Université de Montréal La politique allemande de la France telle que perçue par la presse française (1919-1926) par Christopher Chartier Jacques Département d’histoire Faculté des arts et des sciences Mémoire présenté à la Faculté des arts et des sciences en vue de l’obtention du grade de maître en histoire 30 Août 2010 © Christopher Chartier Jacques, 2010 Université de Montréal Faculté des études supérieures et postdoctorales Ce mémoire intitulé : La politique allemande de la France telle que perçue par la presse française (1919-1926) présenté par : Christopher Chartier Jacques a été évalué par un jury composé des personnes suivantes : Samir Saul Carl Bouchard Paul Létourneau Mémoire accepté le : Résumé La France est souvent perçue comme la principale garante du traité de Versailles. Le révisionnisme français envers l’ordre établi par le traité, contrairement au même courant chez les responsables allemands, est un sujet peu étudié. Il a été abordé par quelques auteurs, tels George-Henri Soutou et Stanislas Jeannesson, mais la question mérite davantage d’élaboration. Grâce à l’analyse de la presse française, ce mémoire vérifie l’existence d’une volonté de rendre le traité de paix plus favorable à la France. Une Machtpolitik ainsi qu’un révisionnisme français sont apparents de 1919 à 1923 avec, comme zénith, l’occupation de la Ruhr. Les années suivantes virent la situation de la France se détériorer sur les plans politique, économique et diplomatique. La dégradation de sa posture inclina la France à se tourner vers une conciliation qui émanait de l’esprit du traité de Versailles. La couverture de l’actualité internationale de trois journaux français (Le Temps, L’Action française et L’Humanité) avant et après l’invasion de la Ruhr est analysée. On constate l’existence d’un révisionnisme français qui mène, après son échec en 1924, à un recentrage de la politique allemande de la France. En liant la perception des différents journaux à leur idéologie, nous avons aussi expliqué les variations dans leurs analyses des mêmes événements. L’étude de la presse, conjuguée aux sources secondaires, révèle un discours teinté d’une volonté révisionniste. Elle porte à croire, aussi, que le traité de Versailles ne fut réellement défendu en France qu’après l’échec de la politique de puissance et du révisionnisme français. Mots-clés : Occupation de la Ruhr, traité de Versailles, révisionnisme français, presse française, rapports franco-allemands, sécurité collective, Raymond Poincaré. Abstract There is a common perception of France as being the guarantor of the Treaty of Versailles. French revisionism towards the established order by that treaty, unlike its German counterpart, is a subject which has yet to receive much attention. It was first addressed by authors such as George-Henri Soutou and Stanislas Jeannesson, but the issue requires further inquiry. Grounded in an analysis of the French press, this memoir confirms the existence of a will to make the peace treaty more favourable to France. Machtpolitik and French revisionism are noticeable traits from 1919 until 1923 with, at its pinnacle, the occupation of the Ruhr. The following years witnessed a worsening of the French situation at the political, economic and diplomatic levels. Its degrading position hauled France into a conciliation which stemmed from the spirit of the Treaty of Versailles. The international news coverage in three French newspapers ( Le Temps, L’Action française and L’Humanité) before and after the Ruhr invasion is the object of analysis. The study confirms the existence of a French revisionism which, after its downfall in 1924, led to a refocusing of France’s German policy. By linking the different newspapers’ perception to their ideology, it explained variations that occurred in their analyses of the same events. The newspaper study coupled with the secondary sources reveals a discourse marked by a revisionist will. It also suggests that the Treaty of Versailles was not supported in France until after the demise of power politics as well as French revisionism. Keywords: Occupation of the Ruhr, Treaty of Versailles, French revisionism, France’s newspapers, franco-german diplomacy, collective security, Raymond Poincaré. Remerciements Je me dois d’aborder mes éloges en remerciant ma future épouse pour tout le temps, la patience et les encouragements qu’elle m’a prodigués sans qu’elle y soit obligée. Je tiens aussi à lui montrer ma gratitude pour sa compréhension aveugle et passionnée pour mon travail. J’aimerais, ensuite, remercier le directeur de ce mémoire, M. Samir Saul, pour sa disponibilité, son temps ainsi que ses judicieux conseils. Je suis reconnaissant, aussi, de la sévérité de sa critique qui m’a, certainement, permis de mener ce projet à terme. Je me dois, de plus, d’exprimer ma reconnaissance à ma belle-famille pour son aide et son soutien ainsi qu’à ma famille pour ses encouragements. Enfin, je remercie tous ceux, qui, tout au long de ma vie, m’ont montré, par leurs contre-exemples, le chemin à suivre. CCJ LISTE DES TABLEAUX ET GRAPHIQUES Tableau 1……………………………………………………………..……………………5 Tableau 2…………………………………………………………………………………..7 Graphique 1………………………………………………………………………………34 Graphique 2………………………………………………………………………………41 Table des matières Introduction………………………………………………………………………………1 Présentation du sujet et de la problématique…………..………………………………1 Les idées-force……………………………………….….……………………………..3 Hypothèses de recherches………………………….…….…………………………….8 Importance historiographique…………………….……….……………………………9 Méthodologie et sources………………………………………………………………9 Chapitre premier. Historiographie et contexte historique…………………………...12 Historiographie………………………………………………………………………..12 Contexte historique : de Versailles à Dawes; histoire d’une rupture………………….21 Chapitre deuxième. La perspective des trois journaux de 1919-1923……………….42 L’Humanité : journal français hostile à la politique française………………………...44 L’Action française : un journal nationaliste et germanophobe………………………..54 Le Temps : journal sérieux ou « presse domestiquée »?................................................68 Chapitre troisième. La perspective des trois journaux de 1923-1926……………….81 L’Humanité : La pérennité dans l’opposition à la politique française………………...82 L’Action française : la victoire annoncée de l’Allemagne…………………………….88 Le Temps : le quotidien de la détente et du soutien au traité de Versailles……………97 Conclusion……………………………………………………………………………..107 Bibliographie…………………………………………………………………………..115 Introduction Présentation du sujet et de la problématique La thèse de la rupture dans la politique allemande de la France après l’occupation de la Ruhr paraît, aujourd’hui, admise. En effet de nombreux historiens se sont penchés sur la question pour en conclure que les responsables français ont changé leur approche de la diplomatie européenne après l’échec français en Rhénanie. Ils tendent à montrer que la France, de 1919 à 1923, militait pour une stricte exécution du traité de Versailles alors qu’après la tentative française de coup de force dans la Ruhr, elle se tourna vers la politique atlantiste de sécurité collective. D’un autre côté, l’idée d’un révisionnisme français au sujet de l’ordre du traité de Versailles de 1919 semble moins soutenue et relativement récente.1 Les deux approches sont antinomiques puisqu’une défend la thèse de la volonté française de stricte exécution du traité de Versailles alors que l’autre avance la possibilité que les responsables français avaient des velléités de revoir l’ordre établi par le traité de Versailles. En nous concentrant sur l’existence d’une volonté française de revoir l’ordre économique et territorial entre les deux puissances rhénanes établi par le traité de paix de 1919, nous postulons que la France, avant 1923, souhaitait réécrire, en partie, la paix alors qu’elle se recroquevilla sur l’esprit versaillais après son échec dans la Ruhr ce qui, en soit, représente une nouveauté dans l’historiographie. Nous désignons par l’ « esprit de Versailles » la volonté de conclure des ententes multilatérales entre alliés et de négocier d’égal à égal avec les vaincus. Cet esprit versaillais, selon nous, procédait de l’optimisme certain des pays victorieux et de l’apport du président Wilson dans les négociations de paix. A contrario, la 1 Le nombre de publications sur l’histoire des relations entre la France et l’Allemagne en témoigne. Néanmoins, certains historiens contemporains ont opté assez récemment pour des approches inédites, contribuant ainsi à l’avancement de nos connaissances sur ce sujet. Nous pensons ici à George-Henri Soutou, Stanislas Jeannesson, ou encore Denise Artaud qui ont traité des velléités françaises de réviser l’ordre établi par le Traité de Versailles. 1 France, avant l’ajustement de sa diplomatie en 1924, pratiquait une politique unilatérale à l’égard de l’Allemagne. Ce dernier caractère de sa diplomatie, selon nous, se confirme par les nombreux désaveux anglo-saxons des façons de faire de la France. Dans l’immédiat après-guerre, la France mettait de l’avant une politique de puissance qui se recentra sur la conciliation émanant du traité de Versailles à la suite de son action dans les régions houillères de l’Allemagne. Ainsi, dans cette nouvelle optique révisionniste de la diplomatie française à l’égard de l’Allemagne, il nous apparaît intéressant de nous pencher sur la presse française de l’époque afin de constater la présence ou l’absence de ce recentrage de politique dans son discours.2 Faire l’analyse du journal Le Temps, reconnu pour sa proximité avec les milieux dirigeants, permet aussi de dénoter les lignes directrices de la politique française. Ainsi, plus qu’une démonstration de la rhétorique de trois journaux, l’examen de la presse française peut servir comme un barème de l’opinion publique et de la diplomatie de la France. Le présent mémoire tentera de répondre à certaines interrogations qui émanent de la problématique du regard de la presse française sur la politique allemande de la France du traité de Versailles au plan Dawes. Le regard posé par la presse sur la politique allemande de la France connaitra-t-il des variations en fonction des événements, qu’ils soient historiques et diplomatiques? La réponse à cette question nous permettra de confirmer ou d’infirmer notre thèse novatrice du recentrage versaillais après l’occupation de la Ruhr; événement politique et diplomatique le plus à même, à l’époque, d’influencer les discours journalistiques. Y aura-t-il des différences dans le traitement par les journaux de la politique allemande de la France? En filigrane, nous tenterons de voir si les objectifs et l’idéologie des différentes publications influencèrent leurs approches de la politique extérieure. Ce 2 L’utilisation de la presse française comme source première est une méthode relativement neuve, tout particulièrement pour la période des années 20. Citons tout de même l’œuvre de Raymond Manevy, La presse de la IIIe République, parue en 1955, qui demeure capitale, surtout sur cette époque. 2 mémoire vérifiera si l’occupation de la Ruhr eut un impact marqué sur les points de vue du Temps, de L’Humanité et de L’Action française. Il sera aussi primordial d’évaluer comment l’idéologie de chaque journal influence ses perceptions des événements qui se produisent entre la France et l’Allemagne ainsi que la position idéologique des journaux à l’égard d’un possible révisionnisme français. Plus précisément, nous nous intéresserons aux raisons intrinsèques aux trois publications qui pourraient expliquer leurs points de vue. L’objectif sera de vérifier, tout d’abord, si, effectivement, il y eut un recentrage dans le discours des quotidiens citées plus haut, en comparant le ton et le discours qu’ils utilisent avant et après l’échec de la Ruhr, ensuite, le cas échéant de montrer la teneur de cet ajustement. Plus précisément, la dégradation de la situation internationale et le changement de politique, plus inspirée par l’esprit de Versailles, de la France, s’ils se confirment, se sont-ils aussi transposée dans ses relations avec sa voisine immédiate, et, par ricochet, seront-t-ils plus perceptible dans un journal officieux comme Le Temps que dans une publication radicale? Dans un même ordre d’idées, l’interprétation, par les journalistes, d’un révisionnisme chez les responsables français sera-t-elle tributaire de l’idéologie des trois journaux à l’étude? Par exemple, le journal officieux se montra-t-il plus conciliant face au traité de Versailles afin de ne pas froisser les alliés de la France? D’un autre côté, les publications radicales, plus loin du pouvoir, se permettront-elles d’être plus critiques à l’égard de la France, le traité de paix et l’Allemagne? Les idées-force Les publications qui portent sur la diplomatie ou l’économie française et européenne dans l’immédiat après Première Guerre mondiale mettent en exergue trois grandes forces profondes qui seront prises en compte. Elles feront, ici, l’objet d’une étude détaillée. Les faiblesses françaises 3 Les chiffres concernant les pertes humaines durant la Grande Guerre sont particulièrement élevés : 1140000 tués au feu, 100 000 décès à la suite de complications et 570 000 civils décédés. Il y a aussi un déficit de 700 000 naissances pour deux générations. Ainsi, 10% des hommes actifs sont morts, auxquels s’ajoutent 3 millions de blessés et un million d'invalides. Le pays est aussi matériellement en ruines avec 600 000 maisons détruites ou endommagées, 20 000 usines rasées, 5 000 km de voies ferrées disparues, 53 000 km de routes ravagées et 3 millions d’hectares de terre arable inutilisable. L’économie en subit les contrecoups. En effet, la production, après la guerre, régresse d’environ 60% par rapport au niveau de 1913. Le gouvernement français doit emprunter 32 milliards de dollars à l’étranger (en très grande partie aux USA), et 150 milliards de francs en France. 3 Suite à la Révolution russe, la France et les investisseurs français perdent près de la moitié de leur portefeuille étranger avec le refus des Bolcheviques d’honorer les dettes du régime tsariste. Déjà affaiblie, l’économie française est encore ébranlée, en mars 1919, avec la suspension de l’appui du franc par les Anglo-Saxons. 4 Le franc avait été soutenu par les Britanniques et les Américains afin que la France puisse poursuivre la guerre sans faire faillite. La suppression de cette aide entraîne des fluctuations profondes du franc qui durent jusqu’en 1926 lorsque le franc est stabilisé par Poincaré. 3 Yves TROTIGNON, La France au XXe siècle. Versailles, Bordas-Mouton, 1968, p.77-78. Les chiffres cités ici sont mentionnés par de nombreux auteurs et la méthode d’arrondissement change selon les auteurs. Ainsi, nous avons utilisé les informations données par Trotignon puisque celles-ci semblent être dans la moyenne. 4 François CARON, Histoire économique de la France; XIXe-XXe siècles. Paris, Armand Colin, 1981, p. 196. 4 Le tableau suivant indique l’état du franc avant et après l’arrêt de l’appui anglo-américain : Tableau 1. Valeur du franc par rapport à la livre et au dollar avant et après la suspension du soutien anglo-saxon Valeur de Valeur du la livre dollar 1914 (valeur plus ou moins fixe) 25 F 1919 Décembre 42 F 5F 11 F 11 F 1920 Janvier 43 F Source : Alfred SAUVY. Histoire économique de la France entre les deux guerres. Fayard, Paris, 1984, p. 445. C’était un double choc pour les Français. Ils avaient vu leurs frontières franchies avec une relative aisance par deux fois en moins de 50 ans. Ils constataient leur vulnérabilité militaire. Ensuite, ils prenaient conscience du fait que leur patrie ne faisait plus figure de grande puissance économique, comme pouvait le démontrer la chute du franc dans l’immédiat après-guerre. Ainsi, la France, à la suite de la Grande Guerre, allait vouloir assurer sa sécurité et sa stabilité économiques en transposant sa victoire en avantages économiques afin d’amenuiser la puissance allemande. Malgré sa difficile situation économique et matérielle, la France jouissait tout de même du prestige qui revient à un vainqueur de la Grande Guerre. L’opposit io n des Anglo-Saxons Cette force profonde est beaucoup plus insidieuse et émergea lentement. En fait, il serait justifié de la circonscrire aux financiers et aux politiciens britanniques et américains. En effet, alors que les faiblesses économiques sont flagrantes dès la fin de la 5 guerre, la méfiance anglo-saxonne envers la France apparaît quelque mois plus tard, notamment à la conférence de Paris. Le Traité de Versailles institutionnalise ce sentiment. En effet, lors des négociations de paix, Lloyd Georges et Wilson se rapprochent afin de faire front commun face aux demandes de Clemenceau. Ainsi, dans un climat de lutte et d’opposition franco-allemandes, les Anglo-Saxons eurent tendance à favoriser, aux dépens des Français, la République de Weimar. L’intérêt anglo-américain pour le potentiel économique allemand est la principale raison de cette partialité. La France, conséquemment, allait pâtir de l’attrait capitalistique de Weimar.5 D’un autre côté, les responsables français, comme le président Raymond Poincaré, ne firent rien pour aider leur cause, comme le démontre leur tendance à proposer des mesures qui irritaient les alliés anglo-saxons. Si l’opposition des Anglo-Saxons face à la France est une façon de favoriser l’Allemagne, il y a aussi une méfiance profonde des ambitions prêtées à la France. La puissance allemande La situation de l’Allemagne d’après-guerre n’est guère aisée. Du point de vue humain, elle perdit, au cours de la guerre, un peu plus de 2 millions d’hommes sur les champs de bataille, 400 000 civils. On recensa plus de 4 millions de blessés. Les destructions sont moins importantes qu’en France parce que la plupart des combats ne se sont pas déroulés sur le sol allemand. Or, c’est avec le Traité de Versailles que l’Allemagne faiblit beaucoup. En effet, on lui détachait les cantons d’Eupen-Malmédy, la Sarre, l’Alsace-Lorraine; on expulsait le Luxembourg du Zollverein 6, en plus de créer une zone rhénane démilitarisée sous contrôle allié. 7 Les puissances alliées ont à cœur de mettre à mal 5 Étienne WEILL-RAYNAL, La politique française des Réparations. Paris, Nouvelles Éditions latines, 1945, p. 7 6 Jacques BARIÉTY, «Le rôle d'Émile Mayrisch entre les sidérurgies allemande et française après la Première Guerre mondiale». Relations internationales, no. 1, mai 1974, p. 125. 7 John Maynard KEYNES, Les conséquences économiques de la paix. Paris, Nouvelle Revue française, 1920, p.73. 6 l’industrie sidérurgique allemande afin d’empêcher l’Allemagne de réarmer. Ces mesures eurent un impact sur l’économie et les finances allemandes. Tableau 2. La valeur du mark par rapport au dollar américain, de 1920 à 1923 Valeur/Date Marks pour 1 dollar américain Février 1920 99 DM Novembre 1921 270 DM Novembre 1922 7000 DM Septembre 1923 160 000 000 DM Source : Alfred SAUVY. Histoire économique de la France entre les deux guerres. Fayard, Paris, 1984, p. 444. L’Allemagne ainsi amputée, ses responsables tenteront de restituer la puissance de leur patrie. Quelques années après la signature du traité de Versailles, en 1923, Gustav Stresemann, chancelier et ministre des Affaires étrangères de la République de Weimar, affirme que la souveraineté allemande sur son territoire est sa priorité. 8 Ce besoin de souveraineté de la part des Allemands existe aussi au niveau économique. Ces derniers, selon l’ordre versaillais, ne sont pas les maîtres de leurs frontières douanières, et cela jusqu’au 10 mars 1925. Dès lors, humiliée par le traité de Versailles, désignée responsable de la guerre par l’article 231 et ainsi débitrice des Réparations afin de compenser les pertes des Alliés, l’Allemagne concentre toutes ses forces dans l’optique de restaurer le prestige connu sous le IIe Reich. Ainsi voit-on, dans l’immédiat après-guerre, de part et d’autre de la frontière, deux puissances affaiblies se méfiant l’une de l’autre et déterminées à ne pas perdre davantage. Au milieu des deux et un peu retirées de la tension, les deux puissances anglo-saxonnes profitent de leur rôle d’arbitre de facto en préparant leur prospérité en Allemagne. 8 Georges CASTELLAN, L'Allemagne de Weimar, 1918-1933. Paris, Colin, 1972, p. 327. 