en faisant miroiter la danse comme facteur de richesse économique. Puis, on indique pourquoi il faut « patronner» spécifiquement les GBC : on étale ses moyens d'existence, son administration et les fonds nécessaires à l'atteinte de l'équilibre budgétaire. On termine par les privilèges accordés aux souscripteurs. Le formulaire déclare le donateur, « actionnaire» des GBC (F ALC). En 1968, on organise une campagne de souscription et un bal est prévu le 15 février 1969. M. Kembal, un expert en la matière, est engagé pour gérer la campagne. Comme à l'habitude, le Comité féminin organise le bal. Au CA, on évalue le risque financier minime puisqu'il faut vendre 300 billets pOOr faire les frais. Même s'il n'y a pas de revenus, il constitue « un excellent moyen de publicité pour la compagnie, chez les corporations qui n'ont pas été encore rejointes par la campagne de souscription» (procèsverbal, du 29 oct. 1968, F ALC). Toujours en 1969, le Juge Vadboncoeur (président du CA) décrète une semaine du ballet du 3 au 10 novembre dont le slogan est « Entrez dans la danse ». La semaine inclut le lancement de la campagne de souscription auprès des gouvernements et donateurs privés 164 La même semaine où le Juge Vadboncoeur annonce une campagne de souscription de 175000 $ (Journal de Québec, 1967). 267 avec un objectif de 480 000 $ ; l'atelier chorégraphique a lieu à l'Université George Williams et une exposition appelée «Jardin des Arts» est tenue dans les studios de la compagnie l65 . On risque le tout pour le tout: la compagnie est en situation précaire financièrement, la tournée en Europe n'a pas augmenté les fonds, ni les subventions (au contraire, elles ont été coupées) ; plusieurs danseurs sont partis et la compagnie essaie d'organiser une saison entière à la PdA (HelIer, oct. 1969). À la suite de cette campagne, l'Imperial Tobacco accorde 90 000 $ répartis sur 5 ans; le Comité féminin recueille 5000$. Québec, Montréal, Ottawa et le public font le reste (Lorrain, 1973, p. 173 ; Forget, 2006 p. 434). Le déficit est donc minime, soit 16 778 $ (contre 16 095 l'année 166 précédente), malgré le fait que la tournée européenne ait coûté bien plUS que les 300 000 $ accordés par le ministère des Affaires extérieures canadien. Dès 1973, le poste de responsable de la campagne de souscription est aussi celui de la sollicitation pour augmenter les abonnements. Il s'agit maintenant d'un poste régulier au sein de l'entreprise. Dorénavant, il n'est plus assumé par une personne d'une firme externe. Les membres du personnel ne sont pas engagés dans ce secteur d'activités mais la direction artistique participe aux activités et défend les'projets lors des conférences de presse. Le 3 février 1976 (communiqué de presse, F ALC), on a orchestré une campagne de souscription « Cent mille prétextes pour danser» dont l'idée originale revient à Yves Dupré, directeur des Relations publiques des GBC. Il est assisté de Jeanne Dubé pour réaliser le projet qui consiste à commander à 100 créateurs québécois (poètes, romanciers, dramaturges, sculpteurs, cinéastes, etc ... ) des textes originaux, reproduits à 1 000 exemplaires chacùn. Ils seront vendus 2 $ l'exemplaire. Plusieurs artistes y participent: Marc Favreau, Gilles Carle, Pauline Julien, Jean Duceppe, Lucie~ Francoeur, Stephane Yenne. On prévoit 100 000 textes manuscrits, imprimés sur du papierparchemin numéroté et signé (Brousseau, 1976). Il est prévu que les originaux soient confiés aux Archives nationales du Québec (ANQ) (Forget, 2006, p. 480)167. 165 Il s'agit Remise en question du fédéralisme canadien: état-providence: état: instrument de développement ÉCONOMIQUE > La semaine de travail passe de 60 à 45 heures/semaine > La guerre relance le Québec industriel et urbain: prospérité, plein-emploi, amélioration des conditions de travail > Intégration économique et culturelle dans l'orbite des Etats Unis SOCIAL > Croissance démographique: " Baby Boom» > Réouverture des portes à l'émigration en 1948 > Climat social et culturel étouffant > le clergé montre des signes d'essouflement MUSIQUE 1920 ARTS VISUELS MASSE-MÉDIA ET CINÉMA ART DRAMATIQUE DANSE LIEN ENTRE POLITIQUE ET CULTURE 1923> Société canadienne d'opérette 1928> Suite canadienne de Claude Champagne jouée au festival du Canadien Pacifique 1922> École des Beaux-Arts de Québec 1923> Éco!e des Beaux-Arts de Montréal > l'exposition 1920> Naissance de l'industrie du film 1922> Ouverture de CKAC : l'émission radio en français diffusée en Amérique du Nord 1921 > Aurore l'en/ant martyre: théâtre, roman puis télévision (1921-1952) 1922> Ezzak Ruvenoff ouvre une école de ballet selon la méthode Zorn (1922-1928) élèves: Gérald Crevier, Gina Vaubois, Elsie Salomon, Pyllis Salomon Margolick, Eleanor Moore-Ashton 1929 > loi sur la radio du Québec 1929 > Oa.nse créative dans le programme d'Education physique de l'Université McGiII 1930 1930> lancement de la carrière de La Bolduc 1934 > Orchestre Symphonique de Montréal (OSM) 1936> Variétés lyriques (1936-55) 1930 > Crise des Arts plastiques (1930-45) 1934 > ~École du meuble 1930> Cinéma: art le plus populaire au Québec (1930-40) 1934 > Séparation des deux réseaux radiophoniques AM/FM 1930> Théâtre National de Montréal: la Poune et la troupe de Jean Grimaldi (1930-50) 1937> Compagnons de St-Laurent 1938> Frido/inades (Gratien Gélinas) (1938-45) > Un Homme et son péché (Claude-Henri Grignon) 1930> École de George Scheffler (1930-??) 1932> École de Maurice Lacasse-Morenoff (1932-86) élèves: Fernand Nault, Roland lorrain, Marc Baudet, Michel Boudot, Françoise Riopelle 1938 > ~Union des artistes 1936> Radio de Radio-Canada et sa société 1939> Office National du film créé par Ottawa 1938> Winnipeg Ballet Club précurseur du RWB 1940 1942 > Conservatoire de Québec 1949 > Jeunesses Musicales 1942> École des arts graphiques 1947> l'exposition des automatistes à Paris 1948> Manifeste du Refus Global 1945> 1" enregistrement sur disque pour la radio > Radio-Québec 1948> Ti-Coq (Gratien Gélinas) > 1-/3 (Pierre Oaigneault) 1944> Studio d'Elisabeth leese élèves: Alexander McOougall, Brian Macdonald, Jeanne Renaud, Jacqueline lemieux- lopez 1941 > loi sur la création des conservatoires 1948> Festival de ballet Pan-Canadien (1948-53) > Ballets-Québec (Gérald Crevier) (1948-51) élèves et danseurs: Françoise Sullivan, Andrée Miliaire, Brian Macdonald 1950 1951 > ligue Canadienne des compositeurs 1954 > Société Canadienne de concert de musique (1954-69) 