7 Hypothèses de recherches Trois angles d’approche seront adoptés. La première hypothèse conduira à vérifier, grâce à une étude de la diplomatie française dans les années 20, si une cassure due, par exemple, une prise de conscience de la faiblesse de la France, se produisit chez les responsables français. Ensuite, à la lecture des éditoriaux ainsi que des articles dans Le Temps, L’Action française et L’Humanité il faudrait vérifier s’il est possible de constater une répercussion de cette prise de conscience qui se traduisit par un recentrage versaillais et d’en évaluer la portée dans les trois journaux. Le cas échéant, il serait possible d’évaluer comment les idéologies des trois publications influençaient leurs perception de la politique allemande de la France. Dans la deuxième hypothèse envisagée, il serait impossible de percevoir un changement dans la diplomatie qui serait intrinsèque à la politique extérieure de la France, Ainsi, le changement de l’approche diplomatique serait dû à une modification dans la conjoncture (économique ou internationale, par exemple) ou encore un changement de gouvernement plutôt qu’à la prise de conscience, par les responsables français, de la faiblesse de la France. Par la suite, l’étude des éditoriaux des journaux, par leur inflexion, pourrait encore confirmer ou infirmer le lien entre leur contenu et la conjoncture française sur la scène internationale. L’importance des idéologies serait capitale puisque celles-ci pourraient justifier la prise de position de chacun des journaux à l’égard de l’actualité internationale. En ce qui concerne la troisième hypothèse, après une étude exhaustive des différentes lignes directrices de la politique étrangère française du début des années 20, il serait impossible de trouver quelque recentrage vers l’esprit de Versailles que ce soit dans l’approche diplomatique des responsables français. Par conséquent, même un 8 changement conjoncturel ou un constat de faiblesse intrinsèque ne seraient à même de modifier en profondeur la façon de gérer la politique extérieure au tournant des années 1923-1924. Ainsi, l’analyse d es éditoriaux de Le Temps, L’Humanité ou encore L’Action française afin de les mettre en relation avec la conjoncture européenne perdrait de son intérêt puisqu’aucun changement ne serait à confirmer ou infirmer. Importance historiographique Aucune étude systématique de la presse française ne fut réalisée autour de la question du révisionnisme français, même si le matériau est accessible et volumineux. Le thème même du révisionnisme est très récent dans l’historiographie qui aborde les rapports franco-allemands. Ainsi, la nouveauté historiographique de ce mémoire réside dans l’étude et l’analyse d’un révisionnisme français à l’aide de la presse. De plus, une étude de la sorte est intéressante en ce sens qu’elle pourrait aider notre compréhension de certaines décisions prises ou actions commises par différents acteurs politiques. Qui plus est, elle nous permettrait de consolider nos connaissances sur une partie de l’opinion publique française en ce qui concerne la politique allemande de la France dans la première moitié des années 20. Méthodologie et sources La méthodologie qui sera utilisée afin de mener à terme l’étude de la perception par les journaux de la diplomatie française sera divisée en deux temps indépendants l’un de l’autre. Dans un premier volet historique et historiographique qui composera à lui seul un chapitre, les sources secondaires seront mises de l’avant afin de retracer une histoire globale de l’évolution de la diplomatie française au cours des années, dans le but de cibler la présence d’un recentrage ou, du moins, une modification, dans la politique étrangère française à partir de l’année 1923. Le thème du regard de la presse française sur les relations franco-allemandes durant les années 20 ne fut pas touché par les historiens. Le thème du révisionnisme français, quant à lui, contrairement au cas de l’Allemagne, 9 fut à peine abordé par des historiens de la période contemporaine, tels Soutou et Jeannesson. Cette approche récente nous permet une certaine flexibilité; nous n’aborderons pas le révisionnisme français sous un angle global mais nous nous pencherons sur les ambitions territoriales et économiques de la France à l’égard de l’Allemagne. Dans l’optique d’explorer la teneur des discours de différents quotidiens français face à la politique allemande de la France des années 20, il nous fallait établir le contexte historique dans lequel furent écrit les différents textes que nous analyserons. Nous avons donc axé notre recherche historiographique, pour le premier volet historique et historiographique, sur trois grands thèmes : l’histoire de la presse française au début du XXe siècle, les relations étrangères de la France dans l’immédiat après-guerre avec un accent sur les rapports franco-allemands, et, enfin, la politique économique française des années 1920. Le deuxième volet de ce travail, divisé en deux chapitres chronologiques, sera plus riche et plus original s u r l e p l a n des sources et de la méthodologie. Les trois principales sources seront les éditoriaux des journaux Le Temps, L’Humanité et enfin L’Action française. Les éd it o r iau x sero nt mét icu leu sement ét ud iés pu isq u e c‘est souvent là que l’opinion du rédacteur est véhiculée. Grâce à nos trois sources, il nous sera possible de comparer le discours avancé dans les trois journaux afin d’évaluer la présence d’un recent rage avec un changement dans le choix du ton, du vocabulaire ou de la rhétorique. Il sera aussi intéressant de percevoir la présence de non-dits et d’omissions volontaires afin d’analyser le discours de chacun des journaux. À titre d’exemple, L’Humanité passa sous silence le sabordage de la flotte allemande à Scapa Flow, qui était destinée à la Grande-Bretagne en guise de réparations de guerre, alors que Le Temps et L’Action française en firent grand cas. Cette omission par le journal communiste est aussi révélatrice de son idéologie et sa ligne politique qu’un éditorial incendiaire. Les trois critères (ton, vocabulaire, rhétorique), mais aussi les non-dits et les omissions volontaires, nous serviront, de plus, à jauger de l’influence des idéologies des journaux sur la façon de 10 traiter l’actualité. En effet, nous tenterons de montrer comment le traitement journalistique différait d’une publication à l’autre de par les idéologies qui influençaient leurs perceptions de l’actualité. Ces divergences seront mises en lumière aussi dans le but d’analyser la perception qu’avaient les différentes publications sur l’existence d’un révisionnisme français. Ce mémoire sera divisé en trois chapitres: Dans le premier, l’historiographie et le contexte historique seront dressés. Dans le second, nous analyserons le discours des trois journaux avant l’occupation de la Ruhr pour finir, dans le troisième chapitre, avec l’étude du regard des journaux après 1923 afin de constater s’il y a un changement dans le traitement des nouvelles ayant trait aux relations franco-allemandes. 11 Chapitre premier. Historiographie et contexte historique Historiographie Histoire de la presse française La presse française des années 20 a souffert et souffre, comme de nombreux autres domaines, du fait que cette décennie se retrouve comprimée entre les deux guerres mondiales. Les auteurs actuels qui s’intéressent à l’histoire de la presse, comme Dominique Lormier et Laurent Martin, passent vite sur cette période. Ils préfèrent se pencher sur l’évolution de la presse dans les moments de crises, comme les guerres, les crises politiques et tout ce qui serait à même d’affecter directement la façon dont les journalistes interprètent les faits. D’un autre côté, un article paru en décembre 1920 représente une source révélatrice. Il s’agit d’un guide général qui visait à informer les lecteurs anglophones qui désiraient s’abonner à un quotidien français. Comme l’explique l’auteur lui-même : «The present pages are intended as a little guide for libraries and individuals wishing to select French periodicals or newspapers.»9 Concis, Schinz décrit et commente brièvement les journaux français les plus importants comme Le Temps, Le Journal des Débats ou encore Le Figaro. Dans sa description du Temps écrite en 1920, Schinz affirme que ce journal est considéré comme un organe du gouvernement français. Dans un ouvrage plus documentaire, l’auteur Raymond Manevy a dressé une histoire de la presse française dans la première moitié du XXe siècle. 10L’auteur y décrit 9 Albert SCHINZ, «Newspapers and periodicals in France: hints to subscribers», The Modern Language Journal, numéro. 3. décembre 1920, p. 139. 10 Raymond MANEVY, La presse de la IIIe République. Paris, Foret, 1955. 248 pages. 12 l’histoire de chacun des grands quotidiens français. Contrairement aux autres auteurs, Manevy fait une distinction entre Le Temps et Le Monde, ce qui permet au lecteur d’avoir un résumé concis de l’histoire du quotidien officieux pendant les années 1920. Manevy montre la transition vers 1861 du Journal des Débats au journal Le Temps comme organe officieux du Quai d’Orsay. 11Il décrit aussi la naissance du journal Le Temps en 1829 et son opposition, plus tard, au gouvernement impérial de Napoléon III.12Ce qui rend cet ouvrage encore plus pertinent réside dans le fait qu’il décrit le lien du quotidien avec les industriels de la sidérurgie à la fin du XIXe siècle. 13Manevy montre comment Le Temps était respecté malgré ses liens connus avec le gouvernement. Il explicite, d’un autre côté, que les rédacteurs de Le Temps ne se gênaient pas pour critiquer le gouvernement dont ils recevaient des fonds.14Preuve de la crédibilité et de la reconnaissance de ce quotidien, l’auteur avance que les espions ou les diplomates étrangers lisaient Le Temps afin de s’informer de la position du ministère des Affaires étrangères sur les sujets d’actualité. 15 L’ouvrage de Lormier, quant à lui, est plus anecdotique en ce qui concerne l’histoire de la presse des années 20. L’auteur tend à mettre plutôt l’accent sur les grands événements historiques; l’affaire Dreyfus, les deux guerres mondiales, la guerre d’Algérie sont autant d’influences sur la presse. En ce qui concerne le début du XXe siècle, l’auteur affirme que cette période représenta un véritable âge d’or pour les quotidiens français en ce sens que de nombreuses nouvelles parutions, quoique 11 12 13 Ibid., p.209. Ibid., p.210. Idem. 14 Ibid., p.212. 15 Ibid., p.213. 13 éphémères, virent le jour et les périodiques déjà existants connurent un accroissement de leurs tirage.16Par exemple, Le Temps, un journal «érudit», atteignit les 45000 copies quotidiennement, score respectable pour le type de parution mais dérisoire en comparaison avec les 1,3 millions Petit Parisien quotidiens. 17 Quant à Laurent Martin, son ouvrage18 s’inscrit dans la veine de celui de Dominique Lormier. En effet, l’auteur tend à décrire la petite histoire de la presse à travers les grandes périodes historiques du XXe siècle. Cependant, son chapitre sur l’entre-deux-guerres est intéressant puisqu’il dévoile des faits nouveaux, comme la possibilité que tous les grands journaux des années 20 aient eu des liens plus ou moins étroits avec le secteur industriel. 19 Sur ce point, l’auteur soulève une citation de Briand qui affirmait que «Trop d'articles de journaux sont écrits avec des plumes qui sont du même acier que les gros canons». 20 Or, auparavant, on estimait qu’il était propre au Temps et au Jo u rna l des débat s d’avoir des rapports privilégiés avec l’industrie lourde. Enfin, l’auteur semble aussi avancer que c’est justement à cause de ces subventions accordées aux journaux «centristes» que les quotidiens des deux extrêmes comme L’Humanité et L’Action Française ont pâti pendant les années 20. Les ouvrages cités convergent vers trois grands traits fondamentaux en ce qui concerne la presse française des années 20. Ils font état des liens entre le journal Le Temps et les secteurs industriels, plus précisément le Comité des Forges. Ensuite, 16 17 Dominique LORMIER, Histoire de la presse en France. Éditions de Vecchi, Paris, 2004, p.66. Idem. 18 Laurent MARTIN, La presse écrite en France au XXe siècle. Paris, Librairie générale française, 2005. 19 20 Ibid., p. 88. Idem. 14 les auteurs reconnaissent la proximité de ce quotidien avec les sphères politiques dirigeantes, notamment le Quai d’Orsay et, du même coup, le caractère marginal des publications radicales. Finalement, malgré ses liens avec le gouvernement, Le Temps restait critique envers les décisions des responsables politiques. Les relations extérieures de la France En ce qui concerne la diplomatie française des années 1920, l’historiographie n ’ est pas très diversifiée. Les auteurs, aussi bien francophones qu’anglophones, se concentrent sur les mêmes sujets: l’occupation de la Ruhr, le Plan Dawes, Locarno, le pacte Briand-Kellog, etc. Quelques ouvrages demeurent marquants soit par leur angle d’attaque soit par la notoriété de l’auteur. Stephen Schuker lie la diplomatie française et les problèmes économiques et financiers du pays après l’échec de la Ruhr.21 L’auteur avance qu’en raison de sa faiblesse financière l’État français ne pouvait se permettre d’avoir une politique extérieure indépendante de ses alliés anglo-saxons, et que la France cédait constamment devant ses alliés de guerre. Par exemple, le prêt de 100 millions de francs demandé à la firme Morgan vassalisait le Quai d’Orsay et, par extension, le gouvernement français aux Américains. 22 La situation, par conséquent, ne laissait pas beaucoup de marge de manœuvre à Poincaré quant aux recommandations des experts de la commission Dawes. Néanmoins, il est clair que Schuker s’inspira des Conséquences économiques de la paix de Keynes car leurs approches du problème français sont 21 Stephen A. SCHUKER, The end of French predominance in Europe; The financial crisis of 1924 and the adoption of the Dawes Plan. The University of North Carolina Press, Chapel Hill, 1976. 444 p. 22 Ibid., p.115. 15 similaires. Ils tendent à surévaluer les capacités de la France victorieuse de 1918 à 1923 et à sous-évaluer les conséquences au point de vue économique de 4 ans de guerre sur son territoire. Keynes, très critique des stipulations du traité de Versailles avant même que cellesci ne soient connues, déclare : «C’est là que se trouve la signification destructive de la paix de Paris. Si, à la fin de la guerre civile européenne, la France et l’Italie victorieuse abusent de leur pouvoir momentané pour détruire l’Allemagne et l’Autriche-Hongrie à présent abattues, elles appellent aussi leur propre destruction […]. »23 La solution keynésienne dans le cadre du traité de Versailles aurait été de ménager l’Allemagne, peut-être aux dépens de la France, afin d’assurer la paix à long terme. D’un autre côté, un économiste, Albert Aftalion, et l’homme politique de droite journaliste à L’Action française Jacques Bainville24, défendaient une opinion contraire. Ils croyaient nécessaire de favoriser la France afin de contrecarrer une Allemagne qui deviendrait assurément forte.25 Ces deux points de vue ont fait naître autant de cadres théoriques permettant d’analyser les événements économiques et diplomatiques européens dans les années 20. Deux écoles de pensée historiographiques ont opposé leurs visions depuis cette époque. 23 John Maynard KEYNES, Les conséquences économiques de la paix .Paris, Nouvelle Revue française, 1920, p. 14. 24 Jacques BAINVILLE, Les conséquences politiques de la paix. Paris, Librairie Arthème Fayard, 1920, 252 pages. 25 Denise ARTAUD, «À propos de l'occupation de la Ruhr». Revue d'histoire moderne et contemporaine. Tome XVII, Volume 17, Janvier-Mars 1970, p. 7. 16 D’un côté, nous retrouvons les «Classiques» (pour la plupart anglo-saxons), disciples de Keynes, à l’image de Stephen Schuker 26ou Jon Jacobson27 pour ne nommer que ceux-ci. Les Classiques défendent l’idée que la France n’avait pas tant besoin des Réparations et d‘appui de la part de ses alliés qu’elle l’avançait. En d’autres mots, la France, si elle avait été mieux gérée, aurait pu très bien tirer son épingle du jeu économique et diplomatique dans l’Europe des années 20. Leur faisant face, se trouvent les «Modernes», (pour la plupart des Français) qui suivent la ligne de pensée d’Aftalion et de Bainville. Ce groupe d’historiens, formé, notamment, de Georges-Henri Soutou28 et de Denise Artaud29, tendent à réévaluer la situation des deux puissances en présence et affirment que les deux pays avaient connu un niveau de destruction sans précédent et que les tractations pour la paix de Versailles omettaient cette disposition extraordinaire. 30Ce débat, bien que bientôt centenaire, ne semble pas près d’être résolu. Les deux dernières décennies ont vu l’apparition d’un thème nouveau : le révisionnisme français. Georges-Henri Soutou est un des auteurs qui s’impliquent dans cette voie. Il avance que la France avait « divers projets de réécriture et de « perfectionnement » dans un sens français du traité de Versailles »31, formulation tiède 26 27 Stephen A. SCHUKER, op cit., p.115. Jon JACOBSON, Locarno Diplomacy : Germany and the West, 1925-1929. New Jersey, Princeton University press, 1972. 420 pages. 28 29 George-Henri SOUTOU, L’Europe de 1815 à nos jours. Paris, PUF, 2005. 515 pages. Denise ARTAUD, La reconstruction de l'Europe (1919-1929). 1er éd. Paris. Presses universitaires de France. 1973. 94 pages. 30 Cette opposition entre les deux écoles de pensée était perceptible pour nous, mais l’article d’Artaud mentionné ci-haut nous permit d’utiliser la nomenclature qu’elle développe avec beaucoup de justesse. 31 Georges-Henri SOUTOU, op. cit., p. 197. 17 d’un révisionnisme français. Dans un ouvrage récent, Stanislas Jeannesson32 démontre comment la France, pendant l’ère Poincaré, tenta de contourner les dispositions du traité de Versailles à son avantage, l’occupation de la Ruhr étant la tentative ultime. Sur l’attitude du gouvernement français à l’égard du traité de Versailles, Soutou et Jeannesson rompent avec la majorité des historiens. Par exemple, Vaisse et Doise 33 affirmaient que la France de 1919 à 1924 se présentait comme l’instrument de l’exécution du traité de Versailles alors qu’elle se tourna, après l’occupation de la Ruhr, vers le principe de la sécurité. Ces deux écoles de pensée sont, de toute évidence, contradictoires. Notre analyse de la presse française tentera de vérifier la validité de l’angle d’approche de Soutou et de Jeannesson. En effet, l’existence d’un recentrage de la politique française à l’égard de l’Allemagne avant et après la Ruhr tendrait à confirmer l’existence d’une volonté révisionniste française avant l’occupation de la Rhénanie. Or, en plus de nous porter en faux contre l’analyse de Vaisse et Doise qui suppose la volonté française de respecter l’ordre versaillais avant 1923, nous irons un peu plus loin que Jeannesson et Soutou pour la période 1924 à 1926 puisque nous affirmons que le retour à la conciliation européenne n’était, en fait, que l’émergence en France d’un désir d’exécuter loyalement le traité. En effet, nous postulons la volonté française, après l’occupation de la Ruhr, d’utiliser les stipulations de Versailles comme base des discussions. 32 Stanislas JEANNESSON, Poincaré, la France et la Ruhr (1922-1924) ; Histoire d'une occupation. Presses universitaires de Strasbourg, Strasbourg, 1998. 432 pages. 33 Maurice VAISSE et Jean DOISE, Diplomatie et outil militaire. Paris, Politique étrangère de la France, Imprimerie Nationale, 1987. 566 pages. 18 Dans un autre ordre d’idées, les mémoires rédigés par Georges Bonnet34 et David Lloyd Georges35 sont intéressants puisque ces deux hommes étaient plongés dans la dynamique diplomatique des années 20. Lloyd Georges fut Premier ministre britannique de décembre 1916 à octobre 1922 et Georges Bonnet fut président du Conseil en 1938. Cependant, le lecteur doit rester alerte à la lecture de ces mémoires puisque les hommes qui écrivent ont des souvenirs bien différents des mêmes événements. De plus, le ton nationaliste, voire chauvin, adopté par les deux hommes d’État est accablant. Par exemple, en évoquant la France et les Français, Bonnet use souvent d’une formulation à la première personne du pluriel. Les auteurs traitent leurs pays sous un jour favorable. Toutefois, il est indéniable que ce genre de publication est pertinent puisqu’il ajoute un témoignage et une passion aux faits moult fois soulevés par les auteurs contemporains et les historiens. En conclusion, l’élan historiographique qui porte sur la diplomatie européenne de l’entre-deux-guerres s’est e s s o u f f l é à la fin des années 70. Le sujet semblait être clos après de moult revisites des mêmes faits et archives. Toutefois, des travaux comme ceux de Soutou et Jeannesson semblent offrir des points de vue neufs sur le sujet. Politique et économie de la France Dans cet autre domaine, la recherche a peu progressé. Néanmoins, des auteurs comme Jean-Noël Jeanneney proposent des points de vue, à tout le moins des angles 34 Georges Etienne Bonnet, Le Quai d'Orsay sous trois Républiques 1870-1961. Paris, A. Fayard, 1961. 519 pages. 35 David LLOYD GEORGE, The truth about Reparations and war-debts. Londres, William Heinemann LTD, 1932. 150 pages. 19 d’approche, différents. Il présente la spéculation sur le franc par les Allemands et les Anglo-Saxons comme une source de l’instabilité financière. La monnaie française avait constamment une valeur «flottante »36, et se retrouvait ainsi à la merci des financiers étrangers. L’analyse de Jeanneney est d’autant plus intéressante qu’elle lie les problèmes économiques et politiques français à sa diplomatie. L’auteur semble inverser le lien causal traditionnel de ce sujet qui affirme la primauté des affaires domestiques sur la diplomatie. Une partie des historiens, comme Stephen Schuker, Tom Kemp37 ou encore Jon Jacobson, affirment que l’instabilité politique et financière découle de l’occupation de la Ruhr et de la réticence allemande à payer les Réparations, ce qui, dans une sorte de cercle vicieux, encourage, à partir des années 1923-24, la spéculation étrangère et ainsi la faiblesse monétaire. Jeanneney, semble croire que la France, dès 1920 38, était victime de la spéculation monétaire, fait qui affaiblit et déstabilisa le pays déjà amenuisé par la guerre. Cet article paru en 1978 ne suscita pas une interrogation neuve chez les auteurs qui se penchaient et se penchent encore sur la politique économique de la France des années 1920. Des ouvrages parus plus tard, comme celui de Benjamin F. Martin39 publié en 1999, dans lequel l’auteur affirmait que la spéculation sur le franc par les étrangers n’eut réellement cours qu’après l’occupation de la Ruhr 40, ne prirent pas en compte l’interrogation lancée par 36 Jean-Noël JEANNENEY, «De la spéculation financière comme arme diplomatique». Relations internationales (Paris), no 13, 1978, p. 17. 37 Tom KEMP, The French economy, 1913-1939. The history of a decline. New York, St. Martin's press, 1972. 183 pages. 38 39 Ibid. p.7 Benjamin F. MARTIN, France and the après guerre. Baton Rouge, Louisiana State University Press, 1999. 278 pages. 20 Jeanneney et continuèrent à retracer des sommaires chronologiques avec l’appui de quelques statistiques. Contexte historique : de Versailles à Dawes; histoire d’une rupture Dans leur ouvrage,41 Maurice Vaisse et Jean Doise affirment que la France, de 1919 à 1924, se présentait comme l’instrument de l’exécution du traité de Versailles et que, par la suite, les Accords de Londres et de Locarno l’obligèrent à se plier au principe plus généralement accepté de la sécurité collective.42 Cette affirmation défend la thèse d’une rupture dans la politique extérieure française qui semble admise dans l’historiographie des relations franco-allemandes, et avec laquelle nous sommes en désaccord. En effet, nous croyons plutôt à l’existence d’une volonté française de revoir l’ordre versaillais de 1919 à 1923 qui dut faire place, après l’échec de la France dans la Ruhr, à un retour à l’esprit de Versailles. Ainsi, alors que Vaisse et Doise traitent d’une rupture, nous parlons d’un recentrage versaillais. Le contexte historique qui suit cherchera à montrer la validité et la nature, ainsi que le moment où apparut ce que nous désignons le recentrage de la politique allemande de la France. Le traité de Versailles et l’ère des Réparations S’il semble admis par l’historiographie que l’Allemagne fut, en quelque sorte, responsable de l’élargissement mondial de la Grande Guerre, il serait faux de croire que la France ne tenta pas de profiter de celle-ci. En effet, au moment où la victoire semblait 40 41 42 Ibid., 226. Maurice VAISSE et Jean DOISE, op .cit. Ibid., p. 263. 21 probable, les politiciens français espérèrent annexer à la France la Rhénanie en plus de l’Alsace-Lorraine. 43 Toutefois, selon McDougall, la guerre se termina avant que la France puisse s’installer durablement dans la région, ce qui fit échouer le plan des militaires et des politiciens français.44 Son statut de puissance victorieuse ne l’émancipa pas du besoin de sécurité. Forte de sa victoire contre les puissances centrales en 1918, la France essaya d’appliquer son plan de détachement de la Rhénanie dans le règlement de la paix de juin 1919. En effet, ce détachement régional désiré par le maréchal Foch et le président Clemenceau, entre autres, était considéré comme une première étape dans le renforcement de la sécurité géographique de la France. Il est ainsi possible de constater une volonté et une possibilité pour la France de convertir sa victoire militaire en un ascendant politique sur sa voisine. Or, les Britanniques et les Américains, lui refusèrent cette prise de guerre. Lloyd George, afin de justifier la position anglo-saxonne, parlait de cette situation comme d’une répétition de l’affaire de l’Alsace-Lorraine à rebours.45 Cette divergence de vues reflète l’opposition entre trois grandes thèses lors des négociations qui ont menées au traité de Versailles. On retrouvait les idées nouvelles de Wilson d’équilibre par la négociation qui s’opposaient directement à une vision française d’une paix traditionnelle qu’assurait une stabilité mécanique. Les petits vainqueurs à l’image de la Belgique et de l’Italie, quant à eux, militaient pour un strict respect des engagements pris en temps de 43 44 Gérard UNGER, Aristide Briand, le ferme conciliateur. Paris, Fayard, 2005, p. 396. Walter A. MCDOUGALL, op. cit., p. 37. 45 Jacques BARIÉTY et Jacques DROZ, République de Weimar et régime hitlérien, 1918-1945. Paris, Hatier université, 1973, p. 18. 22 guerre.46 En dépit de ces différends apparents, les Alliés de guerre demeuraient, somme toute, solidaires face à l’Allemagne, lors de la Conférence de Paris de juin. Il est aisé d’en voir une preuve dans le refus collectif des Alliés, enchâssé dans le traité de SaintGermain, de l’Anschluss. En fait, les Alliés se montraient solidaires dans leur désapprobation de la volonté des deux peuples germanophones de se réunir dans l’immédiat après-guerre.47 Les Alliés restaient tout aussi solidaires lorsqu’on dut assurer la sécurité géographique de la France en dépit du refus anglo-saxon d’annexion française de la Rhénanie. En effet, la conférence veilla à assurer la paix franco-allemande par des dispositions avantageuses pour la France : la réduction de la Reichswehr à une armée de terre de 100 000 hommes, la dissolution de la Luftwaffe, la spoliation de la Kaiserliche Marine, la démilitarisation de la rive droite du Rhin et l’occupation militaire de la rive gauche.48. Dans le but d’assurer la mise en place et le maintien de ces mesures, les Alliés mirent sur pied la Commission interalliée de contrôle militaire sous présidence française. 49 Ces mesures, par conséquent, consacrèrent la France comme première puissance militaire européenne. Le traité de Versailles permit à la France de connaître un ascendant économique sur l’Allemagne. Avec le traité de paix, les Alliés détachaient de l’Allemagne des régions comme la Sarre, les cantons d’Eupen-Malmédy, l’Alsace-Lorraine, la Haute- 46 47 Pierre MILZA, De Versailles à Berlin, 1919-1945. Paris, Armand Colin, 1996, p. 16. Raymond POIDEVIN, L’Allemagne et le monde au XXe siècle. Paris, Masson, 1983, p. 79. 48 Jérôme DE LESPINOIS, « Sécurité et désarmement » dans Jacques BARIÉTY (dir.), Aristide Briand la Société des Nations et l'Europe, 1919-1932, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2007, pp. 92106 49 Stanislas JEANNESSON, op. cit., p.27. 23 Silésie ou encore le Schleswig, six pôles économiques allemands50; la plus prospère, la Sarre, se retrouvait sous contrôle international. La France, sans accaparer directement une part de la puissance industrielle allemande, l’affaiblissait assez pour améliorer sa position économique sur le continent. Versailles, sans donner à la France tout ce que souhaitaient les militants de la Machtpolitik française, amenuisait assez l’Allemagne pour les apaiser. Néanmoins, le point central des stipulations de Versailles demeurait les dettes de guerre, les Réparations, que devait l’Allemagne à ses anciens adversaires en vertu de l’article 231 du traité qui imputait au Reich la responsabilité de la guerre. C’est la France qui devait être la principale bénéficiaire des remboursements allemands. En effet, l’Allemagne se voyait forcée, dans la première année, à distribuer 40 millions de tonnes de charbon parmi les Alliés. De ce total, 27 millions de tonnes devaient aller vers la France. De plus, lorsque le montant des Réparations en marks-or fut connu en mai 1920, on promit à la France 52% des 132 milliards de mark-or.51 Il est permis de croire que la France fut, en dépit des refus anglo-saxons sur les questions territoriales, privilégiée à Versailles face à l’Allemagne. L’avantage qu’elle acquit était perceptible sur les plans économique, militaire et politique et lui permettait d’employer une politique de puissance à l’égard de l’Allemagne Or, les responsables français allaient se rendre rapidement compte que le rejet de la politique française de la Rhénanie par les Américains et les Britanniques ne serait pas leur seul refus, ce qui fut, selon nous, à la base du recentrage dans la politique allemande de la France. 50 51 Jacques BARIÉTY et Jacques DROZ, op. cit., p. 18. Stanislas JEANNESSON, op. cit., p.24. 24 La solidarité alliée et l’invasion de la Ruhr Nous croyons, comme Robert Frank,52 que la sécurité et la stabilité monétaire de la France dépendaient des Anglo-Saxons et, dans une moindre mesure, des Allemands; l’argent des Réparations était prévu au budget, ce qui mettait la France en situation de dépendance.53 En effet, dans un premier temps, sa sécurité géographique passait par des garanties anglo-saxonnes de défense en cas d’agression allemande et sa monnaie profita tout au long de la guerre de l’appui des banquiers américains et britanniques. Dès lors, l’élément central au maintien de l’équilibre financier de la France résidait dans la bonne foi des Anglo-Saxons et la solidarité alliée. Cependant, dans les mois qui suivirent la guerre, deux événements vinrent effriter cette solidarité. Tout d’abord, en mars 1919, les Anglo-Saxons retirèrent leur appui au franc. Cet appui avait permis à la France de survivre en temps de guerre (voir Tableau 1). Sauvy explique ce phénomène par l’allégorie de la « chaise retirée »54 Cette décision financière eut de lourdes conséquences sur la politique allemande de la France. Les dirigeants français se retrouvaient pressés d’élaborer un moyen d’assurer la stabilité économique du pays. C’est dans ce contexte que la formule « l’Allemagne paiera » de Klotz prenait tout son sens : les responsables français militeront pour une stricte exécution des stipulations de Versailles concernant les Réparations afin de maintenir l’équilibre financier de la France. 55 Ainsi, les dirigeants français qui voyaient disparaître leur ascendant économique sur l’Allemagne, allaient amorcer une politique qui perdura 52 Robert FRANK, La hantise du déclin. La France, 1920-1960 : finances, défense et identité nationale. Paris, Belin, 1994, p.150. 53 Raymond POIDEVIN et Jacques BARIÉTY, op. cit., p. 247. 54 Alfred Sauvy et Anita HIRSCH, Histoire économique de la France entre les deux guerres. Paris, Economica, 1984, p. 24. 55 Walter MCDOUGALL, op. cit., p. 73. 25 jusqu’en 1926; lorsque confrontés à une situation précaire, montrer le traité de Versailles comme un minimum, dans ce cas économique, infranchissable pour la France. Néanmoins, malgré cette vulnérabilité économique, la France conservait son ascendant politique et moral. L’échec de Wilson, en mars 1920, à faire ratifier le traité par le Sénat américain mit à mal les garanties américano-britanniques territoriales à l’égard de la France.56 Les Britanniques ne voulaient pas s’engager seuls face à la France.57Cette inaction inclinera la France à se montrer plus prompte à l’action dans le but d’assurer sa sécurité. En fait, nous croyons, tout comme Soutou58, que les actions comme l’invasion de la Ruhr ou la conclusion d’ententes bilatérales contractées avec la Pologne et la Tchécoslovaquie sont des réponses plus ou moins directes à ce refus d’engagement anglo-saxon. Ainsi la sécurité française, au même titre que la solidarité alliée, prit un dur coup de ces deux refus. Il serait faux, toutefois, de penser que la solidarité alliée devint obsolète dans l’immédiat après-guerre. Quelques exemples montrent une volonté d’entente entre les Français et les Britanniques : l’ultimatum conjoint de mai 1921 face à la temporisation de l’Allemagne à l’égard des Réparations; l’occupation interalliée des villes de Duisbourg, Ruhrort et Düsseldorf qui en découlait; le grand nombre de conférence internationale afin de désamorcer les situations complexes.59 Cette solidarité ne suffit 56 57 Maurice VAISSE et Jean DOISE, op. cit., p. 271. Jacques BARIÉTY, « Du projet d’alliance franco-britannique au projet de sécurité collective en Europe de Versailles à Locarno, 1919-1925 », dans Anne-Claire DE GAYFFIER-BONNEVILLE (dir.), Sécurité et coopération militaire en Europe, 1919-1955. Paris. L’Harmattan, 2004, p. 32. 58 Georges-Henri SOUTOU, « La notion de sécurité collective en Europe » dans Anne-Claire DE GAYFFIER-BONNEVILLE (dir.), op cit., p. 66. 59 Raymond POIDEVIN, op. cit., p.79. 26 pas comme dernier rempart à l’action isolée française. L’année 1921 fut marquée par la volonté de l’Allemagne de se voir octroyer, dans le cadre du traité de Versailles, un moratoire d’un an sur les paiements des Réparations. À cette proposition, le nouveau président du Conseil français Aristide Briand, élu en janvier 1921, se montrait favorable afin d’encourager un rapprochement franco-allemand. Les politiciens du Bloc national, notamment Raymond Poincaré et Alexandre Millerand, profitèrent de cette inclination de leur rival politique pour l’accuser de trahison et l’obliger à démissionner en janvier 1922.60 La démission de Briand permit à Poincaré, qui prônait la ligne dure à l’égard d’une Allemagne récalcitrante à payer, de s’installer au pouvoir.61 Il y avait pourtant un décalage entre ce que Raymond Poincaré déclarait dans un contexte électoral et ce qu’il voulait établir. En effet, alors qu’il se montrait intransigeant face à l’Allemagne, le président cherchait, selon Jeannesson, aussi à s’entendre avec le gouvernement de Weimar.62 Le mois d’avril 1922 passa à l’histoire à cause de la conférence qui eut lieu à Gênes. Les délégués français (Barthou), allemand (Wirth), britannique (Lloyd Georges) et soviétique (Tchitcherine) se réunirent afin de discuter des Réparations. En marge de cette conférence, l’accord de Rapallo fut signé entre Tchitcherine et Rathenau. Poincaré perçut ce geste comme une provocation et réclama son droit à répliquer «violemment». Avec Rapallo, l’Allemagne semblait bien avoir contourné les dispositions politiques de Versailles. Par conséquent, la France perdait son rapport de force sur le continent. 60 61 Gilles CANDAR, op. cit., p. 86. Pierre JOLLY, Dossier inédit...De la guerre de la Ruhr...de ses conséquences, Paris, La Pensée universelle, 1974, p.131. 62 Stanislas JEANNESSON, op. cit., p. 74. 27 Sur cette question, Bariéty avance63, tout comme Denise Artaud64, que l’invasion de la Ruhr était perçue par Poincaré comme un moyen de briser l’amorce d’un rapport de force politique mais aussi économique des Allemands dans les relations francoallemandes, appuyant ainsi la thèse qu’il cherchait une raison pour occuper la Ruhr. Selon nous, ce coup de force avait aussi comme objectif de démontrer et de préserver l’avantage politique et militaire de la France sur l’Allemagne. Pour calmer une situation qui s’envenimait, Wirth tenta de revenir au plan antérieur d’une entente entre sidérurgistes mais son principal négociateur et ministre des Affaires étrangères, Walter Rathenau, fut assassiné. Ce geste renforça la volonté de Poincaré d’agir contre l’Allemagne d’autant plus qu’il se convainquait de jour en jour que les Allemands provoquaient leur crise économique afin de ne pas avoir à payer les Réparations. 65(voir le Tableau 2) Ces deux événements, ajoutés aux demandes incessantes de l’Allemagne d’un moratoire sur les Réparations, modifieront l’attitude de Poincaré. En fait, le décalage entre ses déclarations publiques et sa volonté s’amenuisait : à partir de l’automne 1922, il considérait sérieusement l’invasion de la Ruhr66 où s’était recentrée et reconstruite la grande industrie allemande à la suite des amputations du traité de Versailles. D’un autre côté, il est admis que Poincaré se sentit isolé par rapport à ses anciens alliés de guerre puisque le président américain Harding annonça son intention d’aider économiquement l’Allemagne et, qu’avec son allié britannique, ils demandèrent à la France le 63 64 Jacques BARIÉTY, op. cit., p.168. Denise ARTAUD, op. cit., p.84. 65 Walter MCDOUGALL, op. cit., p. 135. 66 Stanislas JEANNESSON, op. cit., p. 87. 28 remboursement des dettes de guerre.67 Ainsi, se sentant isolé des Anglo-Saxons et échaudé par une Allemagne qui lui semblait abusivement arrogante, Poincaré n’attendait qu’un prétexte pour agir.68 Le contexte en France et sa politique de puissance lui permettait encore de mettre de l’avant cette occupation de la Ruhr. Or, le nouveau Premier ministre britannique, Bonar Law, qui avait remplacé Lloyd George le 15 novembre 1922, se montrait plus enclin à la détente avec la France69 que son prédécesseur et, alors qu’il sentait qu’il perdait le contrôle de la situation, il organisa une conférence à Paris au début janvier 1923. Dans le cadre de cette conférence, Bonar Law présenta son plan qui consistait en l’annulation par la Grande-Bretagne des créances françaises en échange d’un amoindrissement de la dette allemande à l’égard de la France. Conjointement, la France, l’Italie et la Belgique contestèrent ce plan qu’elles jugeaient trop favorable à la vaincue.70 La France, quant à elle, n’était pas préparée à voir disparaître 38 milliards de marks-or en Réparations. 71 Suite à cette impasse, la Conférence de Paris fut ajournée; elle n’aura duré que deux jours, du 2 au 4 janvier 1923. À peine cinq jours plus tard, le 9 janvier, les experts belges, français et italiens, devant la Commission des réparations, confirmèrent un manquement au paiement de la part des Allemands, qui, assez ironiquement, durait depuis 1920. 72 67 68 Robert FRANK, op. cit., p.151. Georges-Henri SOUTOU, «Le coke dans les relations internationales en Europe de 1914 au plan Dawes (1924)». Relations internationales, no. 43, automne 1985, p. 260 69 70 Stanislas JEANNESSON, op. cit., p. 117 Étienne WEILL-RAYNAL, op. cit., p.43. 71 Stanislas JEANNESSON, op. cit.. p. 123. 72 Georges-Henri SOUTOU, «Le coke dans les relations internationales en Europe de 1914 au plan Dawes (1924)». Relations internationales, no. 43, automne 1985, p. 260 29 La thèse du prétexte semble vérifiable selon une approche économique des raisons qui ont poussé Poincaré à l’occupation de la Ruhr. En effet, selon Soutou, malgré des livraisons en nature et des paiements en dents de scie, la fin de l’année 1922 fut particulièrement faste en remboursements, surtout au niveau du coke.73 D’un autre côté, il est admissible que Poincaré, à l’approche de la date fatidique du 10 janvier 1925 où l’Allemagne recouvrerait sa souveraineté commerciale, ait voulu s’assurer un marché en ouvrant la Ruhr de force alors que la France était la première puissance continentale. Les besoins annuels de charbon de la France pour la production de l’acier équivalaient à environ 9 millions de tonnes sur lesquelles elle en produisait 4. Ainsi, elle devait élaborer le moyen de se procurer les 5 millions de tonnes manquantes.74 Par conséquent, l’entrée dans la Ruhr des troupes françaises marque certainement le zénith de la puissance française à l’égard de l’Allemagne. Par son caractère d’action unilatérale, cette invasion se montre aussi comme le reflet d’une politique de puissance, d’une Machtpolitik à la française. Comme le voulait Louis Loucheur, on mettait l’Allemagne à genoux. 75 À partir de ce moment, la situation de la France en tant que grande puissance ne pouvait que se dégrader. Poincaré fut déçu de la tiédeur de l’engagement belge dans l’occupation de la Ruhr. Il semble que la politique extérieure de la Belgique, élaborée par Henri Jaspar, ministre des Affaires extérieures, ainsi que par le premier ministre George Theunis, 73 74 Ibid. p.258. Ibid. p.261. 75 David SAINT-PIERRE, Maurice Laporte. Une jeunesse révolutionnaire. Du communisme à l'anticommunisme (1916-1945), Québec, Presses de l’université Laval, 2006, p.51. 30 voulait ménager la Grande-Bretagne76 tout en conservant son lien privilégié avec la France. Ainsi, les Belges préféraient une action rapide et énergique afin de ne pas « cultiver les dangers ». 77 La Belgique craignait aussi les objectifs économiques français à long terme puisque ceux-ci pouvaient se révéler nuisibles à son économie en ce sens que la France aurait sous la main un charbon abordable en grande quantité. L’autre alliée française lors du désaccord de Paris de janvier 1923, l’Italie de Mussolini, se montrait très opportuniste en ménageant la France pour le charbon, tout en ne participant pas directement à l’occupation78; son soutien était plutôt moral. La Grande-Bretagne adopta une politique de neutralité bienveillante afin de favoriser une éventuelle détente avec la France. Ainsi, dans une certaine mesure, au plan de la politique extérieure, la France se voyait rapidement isolée par et à cause de son action dans la Ruhr. Cet isolement se révélera être un terreau propice pour le recentrage de la diplomatie française à l’égard de l’Allemagne. La politique allemande de résistance passive consacra l’échec de l’occupation de la Ruhr et le déclin de la France. En effet, alors que cette dernière voulait rendre l’action militaire productive en mettant l’industrie allemande à contribution, la résistance passive engendra le contraire. Un exemple de la contre-productivité de cette entreprise réside dans le comportement des grandes banques allemandes et du gouvernement de Weimar. Les deux laissèrent libre cours à l’inflation et la dévaluation de la monnaie; alors qu’un mark valait, en novembre 1922, 8429 dollars il était l’équivalent de 4,2 milliards de 76 77 Stanislas JEANNESSON, op. cit.. p. 129. Ibid. p. 229. 78 Ibid. p. 246. 31 dollars un an plus tard.79 Le nouveau chancelier allemand, Gustav Stresemann, mit fin à la résistance passive le 7 octobre 1923 en signe de bonne foi et de sa volonté de négocier avec les Alliés. La résistance passive avait fait son œuvre en soutirant tout profit à l’occupation de la Ruhr et en accentuant les tensions entre les Alliés. Stresemann réussit aussi, avec la création du Rentenmark, à stabiliser les finances allemandes, tout en produisant un retour de la confiance. Cette nouvelle stabilité força la France à accepter la souveraineté économique de Berlin même dans les zones occupées, véritable cheval de bataille de la France dans le but de conserver une prépondérance sur l’ancienne vaincue. L’Alliance, en s’effritant, laissait, à chaque jour, une France plus isolée et affaiblie; elle passait ainsi de victorieuse de la guerre à adversaire de la paix. Déjà mise à mal en 1923, la situation de la France continuera à décliner au courant de l’année 1924, ce qui l’obligea à revoir sa façon d’agir sur le plan international, laquelle se retourna inéluctablement vers l’esprit conciliant de Versailles. Le Plan Dawes et les Accords de Locarno : le recul de la France Les premiers mois de l’année 1924 coïncident avec l’amorce du déclin de la France qui la mènera jusqu’à la défaite de sa politique de puissance avec les conclusions du Plan Dawes. Ces conclusions, selon nous, avec l’approbation des responsables français, marquaient le début du recentrage de politique allemande de la France vers l’esprit de Versailles. Les causes de la perte d’influence de la France résident aussi bien dans la politique intérieure du pays que dans le contexte international. En ce qui concerne les causes internes, les questions économiques sont primordiales. L’économie et les finances 79 Walter MCDOUGALL, op. cit., p. 316. 32 étaient en état de crise suite aux coûts engendrés par l’occupation de la Ruhr et, la résistance passive qui avait annulé tout profit.80 Les Allemands, dans le contexte de la résistance passive, se livrèrent à la spéculation sur le franc. En effet, on utilisait les marchés de Rotterdam et de Vienne afin de vendre massivement la monnaie française en plus de l’interdire en Rhénanie. Cette initiative eut comme résultat une dévaluation majeure de la devise qui passa à une livre pour cent francs sur les cours internationaux. 81 Le gouvernement Poincaré tenta de stabiliser la situation financière en faisant voter, le 24 février 1924, le « double décime », une augmentation de 20% des impôts sur le revenu qui n’eut pas les effets escomptés.82 Cet échec et la chute du franc poussaient la France à se tourner ver les gouvernements anglo-saxons dans l’optique de se voir octroyer un prêt afin de relancer l’économie française. Les dirigeants américains et britanniques étaient mécontents de l’action unilatérale française de 1923 et refusèrent leur appui au gouvernement de Poincaré. 83 Les responsables de la France durent se tourner vers la Banque Morgan84 à qui la France avait emprunté massivement au cours de la Grande Guerre.85 La banque américaine consentit à la France un prêt de 100 millions de dollars qui était assujetti à des conditions contraignantes.86 D’un côté, une condition importante provenait de la banque elle-même; on tenait, comme garantie, à avoir accès aux livres de comptes et aussi à avoir un droit de regard sur tout ce qui se passait à la Banque de France. Cette mesure mettait 80 Fabrice GRENARD, Histoire économique et sociale de la France, de 1850 à nos jours. Paris, Ellipses, 2003, p.115. 81 Stanislas JEANNESSON, op. cit., p. 388. 82 Alfred SAUVY et Anita HIRSCH, op. cit., p.28. 83 Fabrice GRENARD, op. cit., p.115. 84 Ibid. p.24. 85 Dan SILVERMAN, Reconstructing Europe after the Great War. Boston, Harvard University Press, 1981, p.199. 86 Stephen A. SCHUKER, op. cit., p.155. 33 la Banque en tutelle sous l’autorité du banquier américain. 87 Le prêt était aussi conditionnel à l’autorisation du gouvernement américain. En 1921, l’administration Coolidge avait décidé que tous les prêts consentis à des organismes étrangers par les banques privées américaines devaient être, avant tout, approuvés par le Sénat, ce qui donnait ainsi un moyen de pression important au gouvernement étatsunien.88 La crise économique de la France l’avait fortement assujettie à l’allié américain, en plus de l’affaiblir au point de vue international. 89 Le graphique suivant montre la chute du franc enregistrée en 1924 suite aux coûts de l’opération de la Ruhr et de la spéculation sur la monnaie française. Graphique 1 Valeur du Franc par rapport à la livre et au dollar 300 250 200 150 100 50 0 Valeur Franc/£ Franc/$ Mois et années Source : Institut national de la statistique et des études économiques pour la métropole, et Institut national de la statistique et des études économiques. Annuaire statistique de la France. Paris. 1928. 87 88 Alfred SAUVY et Anita HIRSCH, op. cit., p. 35. Stephen A. SCHUKER, op. cit., p.125. 89 Sur ce la dépendance économique de la France aux Etats-Unis à partir de 1924, se référer à l’ouvrage de Stephen A. SCHUKER. 34 Les conséquences de l’occupation de la Ruhr allèrent plus loin que la seule politique économique; elles atteignirent aussi la politique au sens propre. En fait, 1924 était une année d’élections en France et l’occupation de la Ruhr prit une grande place dans les campagnes électorales. L’échec de l’opération semblait se confirmer et le fardeau de la faute choirait sur les épaules de Poincaré. De plus, le chaos financier et économique le rendait très impopulaire de telle sorte qu’Édouard Herriot, chef du Cartel des gauches, fut nommé président du Conseil le 11 mai 1924. La défaite du Bloc National de droite de Poincaré correspondait à une certaine lassitude, dans l’opinion publique, face à la droite.90 Néanmoins, le virage vers la gauche ne fit rien pour restaurer la puissance de la France sur la scène internationale. À prime abord, ces élections ne permirent pas aux politiciens français de stabiliser la situation financière et les investisseurs n’avaient pas confiance dans une administration dirigée par des socialistes d’autant plus que le nouveau président n’était pas reconnu comme un grand administrateur sur le plan économique. 91 Qui plus est, cette crise de confiance culmina à son tour en une crise économique qui perdura jusqu’en 1926 (voir le graphique 1). Elle résultait de la vente massive, par les détenteurs, des émissions de la Banque de France. 92 Ainsi, avec l’élection d’Herriot et la situation financière difficile, il est aisé de constater que le contexte intérieur français n’aidait en rien le maintien d’une politique extérieure autonome et efficace. Sur la scène internationale, la France de Herriot, beaucoup moins agressif que Poincaré à l’égard de l’Allemagne, subissait d’énormes pressions, principalement de la part de ses alliées de guerre. En fait, les financiers anglo-saxons désireux d’investir en 90 Frédéric MONIER, « Cartel des gauches et gouvernements radicaux (1924-1926 et 1932-1934) » dans Jean-Jacques BECKER et Gilles CANDAR (dir.), Histoire des gauches en France. Volume 2 ; XXe siècle : à l’épreuve de l’histoire, La Découverte, Paris, 2004, p. 228. 