1956 > 1" concours de chanson canadienne 1959> Centre de musique canadienne 1950> Naissance du transistor 1952> Naissance de la télévision 1954> Section art dramatique dans les conservatoires 1951 > Ballet National du Canada (BNC) 1952> Ballets Chiriaeff (1952-58) 1957> Montreal Theatre Ballet (Brian Macdonald) (1957-59) 1957> Grands Ballets Canadiens (GBC) 1951 > Rapport Massey suite à la Commission royale d'enquête sur l'avancement des sciences, des arts et des lettres au Canada (Commission MasseyLévesque) '1956 > Conseil des arts de la ville de Montréal 1957> Conseil des arts du Canada (CAC) 1958> loi Canadienne sur la Radio-diffusion * les dates indiquent la fondation des organismes ou des événements. © Marie Beaulieu / REPRODUCTION INTERDITE / . LKQ!JÉBEC EN CONTEXTE: ANNÉES 1960-1990* POLITIQUE > néolibéralisme et état-providence au Québec: réformes de l'état, de l'éducation, de la santé et des services sociaux > nationalisme conquérant: voix francophone, économique et sociale > réclamation du pouvoir à Ottawa > montée du courant indépendantiste 1976 : Élection du Parti québécois: social-démocrate 1980 : 1er référendum 1982 : Rapatriement de la constitution 1987 : Accords du Lac Meech ÉCONOMIQUE > Déplacement du pouvoir économique vers Toronto 1960 : 840/0 de la population ont le téléphone, 97% ont la radio 1961 : 74.3% d'urbanisation de la province de Québec 1988 : Accords de libre échange Nord-américain l'ALENA SOCIAL > Émergence d'une bourgeoisie francophone > Anticléricalisation > Affrontements aux syndicats > Augmentation du poids du chômage et de l'aide sociale > Chute de natalité > Culture de masse > Exode des anglophones > Mouvement féministe > Émergence d'une nouvelle élite :philosophique, journalistique, scientifique et professorale 1960 : 44% de la population a moins de 19 ans CULTURE DES ANNÉES 60-80 > Mise en question de l'élitisme culturel savant; questions axées sur les inégalités d'accès à la culture > Analyse des prémisses historiques des nations de culture populaire > Large place aux productions culturelles > Découverte de la pluralité des univers culturels; études esthétiques (ex. : culture de masse) > Historiographie, culture et interprétation plutôt qu'analyse structurelle > Développement du soutien à la culture au détriment de l'art: prestige national, multiculturalisme 1960 : Révolution tranquille 1967 : ~Exposition universelle MUSIQUE 1960 ARTS VISUELS 1960> Constitution d'un marché de l'art > Multiplication des postes dans les Écoles des Beaux-Arts et Universités > Avènement de la sculpture contemporaine 1961 > Association des sculpteurs du Québec 1966 > Société des artistes professionnels du Québec MASSE-MÉDIA ET CINÉMA 1968> Conseil de la Radio-télévision canadienne ART DRAMATIQUE 1960> École nationale de théâtre DANSE 1966> Groupe de la Place Royale 1968 > Groupe Nouvelle Aire (1968-82) > Ecole des Grands Ballets Canadiens devenue École supérieure de danse du Québec puis École supérieure de ballet contemporain LIEN ENTRE POLITIQUE ET CULTURE 1960> Place des arts 1961 > ministère de l'Éducation 1961 > ministère des Affaires culturelles 1963> Rapport d'enquête sur le bilinguisme et le biculturalisme (Laurendeau-Dunton) 1965> Rapport Parent (Éducation) 1960 > Boîtes à chanson (propos socio-politiques) 1966 > Société de musique contemporaine du Québec: Wilfrid Pelletier et Pierre Mercure 1970 1976> Déclin de la musique populaire 1979 > ~ADISQ 1970> Réseau de diffusion de l'art expérimental; diversité des médiums: gravure, sérigraphie, média-photo 1970 > Conseil de la radio diffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) Mise en œuvre de Radio-Québec 1972 > Radio-Canada International 1973> Arrivée de la vidéo 1973> Conseil de Presse 1972 > Théâtre du Nouveau Monde (TNM) à la Comédie Canadienne 1975> Théâtre Expérimental 1977 > Théâtre Expérimental de Montréal 1972 > Ballets-Jazz de Montréal 1974 > Ballets de Montréal Eddy Toussaint (1974-89) > Entre-Six (1974-80) 1976> Projet pilote de la concentration danse au secondaire de l'école Pierre-Laporte 1979 > Ouverture des programmes en danse à l'Université Concordia et de l'UQAM 1979 > concentration danse du Cégep du Vieux-Montréal 1970> section danse au CAC 1979> Ouverture de la section danse au MAC 1980 1980> Âge d'or de la musique contemporaine (1980-90) 1980 > Festival de jazz 1983 > Arrivée du disque compact, de Much Music et de Musique + 1986 > Images du Futur (1986-96) 1985> Uniformisation des contenus de programmation (1985-95) 1980 > Virage de la performance scénographique : Lepage, Dubois, Bouchard, Chaurelle > Début des festivals de théâtre internationaux à Montréal; mise en évidence des metteurs en scène (1980-00) 1980 > Tangente 1981 > La Maison de la danse 1982 > LaLaLa Human Steps Fortier Danse création 1983 > Danse Cité 1984 > ÔVertigo 1986 > Montréal Danse 1989 > Fondation Jean-Pierre Perreault 1984> Regroupement des professionnels de la danse du Québec 1990 1990 > Désintéressement marqué pour la création de la musique contemporaine (1990-00) > Rap > Retour des boîtes de nuit > Nouvel intérêt des comédies musicales (1990-00) 1993 > Le Conseil québécois de la musique 1990> Participation du Québec aux galeries et foires internationales 1990> Retour en force du cinéma québécois (1990-00) > Arrivée des chaînes télévisuelles spécialisées (1990-00) 1990> Élaboration des spectacles à grand déploiement (1990-00) 1992 > Cahiers de théâtre Jeu 1990 > Début de la popularité des artistes de danse à l'étranger 1990> Corporation de ~Agora de la danse 1991 > Daniel Léveillé Danse 1992 > Marie Chouinard Danse 1991 > Diagramme 1997> La danse sur les routes 1997> Danse, danse • Les dates indiquent la fondation des organismes ou des événements. © Marie Beaulieu 1 REPRODUCTION INTERDITE 1 x ANNEXE IV Biographie somnlaire des personnes marquantes de la direction artistique de la compagnie ,..l Ludmilla Chiriaeff 1924 : naissance à Berlin, Allemagne. 1931-1939 : études avec Alexandra Nikolayeva, puis avec sa fille Xenia Borovansky et son gendre Edouard Borovansky. 1939-41 : études avec Tatiana Gsovsky, Sabine Ress et Seda Nercessian Zaré ; Margot Rewendt (moderne). 1940 : entre au Nollenderftheater. 1945 : épouse Frans van der Spek. 1946: quitte l'Allemagne et danse au Théâtre municipal de Lausanne. 1947 : épouse Alexis Chiriaeff. 1950 : fonde le Ballet du Théâtre des Arts, à Genève 1952 : arrivée au Canada 1953 : début des Ballets Chiriaeff à la télévision de Radio-Canada. 