91 Alfred SAUVY et Anita HIRSCH, op. cit., p. 40. 92 Fabrice GRENARD, op. cit., p.116. 35 Allemagne afin de profiter d’un contexte favorable (le dollar et la livre étaient beaucoup plus puissants que le mark, voir le tableau 1) se montraient réticents puisqu’on constatait, avec l’occupation de la Ruhr, que Weimar demeurait à la merci de la France. C’est dans ce contexte que les puissances anglo-saxonnes décidèrent de former la Commission Dawes en janvier 1924 avec comme objectif de transformer le contentieux politique franco-allemand en une simple question économique.93 La décision française d’y prendre part fut prise par Poincaré malgré qu’il fusse conscient que la France ferait probablement les frais des conclusions de la commission; mais sa situation lui interdisait d’y renoncer.94 En effet, le prêt octroyé par la Banque Morgan à la France lui liait les mains. De plus, nous croyons que la France avait tout avantage à négocier avec ses alliés et l’Allemagne alors qu’elle en avait encore la possibilité. Poincaré était conscient qu’il devait se montrer prêt à la conciliation afin de ne pas voir les acquis de guerre français annulés dans le redressement de l’Allemagne et la liquidation, par les Anglo-Saxons, de la politique de puissance de la France. L’approbation française de la tenue de la commission représente, selon nous, la première étape du recentrage versaillais de la politique allemande de la France. Après près de quatre ans d’opposition directe et la coûteuse occupation de la Ruhr, Raymond Poincaré décida, sous la pression intérieure et extérieure, de négocier avec les Anglo-Saxons le nouveau sort de l’Allemagne sous Stresemann. Un autre événement diplomatique montra l’isolement de la France à l’égard de ses alliés de guerre. Le ministre tchèque des Affaires étrangères, Eduard Benes, proposa au printemps 1924 le Protocole de Genève qui contraignait tous les pays européen à l’arbitrage en cas de conflit, avec une menace de représailles internationales en cas de 93 94 Georges CASTELLAN, L’Allemagne de Weimar, 1918-1933. Paris, Armand Colin, 1969, p. 329. Pierre MILZA, Les relations internationales de 1918-1939. Paris, Armand Colin, 2003, p.65. 36 violation du Protocole. 95 Cette proposition répondait aux demandes de garanties et de sécurité de la France mais elle fut rejetée assez rapidement par la Grande-Bretagne et ses dominions qui ne voulaient pas se voir obligés, le cas échéant, d’intervenir en Europe.96 La conférence de Londres de juillet 1924 s’ouvrait alors que la France était isolée et affaiblie par un contexte qui ne lui semblait pas favorable. La conférence de Londres et le Plan Dawes furent une victoire de l’Allemagne sur la scène internationale et aux dépens de la Machtpolitik française. La politique de Stresemann fut facilitée par la situation de la France. Ainsi, à Londres, l’économie et les finances allemandes furent relancées grâce à un prêt de 800 millions de marks octroyé par les Anglo-Saxons. Cet emprunt permit à l’Allemagne de stabiliser son système financier, ce qui l’autorisa, du coup, à mettre de l’avant une politique plus active et moins dépendante des vainqueurs de la Grande Guerre. Une démonstration de ce nouveau contexte résidait dans le fait que l’Allemagne ne subissait plus les conférences mais devait y être invitée en bonne et due forme. La victoire de Weimar sera confirmée, de plus, par la promesse française, sous pression anglo-saxonne, d’évacuer la Ruhr et la rive gauche du Rhin dans un délai d’un an. 97 Le Plan Dawes rendit aussi le montant total des Réparations complètement illusoire. En effet, on fixait des annuités qui devaient commencer à un milliard de marks en 1925 pour augmenter jusqu’en 1928 où elles devaient atteindre 2,5 milliards de marks. Or, le Plan Dawes n’établissait pas le nombre total d’annuités que les Allemands devaient payer en guise de Réparations. Le Plan du général américain donnait, en plus, à l’Allemagne un moratoire d’un an sur ses 95 Jean-Baptiste DUROSELLE, Histoire diplomatique de 1919 à nos jours. Paris, Études politiques, économiques et sociales, 1978, p. 79. 96 Ibid. p.80. 97 Raymond POIDEVIN et Jacques BARIÉTY, op. cit., p. 264. 37 paiements.98 Cette stipulation était très coûteuse pour la France qui était en pleine reconstruction.99 La dernière preuve de la victoire allemande apparaît dans la proposition que fit la Grande-Bretagne pour l’adhésion de l’Allemagne à la SDN.100 Les conclusions de la conférence de Londres, enchâssées dans le Plan Dawes du 4 septembre 1924, montraient à quel point la perte de puissance de la France lui fut coûteuse sur la scène internationale. Cette dégradation aida l’Allemagne à détendre le carcan du traité de Versailles. James McMillan avance que « the adoption of the Dawes Plan, agreed to at the London conference of 1924 by Poincaré’s successor, Herriot, signaled the failure of the Treaty of Versailles to contain Germany and prevent her eventual recovery.»101 La France isolée et affaiblie se voyait obligée, par la négociation avec l’ennemi de guerre, de mettre un terme à sa Machtpolitik et de lui faire des concessions. L’isolement et le recul de la politique de puissance de la France se poursuivirent aussi avec les Accords de Locarno. À prime abord, la simple tenue de la conférence de Locarno émergeait d’un rapprochement germano-britannique. 102 C’est l’ambassadeur britannique à Berlin, Lord D’Abernon, qui proposa à Stresemann de publier sa note du 9 février dans laquelle le ministre allemand établit les grandes lignes de ce que sera Locarno.103 Conséquemment, lors de la conférence d’octobre 1925, la France se voyait obligée d’être conciliante à l’égard de l’Allemagne afin de demeurer dans les bonnes 98 Simon RAINVILLE, Le révisionnisme allemand sous Stresemann à travers les yeux des journalistes du London Times, 1924-1929. Montréal, Université de Montréal, 2007, p.36. 99 John HIDEN, Germany and Europe 1919-1939. Londres, Longman, 1977, p.54. 100 Christian BAECHLER. Gustave Stresemann (1878-1929). Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, Les mondes germaniques, 1996, p. 511. 101 James McMILLAN, Dreyfus to De Gaulle; Politics and society in France, 1898-1969, New York, Edward Arnold, 1985, p. 95. 102 Georges-Henri SOUTOU, « La notion de sécurité collective en Europe » dans Anne-Claire DE GAYFFIER-BONNEVILLE (dir.), op. cit., p. 67. 103 Raymond POIDEVIN et Jacques BARIÉTY, op. cit., p. 266. 38 grâces de l’allié britannique. 104 Le contexte forçait la France, en l’obligeant à s’asseoir avec les Anglo-Saxons et les Allemands, à recentrer sa diplomatie sur l’esprit émanant du traité de paix de 1919. Un an après l’annonce des conclusions du Plan Dawes, les Accords de Locarno furent une autre victoire pour la politique étrangère allemande malgré le fait qu’ils énonçaient une garantie des frontières françaises. Les Accords comprenaient un Pacte rhénan qui stipulait le statu quo sur la zone du Rhin en plus de laisser les frontières des pays de l’Europe de l’Est alliés de la France (Pologne et République tchèque) dans un vide juridique profitable à l’expansion de l’Allemagne. 105 Les Anglais s’engagèrent à l’évacuation de la zone de Cologne et laissaient ouverte la possibilité, pour les Allemands, de racheter les cantons d’Eupen-Malmédy106, créant ainsi un précédent pour l’Alsace-Lorraine. À l’image du Protocole de Genève de Benes de 1924, les Accords de Locarno soumettaient tous les signataires à l’arbitrage international en cas de conflit et à des représailles en cas de non-respect de cette clause. Or, l’Allemagne était exemptée de toute action militaire en raison de l’obligation qu’elle avait de désarmer suite au traité de Versailles. On garantissait à l’Allemagne, dernièrement, un siège à la SDN. D’un autre côté, la France eut droit à quelques concessions, telles que la renonciation allemande à toute revendication sur l’AlsaceLorraine ainsi que la reconnaissance de ses ententes avec la Pologne et la République tchèque, même si ces relations étaient mises à mal par le Pacte rhénan. La GrandeBretagne s’engagea aussi avec la France dans une alliance défensive vidée de substance par le Pacte rhénan et la SDN qui stipulait l’arbitrage.107 Ainsi, Locarno, tout comme 104 105 Jacques NÉRÉ, La Troisième République, 1914-1940. Paris, Armand Colin 1972, p.70. Simon RAINVILLE, op. cit., p. 54. 106 George CASTELLAN, op. cit., p. 332. 107 Simon RAINVILLE, op. cit., p. 53. 39 Londres, fut une étape de plus dans le déclin de la politique de puissance française à la suite de l’occupation de la Ruhr 108. McDougall affirmait que : «[t]he period of european peacemaking from 1924 to 1925 was one of utter defeat for French revisionism, for a stabilization based on material guarantees of a balance of power»109. La dégradation du standing international de la France se perpétua en 1926 mais l’année se conclut avec une stabilisation de la situation à l’automne. En fait, dans les premiers mois de l’année la France fut contrainte d’évacuer la Ruhr et la Rhénanie110 mais aussi de laisser tomber son allié polonais afin d’encourager de bonnes relations avec l’Allemagne.111 Néanmoins, le 24 avril 1926, cette dernière signa avec la Russie soviétique le traité de Berlin qui confirmait le traité de Rapallo.112 Une action de ce type montrait bien que l’Allemagne reprenait peu à peu sa stabilité et sa vigueur sur le plan international. Son entrée à la SDN le 10 septembre 1926 consacrait sa victoire morale ainsi que l’institutionnalisation de ses volontés révisionnistes. 113 Pourtant, les finances de la France, après avoir connu leurs pires semaines en juillet 1926, alors que la livre s’approchait de 250 francs (se référer au graphique 1), se stabilisa avec le retour aux affaires de l’instigateur de l’occupation de la Ruhr, Raymond Poincaré. Son retour, accompagné d’une myriade de mesures fiscales à l’automne, restaura la confiance et relança l’économie française après deux années d’instabilité aussi bien financière que 108 Traian SANDU, « Tableau géostratégique européen au lendemain de Locarno » dans Jacques BARITÉTY(dir.), Aristide Briand la Société des Nations et l'Europe, 1919-1932. Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 2007, p.114. 109 110 Walter MCDOUGALL, op. cit., p. 372. Simon RAINVILLE, op. cit., p. 56. 111 Raymond POIDEVIN et Jacques BARIÉTY, op. cit., p. 261. 112 George CASTELLAN, op. cit, p. 335. 113 Jonathan WRIGHT, Gustav Stresemann; Weimar’s greatest statesman. Oxford, Oxford University press, 2002, p. 375. 40 politique sous le Cartel des gauches.114 Cette stabilisation permit à la France de recourir à une politique extérieure plus autonome, mais toujours conciliante, comme le montre la signature, le 30 septembre 1926, de l’Entente internationale de l’acier qui cartellisait la sidérurgie européenne d’une façon équitable. Cette entente fixait des quotas à tous les pays producteurs de manière à mieux réguler le commerce de l’acier.115 Cette dernière action montrait bien la volonté, ou l’obligation, des Français et des Allemands de traiter entre eux à titre d’égaux. Cette action découle aussi, probablement, de l’égalité politique symbolisée par l’admission de l’Allemagne à la SDN. Le graphique suivant montre l’évolution du déficit français depuis le traité de Versailles jusqu’au retour de Poincaré. Il est aisé de percevoir un pic à l’année 1923 : Graphique 2 30000 25000 20000 15000 10000 5000 0 1919 1920 1921 1922 1923 1924 1925 1926 Déficit en millions de … Déficit en millions de francs Source : Institut national de la statistique et des études économiques pour la métropole, et Institut national de la statistique et des études économiques. Annuaire statistique de la France. Institut national de la statistique et des études. Paris. 1927 114 Tom KEMP, The French Economy, 1913-1939; The history of a decline. New York, St. Martin's press, 1972, p. 79. 115 Jacques BARIÉTY, « Le rôle d’Émile Mayrisch entre les sidérurgies allemande et française après la Première Guerre mondiale », Relations internationales, 1974, n° 1, p. 134. 41 Ainsi, il est aisé de constater qu’un recentrage dans la politique allemande de la France est avéré après l’occupation de la Ruhr. Alors que la France trônait comme la première puissance continentale de 1919 à 1923, l’action de Poincaré, le contexte international et l’instabilité intérieure forcèrent les Français à tempérer leur politique allemande au tournant de l’année 1924. D’une politique de puissance qui mettait de l’avant des actions de force françaises unilatérales, la France passa après l’occupation de la Ruhr à une politique de conciliation à l’égard de ses alliés et de son principal adversaire. Ce nouveau penchant pour la négociation s’inscrivait, selon nous, dans la volonté française de retourner à l’esprit du traité de Versailles afin de ne pas en perdre les acquis. Chapitre deuxième. La perspective des trois journaux de 1919-1923 La presse, en plus de transmettre l’actualité, véhicule des opinions, des perceptions ainsi que des idéologies. Le présent chapitre s’intéressera au traitement journalistique réservé à la question de la politique allemande de la France du traité de Versailles à janvier 1923, et cela dans trois grandes publications. Cette étude recherchera si la presse révèle des velléités de révisions ou des critiques du traité de Versailles. Le cas échéant, nous tenterons de montrer si l’idéologie véhiculée par les trois journaux avait une influence sur l’interprétation de ce révisionnisme. Nous nous sommes attardés à la couverture des grands événements internationaux comme les conférences ou les signatures d’accords puisque, dans ces circonstances, la presse se voyait aiguillée vers l’actualité internationale. En fait, l’analyse, dans ce chapitre, sera constituée de la mise en exergue des perceptions, parfois doctrinaires, des trois journaux des principaux événements diplomatiques. Nous nous pencherons sur le vocabulaire, la rhétorique et 42 l’approche utilisés par chacun des périodiques dans leur couverture de l’actualité diplomatique dans l’optique de montrer l’idée directrice des trois journaux. Il sera ainsi possible de constater comment l’idéologie et les attaches intellectuelles d’un journal peuvent en modifier le contenu. Comme l’affirme avec beaucoup de justesse Pierre Albert, il est difficile d’analyser le lectorat d’un journal en raison des conceptions culturelles et politiques propres à chacun des lecteurs.116 Or, il demeure concevable d’inférer le message et les croyances politiques que les journalistes, les rédacteurs veulent faire passer en étudiant la rhétorique d’un périodique sur la longue durée. La politique allemande de la France de 1919 à 1923 était celle qui avait été lancée par Clemenceau dès la fin de la guerre; l’institution d’une paix traditionnelle et mécanique.117 On voulait le maximum pour la France et le traité de paix semblait n’être qu’une base, surtout en matière se sécurité, qu’on devait dépasser. Or, sur le plan des Réparations, les responsables français voyaient d’un bon œil une stricte exécution du traité puisque celle-ci l’avantageait grandement : la France s’était vue promis 52% du total des dettes de guerre allemandes. 118 L’indiscipline allemande en ce qui concerne le paiement des Réparations poussa la France à opter pour une politique de puissance qui avait pour but de s’accaparer directement de ce que les politiciens de l’Hexagone considéraient leur, même si certaines mesures devaient contourner ou dépasser les stipulations du traité de 1919. La difficile situation économique intérieure de la France encourageait aussi ses responsables à chercher des solutions, comme la prise de la Ruhr, 116 117 Pierre ALBERT, La presse française. Paris, La documentation française, 2008, p.109. Pierre Milza, op. cit., p.16 118 Stanislas Jeannesson, op. cit., p.24 43 afin d’enrayer les troubles conjoncturelles. Ainsi, la politique traditionnelle de Clemenceau et Foch de la recherche d’un rapport de force sur l’Allemagne prit tout son sens jusqu’en 1923. L’Humanité : journal français hostile à la politique française Fondé en 1904 par Jean Jaurès119 le journal L’Humanité visait le mouvement socialiste dans son ensemble avant la scission du congrès de Tours de 1920 qui vit s’opérer la division entre les socialistes et les communistes.120 Après la scission, L’Humanité devint l’organe du Parti communiste français, fortement lié à la IIIe internationale.121 Conséquemment, l’actualité fut souvent couverte et traitée sous un angle révolutionnaire, antirépublicain et, dans une certaine mesure, anti-gouvernementale par le rédacteur en chef Marcel Cachin, mais aussi par des éditorialistes tels qu’André Pierre ou Pierre Louis. En ce qui concerne la période qui allait de la signature du Traité de Versailles à l’occupation de la Ruhr, les éditorialistes de L’Humanité dépeignirent la France comme un pays faible face à l’Allemagne ainsi qu’à la Russie, et isolé de ses alliés malgré sa victoire dans la Grande Guerre. Ils qualifiaient aussi la paix de Versailles de coup de force de l’impérialisme bourgeois. Ainsi l’opinion dominante des journalistes du quotidien communiste à l’égard du traité de Versailles répondait globalement à leur idéologie. En effet, puisque la paix émanait des pays libéraux et démocrates elle ne pouvait pas se révéler juste. De façon générale, le journal s’opposait aux grandes lignes 119 Jean-Noel JEANNENEY, « Jean Jaurès fonde L’Humanité; http://www.culture.gouv.fr/culture/actualites/celebrations2004/lhuma.htm. 120 Raymond MANEVY, op. cit., p.161. 121 19 avril 1904 », Ibid., p.162. 44 du traité de Versailles puisqu’il semblait abusif pour certains peuples qu’on jugeait victimes de l’impérialisme des puissances victorieuses. Les journalistes de L’Humanité montraient, de façon quelque peu doctrinaire, cet impérialisme comme le grand perdant des conférences internationales de l’immédiat après-guerre. La couverture de la conférence de Paris de juin 1919 par L’Humanité révélait un certain pro-germanisme qui semblait servir l’anti-républicanisme du journal plutôt que d’être un véritable témoignage d’une empathie de l’éditorialiste envers l’Allemagne. En fait, le journal eut une tendance surprenante à faire passer cette dernière pour la victime du dernier grand conflit. Les journalistes affectés à la couverture de la conférence utilisèrent de façon redondante des termes qui laissèrent cette impression. On parlait de chaos122 et de marasme en Allemagne.123 On qualifiait la paix de Versailles d’imposition par les Alliés et la France de la « force physique et de la violence »124 visait à écraser injustement par la paix un pays affaibli par la guerre.125 On affirmait aussi que la véritable instigatrice du déclenchement de la dernière guerre n’était pas, comme l’affirmait la majorité des gens, l’Allemagne, mais bien la Russie des Tsars. 126 Cela se révélait être une explication bien logique pour un journal qui promouvait la révolution et l’anti-impérialisme. On accusait ainsi la France d’avoir appuyé un pays antirévolutionnaire et un « bourreau des peuples »127. Fait à noter, les journalistes ne faisaient pas mention des événements de Scapa Flow où l’amirauté allemande a préféré saborder une partie de sa flotte plutôt que de la livrer à la Grande-Bretagne comme 122 123 Camille Huysmans, « La situation en Allemagne », L’Humanité, 20 juin 1919, p.1. Maurice Delpine, 22 juin 1919, « Un ministère Bauer? », L’Humanité, 22 juin 1919, p.1. 124 Amédée Dunois, 25 juin 1919, « La paix est faite », L’Humanité, 25 juin 1919, p.1. 125 Anonyme, « L’Allemagne est invitée à faire connaître ses délégués », L’Humanité, 26 juin 1919, p.1. 126 André Pierre, « Le droit prime la force », L’Humanité, 27 juin 1919, p.1. 127 Idem. 45 stipulé dans le traité de Versailles. On ne tenait pas à montrer les dérapages de l’Allemagne. Cette dernière omission, ajoutée au traitement du rôle de la France et de l’Allemagne dans le déclenchement de la guerre ainsi que sur l’établissement de la paix, montre bien la tendance qu’avait L’Humanité à présenter les Allemands comme les victimes de l’impérialisme allié qui était matérialisé par le traité de Versailles. Ainsi, assez rapidement, L’Humanité se montrait virulente à l’égard de la paix de 1919. La perception des journalistes de la conférence de San Remo du 19 au 26 avril 1920 de L’Humanité prit une tangente bien différente que celle qui avait cours au moment de la signature du traité de Versailles. Le journal se penchait sur la désunion qui régnait au sein de l’alliance de guerre afin de montrer l’isolement de la France sur la scène internationale. Dès les premiers jours de la conférence, il notait que la GrandeBretagne et l’Italie étaient en accord avec les Américains qui s’opposaient à la politique rhénane de la France. L’Humanité qualifiait cette dernière politique d’impérialisme de la part du Bloc national. 128 L’usage répété du terme impérialisme dans la rhétorique du journal dénote assurément une volonté de transmettre et justifier la doctrine communiste dans le traitement journalistique de L’Humanité. Enfin, la responsabilité de l’isolement déclaré de la France reviendrait à, justement, cette politique impérialiste. D’une façon complémentaire, Paul Louis tendait à minimiser les rapports officiels entre la France et la Grande-Bretagne. Après une rencontre privée entre le président Millerand et le Premier ministre Lloyd George, Louis avança dans son éditorial que cette 128 André Pierre, « La mésentente à San Remo », L’Humanité, 21 avril 1920, p.3. 46 réunion n’eut aucun effet en ajoutant que la France se retrouvait plus isolée qu’en 1815 à la veille de la défaite de Napoléon. 129 Nous pourrions expliquer cette interprétation de Louis par sa mauvaise foi envers le gouvernement français mais elle correspond à une rhétorique plus large qui se basait et proclamait l’isolement de la France au sein de l’Entente. En fait, le journaliste faisait entendre à ses lecteurs que cette solitude empêcherait, éventuellement, la France de freiner les révisions de l’ordre versaillais voulues par l’Allemagne puisque les Alliés défendraient cette dernière. 130 Ainsi, de la conférence de Paris à celle San Remo, l’Allemagne passa de victime de la paix à bourreau de la France dans l’après-guerre. Ce revirement, selon les journalistes de L’Humanité, était imputable à l’incompétence des politiciens français sur la scène internationale.131 On tenait apparemment à montrer la faiblesse de la France dans le but de discréditer ses actions comme la signature du traité de Versailles. La conférence de Spa du 2 au 16 juillet 1920 connut un traitement semblable à San Remo. En effet, Paul Louis et André Pierre continuaient d’affirmer la désunion dans l’Entente et l’isolement de la France mais aussi un certain regain de puissance de l’Allemagne sur la scène internationale. Ce regain était tributaire, dans leur argumentaire, du déclin de la France. Pour montrer la disparition de la solidarité alliée, Paul Louis persista à montrer toutes les divergences existant entre la France et la GrandeBretagne.132 Cependant, il semblait décidé à minimiser les signes d’union entre les deux puissances.133 Effectivement, l’éditorialiste fit peu de cas des pressions conjointes franco- 129 130 Paul Louis, « L’isolement de la France », L’Humanité, 24 avril 1920, p.3. Paul Louis, « La révision de l’acte de Versailles est en route », L’Humanité, 25 avril 1920, p.3. 