1955 : les Ballets Chiriaeff dansent au Chalet de la Montagne. 1956 : ouverture du studio de la rue Stanley. 1957 : devient citoyenne canadienne et fonde les Grands Ballets Canadiens. 1958 : fonde l'Académie des Grands Ballets Canadiens. 1964 : épouse Uriel Luft. 1967: récipiendaire de la Médaille du Centenaire et membre de l'Ordre du Canada. 1970 : femme de l'année au Salon de la femme. 1971 : création des Compagnons de la danse et présidente de la Fédération Loisir-Danse du Québec. 1972 ; Officier de l'Ordre du Canada. 1974 : démission comme directrice artistique des Grands Ballets Canadiens. 1978 : sacrée Grande Montréalaise. } \ 1980 : Prix Denise-Pelletier pour les arts d'interprétation du gouvernement du Québec. 1981 : ouverture de la Maison de la Danse. 1982 : reçoit un doctorat ès lettres de l'Université Mc Gill. 1983 : reçoit un doctorat Honoris causa de l'Université de Montréal. 1984: Compagnon de l'Ordre du Canada. 1985 : Grand Officier de l'Ordre national du Québec et membre du Conseil de l'Ordre. 1988 : reçoit un doctorat Honoris causa de l'Université du Québec à Montréal. 1 1991 : quitte la direction artistique et pédagogique de l'École supérieure de danse du Québec. 1992 : Médaille Nijinsky du gouvernement de la Pologne. 1993 : Prix du Gouverneur Général du Canada. 1996 : décès le 22 septembre à Montréal. Sources: Forget, N. (2006). Chiriaeff D'pnser pour ne pas mourir. Montréal: Québec Amérique, pp. 603-606. Eric Hyrst 1927 : Naissance à Londres, Angleterre. 1936: Études au Sadler's Wells Ballet School. 1943 : Membre de la compagnie du Sadler's Wells de Londres à seize ans. 1947 : Danseur principal du répertoire de ballet classique au Metropolitan Ballet à Londres. 1949 : Fonde à Londres une compagnie qui vi vra un an. 1950: Quitte l'Angleterre pour les Etats-Unis. Danse avec le New York City Ballet de Balanchine. Danse une saison en Amérique du Sud avec le Ballet Alicia Alonso. 1953 : Première visite au Canada où il danse avec le Royal Winnipeg Ballet. 1954 À 1963 Canadiens. 1Collaborateur avec les Ballets Chiriaeff et les Grands Ballets 1972 : Fonde Les Ballets Métropolitains de Montréal. 197?: S'installe aux Etats-Unis et travaille avec le Conservatoire de musique du Wisconsin et avec le Kansas City Ballet: nouvelle version de Giselle et de CasseNoisette. 1980 : Fonde le State Ballet of Oregon à Medford avec son épouse Diane Gaumont. 1996: Décès de Hyrst lors d'une visite à Montréal pour la réunion des anciens des GBC Sources: Encyclopédie de la danse théâtrale au Canada; Iro Valaskakis Tembeck, Dance collection Danse presse, Toronto, 2000. pp. 284-285 Mises en scène et chorégraphies 1952: Lafille mal gardée d'après Edward Caton (Heure du concert). 1953 : Deuxième acte du Lac des cygnes (Royal Winnipeg Ballet) 1953 : Pas de Trois, extrait de soir de fête (Heure du concert). 1960: Le Corsaire (d'après Marius Petipa). 1976: Concerto #2 (Tchaïkovski). 1955 : Le Diable dans le Beffroi (Heure du concert) ) ·1955 : Variations sur un thème de Hayden (Heure du concert). 1956 : Coppelia (Heure du concert). 1954 : Drawn Blind avec Ludmilla Chiriaeff et Eva Von Gencsy. 1917 : Les Indes galantes. 1960 : Introduction. 1963 : Hommage (Tchaïkovski); (ouverture de la Place des Arts) (Heure du concert). 1954 : Labyrinthe (Roméo et Juliette) (Heure du concert). 1955 : deuxième acte du Lac des cygnes (Heure du concert). 1956 : Les Sylphides (Heure du concert). 1956/scène ; 1958/TV : Piano Concerto. 1958: Première classique (Tchaïkovsky). 1959: Labyrinthe (Roméo et Juliette) 1959 : Pas de deux symphonique. 1961 : Pas de deux de Raymonda. 1959 : Sea Gallows. 1961: Sinfonietta (Heure du concert). 1959 : Trianon. 1957/TV; 1961/Scène : Valses nobles et sentimentales (Heure du concert). Brian Macdonald 1928 : Naissance à Montréal, Canada. 1944: Débute sa formation de danseur auprès d'Elizabeth Leese, Gérald Crevier, Françoise Sullivan et Ludmilla Chiriaeff. 1951 : Étudie à New-York et auprès de Celia Franca à Toronto. Danse avec le Ballet National du Canada. 1953 : Une blessure au bras interrompt sa carrière de danseur. Il se tourne vers la chorégraphie et crée pour l'émission l 'Heure du Concert à la télévision de RadioCanada. 1956 : Fonde la compagnie Montreal Theater Ballet avec Elsie Salomons, Joey Harris et Elizabeth Leese. 1957 : Création de My Fur Lady, avec sa femme Olivia Wyatt, pour les étudiants de McGi11. Atteint une renommée nationale. 1958-1959: Création de The Darkling et de Les Whoops De Doo pour le Royal Winnipeg Ballet. 1960 : Décès de son épouseOlivia Wyatt suite à un accident de la route. 1962 : Création de Pointe Counterpointe, intitulée plus tard Aimez-vous Bach? 1963: Création de Time Out of Mind. 1964: Remporte l'Étoile d'or de la chorégraphie pour la pièce Aimez-vous Bach? au Festival International de danse de Paris. Prend la direction du Royal Swedish Ballet et y rencontre la ballerine Annette av Paul, qui deviendra sa seconde épouse. 1966 : Création du ballet Rose Latulipe, inspiré d'un récit folklorique pour le Royal Winnipeg Ballet. 1967-1968: Assume la direction artistique du Harkness Ballet de New-York. 1971 1972: Assume la direction artistique du Batsheva Dance Theatre d'Israël. 1974-1977 : Devient directeur artistique des Grands Ballets Canadiens. Création de Tam Ti Delam. Il y restera jusqu'en 1990 à titre de chorégraphe en résidence. 1976: Création de Lignes et Pointes, en collaboration avec Brydon Paige. 1978 : Création de Fêtes Carignan/Hangman's Reel et Double Quartet/Double Quatuor. 1979: Création de Adieu Robert Schumann. 1982-2000: Occupe le poste de directeur du programme professionnel d'été du Banff Center. Sources: Encyclopédie de la danse théâtrale au Canada; Michael Crabb, Dance collection Danse presse, Toronto, 2000. pp. 363-365. Fernand Nault 1921 : Naissance de Fernand Boissonneault à Montréal, Canada. Études à l'école de Maurice Lacasse-Morennoff. 1944-1965 : danseur et maître de ballet pour l' American Ballet Theatre. 1959-1964 : Dirige Louiseville Civic Ballet Company. 1965-66: Directeur artistique adjoint et chorégraphe attitré aux Grands Ballets Canadiens. 1965 : Création de Casse-Noisette pour les Grands Ballets Canadien. 1966-1974: Co-directeur artistique et chorégraphe attitré aux Grands Ballets Canadiens. 1966 : Création de Carmina Burana .1967 : Honoré par le Gouvernement du Canada avec la Médaille du Centenaire. 1970 : Création de l'opéra-rock Tommy et de Hip and Straight. 1970: Création de Symphonie de Psaumes à l'Oratoire St-Joseph. 1978-1982 : Chorégraphe invité et directeur artistique du Colorado Ballet. 1976 : Prix de la chorégraphie du VIle concours international de ballet de Varna en Bulgarie pour la pièce Incohérence. 1977 : Création de la Scouine; honoré de l'Ordre du Canada. 1984: Prix Denise Pelletier pour les arts d'interprétation du gouvernement du Québec. 1990: Reçu chevalier de l'Ordre national du Québec. 2000: Prix du Gouverneur Général du Canada pour les arts d'interprétation. 2003 : Création du fond chorégraphique Fernand Nault. 2006 : Décès de Fernand Nault, Montréal. Nos informations d'entrevue et Fond chorégraphique Fernand Nault : En ligne Chorème en ligne Sources: Encyclopédie de la danse théâtrale au Canada; Michael Crabb, Dance collection Danse presse, Toronto, 2000. pp. 363-365 Brydon Paige 1933 : Naissance en Colombie-Britannique, Canada. 1950: Après une formation comme acteur, étudie la danse à Vancouver auprès de Kay Armstrong et danse dans sa compagnie lors du troisième Canadian Ballet Festival à Montréal. Il étudie par la suite avec Duncan Nobles et Rosemary Deveson, puis danse pour la compagnie de Heino Heiden. 1953 : Retourne à Montréal pour une performance à la télévision de Radio-Canada, à l'émission Trente Seconde de Pierre Mercure. Rencontre Brian Mcdonald et Ludmilla Chiriaeff et danse avec Les Ballets Chiriaeff. 1958: Danseur principal pour l'ensemble devenu Les Grand Ballets Canadiens. 1962 : Chorégraphie et mise en scène de Roméo et Juliette et Medea pour les GBC. 1964: Devient chorégraphe en résidence et maître de ballet des Grands Ballets Canadiens. 1966 : participe à la mise en scène de Carmina Burana pour les GBC. 1969: Quitte les GBC temporairement où il demeure chorégraphe attitré et prend la direction artistique du Ballet National du Guatemela. 1972 : Retourne à Montréal et prend la direction de la troupe des Compagnons de la danse. 1974: Donne ses premiers cours au Banff Center of the Arts. Retour aux GBC, alors sous la direction de Brian Mcdonald. 1976 : Création de Lignes et Pointes pour les GBC en collaboration avec Macdonald. Devient directeur artistique de l'Alberta Ballet. 1980 : Création de Casse-Noisette pour l'Alberta Ballet. 1981 : Création de Firebird et de Daphnis et Chloe pour l'Alberta Ballet. Chorégraphe pour l'opéra Idomeneo pour l'Opéra de Montréal au Centre National des Arts à Ottawa. 1982 : Devient directeur adjoint du programme de formation en danse de Banff. 1983 : Création de Astaire, avec John Stenzel, dans le cadre du vingt-cinquième anniversaire des GBC. 1984 et 1985 : Création de Cendrillon et de Coppelia pour l'Alberta Ballet. 1987 : Assume la direction artistique du Ballet National du Portugal et y monte Le Lac des Cygnes. 1988 : Production de The Snow Maiden pour l'Alberta Ballet, dans le cadre du festival des arts des Jeux olympiques d'hiver de Calgary. Chorégraphe pour l'opéra Aida, présenté au Stade Olympique de Montréal et en tournée mondiale (Extrême-Orient, Amérique du Nord et Europe). 1989 : Assume désormais la fonction de metteur en scène et chorégraphe de Aida. 1992-1993 : Monte les ballets Carmina Burana et Don Quichotte pour le Ballet national du Guatemala. 1994 : Devient directeur artistique de l'Académie de Ballet Divertimento et du Centre chorégraphique de Montréal. Assume le poste de directeur-conseilieJ artistique du programme de danse de l'école Pierre-Laporte. 18 octobre 2007 : décède à Montréal Sources: Encyclopédie de la danse théâtrale au Canada; Max Wyman, Dance collection Danse presse, Toronto, 2000. pp. 455-457. xv ) .1 ANNEXE V Reproduction schématique de la hiérarchie et description des objectifs organisationnels du modèle de Pierre G. Bergeron (1995) j / LA HIÉRARCHIE ET LA DESCIlIPTION DES OBJECTIFS (Selon le modèle des objectifs organisationnels de Bergeron, 1995) TYPES D'OBJECTIFS Vision RAISON D'ÊTRE Elle donne du sens. DESCRIPTION Image mentale de ce que devrait être l'organisation. \ Énoncé de mission Il définit la nature de l'entreprise. Énoncé général de la raison d'être de l'organisation (de la nature et de l'étendue de son marché, de sa clientèle et de ses fonctions). Description de la culture de l'entreprise ainsi que des valeurs et des croyances de ses dirigeants. Énoncé des valeurs Il indique les valeurs et les croyances adoptées. Objectifs stratégiques Ils fournissent une orientation stratégique. Objectifs généraux qui orientent les activités de l'entreprise et servent à déterminer les objectifs ainsi que les plans tactiques que l'on adoptera. Dbjectifs qui touchent une division ou une grande composante d'une entreprise. Dbjectifs tactiques Ils visent à susciter des actions. Objectifs opérationnels Ils apportent une motivation. Objectifs qui se rattachent à une composante particulière d'une organisation, tel un service, un groupe, ou un individu. XVI ANNEXE VI Tableau interprétatif des objectifs artistiques organisationnels de la compagnie des Grands Ballets Canadiens selon le modèle de Pierre G. Bergeron (1995) LES OBJECTIFS ARTISTIQ!JES ORGANISATIONNELS DES GRANDS BALLETS CANADIENS (Selon le modèle des objectifs organisationnels de Bergeron, 1995) 1- LA VISION « Développer la danse professionnelle au Québec» (Danse inspiratrice et se sert des arts connexes) 11- CÉNONCÉ OE MISSION « Développer un projet artistiQue pour changer les mentalités et démocratiser la danse en faisant la promotion des arts particulièrement le ballet classiQue et démontrer Que la danse est du grand art ». III- LES VALEURS 1 Passion pour la danse 2 Dépassement de soi 3 Respect de l'autorité 3.1 Culture organisationnelle de type «familiale»: 3.1.1 Un noyau d'artistes fidèles 3.1.2 Jeu des titres et des fonctions individuelles 3.2 Culture organisationnelle de type «autocratiQue» 3.2.1 Prise de décision unilatérale 3.2.2 Climat de compétition 4 Ambiguné face au vedettariat 4.1 Utilisation de vedettes sur une base permanente 4.2 Utilisation de vedettes sur une base ponctuelle 4.3 Fabrication de ses propres vedettes 5 Distanciation entre les domaines artistiQue et administratif 5.1 Affirmation de l'autorité artistiQue 5.1.1 Mise en place d'un conseil artistiQue IV- LES OBJECTIFS STRATÉGIQUES 1 TACTIQUES 1.1 OPÉRATIONNELS 1.1.1 > Fonder des institutions > Établir une compagnie de ballet > Fonder une école 1.1.2 1.2 1.2.1 > Recruter des danseurs > Recruter des collaborateurs > Dispenser un enseignement de Qualité à