131 Paul Louis, « Les leçons de la conférence de San Remo », L’Humanité, 27 avril 1920, p.3. 132 Paul Louis, « De Bruxelles à Spa », L’Humanité, 5 juillet 1920, p.3. 133 Paul Louis, « L’Allemagne demande», L’Humanité, 8 juillet 1920, p.3. Cette interprétation est aussi visible dans Paul Louis, « Où est le désarmement», L’Humanité, 10 juillet 1920, p.3. 47 britanniques sur l’Allemagne en matière de désarmement et de démilitarisation. Il écrivait aussi que la France subissait les volontés de la Grande-Bretagne plutôt que de coopérer d’égale à égale avec cette dernière. D’un autre côté, tout au long de sa couverture de la conférence, André Pierre avançait que la rupture était imminente et inévitable entre les deux puissances victorieuses. Or, un accord franco-britannique fut signé le 16 juillet. Ainsi, les éditorialistes annoncèrent la désaccord entre la France et la Grande-Bretagne afin, encore, de décrier les agissements des tenants de l’impérialisme, signataires du traité de Versailles. Quant à l’Allemagne et sa puissance, les journalistes expliquèrent que la désunion de la France et de la Grande-Bretagne profitaient à la République de Weimar puisque l’Entente, sans cohésion, ne pouvait pas se montrer aussi ferme à son égard qu’elle aurait pu le faire quelques années plus tôt. On désignait les gouvernements alliés et bourgeois comme responsables du regain en puissance de l’Allemagne de par leur incompétence et leur isolement. Il est vrai toutefois que les conclusions de la conférence de Spa obligèrent la France à payer le charbon au prix international plutôt que de le recevoir gratuitement.134 Ce genre de compromis fut interprété par les journalistes de L’Humanité (ainsi, d’ailleurs, que par, les journalistes de L’Action Française) comme une défaite de la France sur la scène internationale. Les éditorialistes de L’Humanité montraient à quel point l’isolement, la faiblesse et l’incompétence du gouvernement « bourgeois » de la France étaient coûteux au niveau de la politique internationale. On peut encore percevoir la transition dans l’image que le journal projette de l’Allemagne un an après Versailles : cette dernière n’était définitivement plus la victime de la France; on assistait plutôt à la 134 Walter MCDOUGALL, op. cit., p. 108. 48 situation inverse. Ainsi, on annonce l’échec du traité de paix qui fut conçu par des nations bourgeoises et imposé à un pays qui semble destiné à défier tous les pronostics impérialistes. À la conférence de Gênes du 10 avril au 29 mai 1922, le traité de Rapallo fut conclu entre l’Allemagne et la Russie. Cet événement attira toute l’attention et les journalistes de L’Humanité ne demeurèrent pas stoïques face à ce bouleversement des relations internationales. Paul Louis profita de ce contexte de tension pour dresser un portrait paradoxal de la France. Il la dépeignait comme une puissance isolée mais dangereuse par son intransigeance face à l’Allemagne et à ses alliés. Or, la conférence de Gênes ne laissait rien présager de la sorte; on était censé y traiter de réparations et de livraisons de matériels dans la foulée des Accords de Wiesbaden.135 Cette réalité est perceptible dans la couverture de la conférence par une certaine lassitude face au système international qui était basé sur des rencontres périodiques. Paul Louis souligna assez amèrement que la rencontre prévue en Italie était la treizième depuis le traité de Versailles, ce qui laissait sous-entendre que les douze précédentes étaient des échecs. 136 Dans un esprit semblable, l’éditorialiste réitéra des idées qu’il défendait depuis la signature du traité de paix : la France, puissance impérialiste elle-même gouvernée par des incompétents137, ne cherchait qu’à humilier la Russie soviétique et à écraser l’Allemagne138, deux nations « victimes » du système versaillais. On démontrait, avec une rhétorique marxiste, le caractère illégitime des stipulations de Versailles, défendues par les impérialistes, qui ne faisaient que rabaisser les pays soumis. 135 136 Raymond POIDEVIN, L’Allemagne et le monde au XXe siècle, p.80. Paul Louis, « Ce que signifie Gênes», L’Humanité, 10 avril 1922, p.1. 137 Paul Louis, « L’isolement de la France», L’Humanité, 12 avril 1922, p.1. 138 Idem. 49 Lorsque survint la nouvelle de la signature du traité de Rapallo entre la Russie et l’Allemagne le 16 avril, Paul Louis ne s’en déclara pas surpris, bien qu’il n’en ait pas fait mention dans les jours précédents.139 Il avança plutôt que la reconnaissance des deux États fut réalisée grâce à un traité en bonne et due forme et qui consacrait la victoire de la Russie soviétique face à une France dont la position devenait critique en raison de son isolement.140 Il est aisé de constater que L’Humanité se montrait favorable à l’union des deux vaincus dans le contexte tendu d’après-guerre. C’est ainsi que s’enclencha toute la rhétorique qui eut cours jusqu’à la conclusion de la conférence, à savoir que la France isolée représentait un danger. Paul Louis déclarait que les Allemands et les Russes vaincus furent en mesure de prendre l’initiative face aux vainqueurs à cause de la désunion qui régnait au sein de l’Entente.141Ainsi, le traité de Rapallo avait comme base et but l’isolement de la France et la décrépitude de la Triple Entente.142 Marcel Cachin, rédacteur en chef, explicita sa crainte de voir la France faire l’usage d’un coup de force dans la Ruhr afin de briser son isolement en dissolvant l’alliance entre les deux pays vaincus.143 Rapallo pourrait être, pour la France, un prétexte pour attaquer la Ruhr et, ainsi, briser son isolement. Les jours suivants furent le moment d’une transition dans l’argumentaire des journalistes de L’Humanité. On cherchait à montrer le désarroi de l’Entente face à la nouvelle situation internationale afin de dévoiler le caractère intransigeant de la politique française. On peut percevoir ce changement dans le ton alarmiste que prirent les éditorialistes. Ils montraient l’imminence de la rupture entre la France et la Grande139 140 Paul Louis, « L’Allemagne reconnaît les Soviets», L’Humanité, 18 avril 1922, p.1. Idem. 141 Paul Louis, « Le désarroi au camp de Alliés», L’Humanité, 20 avril 1922, p.1. 142 Paul Louis, «La Russie et l’Allemagne ont remis leurs réponses», L’Humanité, 22 avril 1922, p.1. 143 Marcel Cachin, « De l’isolement au coup de force», L’Humanité, 25 avril 1922, p.1. 50 Bretagne en affirmant que l’Entente cordiale était morte144, ou encore que Lloyd George s’inquiétait de l’attitude napoléonienne et provocatrice de Poincaré 145. Avec des formulations de ce type, Louis et Cachin faisaient un parallèle assez clair entre l’époque impériale et leur réalité afin de démontrer le danger que représentait la politique de Poincaré pour la paix européenne. On vit aussi apparaître un quolibet envers Poincaré qui allait devenir une constante; Poincaré-la-guerre146. Ainsi, dans les derniers jours de la conférence de Gênes, L’Humanité démontrait comment le capitalisme147 et la politique intransigeante de la France148, après avoir été renforcée dans son isolement par le traité de Rapallo, la rendaient responsable d’une menaçante rupture franco-britannique. Dans sa couverture de la conférence de Gênes, L’Humanité mettait en relation deux thèmes opposés. D’un côté elle montrait une France isolée, faible et au pied du mur face à deux pays vaincus mais unis, tout en la dépeignant comme une menace constante pour la paix de par sa politique provocatrice et intransigeante. D’une façon plus globale, le journal continuait de démontrer le déclin de la France face à l’Allemagne suite à la Grande Guerre. Les attaches révolutionnaires des journalistes avaient beaucoup à voir dans cette approche des relations franco-allemandes; la France bourgeoise, instigatrice du traité de Versailles, était mise à mal par l’Allemagne soumise à l’impérialisme allié. À la conférence de Londres du 9 au 11 décembre 1922, L’Humanité continua de dépeindre la France comme une puissance dangereuse dans son isolement. Alors que cette conférence était censée porter sur la question des Réparations, Paul Louis évoquait 144 145 Paul Louis, « L’Entente cordiale est morte», L’Humanité, 25 avril 1922, p.1. Paul Louis, « La délégation marche à la rupture», L’Humanité, 23 avril 1922, p.1. 146 Marcel Cachin, « Poincaré-la-Guerre», L’Humanité, 26 avril 1922, p.1. 147 Paul Louis, « Les responsabilités d’une rupture», L’Humanité, 8 mai 1922, p.1. 148 Paul Louis, « La politique stupide et provocatrice du Bloc National», L’Humanité, 7 mai 1922, p.1. 51 toujours sa crainte de voir la France faire usage de la force en Rhénanie afin de briser sa solitude. 149Il brossait aussi un portrait très napoléonien de Poincaré en lui attribuant une volonté d’établir une politique de puissance dans la Ruhr;150 thème repris dans les mois précédant l’invasion de la Rhénanie. Paul Louis, de cette façon, critiquait une France impérialiste, incompétente et ennemie de la paix européenne. La perception du journal était simple : le Bloc national voulait prendre la Ruhr puisqu’il n’avait pas été en mesure d’établir un bon budget. 151 Toutefois, on revenait à une rhétorique très près de celle dévoilée lors de la signature du traité de Versailles, à savoir une victimisation de l’Allemagne face à une France incompétente, belliqueuse et impérialiste. Ce retour à une explication épurée fut peut-être causé par un sentiment d’urgence au sujet d’une action française en Allemagne. Souvent perçue comme la rencontre de la dernière chance, la conférence de Paris du 2 au 4 janvier 1923 revêtait un caractère dramatique. Elle sera la dernière rencontre internationale avant l’invasion française de la Ruhr. La couverture de la conférence par L’Humanité trahit un sentiment d’urgence et d’impuissance face aux événements qui semblaient s’enchaîner inéluctablement. Charles Rappoport, éditorialiste temporaire du quotidien, au premier jour de la conférence, félicitait l’Allemagne pour sa propension à la négociation et à la conciliation malgré le fait que Versailles représentait son esclavage.152 Marcel Cachin déclara que, malgré la tempérance allemande, la prise française de la Ruhr était déjà une conviction pour les politiciens de la France et que les alliés allaient rompre 149 150 Paul Louis, « Les marchandages ont commencé», L’Humanité, 10 décembre 1922, p.3. Paul Louis, « L’invasion de la Ruhr», L’Humanité, 11 décembre 1922, p.1. 151 Paul Louis, « La conférence de Londres a échoué», L’Humanité, 12 décembre 1922, p.1. 152 Charles Rappoport, « Les impérialismes vont prendre contact», L’Humanité, 2 janvier 1923, p.3. 52 sur ce point.153 La rupture au sein de l’alliance serait causée par un choc des impérialismes français et britannique sur la question du redressement de l’Allemagne. 154 On montrait, encore de façon doctrinaire, la défaite des puissances impérialistes face à une nation soumise. Avec la conclusion hâtive de la conférence le 4 janvier, le rédacteur en chef déclara que la France et la Grande-Bretagne se montraient inconciliables155, se résignant ainsi à l’éventualité d’une action isolée de la France. Lors de la conférence de Paris, le journal maintint sa perspective esquissée lors de la conférence de Londres qui consistait en la martyrisation de l’Allemagne face aux intérêts sans limites des impérialismes alliés. Dans une optique générale, la couverture faite par L’Humanité de l’actualité qui concernait la politique allemande de la France de 1919 à 1922 est certainement antigouvernementale en ce sens qu’on tendait à dépeindre la France comme un pays faible et isolé face à à peu près toutes les puissances de l’époque. En effet, selon le cas, les journalistes montraient la France à la merci de la Grande-Bretagne, des États-Unis, de l’Allemagne ou encore de la Russie. Or, malgré cette faiblesse apparente, on représentait constamment la France comme un pays dangereux de par sa politique belliqueuse et sa volonté à agir unilatéralement dans son contexte d’isolement. L’Humanité se montrait aussi anti-versaillaise puisque ses journalistes trouvaient le traité de paix trop dur pour les Allemands. D’un autre côté, les journalistes avaient tendance, dans leur rhétorique marxiste, à prendre le parti des vaincus et des petites puissances. Par conséquent, idéologiquement, L’Humanité donnait son appui à l’Allemagne, championne stigmatisée 153 154 Marcel Cachin, « La discorde au camp de l’impérialisme», L’Humanité, 3 janvier 1923, p.1. Marcel Cachin, « Rupture», L’Humanité, 4 janvier 1923, p.1. 155 Marcel Cachin, « La conférence de Paris se termine par un échec», L’Humanité, 5 janvier 1923, p.1. 53 des nations soumises à l’impérialisme, plutôt qu’au gouvernement de Paris, représentant choisi de la bourgeoisie à renverser. Dans cette opposition d’archétypes marxistes, le traité de Versailles, qu’on devait détruire sinon revoir, jouait le rôle des chaînes que portait le prolétaire, gracieuseté de l’exploiteur bourgeois. L’Action française : un journal nationaliste et germanophobe Le mouvement d’action française aux idées monarchistes, nationalistes ainsi que militaristes, vit le jour en 1899. Il fut fondé par Henri Vaugeois et Maurice Pujo dans le sillon de l’Affaire Dreyfus. 156 Charles Maurras lança neuf ans plus tard le journal L’Action française, liée au mouvement de Vaugeois et Pujo par les valeurs qu’elle défendra jusqu’à aujourd’hui. L’Action française connut, tout comme L’Humanité, dans la période de l’entredeux-guerres, une popularité en dents de scie avec le détachement conjoncturel de la population à la politique officielle du pays. Les tirages du journal gonflaient en période de crises ou de tensions politiques et s’amenuisaient lorsque la détente se faisait jour. 157 L’Action française connaissait ainsi le lot de la plupart des mouvements extrémistes.158 Or, durant cette période, les journalistes de L’Action française, comme Jacques Bainville, Léon Daudet ou encore le rédacteur en chef Charles Maurras, défendirent des points de vues diamétralement opposés à ceux de L’Humanité. Ainsi, les penseurs du mouvement croyaient que la France était une puissance européenne au sein d’une alliance forte et montraient le lien privilégié entre les Français et la Belgique, ce qui semble cohérent avec 156 Action Française, Action française; école de pensée, journal d’actualité et mouvement politique royaliste [En ligne]. http://www.actionfrancaise.net/ 157 Laurent MARTIN, La Presse écrite en France au XXe siècle. Le Livre de Poche, Paris, 2005, p. 76. 158 Pierre ALBERT, La presse française. La documentation française, Paris, 2008, p. 200. 54 leur idéologie nationaliste et conservatrice. Les journalistes voulaient aussi voir l’Allemagne écrasée par un traité de Versailles qu’ils considéraient trop indulgent. En effet, malgré des démonstrations faibles de leur opposition à l’ordre établi par le traité de 1919, nous croyons que les rédacteurs du journal nationaliste souhaitaient y voir une révision territoriale. Finalement, la couverture de L’Action française de l’actualité internationale semblait fortement axée sur les rapports franco-allemands, contrairement à celle de L’Humanité qui se révélait plus paneuropéenne. L’Allemagne semblait être perçue par la publication nationaliste comme l’ennemi héréditaire de la France. La conférence de Paris du 19 au 29 juin 1919 fut couverte, en grande partie, par Charles Maurras dans son éditorial quotidien. Sous la rubrique « La Politique », le rédacteur en chef soutint l’idée que la France dominait et se devait de dominer l’Allemagne, sans préciser la nature de cette domination. En omettant de traiter les autres pays concernés, Maurras mettait de l’avant l’idée selon laquelle la France, grande victorieuse de la Grande Guerre, ne pouvait jamais relâcher sa vigilance face à l’Allemagne belliqueuse. Maurras établit promptement sa position dans les premiers jours de la conférence. Il déclara, avant même que la conférence ne s’ouvrît officiellement, que les délégués allemands ne signeraient pas le texte159 et que la France serait forcée de reprendre les armes.160 D’une façon claire, le rédacteur affirmait que l’Allemagne s’opposait au traité de Versailles avant même son dévoilement 161, montrant ici l’ingratitude politique des Allemands vaincus. Contrairement aux journalistes de L’Humanité, Maurras fit grand cas 159 160 Charles Maurras, « La Politique», L’Action française, 19 juin 1919, p.1. Ibid., p.3 161 Anonyme, « À Weimar, Brockdorff se prononce contre la signature», L’Action française, 20 juin 1919, p.3. 55 du sabordement de la flotte allemande dans le port de Scapa Flow162 et perçut ce geste comme un avertissement pour la France de ne pas désarmer dans ce contexte où l’Allemagne semblait prête à relancer le conflit armé. 163 Afin de défendre ce dernier point de vue et d’étoffer son argumentaire qui montrait Weimar comme une ennemie de la paix, l’éditorialiste avançait que, contrairement à la France, l’Allemagne demeurait intacte à la suite de la guerre, ce qui la rendait d’autant plus menaçante.164 Face à cette situation, selon Maurras, les responsables français ne devaient pas accepter le moindre revers. Le Bloc National se devait de prendre la Ruhr en garantie contre d’éventuelles actions agressives allemandes.165 Maurras voulait profiter du marasme en Allemagne afin d’accentuer la domination de la France sur sa voisine outre-Rhin. Une telle volonté dépassait clairement le cadre et l’esprit qui allaient être établis par le président Wilson et le traité de paix. L’Action française ne faisait aucune confiance à la vaincue. Ce soupçon était compensé par un sentiment d’invincibilité de la France victorieuse en 1918. Alors que Charles Maurras entretint une profonde méfiance à l’égard de l’Allemagne, lui et Léon Daudet défendaient des idées parallèles. En effet, bien qu’il soupçonna aussi un désir de revanche en Allemagne, Daudet avança que le danger n’était pas si grand puisque la France comptait sur deux « génies » dans leurs domaines : Foch et Clemenceau. 166 On peut comprendre que, de façon assez commode, les journalistes nationalistes glorifiaient les dirigeants de la France. Avec des formulations telles que « comment les vaincus ont remis leur acceptation au gouvernement français »167 se 162 163 Charles Maurras, « La Politique», L’Action française, 23 juin 1919, p.1. Charles Maurras, « La Politique», L’Action française, 24 juin 1919, p.1. 164 Charles Maurras, « La Politique», L’Action française, 25 juin 1919, p.1. 165 Charles Maurras, « La Politique», L’Action française, 26 juin 1919, p.1. 166 Léon Daudet, « Une paix qui postule la vigilance», L’Action française, 25 juin 1919, p.1. 167 Léon Daudet, « Le Couronnement de la victoire», L’Action française, 24 juin 1919, p.3. 56 dégageait, des articles des deux auteurs, l’impression que l’Allemagne ne signait pas la paix avec les Alliés mais bien, et seulement, avec la France, grande victorieuse de la dernière guerre. Dans un même ordre d’idées, Charles Maurras affirmait sans trop de retenue, le 28 juin, que « [à] trois heures, dans la Galerie des Glaces, l’Allemagne contresignera son humiliation »168, permettant ainsi à la France de laver l’offense qu’elle connut en 1871.169 En outre, l’argumentaire des éditorialistes n’omettait pas d’affirmer, accessoirement, que l’alliance de guerre demeurait indestructible et que Poincaré tenait à cette union. 170 Malgré leur méfiance, voire même leur haine, déclarée envers l’Allemagne, les journalistes de L’Action française demeuraient très confiants de la puissance de la France. On montrait que par ses seuls moyens, et ainsi sans traité de paix à l’appui, la France pourrait, le cas échéant, mater la revendicatrice Allemagne. Jacques Bainville affirma, plus tard, dans le cadre de la conférence de San Remo, que la France ne recherchait que sa stabilité et le désarmement de l’Allemagne dans une optique plus générale de l’exécution intégrale du traité.171 Or, la perspective prise par les journalistes de L’Action française à propos de cette nouvelle conférence suivait les grandes lignes défendues lors de la précédente et se montrait cohérente avec l’approche nationaliste ainsi que germanophobe de la publication; la méfiance envers l’Allemagne ainsi qu’une confiance inébranlable dans la puissance de la France et de l’alliance. Jacques Bainville mit l’accent sur l’union et l’harmonie dans le camp des alliés. Contrairement aux journalistes de L’Humanité, Bainville eut tendance à minimiser les 168 169 Charles Maurras, « La Politique», L’Action française, 28 juin 1919, p.1. Jacques Bainville, « La Politique», L’Action française, 2 juin 1919, p.1. 170 Charles Maurras, « La Politique», L’Action française, 27 juin 1919, p.1. 171 Jacques Bainville, « La Turquie à San-Remo», L’Action française, 20 avril 1920, p.1. 57 divergences d’opinions dans l’Entente qui, selon lui, étaient tout à fait normales. 172 La France ne demeurait pas en reste dans les arguments de Bainville; il la montrait comme un pays puissant qui inquiétait l’Allemagne 173 puisqu’elle était à la recherche de ses intérêts vitaux, comme les Réparations.174 Le lecteur ne sera pas surpris de percevoir que le journaliste nationaliste mettait de l’avant la puissance de la France sur l’Allemagne. D’un autre côté, L’Action française manifestait encore, dans sa couverture de la conférence de San Remo, un grand manque de confiance en l’Allemagne d’après-guerre. On peut constater un élément nouveau dans ce thème de la méfiance à l’égard de l’Allemagne qui était, en fait, une inquiétude face à la Grande-Bretagne. Bainville l’accusait de vouloir le redressement politique, économique et politique de l’Allemagne, ce qui, logiquement selon le journaliste, se devait de passer par le redressement militaire175; condition inacceptable pour l’auteur qui militait pour le désarmement de la nation vaincue. La France se retrouverait comme la grande perdante de la conférence au profit des intérêts financiers britanniques. 176 Bainville était conscient que le désintérêt britannique pour la cause française pourrait se révéler dramatique pour la France dans un contexte où elle risquait d’être exposée à l’Allemagne. L’auteur ne voulait en aucun cas voir la puissance de son pays mise à mal par un tierce État. La conférence de San Remo fut aussi une occasion pour Jacques Bainville d’affirmer ses doutes à l’égard de l’ordre versaillais. Il déclarait que le traité de Versailles 172 173 Jacques Bainville, « L’Allemagne à San Remo», L’Action française, 22 avril 1920, p.1. Jacques Bainville, « Les alliances à San Remo», L’Action française, 23 avril 1920, p.1. 174 Jacques Bainville, « Les divergences de San Remo», L’Action française, 21 avril 1920, p.1. 175 Idem. 176 Jacques Bainville, « Les résultats de San Remo», L’Action française, 27 avril 1920, p.1. 