la population 2 > Produire des spectacles 2.1 > Construire une salle de spectacle dédiée à la danse 2.1.1 > Danser sur scène 3 > Assurer la relève artistiQue 3.1 3.2 > Mettre sur pied un programme de formation professionnelle > Former des chorégraphes 3.1.1 3.2.1 > Développer un bassin de danseurs formés à l'interne > Organiser des ateliers chorégraphiQues 4 > Développer un public de tout âge 4.1 > Intéresser les enfants > Intéresser les adultes 4.1.1 4.1.2 4.2 4.2.1 4.2.2 4.2.3 4.2.4 4.2.5 > Créer des spectacles-jeunesse > Alimenter le sens de l'émerveillement > Créer un répertoire diversifié' > Réaliser des tournées 2 > Offrir des abonnements de saison > Assurer une visibilité télévisuelle > Souligner les événements spéciaux > S'ajuster aux tendances chorégraphiQues internationales > Augmenter le niveau de difficulté du répertoire > Modifier les exigences chorégraphiQues > Réaliser des tournées structurées 5 > Atteindre une reconnaissance internationale 5.1 5.2 5.3 > Développer un nouveau répertoire > Hausser le niveau techniQue > Consulter pour la réalisation des tournées 5.1.1 5.2.1 5.2.2 5.3.1 B > Assurer le financement récurent B.l B.2 > Planifier des actions internes de financement > Assurer un financement récurrent des gouvernements B.l.l B.l.2 B.2.1 > Organiser des campagnes de financement > Organiser des galas bénéfices > Créer des liens avec le milieu politiQue' 1 A) Combiner des œuvres accessibles avec des œuvres plus complexes. H) Élaborer un produit original. C) Refléler la culture canadienne française. , A) Jacob's Pillow. D) nurope. C) Uméiique du Sud. , A) Municipal. H) Fédéral. C) Provincial. © Marie Beaulieu 1 REPRODUCTION INTERDITE 1 XIII ANNEXE VII Tableau démographique des danseurs des Grands Ballets Canadiens de 1957 à 1977 CROISSANCE DÉMOGRAPHIQ!JE DES DANSEURS 1957 À1963: NAISSANCE - -... 1957-58 > 1959-60> 1960-61 > 1961-62> 1962.fi3 > 1963-64> 19 19 19> 20 artîstes invités: Jahn Stlllzell Eva Von Gencsy 22 31 > artistes ilWités: Rosalia Hightov:er 1 Eric Hyrst 1963 À 197~: CROIS~A!I.C~_ _ _ 1964-1i5 > 196&-66 > 32> 35 artisllls invités: Margaret Mercier 1Daniel Seillier 19SIHl7 > 1961-1iB> 1968-69 > 1969-70 > 1971l-71 > 1971-72 > 1972-73 > 38 43> "3 en congés temparaires 40 pas de programme souvenir 34 + 9 apPI111tis + 4 apprentis + 41 > 34> Sapprentis 1973-74 > 49> + 5 apprentis ~4 À11J!?: RESmlCTIONS 1 1 ._. 1914-15> 1915-76 > 1976-77 > 41 > + 11 apprentis 35 .52 ) © Marie Beaulieu 1 REPRODUCTIO!lINTERDITE 1 XVIII ANNEXE VIII Répertoire des fonds gouvernementaux attribués aux Grands Ballets Canadiens de 1957 à 1978 .1 FONDS GOUVERNEMENTAUX: ANNÉES 1957-1978 ANNÉES CAC CACIIM MAC + - 5 000 LEVÉES DE FONDS DÉFICITS surplus déficit accumulé surplus déficit accumulé surplus déficit accumulé surplus déficit accumulé surplus déficit accumulé surplus déficit accumulé surplus déficit accumulé surplus déficit accumulé surplus déficit accumulé surplus délicit accumulé surplus déficit accumulé surplus déficit accumulé surplus déficit accumulé surplus déficit accumulé surplus déficit accumulé surplus déficit accumulé surplus déficit accumulé ANNÉES CAC CACUM MAC LEVÉES DE FONDS objectH obtenu DÉFICITS surplus défic~ 1957-58 > 10000 6000 2959,03 7515 1974-75 > 370000 25000 11 100000 12 445000 60000 12 25000 11 489000 125000 11 80000 13 489000 25000 14 9900 15 80000 12 85000 250000 100000 12 55000 13 325000 250000 200000 accumulé objectif obtenu surplus 102000 63707 1958-59 8000 3000 5000 objectH obtenu 50000 12656 25000 23446 1975-76 10401 2886 1976-77 1 927 4813 1977-78 13397 18886 100000 328000 défic~ accumulé 190000 274238 335000 1959-60 15000 5000 25000 1 objectH obtenu 120000 300000 objectH obtenu 111129 132000 137939 surplus déficit accumulé surplus déficit accumulé 1960-61 20000 6000 25000 objectH obtenu 145512 40000 8500 50000 9900 130000 130000 321 000 objectif obtenu 1961-62 30000 15000 25000 objectH obtenu 23804 5 à 10 000 55220 34315 1Inclus 10 000 de déficit de Jacob's Pillow '10 886 au rnpport interne 3 Présenlalion de deux ballets de Balanchine 4 Oeuvres de Pierre Mercure 5 30 000 + 50 000 du manQue à gagner de l'ouverture de la Place des arts , De la Commission du Cenlenaire 1 Préparntion eurupéenne B Paiemenl du déficil 9 ministère des Affaires élrnnoères du Ganada 10 5 ans/Imperial Tobacco 11 Ateliern chonlgrnphiQues 11 Tournées au Ganada 13 Tournées 14 Tournées au Québec 15 Jeux O~mpiQues 1962-63 40000 1 500 3 40000 2000 4 45000 15000 30000 objectH obtenu 1963-64 20000 78000 5 objectif obtenu 15961 '100000 1964-65 25000 85000 objectif obtenu 74000 • 1965-66 75000 50000 100000 objectH obtenu 100000 206000 17 452 1966-67 85000 70700 6 140000 75000 115000 objectif obtenu 64527 75000 71500 175000 79166 480000 315000 9000 115 000 93450 200000 116 514 1967-68 57000 75000 1 115000 B 150000 185000 objectif obtenu 16778 1968-69 170000 300000 9 200000 51 000 objectH obtenu 16095 60830 64285 105747 12244 117991 1969-70 40000 180000 objectif obtenu Il 10 objectif obtenu 1970-71 210000 50000 110000 1971.-72 242000 60000 110 000 objectif obtenu 57280 1972-73 300000 11 850 8 330000 20000 Il 65000 200000 150000 B 200000 150000 8 objectH obtenu 132385 250000 132039 29177 1973-74 75000 objectH obtenu 30000 © Marie Beaulieu / REPRODUCTION INTERDITE / xv ANNEXE IX Chronologie des activités de la compagnie Chronologie Dès 1952, Les Ballets Chiriaeff ont des programmes réguliers à "Q,adio Canada. Ils participent aussi à l'Heure du Concert et aux -~certs pour la Jeunesse avec des chorégraphies de Ludmilla -"ririaeff ainsi que d'Eric Hyrst à partir de 1954. Le premier spectacle sur scène est présenté au Chalet de la Montagne en 1955. Une année plus tard, la troupe participe au Festival de Montréal où LES NOCES (Chiriaeff·Stravinsky) et L'OISEAU PHOENIX (Chiriaeff·Pépin) reçoivent un accueil particulière· ment enthousiaste. En 1957, la troupe présente SUITE CANADIENNE (Chiriaeff· Perrault) aU Théâtre St·Denis ainsi qu'au Colisé de Québec, à l'occasion de la St·Jean·Baptiste. Chronology From 19520nwards, Les Ballets Chiriaeff appeared regularly on CBC television. After 1954, the new company participated regularly in the Concert Hour and Concerts pour la Jeunesse with choreographies by Ludmilla Chiriaeff and Eric Hyrst. Les Ballets Chiriaeffs first public performance was in 1955 at the Mountain Chalet. The next year the Company performed in the Montreal Festival ând gained particular acclaim for "LES NOCES" (Chiriaeff-Stravinsky) and "L'OISEAU PHOENIX" (Chiriaeff·Pépin). . In 1957, the Company presented "SUITE CANADIENNE" (Chiriaeff-Perrault) at thé St·Denis Theatre in Montreal and the Coliseum in Quebec. SAISON 1957/58. Incorporation au Secrétariat de la Province comme compagnie sans but lucratif. Première assemblée du Bureau de Direction. Étaient présents: Ludmilla Chiriaeff, présidente; Patrick N. Farrar, vice-président; Alexandre Wolosiansky, trésorier; Yolande Tourangeau, secré• .. ire; Maurice Mercure conseiller légal; directeurs: Robert-Paul odat, Robert Desiarlais, Nathan Moses et Colin W. Perry. avril 1958: première série de spectacles à la Comédie·Canadien· ne. Création de l'Académie,des Grands Ballets Canadiens. ,Mich'el Perrault est directeur musical et chef attitré. Nicholas Zvereff, ancien premier danseur des Ballets Diaghilev, devient maitre de ballet. Nicole Martinet devient responsable de l'Atelier de costumes, poste qu'elle occupe toujours en 1978. Premières subventions: Conseil des Arts du Canada $10,000· Conseil des Arts de la Région métropolitaine de Montréal $6,000. Blanche Girard est la première secrétaire après avoir travaillé avec les Ballets Chiriaeff. Elle est maintenant secrétaire admi· nistrative des Écoles. 1957/58, SEASON Les Grands Ballets Canadiens incorporated as a non-profit organization. First meeting of the Board of pirectors: Ludmilla Chiriaeff, President; Patrick N. Farrar, Vice-President; Alexandre Wolosiansky, 'Treasurer; Yolande Tourangeau, Secretary; Maurice Mercure, Legal Advisor; Directors: Robert·Paul Chodat; Robert Desjarlais, Nathan Mosès and Colin W. Perry. April 12, 1958: First performances at the Comédie Canadienne Foundation of l'Académie of Les Grands Ballets Canadiens. Nicholas Zvereff, former premier dancer of the Ballets Diaghilev, became Ballet Master. Nicole Martinet assumed responsibility for the costume atelier, a position she still holds. Michel Perrault named Musical Director and Resident Conduetor. First government grants: $10,000 from the Canada Council; $6,000 from the Greater Montreal Council of the Arts. Blanche Girard first secretary for the Company alter working for Les Ballets Chiriaeff. She is now Administrative Secretary for the scnools. SAISON 1958/59. Première campagne de souscription. Deuxième série de spectacles à la'Comédie-Canadienne. Création de NONAGONE .(Chiriaeff-Bach) et SEA GALLOWS (HyrstPerrault) entre autres. Premier engagement au Festival International de la Danse de Jacob's Pillow. Première subvention de la Province de Québec $3,000. 1958/59 SEASON First fund raising campaign. Second series of performances at the Comédie Canadienne. Creation of NONAGONE (Chiriaeff·Bach), SEA GALLOWS ' (Hyrst-Perrault) among others. First engagement at the International Dance Festival at Jacob's Pillow. First grant from the Government of Quebec: $3,000. SAISON 1959/60. Le Bal des Oiseaux, organiSé au profit des Grands Ballets Cana· diens. Première tournée à travers le Québec et les provinces de l'Atlantique. Troisième saison à ,la Comédie Canadienne. BERUBE (paigeP~""ault). 1959/60 SEASON Le Bal des Oiseaux organized to benefit Les Grands Ballets Canadiens. First tour of Quebec and the Maritimes. Third season at the Comédie Canadienne. BERUBE (Paige-Perrault) Performance at the Vermont Arts Festival. Second performance at the Jacob's Pillow Dance F,estival. Claude Berthiaume assumed responsibility for the scenery, a position he still holds. ''gement au Festival des Arts du Vermont. ..1ème engagement au Festival International de la Danse de Jacob's Pillow. Claude Berthiaume devient responsable des décors, poste qu'il occupe encore en 1978. 6 SAISON 1960/61. Première tournée aux États-Unis de cinq semaines. Saison au théâtre Her Majesty's à Montréal. Edward Caton, anciennement avec les Ballets Russes de Monte Carlo et l'American Ballet Theatre, devient maître de ballet. Le budget de l'année est de $56,578.00. Claude Poirier devient directeur musical et chef attitré. ',garet Herczog devient pianiste attitré pour l'Académie et la lpe. Elle partagé maintenant ces fonctions avec Jeanne Lemieux. 1960/61 SEASON First tour of the United States (five weeks). Season at Her Majesty's in Montreal. Edward Caton, formerly of the Ballets Russes of Monte Carlo and the American Ballet Theatre became Ballet Master. Claude Poirier named Musical Director and Resident Conductor. Annual budget: $56,578. Margaret Herczog named resident pianist for the Company and the Académie, a position she now shares with Jeanne Lemieux. Uri ..1 Durl (Pholo: Pi""" Gaudard) PAS DE DEUX (Cygne Mir) Hyrst après Petipa/ Tchaikousky. Margaret Mercier, Eric Hyrst, 1959-60. SAISON 1961/62. Au cours de cette saison, Les Grands Ballets Canadiens présentent 28 semaines de spectacles à Montréal (Comédie Canadienne et Her Majesty's) et en tournée au Canada et aux États-Unis. Spectacles à la télévision à New York. (The Bell Telephone Hour). Création de la première version de LA FILLE MAL GARDÉE (Caton-Chiriaeff-HyrstiHertel). Monsieur le Juge Vadboncoeur devient président du Conseil d'administration. Monsieur Uriel Luft est nommé Directeur général. 1961/62 SEASON The Company presented 28 weeks of performances in Montreal (at Her Majesty's and the Comédi,e Canadienne) and on tour in the United States and Canada. Performance on television from New York (The Bell Telephone Hour). Judge Vadboncoeur became President of the Board of Directors. Uriel Luft was named General Manager. First version of LA FILLE MAL 'GARDÉE (Caton, Chiriaeff and HyrstiHertel). SAISON 1962/63. Tournée à travers le Québec et les provinces de l'Atlantique. Création de CENDRILLON (Chiriaeff-Mozart), premier ballet en trois actes. Tournée aux États-Unis. Premier spectacle éducatif pour la Commission des écoles protestantes du Grand Montréal. L'Office National du Film tourne PRIMA BALLERINA. Premier atelier chorégraphique au Camp des Jeunesses Musicales (Mont Orford). 1962/63 SEASON Quebec and Maritime tour_ " Creation of CENDRILLON (Chiriaeff-Mozart), the Company's first three act ballet. United States tour. First educational programme for the, Protestant School Board of Greater Montreal. The National Film Board filmed PRIMA BALLERINA. First Choreographers's Workshop at the Mount Orford Camp of the Jeunesses Musicales. co AISON 1963/64. 