58 se révélait être « [u]ne paix trop douce pour ce qu’elle a[vait] de dur »177 et qu’il devait être renforcé de quelques dispositions militaires.178Il avançait, dans un même ordre d’idées, que « le Traité de Versailles a[vait] déjà tant de brèches »179 ce qui semble être une critique formelle envers le traité et ce qu’il instituait en Europe. Il apparaît clair que les journalistes du quotidien nationaliste n’avait pas pleinement confiance dans l’ordre versaillais et désirait déjà des révisions. Il est permis de penser que L’Action française défendait, globalement, l’idée de l’importance de la solidité de l’Entente dans le but de garder l’Allemagne, considérée comme dangereuse, muselée et affaiblie dans un carcan versaillais plus solide. Dans sa description des événements de la conférence de Spa, quelques mois après la rencontre de San Remo, Jacques Bainville réitérait les grands thèmes de l’idéologie de L’Action française, à savoir la germanophobie et le chauvinisme qui se cristallisaient autour d’une critique du traité de Versailles. Nous ne reviendrons pas en profondeur sur ces thèmes qui n’évoluèrent pas d’une rencontre à l’autre. Or, l’approche de Bainville de la conférence demeure révélatrice de la ligne de pensée dans L’Action française. Tout au long de la conférence, Bainville, qui débuta avec un ton provocateur, adoucit peu à peu ses propos, surtout ceux concernant l’invasion de la Ruhr. Dans les premiers jours de la conférence, l’historien continua à critiquer ce qu’établissait le traité de Versailles tout en remettant en questions quelques stipulations, surtout sur le plan territorial. Il affirmait que les Alliés ne devaient en aucun cas laisser 177 178 Jacques Bainville, « La révision masquée», L’Action française, 27 avril 1920, p.1. Jacques Bainville, « L’Allemagne à San Remo», L’Action française, 22 avril 1920, p.1. 179 Jacques Bainville, « La révision en marche», L’Action française, 24 avril 1920, p.1. 59 tomber leurs moyens de coercition vis-à-vis de l’Allemagne180 et il rappelait que les seules garanties sérieuses qu’aurait la France seraient celles qu’elle irait prendre ellemême. 181 L’éditorialiste défendait l’idée que l’invasion de la Ruhr, en plus d’être un moyen de coercition direct, serait la solution aux trois grands problèmes français, soit le désarmement allemand, les Réparations et les livraisons de charbon. 182 Le journaliste justifiait ainsi des actions agressives et unilatérales qui auraient, de toute évidence, dépassé le cadre établi par le traité de Versailles. Dans le contexte d’opposition directe à l’Allemagne et indirecte à la GrandeBretagne, Bainville militait pour le resserrement des relations franco-belges dans l’optique d’avoir un allié fort.183 Cette rhétorique agressive à l’égard de la puissance vaincue céda rapidement la place à un argumentaire plus tiède, qui priait les Alliés de rester unis et de ne pas engager une escalade de concessions très coûteuses pour la France. 184 Selon lui, les concessions n’étaient attribuées à l’Allemagne que dans le but de la voir se redresser économiquement et politiquement 185 et celles-ci ne faisaient qu’encourager la résistance dans la population allemande.186 Ultimement, elles se révéleraient dangereuses pour la France car elle serait forcée de négocier avec un peuple récalcitrant. Pour Bainville, le problème résidait dans les intérêts inconciliables des puissances concernées. 187 Ainsi, l’historien désirait voir la France convaincre ses Alliés 180 181 Jacques Bainville, « Le danger de Spa», L’Action française, 5 juillet 1920, p.1. Jacques Bainville, « Le point de rencontre des idées à la conférence de Spa», L’Action française, 7 juillet 1920, p.1. 182 Jacques Bainville, « L’alliance franco-belge d’abord», L’Action française, 8 juillet 1920, p.1. 183 Jacques Bainville, « Le gage de la Ruhr», L’Action française, 10 juillet 1920, p.1. 184 Jacques Bainville, « La conférence de Spa et le redressement de l’Allemagne», L’Action française, 12 juillet 1920, p.1. 185 Jacques Bainville, « La politique allemande à Spa», L’Action française, 14 juillet 1920, p.1. 186 Jacques Bainville, « La démonstration de Spa», L’Action française, 15 juillet 1920, p.1. 187 Idem. 60 du danger que représentaient pour elle les concessions.188 Bainville, décidemment, souhaitait voir la France demeurer seule maître de son destin et ne désirait pas voir les Anglo-Saxons se tourner vers l’Allemagne pour profiter économiquement de sa reprise en puissance. Ainsi, d’une façon détournée, le traité de 1919 était illustré comme un acte faible puisqu’il permettait à la vaincue de guerre d’améliorer son sort. Or, dans une optique générale, les grandes idées défendues par les penseurs de L’Action française demeuraient les mêmes malgré la conjoncture, soit la méfiance envers l’Allemagne et la confiance dans la puissance française. Après la fixation du montant total des Réparations à 132 milliards de marks-or, le 27 avril 1921, Jacques Bainville, dans deux éditoriaux, justifia encore des actions excédant les stipulations versaillaises. Il postulait la « nécessité d’occuper la Ruhr »189 puisque cette invasion, dans son appréciation idéologique de la situation, « briserait les illusions »190 allemandes de supériorité vis-à-vis de la France. Lorsque Bainville élabora son point de vue de l’ordre versaillais dans le cadre des négociations des Accords de Wiesbaden en octobre 1921, il déclara, métaphoriquement, que le bras de la France était retenu.191 Ainsi, il écrivait que la liberté d’action française était contenue par les intérêts de l’allié britannique grâce au traité de Versailles. Il semble évident que Bainville souhaitait voir quelques modifications au traité de Versailles qui lui paraissait trop conciliant à l’égard de l’Allemagne. 188 189 Jacques Bainville, « Les suites de la coopération», L’Action française, 17 juillet 1920, p.1. Jacques Bainville, « La nécessité d’occuper la Ruhr », L’Action française, 1er mai 1920, p.1. 190 Jacques Bainville, 1920, « Dernière illusion », L’Action française, 30 avril 1920, p.1. 191 Jacques Bainville, « Avant la conférence de Washington », L’Action française, 7 octobre 1921, p.1. 61 L’actualité autour de la conférence de Gênes d’avril et mai 1922 fut couverte, en ce qui concerne L’Action française, par Jacques Bainville et Léon Daudet. D’une manière prévisible les sujets de la germanophobie et de la puissance de l’alliance se retrouvaient encore très présents dans leurs interprétations des faits. Toutefois, alors que la méfiance à l’égard de l’Allemagne ne connut pas de changements depuis la conférence de Paris, la rencontre de Gênes et la signature du traité de Rapallo marquèrent une transition dans la façon qu’avaient les journalistes de L’Action française de percevoir le rôle de la France au sein de l’alliance. En fait, Bainville et Daudet commençaient à percevoir un certain isolement de la France mais aussi un resserrement du bloc anglo-saxon en opposition à la politique allemande de la France. Pour ce qui est de la méfiance notoire face à l’Allemagne, Charles Maurras, au début de la conférence, prévoyait beaucoup de succès pour la jeune République de Weimar dans le cadre de cette rencontre internationale, aux dépens de la France, puisqu’elle avait recours, selon lui, à des moyens d’Ancien Régime sans trop élaborer sur cette affirmation192. L’explication était prévisible pour un journal monarchiste. Bainville, dans un autre registre, déclarait sans trop de retenue que les deux principaux négociateurs allemands, Wirth et Rathenau, étaient des fourbes.193 L’annonce de la signature du traité de Rapallo conforta, de plus, les journalistes de L’Action française dans leur perception de l’Allemagne comme une puissance belliqueuse194 et provocatrice à l’égard des Alliés.195 Avec la signature du traité de Rapallo et la conclusion de la conférence de 192 193 Charles Maurras, « À Gênes; ce qui monte, ce qui descend», L’Action française, 10 avril 1922, p.1. Jacques Bainville, « À Gênes, le sang français est pour rien», L’Action française, 11 avril 1922, p.1. 194 Jacques Bainville, « Comment empêcher les questions défendues d’être posées», L’Action française, 12 avril 1922, p.1. 195 Jacques Bainville, « Le coup de théâtre de Gênes; le traité germano-russe», L’Action française, 18 avril 1922, p.1. 62 Gênes qui octroyait à l’Allemagne un moratoire d’un an sur les livraisons de charbon, Bainville interpréta cette dernière conférence comme une victoire complète pour l’Allemagne.196 Ainsi, la conférence de Gênes ne fit rien pour apaiser la germanophobie au sein du journal L’Action française. La transition du rôle de la France au cœur de l’alliance dans la pensée des responsables de L’Action française est aisément perceptible et éminemment intéressante. En effet, elle démontre que, même pour les plus ardents nationalistes français, l’impression de la puissance de la France dans l’après-guerre s’estompait avec la conjoncture internationale qui dissolvait, pour des raisons multiples, l’union parmi les alliés de guerre. L’idée de la désunion fut amenée, au départ, avec une transition assez subtile de la rhétorique dans les pages du journal. En effet, alors qu’il déclarait l’alliance indestructible lors de la couverture des conférences précédentes, Jacques Bainville, dans le cadre de sa description des faits de Gênes, souleva l’apparente union recherchée entre les Anglo-Saxons, tout en conseillant à son gouvernement de resserrer les liens avec la Belgique. 197 Cette dernière remarque peut facilement s’expliquer par l’appréhension probable qu’avait Bainville de voir les Anglo-Saxons se détacher peu à peu de la France. Quelques jours plus tard, Bainville, accusa le Premier ministre britannique, Lloyd George, d’être dans le camp de Walter Rathenau, déduction qui sa basait sur la « juiveté » des deux hommes. Ainsi, il affirmait que la Grande-Bretagne avait plus à cœur les Juifs allemands que son allié français 198, pris au piège à Gênes. 199 L’historien justifiait, par cette explication de partialité, son idée selon laquelle la politique historique d’équilibre 196 197 Jacques Bainville, « La question du contrôle», L’Action française, 31 mai 1922, p.1. Jacques Bainville, « En attendant l’ouverture», L’Action française, 10 avril 1922, p.1. 198 Jacques Bainville, « Rathenau et le guet-apens de Gênes», L’Action française, 12 avril 1922, p.1. 199 Jacques Bainville, « Comment empêcher les questions défendues d’être posées», L’Action française, 12 avril 1922, p.1. 63 de la Grande-Bretagne ne pouvait plus fonctionner.200 La France avait tout avantage à rompre à Gênes, et ainsi se sortir du système versaillais, afin de se tourner vers son alliance avec la Belgique. 201 L’Action française ne cessa pas, pour autant, de souligner la performance des politiciens français dans cette rencontre internationale. Par exemple, dans les premiers jours de la conférence, après une rencontre entre Barthou et Tchitcherine, L’Action française déclara le premier grand vainqueur de la discussion202, allant ainsi à l’opposé que ce qu’avançait L’Humanité. La conclusion du traité de Rapallo représenta une occasion, pour Bainville, de mettre encore de l’avant son plan insidieux de revoir le traité de Versailles. Il justifiait, en effet, ses appels à l’action contre l’Allemagne excédant les stipulations de Versailles avec cette « bravade » qu’il ne désirait pas voir impunie. 203 Il martelait, dans la foulée, le devoir d’agir de la France. 204 Donc, Jacques Bainville voulait voir la France prendre des mesures à l’égard de l’Allemagne qui auraient été hors de l’esprit de Versailles, signe de son opinion très peu élogieuse du traité de 1919. Malgré le fait que l’alliance paraissait être à la dérive, la puissance et l’importance de la France sur la scène internationale, selon le journal L’Action française, ne semblaient pas avoir été ébranlées par la conjoncture. De surcroît, les journalistes, probablement confiants dans les moyens de leur patrie et ainsi cohérents dans leur nationalisme à tout 200 Jacques Bainville, « Devant l’alliance germano-russe; la recherche et la crainte de la politique d’équilibre», L’Action française, 22 avril 1922, p.1. 201 Jacques Bainville, « La deuxième phase de la conférence», L’Action française, 4 mai 1922, p.1. 202 Jacques Bainville, « À Gênes, le sang français est pour rien», L’Action française, 11 avril 1922, p.1. 203 Jacques Bainville, « Suite de l’insanité génoise; L’entrée en scène de Rathenau », L’Action française, 18 avril 1922, p.1. 204 Jacques Bainville, « L’alliance germano-russe à Gênes; nous revoici en juin 1914», L’Action française, 19 avril 1922, p.1. 64 crin, continuaient à se montrer provocateurs à l’égard de l’Allemagne et du traité de Versailles. Nous analyserons les deux dernières conférences avant l’invasion française de la Ruhr, soit celles de Londres et de Paris, comme une seule, tant il y eut continuité dans les idées défendues. Jacques Bainville, dans le cadre des deux conférences, continuait à justifier sa germanophobie et persistait dans la transition de sa perception, opérée lors de la conférence de Gênes, de la situation de l’Entente. De prime abord, il avança que les troubles économiques allemands et sa ruine financière étaient le résultat de la mauvaise volonté du gouvernement dirigé par la socialdémocratie. 205 L’argument est, encore une fois, prévisible pour un journal conservateur de droite. La France, ainsi, se devait de prendre les ressources qu’elle pouvait en Allemagne avant que celles-ci ne disparaissent dans le gouffre de la ruine allemande. On justifiait et on appuyait, du coup, une action éventuelle de la France dans la Ruhr qui se devait d’être prise rapidement afin d’enrailler toute résistance. 206 L’action, selon Bainville, devait aussi être prompte dans le but d’éviter que la France se retrouve mal en point alors que l’Allemagne allait se redresser.207 L’auteur défend une idée qui dépassait le cadre du traité de Versailles et son esprit plutôt axé sur la concertation et la prise de décisions multilatérales. Le thème de la méfiance à l’égard de l’Allemagne fut récurrent dans l’interprétation de L’Action française des conférences de Londres et de Paris. Le questionnement britannique sur la capacité allemande de payer les Réparations fut un élément catalyseur, dans L’Action française, de l’idée de la rupture franco205 206 Jacques Bainville, « À la manière du calife Omar», L’Action française, 11 décembre 1922, p.1. Idem. 207 Jacques Bainville, « Pas de moratoire sans gages», L’Action française, 2 janvier 1923, p.1. 65 britannique. Jacques Bainville perçut rapidement une cassure dans les positions françaises et anglaise à cet effet.208 La Grande-Bretagne voulait octroyer à Weimar un moratoire de paiement d’un an alors que le bloc franco-belge s’y opposa.209 Le point central de cette divergence de vue, selon Bainville, résidait dans la question de la volonté allemande de payer ses dettes versaillaises. 210 La persistance et la continuité de ce désaccord franco-britannique permit au journaliste de déclarer le 4 janvier 1923 que le front allié avait disparu et, ainsi, que les contemporains assistaient à la rupture au sein de l’Entente.211 Or, d’un autre côté, Bainville déclara que l’Italie et la Belgique demeuraient solidaires avec la France face à une Grande-Bretagne qui tenait à trop ménager l’Allemagne.212 Ainsi, Bainville affirmait que les faits, selon lui, montraient que Bonar Law menait une mauvaise politique et les autres puissances ne l’appuyaient pas. Le journaliste et historien justifiait la politique de Poincaré de la même façon : Mussolini et Theunis appuyaient la dure politique allemande de la France. En somme, alors que l’Entente, à la veille d’une action unilatérale française qui dépassera le cadre versaillais, semblait se dissoudre, la France, pour le journal nationaliste, demeurait forte et n’était pas isolée. Léon Daudet, à l’image de Bainville, dans le cadre de la conférence de Londres, profita du climat tendu, pour mettre de l’avant son plan d’action unilatérale de la France afin de préserver ses acquis et son statut. Il affirmait, le 11 décembre, que Poincaré avait 208 Jacques Bainville, « Les réparations du 31 août au 9 décembre», L’Action française, 9 décembre 1922, p.1. 209 Jacques Bainville, « La question du moratorium», L’Action française, 1er septembre 1922, p.1. 210 Jacques Bainville, « À la manière du calife Omar», L’Action française, 11 décembre 1922, p.1. 211 Jacques Bainville, « Devant les conséquences», L’Action française, 4 janvier 1923, p.1. 212 Jacques Bainville, « La France et l’Angleterre reprennent leur liberté d’action», L’Action française, 5 janvier 1923, p.1. 66 le devoir de « mettre la main sur la Ruhr »213 dans le but de « corriger les industriels »214 allemands mais aussi d’assurer le prestige de la France qui risquait d’être terni par la reprise en puissance éventuelle de l’Allemagne. Alors que les événements semblaient lui donner raison, Bainville et Daudet militaient toujours pour la prise de mesures unilatérales, à l’extérieur des dispositions de Versailles, face à l’Allemagne. Pour conclure avec la perception de L’Action française de la politique allemande de la France, il est aisé de constater que ses journalistes nationalistes et germanophobes nourrissaient une méfiance, voire une haine, vive à l’égard de la jeune République de Weimar. Coupable de tous les maux et capable de rien sauf du pire, l’Allemagne, dans la perspective du journal L’Action française avant l’invasion de la Ruhr, était un pays qu’il fallait neutraliser, museler avant qu’il ne prenne sa revanche. Ainsi, le lecteur perçoit que les journalistes du quotidien monarchistes voulaient voir la France dépasser le cadre établie par le traité de Versailles de par leur encouragement à une politique agressive et belliqueuse à l’égard de l’Allemagne. D’un autre côté, selon les éditorialistes du journal, la France constituait une grande puissance qui ne devait pas craindre d’agir, d’être remuante dans le contexte de l’immédiat après-guerre. Elle pouvait, de surcroît, se détacher de sa principale alliée de guerre sans risque de s’affaiblir sur le continent européen. Ainsi, la vision qu’avait L’Action française de la situation internationale, de par sa propension au nationalisme radical, était diamétralement à l’opposé de ce que pouvaient lire les contemporains dans les pages de L’Humanité. 213 214 Léon Daudet, « La semaine décisive ? », L’Action française, 11 décembre 1922, p.1. Jacques Bainville, « À la manière du calife Omar», L’Action française, 11 décembre 1922, p.1. 67 Le Temps : journal sérieux ou « presse domestiquée »215? C’est sous la Deuxième République que le journal Le Temps connut ses premiers succès. Bien qu’il fut fondé en 1829, c’est sous la direction d’Auguste Nefftzer, aidé par le relâchement du contrôle des journaux sous Napoléon III, que le quotidien prit la forme qu’il garda jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. 216 À l’époque impériale, le journal de Nefftzer, qui connaissait des difficultés financières, entama une pratique qui persista tout au long de son histoire : accepter le financement par les grands industriels comme l’influent Comité des Forges.217 Au cours de la première moitié du XXe siècle, d’ailleurs, les dirigeants du journal essuieront de nombreuses accusations, provenant de leurs concurrents, au sujet du financement du quotidien. 218 Le Temps fut aussi durablement perçu comme l’organe du Quai d’Orsay jusqu’en 1929, année où le journal fut officiellement acheté par le Comité des Forges.219 Le Temps, malgré ses liens avec l’industrie et le pouvoir français conserva, tout au long de son histoire, la réputation d’un journal sérieux, ce qui lui valait d’être lu par les élites bourgeoises d’un peu partout dans le monde. Il représentait la parution la plus influente en matière d’actualité politique française. 220 Analyser l’interprétation de ce journal officieux peut permettre de déduire ce que la classe politique voulait véhiculer comme information à ses lecteurs. Le Temps représente, ainsi, la source la plus importante dans l’optique de repérer un recentrage dans la politique allemande de la France avec l’occupation de la Ruhr. L’argumentaire du 215 216 Marcel Cachin, « Poincaré-la-Guerre aux ordres de Léon Daudet», L’Humanité, 27 avril 1922, p.1. Pierre ALBERT, La presse française. La documentation française, Paris, 2008, p.199. 217 Raymond MANEVY, op. cit p.210. 218 Laurent MARTIN, op. cit. p. 88. 219 Idem. 220 Raymond MANEVY, op. cit p.213. 68 Temps dans l’immédiat après-guerre révèle une flexibilité et une capacité d’adaptation qui ne sont pas perceptibles dans L’Humanité et L’Action française. En effet, l’interprétation du Temps servait moins une idéologie que les besoins de la politique française. Ainsi, dans le cas qui nous intéresse, de 1919 à 1923 la perception du journal passa de la germanophobie à un désir de détente avec la voisine d’outre-Rhin. D’un autre côté, l’apparition de cette germanophilie se fit au détriment, ou peut-être à cause, des relations de la France avec ses alliés de guerre. À mesure que les tensions s’accroissaient entre les Alliés, Le Temps avait tendance à promouvoir l’importance de bons rapports avec l’Allemagne. D’un autre côté, contrairement à L’Action française, Le Temps se montrait très discret, avant l’occupation de la Ruhr, à l’égard du traité de Versailles. Les journalistes n’en faisaient, à toutes fins pratiques, aucune mention à tel point que le lecteur, sur la longue période, a l’impression que le traité de paix était accessoire. La couverture de Le Temps de la conférence de Paris représente une manifestation d’une germanophobie virulente, comparable à ce que l’on peut lire dans L’Action française. Cette appréhension à l’égard de l’Allemagne était aussi couplée d’une glorification de la puissance militaire française et alliée. Concrètement, le journal déclarait que l’Allemagne n’était pas disposée à signer la paix221 et qu’elle se dressait, malgré sa défaite, comme une ennemie de l’Entente.222 De plus, le journal affirmait que, puisque le Reich payait les conséquences de sa faute, il ne méritait en rien le ménagement de la part des Alliés. 223 Un journaliste anonyme interprétait aussi le sabordage de Scapa Flow comme un signe flagrant de mauvaise foi 221 222 Anonyme, « L’incendie de l’Europe centrale», Le Temps, 20 juin 1919, p.1. Idem. 223 Anonyme, « Vieilles outres», Le Temps, 22 juin 1919, p.1. 69 qui donnait à la France le droit à de « justes revendications ». 224 Une déclaration de la sorte, selon nous, illustrait une certaine velléité de voir la France profiter de son avantage conjoncturel sur l’Allemagne. Ainsi, la vaincue est clairement décrite comme l’adversaire, l’ennemie non seulement des Alliés mais de la paix qui s’apprêtait à être signée. Le lecteur perçoit, en filigrane, une inclinaison des journalistes à vouloir reprendre les armes contre l’Allemagne. Le teneur du propos n’est pas bien loin de ce qu’écrivaient les éditorialistes de L’Action française, journal pourtant extrémiste. Face à une éventuelle menace allemande, les éditorialistes brandissaient le spectre de la puissance alliée. En effet, on clamait qu’un refus de signer de la part des Allemands entraînerait des représailles et que l’alliance était inébranlable.225 Les journalistes faisaient souvent référence à l’analogie du marteau et de l’enclume pour décrire la situation de l’Allemagne.226 L’enclume représentait le territoire russe qui bloquerait les soldats allemands et le marteau évoquait les armées alliées qui s’abattraient sur l’Allemagne prise au piège. On ne craignait pas l’utilisation de la force afin de faire plier la vaincue.227 De plus, après l’ « écrasement militaire »228 de l’Allemagne en novembre 1918, les journalistes de Le Temps souhaitaient bien que la paix fût payante pour la France et c’est pour cette raison qu’ils militaient pour une exécution stricte du traité à venir.229 Une déclaration de la sorte ajoutée à la volonté des journalistes de voir le traité de paix devenir rentable permet de croire que les rédacteurs voyait le traité de Versailles non pas seulement comme l’installation de la paix mais aussi comme un moyen de 224 225 Anonyme, « La flotte allemande coulée à Scapa Flow», Le Temps, 25 juin 1919, p.1. Anonyme, « L’incendie de l’Europe centrale», Le Temps, 20 juin 1919, p.1. 226 Idem. 227 Anonyme, « Vieilles outres», Le Temps, 22 juin 1919, p.1. 228 Anonyme, « Les derniers assauts», Le Temps, 24 juin 1919, p.1. 