1963/64 SEASON Performances as part of Place des Arts Opening Festival including GRADUATION BALL (Lichine-Strauss), LE PAS DE QUA· TRE (Anton Dolin), HOMMAGE (Hyrst·Tchaikovsky). Guest artist: Rosella Hightower Tour of the Maritimes, Quebec and Ontario. . )ectacles dans le cadre du Festival d'ouverture de la Place des Arts. Le BAL DES CADETS (Lichine-Strauss), le PAS DE QUATRE (Dolin-Pugni), HOMMAGE (Hyrst-Tchaikovsky). Artiste invitée: RoselIa Hightower. Tournée à travers les provinces de l'Atlantique, le -Québec et 7 l'Ontario. Spectacle de Noël à la Place des Arts, PIERROT DE LA LUNE (Ballet en trois actes· Ludmilla Chiriaeff). HOMMAGE et BAL DES CADETS diffusés à l'Heure du Concert. Premiers spectacles éducatifs à la Place des Arts pour la Commission des Écoles Catholique~ de Montréal. Première tournée transcanadienne. Douze nouvelles oeuvres présentées au deuxième atelier choré-':''lphique. . )iicipation aux concerts populaires de rAréna Maurice Ri_ard. Création ·d'une bibliothèque de la danse (à la suite des dons de Elisabeth Leese et de Marcel Valois). Daniel Sellier, anciennement avec la compagnie du Marquis de Quevas, devient maître de ballet. La compagnie déménage dans des locaux plus vastes (4848, Boulevard St-Laurent). Création à Québec d'une section de l'Académie des Grands Ballets Canadiens et parallèlement d'un comité local. Christmas season at Place des Arts with PIERROT DE LA LUNE (a three act ballet by Ludmilla Chiriaeff). HOMMAGE and GRADUATION BALL broadcast on the Concert Hour. First educational programme at Place des Arts for the Catholic School Board of Montreal. First national tour of Canada. Twelve new works presented during second Choreographers' Workshop. Participation in the popular concerts at the Maurice Richard Arena. Creation of a dance library (after gifts from Elizabeth Leese and Marcel Valois). Daniel Sellier, formerly of the Marquis de Quevas Company, became Ballet Master. The Company moved to a larger location at 4848 Blvd. St-Laurent. Creation in Quebec of a primary school'of the Académie of I,.es Grands Ballets Canadiens and of a local committee. F"rnond Nuait Br.vdon PaiJ.((> SAISON 1964/65. Spectacles à la Comédie Canadienne. Tournée à travers le Québec et l'Ontario. Première représentation à la Place des Arts de CASSE-NOISETTE (N ault-Tchaikovsky). Troisième atelier chorégraphique. AIDA avec l'Orchestre Symphonique de Montréal (Chorégraphie: Anton Dolin). . Monsieur Fernand Nault est nommé co-directeur artistique .. ,. Monsieur Anton DoHn devient conseiller artistique. Monsieur Brydon Paige devient chorégraphe attitré. 1964/65 SEASON Performances at the Comédie Canadienne. Tours of Ontario and Quebec. Premier of "THE NUTCRACKER" (N ault·Tchaikovsky) at Place des Arts. . Third Choreographers' Workshop. Fernand Nault was named Assistant ArtisUc Director. Anton Dolin accepted to act as Artistic Advisor. Brydon Paige became Resident Choreographer. AIDA with the Montreal Symphony Orchestra (Choreography: Anton Dolin). SAISON 1965/66. Spectacles à la Place des Arts. LES SYLPHIDES (Fokine-Chopin; L'OISEAU DE FEU (NaultStravinsky). . Tournée trans-continentale de trois mois au Canada et aux ÉtatsUnis. Vladimir Jelinek devient directeur musical et chef attitré, poste qu'il occupe encore aujourd'hui. PIERROT DE LA LUNE présenté à l'Heure du Concert à Radio Canada. CASSE-NOISETTE repris à la Place des Arts. 'Tième atelier chorégraphique. Linda Stearns est nommée assistante maîtresse de ballet. ,-",,/occupe maintenant la fonction de maîtresse de ballet. Mlle Andrée Millaire est nommée professeur attitré de r Académie pour le devenir plus tard à l'École Supérieure de Danse. Elle enseigne maintenant au cours "concentration-ballet" de l'école Pierre Laporte. 1965/66 SEASON Performances at Place des Arts of "LES SYLPHIDES" (FokineChopin), "THE FIREBIRD" (Nault-Stravinsky) among others. Three month transcontinental tour of Canada and the United States. "PIERROT DE LA LUNE" presented on the Concert Hour. "THE NUTCRACKER" again presented at Place des Arts. Fouth Choreographers' Workshop. Linda Steams named Assistant Ballet Mistress. She is now Ballet Mistress. Andrée Millaini named Resident Professor at the Académie. She later fulfilled the same function at the Ecole Supérieure. She now teaches- at the "Dance Concentration" course of the Ecole Pierre Laporte. Fourth Choreographers' Workshop. Vladimir Jelinek named Musical Director and Resident Conduetor, a position he still holds. Linda Stearn.~ (Photo; SerM~ Rl'auchf'lnin) SAISON 1966/67. . Fondation de l'École Supérieure de Danse. Création à la Place des Arts de CARMINA BURANA (NaultOrff) et de DIVERTISSEMENT GLAZOUNOV (N'ault-Glazounov). Consours de dessins pour le décor et les costumes du ballet GEHENNE (Nault-Etler). Gagné par Michael Eagen. LES SYLPHIDES présenté à l'Hèure du Concert à Radio Canada. Série de spectacles à la Place des Arts: GISELLE (DoHn-Adam) et deux oeuvres subventionnées par la Commission du Centenaire: LA CORRIVEAU (Paige-Brott) et POINTES SUR GLACES (Conte-Lavallée). Tournée du Québec, sous le patronage du Sevrétariat de la Province (Festival du Québec). Spectacles dans le cadre du Festival Mondial de l'Expo '67, avec artistes invités: Alicia Alonso et Azari Plisetski. GISELLE et CARMINA BURANA. Spectacles au Pavillon de la Jeunesse de l'Expo '67. Cinquième !l.telil:ir chorégraphique. Spectacles dans le cadre des festivals de Long Island (New York) .et Jacob's Pillow. La compagnie déménage dans des locaux plus vastes (5415 Chemin Reine-Marie). 1966/67 SEASON Premier at Place des Arts of "CARMINA BURANA" (NaultOrff) and "DIVERTISSEMENT GLAZOUNOV" (Nault-Glazounov). Competition for the dec9rs and the costumes for "GEHENNE" (N ault-EtIer). Winning design by Michael Eagen. "LES SYLPHIDES" presented on the Concert Hour. Performances at Place des Arts: "GISELLE" (Anton Dolin) and two works supported by the Centennial Commission: "LA CORRIVEAU" (Paige-Brott) and ~'POINTES SUR GLACES'.' (ConteCalixa Lavallée). Quebec tour under the patronage of the Government of Quebec (Festival of Quebec). . Performances as part of the World Festival, of "GISELLE" and "CARMINA BURANA" with Alicia Alonso and Azari Plisetski as GuestArtists. Performancesat the Youth Pavillion at Expo '67. Fifth Choreographers' Workshop. Fernand Nault named Associate Artistic Director. Performances at the Long Island Festival and Jacob's Pillow. The Company moved to a new and larger location at 5415 Queen Mary Road. [Janiel Jackson (Phot,,: SerMI' f:i/'auch"mini CATULLI CARMINA. Butler/Orff, Vincent Warren. 