229 Anonyme, « L’esprit de la victoire», Le Temps, 23 juin 1919, p.1. 70 pression et une garantie pour les intérêts français. Il est aisé, dans la couverture du journal Le Temps de la conférence de Paris, de constater deux lignes directrices, soit la germanophobie et le chauvinisme qu’on peut inférer qu’elles étaient aussi présentes au Quai d’Orsay. Le journal Le Temps montrait, dans la couverture de la conférence de San Remo, les débuts de la transition dans la façon d’interpréter le rôle de la France dans l’Entente. En effet, une certaine appréhension à l’égard des Anglo-Saxons et leur partialité face à l’Allemagne se faisait jour. Au lendemain de l’ouverture de la conférence, bien que les journalistes exprimaient leur confiance dans le système des conférences, 230 ils affirmaient que San Remo ne pouvait pas satisfaire le public français parce que la France y sacrifiait trop au nom de la solidarité alliée. 231 On commençait à croire que le bloc anglo-américain voulait marchander avec Weimar. 232 Les journalistes du Temps citaient en exemple la permission que reçut l’Allemagne, de la part des Anglo-Saxons, de maintenir une armée de 200 000 hommes, le double de ce qui était prévu dans le traité de Versailles. Néanmoins, dans leur bilan de la conférence de San Remo, les journalistes avancèrent que Lloyd George s’était mis d’accord avec Millerand sur de nombreux points et, qu’ainsi, la France ne se voyait pas isolée.233 La formulation est intéressante : le lecteur à l’impression que ce sont les Britanniques qui se plièrent aux demandes françaises et non pas l’inverse ce qui, selon nous, représente une preuve de la proximité entre le journal et les sphères dirigeantes. De plus, dans leur interprétation des conclusions de la conférence, les journalistes déclarèrent que la France était pleinement 230 231 Anonyme, « La conférence de Bruxelles » Le Temps, 21 avril 1920, p.1. Anonyme, « Aux écoutes de San-Remo», Le Temps, 22 avril 1920, p.1. 232 Idem. 233 Anonyme, « L’Accord de San-Remo», Le Temps, 26 avril 1920, p.1. 71 dans ses droits en demandant les livraisons des Réparations et la garantie de sa sécurité. Ici encore, contrairement à la perception anglo-saxonne du traité de Versailles, les journalistes du Temps considéraient celui-ci comme une base aux garanties désirées par la France. Ainsi, la conférence de San Remo, dans les pages du journal Le Temps, se présentait comme une première épreuve pour la solidité de l’Alliance. Mais la confiance aveugle qu’on avait à l’égard des Alliés de guerre s’effritait. La publication officieuse, et ainsi, par extension, probablement, le gouvernement, ne citait le traité de Versailles que comme une base acquise qui pouvait être améliorée. Le Temps discourait, aussi, beaucoup moins de sa méfiance face à l’Allemagne en se concentrant sur les relations compliquées au sein de l’Alliance. La perspective du journal Le Temps de la conférence de Gênes est plus complexe que lors des rencontres internationales passées. En effet, l’argumentaire des journalistes et éditorialistes comportait trois grandes lignes directrices qui avaient pour but, selon nous, de montrer le prestige de la diplomatie française illustrant ainsi un peu plus la proximité du journal avec le pouvoir. Cette démonstration de l’autorité internationale française, à notre avis, servait à conforter la population en cas d’un éventuel bras-de-fer diplomatique ou d’un affrontement politique. La première de ces idées est une sorte de paternalisme à l’égard de l’Allemagne. Les journalistes affirmaient que la République de Weimar pouvait chercher à se redresser seulement si elle se montrait respectueuse des conditions du traité de Versailles.234 On peut voir, ici, une rare mention du traité de paix comme un idéal à atteindre qui établirait une situation souhaitable. Or, l’usage du conditionnel cachait mal le désir français, du moins du journal, de la détente avec la 234 Anonyme, « La résolution de Gênes, la réponse de l’Allemagne», Le Temps, 12 avril 1922, p.1. 72 voisine outre-Rhin. Qui plus est, les éditorialistes du journal écrivaient aussi que l’essentiel pour le maintien de la stabilité en Europe était un rapprochement francoallemand235 et que, dans cette optique, la France voulait le bien de l’Allemagne afin d’éviter une autre guerre qui lui prendrait tout.236 Toutefois, la méfiance à l’égard des Allemands n’avait pas complètement disparue. On prévenait Louis Barthou, le représentant français, que Rathenau et le chancelier Wirth avaient en tête de défier les stipulations du traité de Versailles.237 Cette contradiction apparente dans la perspective qu’avait le journal des Allemands peut être attribuable au fait que les articles n’étaient jamais signés. Il est possible que des auteurs différents se soient penchés sur le même sujet. Cependant, le lecteur peut aussi percevoir, de par la proximité entre la publication et le Quai d’Orsay, une certaine ambivalence dans l’attitude à prendre à l’égard de l’Allemagne chez les responsables français. La deuxième grande idée défendue tout au long de la conférence de Gênes était l’importance de la solidarité entre Alliés. Dès les premiers jours de la rencontre, Le Temps déclarait que l’accord au sein de l’Entente semblait primordial afin d’assurer une bonne collaboration. 238 La nouvelle de la signature du traité de Rapallo relança cette idée. En effet, les journalistes affirmaient que la France et la Grande-Bretagne devaient être unies contre Rapallo afin d’obtenir l’annulation de ce traité.239 On avançait aussi que l’Entente, dans ce contexte, avait l’obligation de réagir dans le but d’éviter le déclenchement de la guerre.240 L’énonciation, quoique tiède, d’un désir de voir les alliés 235 236 Anonyme, « Le discours de M. Poincaré, une théorie allemande », Le Temps, 21 mai 1922, p.1. Anonyme, « Haute-Silésie et emprunt allemand », Le Temps, 1er juin1922, p.1. 237 Anonyme, « Un piège », Le Temps, 7 mai 1922, p.1. 238 Anonyme, « L’ouverture de la conférence », Le Temps, 11 avril 1922, p.1. 239 Anonyme, « Les premiers fruits de la conférence », Le Temps, 19 avril 1922, p.1. 240 Anonyme, « La réponse de M. Lloyd George », Le Temps, 20 avril 1922, p.1. 73 de guerre réagir contre le pacte germano-russe traduit, selon nous, une volonté de voir la France profiter de sa situation de puissance victorieuse pour maintenir une position de force sur l’Allemagne. Du même coup, la formulation, par un journal proche du pouvoir et susceptible de s’en inspirer, d’un besoin d’une frappe préventive sur la voisine d’outreRhin révèle une promptitude à vouloir dépasser le cadre versaillais. La promotion d’un certain ascendant moral français était à la base de la dernière ligne directrice. Cette idée de l’ascendant moral semblait principalement dirigée contre la Grande-Bretagne. Plus précisément, les journalistes du Temps avaient tendance à souligner l’opposition entre la France et la Grande-Bretagne, la première étant représentée comme bienfaisante. Par exemple, avant que la conférence ne s’ouvre, Le Temps déclarait que la France, malgré qu’elle eut des droits, était prête à collaborer pour le bien de la solidarité alliée.241 On manifestait ainsi le désir français de combler ses besoins à tout prix en précisant, d’une façon prévisible par le rapport privilégié entre la publication et les sphères dirigeantes, que la France se montrait près à la concertation. De plus, la signature du traité de Rapallo ne déclencha pas l’ire des journalistes contre le nouveau couple germano-russe mais étrangement, contre la Grande-Bretagne de Lloyd George qu’on soupçonnait de complicité dans ce dossier. 242 En fait, les éditorialistes du Temps avançaient que le Premier ministre britannique, bien qu’au courant des tractations entre les deux pays, avait laissé aller la conclusion du pacte afin de nuire à la France. Or, preuve que les journalistes voulaient montrer l’ascendant morale de la France sur Albion, ils affirmaient ne pas vouloir aller trop loin dans ces accusations 241 242 Anonyme, « L’ouverture de la conférence », Le Temps, 11 avril 1922, p.1. Anonyme, « Les premiers fruits de la conférence », Le Temps, 19 avril 1922, p.1. 74 afin de « ménager [les] alliés »243. On soutenait aussi, avec déception, que Lloyd George se montrait plus intéressé par ses rapports avec l’Italie qu’avec la France. 244 Dans les derniers jours de la conférence, les rédacteurs du journal Le Temps lancèrent une accusation qui en disait long sur la tension entre la France et la Grande-Bretagne. Ils prétendaient que si Lloyd George avait été plus ferme face à Guillaume II en 1914, la Grande Guerre n’aurait jamais eu lieu.245 En somme, la conférence de Gênes marquait un tournant assez notable dans la perception qu’avait Le Temps de la réalité internationale. Il semble que l’accroissement de la tension au sein de l’Entente forçait la diplomatie française, afin d’éviter l’isolement français, à se tourner timidement vers la vaincue. Ainsi, en montrant les fautes anglaises et la solidarité alliée bafouée, on justifiait cette nouvelle politique qui consistait en un rapprochement avec l’Allemagne. Cette diplomatie conciliante avec la vaincue, sans outrepasser les stipulations du traité de paix de 1919, rompait avec l’esprit de Versailles qui s’était établi sur l’union au sein de l’Entente durant la guerre. En outre, l’approche française de détente face à l’Allemagne visible lors de la conférence de Londres du 5 juillet 1921, qui aurait pu s’expliquer par la présence du conciliant Briand aux affaires, semblait se poursuivre et se consolider malgré sa démission en janvier 1922. On peut en conclure que si ce journal était aussi proche du Quai d’Orsay qu’on l’affirme souvent, Poincaré n’était pas encore décidé à agir contre l’Allemagne. Il avait cependant rompu ses liens avec l’esprit de Versailles, comme peut le démontrer sa désaffection envers l’autre signataire européen du 243 244 Anonyme, « La réponse des Alliés à l’Allemagne », Le Temps, 24 avril 1922, p.1. Anonyme, « Le droit aux sanctions, la clôture de Gênes », Le Temps, 17 mai 1922, p.1. 245 Idem. 75 traité de paix. Ainsi, la France ne craignait pas se retrouver à faire cavalier seul à la suite de la manifestation de sa politique de puissance. La couverture de la conférence de Londres de décembre 1922 par les éditorialistes du journal Le Temps prit une tangente bien différente puisqu’on militait pour un rapprochement avec les Anglais. Le journal revenait ainsi à son discours d’origine qui favorisait la détente avec les Britanniques plutôt qu’avec les Allemands; les événements, comme le traité de Rapallo, allaient justifier le retour de l’ancienne diplomatie française. Tout d’abord, on débutait par faire une distinction claire entre la gouvernance du nouveau Premier Bonar Law et celle de Lloyd George, devenu journaliste, qu’on accusait encore d’être un ennemi de la paix. Le Temps, en outre, continuait à prétendre que Lloyd George avait été un facteur qui a contribué au déclenchement de la Grande Guerre et que celui-ci encourageait toujours la même attitude.246 En ce qui concernait Bonar Law, on avançait qu’il amenait une nouvelle confiance au sein de l’Entente cordiale. 247 Dans ce contexte et dans le cadre de la conférence de Londres, les journalistes du Temps réaffirmaient l’importance de la concertation tout en ramenant l’usage de termes tels que « amis » et « alliés » dans leur description des rapports franco-britanniques. 248 D’un autre côté, on défendait, malgré l’opposition des Britanniques, le besoin qu’avait la France de conserver sa liberté d’action puisqu’elle ne pouvait pas se laisser ruiner par la mauvaise foi allemande.249 On militait toujours, comme il est possible de le constater avec la dernière affirmation, en faveur d’une politique extérieure indépendante et, de telle sorte, hors, dans une certaine mesure, de l’esprit versaillais. Ainsi, un certain 246 247 Anonyme, « L’ennemi de la paix », Le Temps, 10 décembre 1922, p.1. Anonyme, « Parlons des gages », Le Temps, 11 décembre 1922,], p.1. 248 Anonyme, « De l’action, de l’action, de l’action », Le Temps, 12 décembre 1922, p.1. 249 Anonyme, « L’ajournement de la conférence », Le Temps, 13 décembre 1922, p.1. 76 sentiment d’urgence se dégage de la couverture de la conférence de Londres. En effet, on tentait de concilier les besoins français et l’Entente dans une sorte de dernière tentative de main tendue. Il semble que la décision de la France d’envahir la Ruhr n’était pas encore prise; on cherchait la négociation avec les Britanniques plutôt que la confrontation avec les Allemands et les Anglo-Saxons. Or, la seule énonciation de l’invasion de la Ruhr, bien que le journal se montrait neutre face à cette éventualité probablement à cause de ses liens reconnus avec le pouvoir, confirme l’existence de cette idée « anti-versaillaise » dans les bureaux de l’organe officieux. Cette indécision confirme, dans une certaine mesure, la thèse de Stanislas Jeannesson250 qui affirme que l’occupation de la Ruhr n’était pas le leitmotiv de Poincaré mais bien une réponse à la conjoncture. La conférence de la dernière chance de Paris en janvier 1923 vue par les journalistes du Temps dévoile une dynamique complètement différente. En effet, on semblait réaliser que les conceptions britanniques étaient inconciliables avec les idées françaises. Ainsi, tout comme lors de la conférence de Londres, un mois plus tôt, les journalistes n’abordèrent guère les relations franco-allemandes; ils se concentrèrent sur les rapports entre alliés. En effet, après le dévoilement et le rejet du Plan Bonar Law qui visait l’annulation par la Grande-Bretagne de la dette de guerre française en échange d’une réduction du montant total des Réparations, Le Temps montrait la solidarité entre la France, la Belgique et l’Italie face au plan britannique. 251 On illustrait, du coup, que la France n’était pas une puissance isolée et qu’elle ne craignait pas une action sans l’autre principale signataire du traité de Versailles. 250 Stanislas Jeannesson, Poincaré, La France Et La Ruhr, 1922-1924: Histoire D'une Occupation. Presses universitaires de Strasbourg. Strasbourg. 1998. 432 pages. 251 Anonyme, « En pleine lumière », Le Temps, 4 janvier 1923, p.1. 77 On revenait encore, dans Le Temps, sur l’ascendant moral que possédait la France sur la Grande-Bretagne car Poincaré voulait intégrer les Anglais dans la procédure de gages. Selon les rédacteurs du Temps, la non-participation de la Grande-Bretagne dans la prise de gage ne ferait qu’encourager la résistance et la mauvaise volonté en Allemagne. 252 Le Temps, de toute évidence, défendait une action qui dépassait clairement le cadre du traité de Versailles en blâmant la neutralité britannique. D’un autre côté, les journalistes affirmaient que la France souhaitait voir le redressement de l’Allemagne mais non pas à ses dépens. 253 On déclarait, de plus, que la France, qui ne cherchait que le maintien de la sécurité en Europe, était clairvoyante alors que Bonar Law, trop occupé par les questions économiques, ne l’était pas.254 On justifiait, de la sorte, la rupture à venir entre la France et la Grande-Bretagne, tout en dépeignant la dernière comme une puissance isolée et excentrique. De son côté, la France paraissait soutenue dans ses ambitions par un bloc italo-belge qu’on qualifiait d’indéfectible. Le discours qui soustendait la couverture de la conférence de Paris montre que la décision d’agir contre l’Allemagne, au gouvernement français, était prise et qu’on tentait de rallier l’opinion publique à une action unilatérale qui aurait été intolérable à peine quatre ans plus tôt. Tout l’intérêt de l’analyse du journal Le Temps réside dans sa souplesse due à sa proximité avec le pouvoir. En effet, le journal ne pouvait pas se permettre d’être dogmatique : il devait avoir la capacité d’adapter son discours au besoin de la diplomatie française. La position du journal paraissait aussi changeante que la politique elle-même. Ainsi, l’alliée de 1919 devient l’adversaire politique de 1923 pour la France puisqu’elle 252 253 Idem. Idem. 254 Anonyme, « Plus d’équivoques! », Le Temps, 5 janvier 1923, p.1. 78 paraissait s’opposer directement aux demandes de la France. D’un autre côté, l’ennemie de guerre fut peu à peu réhabilitée. Le Temps montrait aussi une tendance à évaluer avantageusement la situation française, même lorsque les responsables semblaient faire cavalier seul. Le probable voisinage entre le quotidien et le Quai d’Orsay lui valait, à l’époque, d’être considéré comme un journal domestiqué. À la veille de l’occupation de la Ruhr, la perception que le journal Le Temps avait de la France était celle d’un pays dominant, appuyé et en opposition directe avec la Grande-Bretagne. L’Allemagne, loin d’être l’ennemie héréditaire de 1919, n’était plus que la victime du contentieux francobritannique. Or, selon nous, il est important, dans l’analyse du Temps, de soulever les non-dits. En effet, les éditorialistes passaient sous silence ou négligeaient d’aborder le traité de Versailles. On élaborait plutôt sur la politique allemande de la France sans cacher, au départ, une propension à vouloir dépasser le cadre du traité de paix comme pouvait l’indiquer les répétitives analogies du marteau et de l’enclume. Le désir français d’établir des sanctions et de se prémunir de garanties rapidement après la conclusion de la guerre révèle une propension des responsables français à voir la France conserver son ascendant sur l’Allemagne de façon définitive. Ainsi, alors qu’on ne mettait pas le traité de l’avant, l’on n’était en rien embarrassé de manifester des aspirations belliqueuses bien que l’on affirmait voir l’Allemagne s’engager dans une loyale exécution des clauses versaillaises. De 1919 à 1923, malgré un ton conciliant dans Le Temps, le traité de Versailles, apparemment, était devenu lettre-morte. Les trois quotidiens, avec des tons et des approches différentes, tendaient à montrer une France remuante qui ne craignait pas l’action unilatérale sortant de l’esprit établi par le traité de paix de 1919 ce qui, historiquement, est avéré. La France usait de 79 ses propres moyens dans l’optique de combler ses besoins même si cette satisfaction la forçait à s’extirper de l’esprit de Versailles émanant du wilsonisme. Alors que L’Action française et Le Temps dépeignaient la France comme une puissance qui possédait tous les moyens de sa politique, L’Humanité, peut-être malgré la volonté de ses rédacteurs, confirmaient cet image du statut français. En effet, Paul Louis s’évertuait à démontrer tout le caractère dangereux de la politique belliqueuse et unilatérale de la France. Cette différence importante dans l’analyse de l’actualité peut aisément être expliquée par les écarts idéologiques entre les journaux. Ainsi, ce discours, dégagé au maximum de son vernis idéologique, semble être confirmé par le discours même des deux quotidiens plus nationalistes qui allaient dans le même sens. Donc, l’étude des discours des trois quotidiens de 1919 à 1923 reflète l’image d’une France qui mettait de l’avant une politique de puissance sans égard à l’esprit de conciliation émanant du traité de Versailles. 80 Chapitre troisième. La perspective des trois journaux de 1923-1926 Dans ce dernier chapitre, nous mettrons en évidence les argumentaires et les discours avancés par les trois grands journaux de 1923 à 1926 afin de les comparer sur ce qu’ils défendaient dans l’immédiat après-guerre. Ainsi, il nous sera possible de vérifier si le recentrage dans la politique allemande de la France vers une diplomatie de conciliation fut sensible après l’invasion de la Ruhr et s’il eut un effet sur la perception des trois quotidiens. L’idéologie véhiculée par les trois quotidiens demeure primordiale puisqu’elle peut nous informer sur la position d’un journal vis-à-vis de la diplomatie française. La confirmation, par la presse, d’un ajustement de la politique de la France à l’égard de l’Allemagne pourrait, par opposition, appuyer notre thèse de la présence d’un révisionnisme français de l’ordre versaillais jusqu’en 1923. Contrairement au chapitre précédent, il nous fut impossible d’utiliser les mêmes dates dans l’étude des trois journaux en raison de leurs couvertures différentes des mêmes événements. À titre d’exemple, la conclusion de l’Entente internationale de l’acier d’octobre 1926 ne fut pas traitée également par les trois quotidiens, ce qui nous empêche ainsi d’appuyer de manière égale notre analyse sur cet événement. La mise à l’index de la Machtpolitik française fut tributaire du contexte économico-politique mis en place par l’invasion de la Ruhr par la France. L’occupation de la Ruhr ne fut rentable ni sur le plan financier ni sur le plan politique. Le maintien d’une armée d’occupation, la résistance de l’Allemagne255 ainsi que l’odieux d’une invasion à peine quatre ans après la guerre la plus meurtrière pesaient lourd sur les épaules de la France. Les responsables français, après la conclusion de la commission 255 Fabrice Grenard, op. cit. p.115 81 Dawes qui rendait la politique de puissance de la France illégitime, se voyaient forcés à la détente avec les Allemands. Or, cette conciliation se voulait, en France, un recentrage vers l’esprit qui émanait du traité de paix de 1919. Bien que les responsables français fussent prêts, avant 1923, à outrepasser ses dispositions, ils ne souhaitaient pas voir la France perdre ses acquis de guerre dans le cadre de la renégociation de la paix qui allait s’effectuer à Londres et à Locarno. L’Humanité : La pérennité dans l’opposition à la politique française La couverture de l’actualité internationale par L’Humanité devint irrégulière et erratique peu après l’invasion française de la Ruhr. En fait, les journalistes accordaient plus d’importance à la propagation sur la révolution qu’à l’objectivité journalistique dans la rédaction de leurs articles. Cependant, dans la perspective du journal des années 1923 à 1926, nous n’avons pas constaté de changement majeur par rapport aux années qui ont précédé l’invasion de la Ruhr. En effet, nous avons noté que le même argumentaire et les mêmes thèmes étaient avancés par les journalistes et éditorialistes : une hostilité face à la politique française en rien dissimulée, justifiée par la victimisation de l’Allemagne. Ainsi, le journal interprétait toujours la politique extérieure sous un œil marxiste de domination et d’impérialisme. Cependant, la rhétorique de cette antipathie connut une certaine transition puisque la France ne semblait plus soumise à l’Allemagne ou la Russie soviétique mais bien aux grands argentiers anglo-saxons. Ainsi, à la veille de l’annonce de l’action de la France dans la Ruhr, le 9 janvier 1923, des auteurs anonymes entreprirent la défense des grands thèmes énoncés près de cinq années auparavant. En effet, on déclarait que l’impérialisme français s’apprêtait à 82 frapper l’Allemagne désarmée au nom du patriotisme du Comité des Forges 256 et des requins de la métallurgie.257 On peut y percevoir une formulation prévisible mais sensationnelle pour un journal qui prônait la révolution communiste et la mise à mort de l’impérialisme perçu comme le stade ultime du capitalisme. Plus tard, en octobre 1923, Marcel Cachin accusait Poincaré d’encourager des leaders séparatistes allemands dans le but de détacher la Rhénanie et d’assouvir la soif impérialiste française.258 Or, sur ce point, Cachin n’était pas loin de la réalité mais l’idéologie du quotidien ne rendait pas très crédible ce type d’allégations. D’un autre côté, le journal défendait l’idée que les puissances alliées devaient travailler à la guérison de l’Allemagne.259 Par conséquent, on voyait encore la France agir comme le bourreau de l’Allemagne qui était, quant à elle, dépeinte comme la victime dans un cadre versaillais. Le thème de l’hostilité à l’égard de la politique française appuyé, dans L’Humanité, par le constat de la faiblesse et l’isolement de la France refit surface rapidement dans le cadre de la couverture de l’occupation de la Ruhr. Alors que la commission Dawes concluait ses travaux en avril 1924, un certain G. V. affirmait que Poincaré était dans une situation plus que précaire dans la Ruhr car « [d]emain, Poincaré, prisonnier de [la banque] Morgan et de la finance américaine devra accentuer sa retraite. »260Le journaliste faisait référence à l’emprunt de 100 millions de dollars octroyé à la France par les États-Unis, qui, selon lui, vassalisait la politique française. 