1967-68, Q SAISON 1967/68. Julien Poirier devient directeur administratif de l'Académie et de l'École Supérieure de Danse. Tournée de six semaines aux États-Unis, avec CARMINA BURANA. CASSE- NOISETTE à l'Aréna Maurice Richard. Spectacles pour 27,000 étudiants à Montréal et 4,000 à Québec. "'1llaboration avec l'U.G.E.Q. et la Fédération des Centres de Jisirs de Montréal. l1ala du dixième anniversaire le 9 mars à la Place des Arts. Spectacles à Québec et à Ottawa. Création des deux compléments de la trilogie de Carl Orff: CATULLI CARMINA (Butler) et TRIOMPHE D'APHRODITE (Walker). Sixième atelier chorégraphique. Daniel Jackson devient assistant maître de ballet. Il est maintenant répétiteur et assistant à la production. 1967/68 SEASON Six week United States tour with "CARMINA BURANA". "THE NUTCRACKER" presented at Maurice Richard Arena. Performances for 27,000 students in Montreal and 4,000in Quebec in collaboration with U.G.E.Q. and the Federation du' Centre des Loisirs of Montreal. Tenth Anniversary Gala March 9 at Place des Arts. Julien Pojrier named Administrative Director of the Académie and the.Ecole Supérieure de D'anse. Performances in Quebec and Ottawa. Creation of two ballets completing the trilogy of Carl Orff: "CATULLI CARMINA" (Butler) and "TRIOMPHE D'APHRODITE" (Walker) . Sixth Choreographers' Workshop Daniel Jackson named Assistant Ballet Master. He is now Repetiteur and Production Assistant. 1968/69 SEASON Tour of Eastern Canada and of Quebec. First European Tour under the auspices of the Department of External Affairs. Serge Lifar awarded the Company the First Prize from the Université de la Danse in Paris for their interpretation of "CATULLI CARMINA". Mme Chiriaeff created choreography for Norman McLaren's film PAS DE DEUX which has won fifteen major prizes. SAISON 1968/69. Mme Chiriaeff fait la chorégraphie d'un film de Norman McLaren: PAS DE DEUX qui méritera plus de quinze prix importants. Tournée de l'Est du Canada et du Québec. Première tournée européenne sous les auspices du Ministère des Affaires extérieures du Canada (Paris, Londres, Bruxelles, Lisbonne, Zurich, Lausanne, Lyon, Festival de Nervi). Serge Lifar décerne à la compagnie le premier prix de l'Université de la Danse de Paris pour son interprétation de CATULLI CARMINA. 1969/70 SEASON Seventh Choreographers' Workshop where "SYMPHONY OF PSALMS" (N ault-Stravinsky) was created. Eastern Canadian and Quebec tour with "CARMINA BURAN A", "CATULLI CARMINA" and the second act of "THE NUTCRACKER". "ALLEGRO BRILLANTE" (Balanchine-Tchaikovsky) presented on Radio Canada. "SYMPHONY OF PSALMS" presented at St. Joseph's Oratory during Holy Week with the Montreal Symphony Orchestra. Eighth Choreographers' Workshop. Performances of "SYMPHONY OF PSALMS" and '''CATULLI CARMINA" at Jacob's Pillow. Madame Chiriaeff received the Order of Canada. SAISON 1969/70. Septième atelier chorégraphique où SYMPHONIE DE PSAUMES (Nault-Stravinsky) est créé. . Tournée des provinces de l'Atlantique et du Québec avec CARMINA BURANA, CATULLI CARMINA et le deuxième aète de CASSE-NOISETTE. ALLEGRO BRILLANTE (Balanchine-Tchaikovsky) présenté à Radio Canada. SYMPHONIE DE PSAUMES présenté à l'Oratoire St-Joseph durant la Semaine Sainte avec le concours de l'Orchestre Symphonique de Montréal, et les choeurs sous la direction de Marcel Laurencelle. Huitième atelier chorégraphique. Participation au Festival de Jacob's Pillow avec SYMPHONIE DE PSAUMES et CATULLI CARMINA. Madame Chiriaeff reçoit l'Ordre du Canada. Nicholas Cernovitch (Photo: Pierre Gaudard) SAISON 1970/71. Me Jean-Claude Delorme devient président du Conseil d'administration. Première campagne d'abonnement avec quatre séries de spec• ''!s à la Place des Arts. ~on de TOMMY (N ault-The Who), succès phénoménal avec • /de 300 représentations, et HIP & STRAIGHT (Nault-Duplessis). Participation aux festivités pour l'inauguration du Grand Théâtre de Québec. Premier engagement au Centre National des Arts à Ottawa. 1970/71 SEASON Me Jean-Claude Delorme elected President of the Board of Directors. First SeasonTickets offered included four series of performances at place des Arts. TOMMY created (Nault-The Who) and first of over 300 performances given. Creation of HIP & STRAIGHT (Nault-Duplessis). Participation in opening Festival of Quebec's Grand Theatre. Ninth Choreographers' Workshop. Creation: AURKHI (Nault-Penderecki) and VILLON (Butler- 10 Création de AURKHI (Nault-Penderecki) et VILLON (ButlerStarer). Tournée des provinces de l'Atlantique et du Québec. New York avec TOMMY, puis Toronto. Fondation par Madame Chiriaeff des Compagnons de la danse avec Lawrence Gradus comme assistant directeur. Cette petite tr~ml'l n . XXIII ANNEXE XIII . Facteurs déterminants de survie et de développement: les Grands Ballets Canadiens de 1957 à 1977 FACTEURS DÉTERMINANTS DE SURVIE ET DE DÉVELOPPEMENT: LES GBC DE 1957 À 1977 FACTEURS INTERNES UN INITIATEUR: UNE INSPIRATION Z UN PROJET ARTISTIQUE: UNE OSMOSE ~ .1 Des atouts personnels: ., Un projet solide: investir dans tous le secteurs d'activités > charisme > compétences en danse > conscience de ses limites > ténacité et persévérance > écoles > ateliers chorégraphiques > activités diversifiées > réseau de collaborateurs .2 Des Qualités de «leader» : > mobiliser les tmupes > inspirer confiance > imposer une volonté sans heurter > décider seul mais savoir s'effacer > choisir les bonnes personnes au moment opportun personnel artistique _compétent dévoué fidèle _ talentueux _ polyvalent _créatif _volontaire .2 Un projet cohérent: une démarche institutionnelle dans le respect des objectifs stratégiques grâce aux œuvres --- ---- .3 Des dons de politicien: .3 > avoir de l'intuition > saisir les opportunités > prendre des risQues > utiliser les failles du système > savoir se soumettre > s'adjoindre le pouvoir > manipuler l'information Un projet maintenu dans le temps par les objectifs organisationnels soutenus par la mission à travers les activités immigration .4 Le personnel artistique maintient les trois éléments précédents en concordance avec la vision artistique et les éléments liés à la représentation théâtrale les facteurs internes: > respect de la capacité technique des danseurs > vitalité de la force créatrice > respect + ou - des moyens financiers les facteurs externes: > capacité de réception des publics > choix des lieux de présentation > en conformité avec les courants de la danse © Marie Beaulieu 1 REPRODUCTION INTERDITE 1