256 257 Anonyme, « À la veille du mauvais coup », L’Humanité, 9 janvier 1923, p.1. Anonyme, « Au nom du Droit des Peuples et des requins de la métallurgie la Ruhr est occupée », L’Humanité, 12 janvier 1923, p.3. 258 Marcel Cachin, « L’agitation en Rhénanie démasque la politique de Poincaré », L’Humanité, 23 octobre 1923, p.1. 259 Anonyme, « « Aidons d’abord l’Allemagne à se guérir» déclare l’invité américain», L’Humanité, 15 janvier 1924, p.1. 260 G. V., « Les Experts condamnent l’occupation de la Ruhr», L’Humanité, 11 avril 1924, p.1. 83 L’Allemagne, après l’invasion de la Ruhr, semble moins soumise que la France envers les Anglo-Saxons. Il est aisé de percevoir l’attitude dépréciative qu’avait L’Humanité à l’égard de la liberté d’action de la France un an après le déclenchement de l’occupation de la Ruhr. Donc, la France est subordonnée à ses alliés de guerre ce qui, sans vernis marxiste, revient à dire que le gouvernement français a perdu sa liberté d’action en se recroquevillant sur l’esprit de Versailles et, ainsi, le pouvoir de mettre de l’avant une politique de puissance. La soumission de la France aux banquiers anglo-saxons revint dans la couverture de L’Humanité de la Conférence de Londres du 16 juillet au 16 août 1924 afin de démontrer, de façon doctrinaire, la faiblesse et l’isolement de la politique française. De prime abord, Cachin déclarait que les conclusions de la conférence représenteraient la fin du fiasco de la politique française en Allemagne, en l’occurrence, l’évacuation de la Ruhr.261 L’énonciation, certes idéologique, par le journal de cette politique française qui est mise en échec par la conférence de Londres, à notre avis, appuie notre thèse de l’existence d’une Machtpolitik française avant 1923 qui cède la place à une diplomatie conciliatrice. Cachin affirmait que le Cartel des Gauches, nouvellement au pouvoir, était un parti de petits bourgeois lié aux Anglo-Saxons, eux qui se retrouvaient en situation de puissance. 262 Par conséquent, L’Humanité déclarait que l’impérialisme français était soumis aux banquiers anglo-américains et que les discussions étaient vaines en ce sens que la décision finale reviendrait, de tout façon, à la banque Morgan. 263 La perception des journalistes va encore dans le sens de notre analyse en ce sens que la France, qui perd ses 261 Marcel Cachin, « La nouvelle conférence interalliée s’est ouverte hier matin, à Londres, dans une atmosphère de désastre», L’Humanité, 17 juillet 1924, p.1. 262 Marcel Cachin, « Les commissions travaillent sous la surveillance des représentants de Pierpont Morgan», L’Humanité, 18 juillet 1924, p.1. 263 Anonyme, « Herriot champion de l’action isolée», L’Humanité, 25 juillet 1924, p.1. 84 moyens d’actions, se voit obligée de suivre les recommandations des Anglo-Saxons. Ainsi, dans la perspective de L’Humanité de la politique française au moment de la capitale conférence de Londres, la France soumise aux Anglo-Saxons et, selon la logique révolutionnaire, à leurs finances se révélait être un État isolé et incompétent. La timide couverture par L’Humanité de la conférence de Locarno du 5 au 16 juillet 1925 marqua une étape dans une transition du regard du journal sur la politique extérieure française. En effet, alors qu’une détente semblait s’opérer entre la France et l’Allemagne, les journalistes du quotidien eurent une certaine propension à tourner leur attention vers l’antagonisme croissant entre les pays de l’Ouest et l’URSS. Ainsi, d’une façon encore marxiste, pour les rédacteurs de L’Humanité la France n’était qu’un figurant de plus dans l’opposition des Anglo-Saxons aux Soviétiques. Par conséquent la politique française se retrouvait toujours soumise au bloc anglo-américain. Pour Peri, la politique française se soumettait à Austen Chamberlain puisque la signature par la France du Pacte rhénan représentait le sacrifice de la Petite Entente, vestige de la politique de puissance française passée, au profit d’un grand bloc antisoviétique. 264 L’auteur, par son argument empreint de son idéologie communiste, corrobore encore notre thèse sur la chute de la Machtpolitik pour se tourner plutôt vers la conciliation versaillaise. Selon Peri, cette célébration pour les anglophiles ne réglait rien et était dirigée contre l’URSS. L’Humanité, enfin, faisait peu de cas de la détente franco-allemande naissante. On préférait se tourner vers un « nouveau » cheval de bataille : l’antagonisme Est-Ouest. Les journalistes n’omettaient pas, au passage, de constater la soumission et la faiblesse de la France face à la Grande-Bretagne. Les questions financières semblent avoir été évacuées 264 G. Peri, «Le front antisoviétique sera-t-il soudé à Locarno », L’Humanité, 6 octobre 1925, p.1. 85 de l’argumentaire de L’Humanité pour laisser une place primordiale à l’isolement politique français. Ainsi, l’apparente union qui semblait se former entre les grands pays européens autour de ce qui pourrait être tenu d’appeler l’esprit de Versailles donnait moins d’opportunités aux journalistes de mettre de l’avant leur perspective révolutionnaire d’où l’attrait de se tourner vers la question Est-Ouest qu’il lui était plus propice. Les journalistes de L’Humanité persistèrent dans leur indifférence face à l’actualité de la détente franco-allemande puisqu’ils élaborèrent peu sur la conférence de Genève, qui confirmait l’admission de l’Allemagne à la SDN, de la rencontre personnelle de Thoiry et de la conclusion de l’Entente internationale de l’acier (EIA) en septembreoctobre 1926. En fait, Peri pensait que la rencontre entre Stresemann et Briand du 17 septembre était une victoire de l’Allemand 265 dans son projet de réaliser un cartel du fer266. Après l’annonce de la conclusion de l’EIA en octobre, le journaliste persista dans la même voie; il qualifiait cette entente de « paix des barons du fer » qui ne représentait rien d’autre qu’un Locarno capitaliste afin de démontrer toujours la faiblesse de la France. De plus, il pensait que cette cartellisation comportait un risque de guerre contre la Grande-Bretagne puisque cette dernière voyait ses intérêts sidérurgiques mis à mal. Ce Locarno économique n’aidait en rien, selon Peri, la cause de la sécurité en France. 267 Ainsi, le journaliste n’abordait pas ce signe de détente, selon nous versaillaise, mais interprétait le rapprochement franco-allemand un peu comme il le fit avec la conférence 265 266 G. Peri, «À Genève…et rue de Madrid », L’Humanité, 18 septembre 1926, p.3. G. Peri, «Sarre, Rhénanie, cartel du fer», L’Humanité, 17 septembre 1926, p.3. 267 G. Peri, «La paix des barons du fer », L’Humanité, 4 octobre 1926, p.1. 86 de Locarno; c’était une union malsaine et dangereuse des intérêts impérialistes. On discréditait du même coup la nouvelle approche diplomatique de la France En général, en dépit de variations notables dans le traitement des nouvelles internationales, la perspective de L’Humanité reste sensiblement la même de l’immédiat après-guerre jusqu’à l’occupation française de la Ruhr. En effet, on tendait à montrer l’incompétence du gouvernement ainsi que ses volontés impérialistes dangereuses pour le maintien de la paix en Europe aussi bien si la France se montrait provocatrice que si elle penchait plutôt vers la conciliation. L’impuissance de la France est le thème qui connut les plus grandes variations puisqu’il fut directement lié à la conjoncture. Effectivement, selon le cas, on montrait la France à la merci des Allemands, des Soviétiques, des AngloSaxons ou encore de la finance. La rhétorique de L’Humanité semblait servir la cause de la révolution communiste plutôt que la rigueur journalistique. À titre d’exemple, le seul thème de l’impérialisme français n’était mis de l’avant qu’afin d’encourager le renversement du gouvernement, qu’il soit de gauche ou de droite. Les journalistes se montraient critiques face au traité de Versailles mais certainement pour des raisons que des politiciens comme Poincaré ou Clemenceau n’auraient pas endossées. Paul Louis, principalement, usait de la rhétorique marxiste pour juger le traité de paix. Ainsi, avec ce militantisme en filigrane, l’information divulguée perdait objectivement de la crédibilité primordiale pour n’importe quel journal. En somme, il semble possible de cibler un recentrage dans la couverture de l’actualité internationale dans le journal L’Humanité de 1919 à 1924, selon les 87 changements marqués dans le contexte diplomatique. Quoi qu’il en soit le manque d’intérêt apparent du quotidien pour la question versaillaise, ne peut pas nous permettre de confirmer, seul, l’existence d’un rajustement dans la politique allemande de la France. L’Action française : la victoire annoncée de l’Allemagne Les journalistes du journal L’Action française semblent avoir porté une attention particulière à l’actualité internationale à l’époque de l’occupation française de la Ruhr. La couverture des grandes rencontres diplomatiques était plus étayée que celle de L’Humanité. Contrairement à ce dernier, aussi, un changement fut perceptible dans les grandes idées défendues. Effectivement, d’un côté, on continuait toujours à montrer que l’Allemagne, jugée responsable de la Grande Guerre, méritait d’être muselée On commençait, toutefois, à se méfier de son redressement politique et économique qui semblait se consolider. Par conséquent, la méfiance que les journalistes ressentaient à l’égard de l’Allemagne se transformait en une crainte. De plus, L’Action française, journal chauvin et nationaliste, s’évertuait moins à montrer la France comme une grande puissance puisqu’il percevait que les victoires allemandes se faisaient aux dépens des intérêts français et avec l’aide des Anglo-Saxons. Par conséquent, le changement de la politique française vers la détente était perçu par les monarchistes, ce qui en soit, représente un appui important à notre thèse. Enfin, ces transitions furent perceptibles dès les premiers mois de l’occupation de la Ruhr. À la veille de l’occupation de la Ruhr, Bainville considérait que cette éventuelle action était entièrement imputable à l’Allemagne puisqu’elle commettait des manquements répétitifs et évidents aux Réparations. Il affirmait que même les Anglo- 88 Saxons les constataient.268 On pensait toujours que l’Allemagne avait une politique fondée sur la mauvaise volonté269 et qu’elle était ruinée par sa désorganisation due à sa propension à la guerre, au socialisme ainsi qu’à la révolution; explication bien commode pour une publication conservatrice.270 Jacques Bainville accusait les Anglo-Saxons d’encourager la résistance allemande en prônant une politique d’inaction et de neutralité bienveillante. 271 Bainville affirmait ne rien comprendre à cette décision du bloc anglo-américain puisque, selon lui, l’occupation était légale, pacifique et s’était produite sans le moindre incident.272 Ainsi, la perception de L’Action française des premiers mois de l’occupation de la Ruhr ne marquait pas une rupture brutale avec ce qu’on écrivait quelques semaines plus tôt. Or, alors que le discours de fond ne change pas, il est aisé de percevoir une transition dans le ton qui se voulait plus défensif ou encore justificateur qu’avant 1923, signe, peut-être, d’un changement de perception et dans la confiance à l’égard de la politique française de l’Allemagne. En somme, le changement de ton pourrait être révélateur d’un nouvel état d’esprit chez les rédacteurs de L’Action française après l’invasion de la Ruhr. La couverture de la commission Dawes du printemps 1924 par les journalistes de L’Action française était plutôt technique. Les rédacteurs de L’Action française se servirent aussi de cette occasion pour montrer la mauvaise foi du gouvernement allemand. Jacques Bainville déclarait, en fait, que l’Allemagne était beaucoup trop 268 Jacques Bainville, « À la veille de l’action; la CDR constate le nouveau manquement de l’Allemagne», L’Action française, 10 janvier 1923, p.1. 269 Jacques Bainville, « L’occupation pacifique», L’Action française, 1 janvier 1923, p.1. 270 Jacques Bainville, « Le CDR examinera la capacité de paiement de l’Allemagne», L’Action française, 28 octobre 1923, p.1. 271 Jacques Bainville, « À la veille de l’action; la CDR constate le nouveau manquement de l’Allemagne», L’Action française, 10 janvier 1923, p.1. 272 Idem. 89 socialiste pour retrouver un juste milieu dans ses finances. Il faisait remarquer, à cet effet, que l’Italie, sous la dictature de Mussolini, se portait bien. 273 Ainsi, la France ne pouvait guère se fier à une Allemagne socialiste. Les deux dernières affirmations démontraient assez facilement la ligne de pensée du journal. On se disait aussi content de voir que les experts américains reconnaissaient le potentiel économique allemand et, qu’en ce sens, l’Allemagne devait avoir une charge fiscale aussi lourde que tous les pays impliqués dans la Grande Guerre. Bainville affirmait que la commission Dawes n’était qu’une manifestation du bon sens puisqu’il paraissait tout à fait compréhensible que l’Allemagne retrouve son équilibre budgétaire afin qu’elle puisse payer les Réparations à la France. Ainsi, loin de prôner l’exécution, par la France, d’actions violentes en territoires allemand, Bainville militait pour une politique qui serait tenue de qualifier de raisonnable, se penchant ainsi sur les recommandations des Anglo-Saxons. Donc, bien que L’Action française fusse loin du pouvoir, il serait possible de croire que ses rédacteurs qui sentaient la situation française changer, aient désiré préparer l’opinion publique. À tout le moins, le lecteur peut percevoir un changement dans la perspective du journal à l’égard de la politique française de l’Allemagne. L’argumentaire défendu par le journal tout au long de la conférence de Londres de juillet et août 1924 fut complexe et il se découpait en trois grandes idées qui se rejoignaient sur la situation d’isolement de la France. En effet, on constatait un rapprochement entre les Anglo-Saxons et les Allemands qui, du coup, favorisait la reprise en puissance de l’Allemagne. Cette puissance retrouvée, enfin, mettait en péril, selon L’Action française, les acquis de guerre de la France. En ce qui concerne l’intérêt du bloc 273 Jacques Bainville, « Requête du général Dawes», L’Action française, 15 janvier 1924, p.1. 90 anglo-américain aux finances allemandes, Bainville déplorait le caractère trop économique de la commission Dawes274 et il affirmait que l’annonce de l’octroi d’un prêt à l’Allemagne ne fut faite que pour créer la désunion au sein de l’Entente.275 Il affirmait, de plus, que la commission des Experts fut assemblée seulement pour évacuer la Ruhr et ainsi liquider la politique française au profit de l’Allemagne. 276 Il écrivait, enfin, que cette dictature de l’argent n’avait comme objectif que d’« enterre[r] les réparations »277. Le lecteur sent, dans les propos du journaliste, un certain pessimisme face à l’avenir de la France et de sa diplomatie. En effet, alors qu’avant l’invasion de la Ruhr Bainville trouvait presque insignifiant l’isolement de la France, il la décriait quelques mois plus tard pendant que la Machtpolitik française était mise en échec. Bainville constatait que, dans ce contexte, aucun parti ne semblait décidé à aider la France de Herriot.278 Il déclarait que la politique de faiblesse déclenchée par le parti socialiste coûterait cher à la France sur le plan des concessions. L’historien estimait aussi que la victoire de la France dans la Grande Guerre n’apportait pas d’avantages et, qu’en plus, Édouard Herriot ne résistait en aucun cas aux pressions extérieures puisqu’il faisait constamment des concessions. 279 Ce « désastre pour la France », selon Bainville, coûtait aux Français leur sécurité géographique et la souveraineté du gouvernement sur le plan des décisions diplomatiques. 280 Donc, dans le journal de droite et conservateur, on désignait un Cartel des Gauches et un Herriot faibles comme la raison du recul de la 274 275 Jacques Bainville, « Les points sur les i», L’Action française, 17 juillet 1924, p.1. Jacques Bainville, « La novation invisible», L’Action française, 18 juillet 1924, p.1. 276 Jacques Bainville, « Liquidation», L’Action française, 22 juillet 1924, p.1. 277 Jacques Bainville, « À Londres, on enterre les réparations», L’Action française, 8 août 1924, p.1. 278 Idem. 279 Jacques Bainville, « La conférence de Londres; la réponse allemande», L’Action française, 16 août 1924, p.1. 280 Op. cit. 91 France. La conférence de Londres marquait, dans L’Action française, une transition claire dans la perception de la situation internationale de la France et de la politique allemande de la France. En effet, la France, contrairement à ce qu’on pouvait lire avant 1923, paraissait de plus en plus isolée face à une Allemagne en pleine expansion et aidée par des Anglo-Saxons qui semblaient plus antinomiques que jamais à la situation française. Par conséquent, l’Allemagne n’était plus cette nation déchue que l’on pouvait et que l’on devait museler mais bien une puissance qui comptait. Ce défaitisme de L’Action française, selon nous, représente un appui à notre thèse du retour à un esprit de conciliation versaillais. Ce renversement de perception fut renforcé dans la couverture de la conférence de Locarno par le quotidien monarchiste. Le traitement de la conférence de Locarno par L’Action française persistait dans la transition entamée quelques mois plus tôt. La méfiance à l’égard de l’Allemagne paraissait se transformer en une crainte presque respectueuse alors qu’on constatait l’isolement de la France sur la scène internationale qui est, selon nous, très représentatif de la nouvelle politique de conciliation dans le cadre versaillais. En ce qui concerne l’Allemagne, Bainville déplorait qu’elle fut traitée, dans le nouveau contexte versaillais, sur un pied d’égalité avec les autres puissances281, malgré la présidence de Hindenburg, représentant du militarisme prussien282, et la gouvernance de Stresemann, élève de Bismarck283, au Reichstag. Il percevait cette réalité comme une nouvelle victoire de l’Allemagne.284 De plus, avec le refus de l’Allemagne de s’engager militairement dans le Pacte rhénan, le journaliste se disait convaincu que l’Allemagne se préparait à la guerre 281 282 Jacques Bainville, « La conférence s’est ouverte hier», L’Action française, 6 octobre 1925, p.1. Jacques Bainville, « La victoire morale du maréchal Hindenburg», L’Action française, 7 octobre 1925, p.1. 283 Jacques Bainville, « Les chances de succès du pape», L’Action française, 10 octobre 1925, p.1. 284 Jacques Bainville, « Devant la nouvelle menace allemande», L’Action française, 8 octobre 1925, p.1. 92 ou encore à une révision du traité de Versailles. 285 Cette affirmation d’un désir allemand de revoir l’ordre versaillais était intéressante puisque c’est la première fois en près de cinq ans que le journaliste en dissertait. En effet, alors que la France mettait de l’avant une diplomatie unilatérale, on voyait très peu de mention au traité de Versailles. Or, au moment où la France se retrouve dans une situation affaiblie, Bainville ne se privait pas d’user de cette argument révisionniste. Il assurait que l’accord d’Hindenburg au principe d’arbitrage enchâssé dans les Accords de Locarno ne représentait rien de moins que la réhabilitation du militarisme prussien et la défaite de la démocratie. 286 Ainsi, la perception de L’Action française de la situation en Allemagne trahissait un certain respect de l’ordre quasi-monarchique qui semblait s’y installer. Cependant, l’animosité à l’égard des Allemands n’avait pas encore complètement disparu de l’argumentaire du quotidien nationaliste. Donc, il est permis de croire que la méfiance longtemps ressentie face au Reich se changeait en une crainte de la puissance allemande retrouvée grâce à la diplomatie de l’ancienne aristocratie prussienne. Dans un cadre plus général, Bainville et L’Action française sentaient bien que le contexte international allait en changeant vers une certaine précarité, ou une égalité, de la France. À notre sens, l’alarmisme dû au recentrage de la politique française devait être bien implanté dans les bureaux de la publication nationaliste pour qu’on en traite si ouvertement. Ensuite, Bainville défendait l’idée de la forte corrélation entre l’isolement de la France et les décisions de ses alliés. En effet, il semblait dire que la conférence de Locarno, voulue par les Britanniques, mit à mal la souveraineté et la sécurité de 285 286 Jacques Bainville, « L’Allemagne et l’article 16», L’Action française, 12 octobre 1925, p.1. Jacques Bainville, « Locarno et le gouvernement du monde par les banquiers», L’Action française, 17 octobre 1925, p.1. 93 l’Hexagone. Ainsi, en plus d’être un constat de la faiblesse française, le discours de L’Action française était aussi, dans une certaine mesure, un blâme adressé à l’alliée de guerre. Bainville paraissait conscient que le gouvernement français avait perdu une partie de sa liberté d’action sur le plan international en acceptant l’argent de la Banque Morgan.287 D’un autre côté, il reprochait aux puissances réunies à Locarno de vouloir faire oublier le passé et la guerre afin d’encourager une réconciliation, ce à quoi, selon Bainville, Briand n’opposait aucune résistance.288 Il est important, ici, de noter l’utilisation du terme « réconciliation » plutôt que « conciliation » afin de faire comprendre au lecteur un retour à un ordre passé qui était, selon nous, l’esprit de Versailles. Avec l’approbation du Cartel des Gauches au Pacte rhénan, Bainville concevait que les puissances locarniennes avaient non seulement réussi à faire évacuer la Ruhr mais aussi à liquider la dernière manifestation d’une politique nationale française. 289 Des déclarations comme les trois dernières vont dans le sens de notre affirmation d’un retour à la conciliation versaillaise. Par conséquent, L’Action française, journal chauvin et nationaliste, ne percevait plus la France comme une grande puissance mais bien comme un pays de deuxième zone soumis à la volonté des États voisins. Ce pessimisme nouveau dans l’argumentaire du quotidien témoigne d’un renversement complet dans sa perception de la politique allemande de la France. En extrapolant, nous pourrions aussi conclure que la confirmation de ce défaitisme fut une manifestation et une preuve du retour de la France à l’esprit de Versailles. 287 288 Jacques Bainville, « Compter à dresser », L’Action française, 6 octobre 1925, p.1. Jacques Bainville, « L’idée de Locarno», L’Action française, 13 octobre 1925, p.1 289 Jacques Bainville, « Locarno et le gouvernement du monde par les banquiers», L’Action française, 17 octobre 1925, p.1 94 Il serait injustifié de parler d’une véritable couverture, par L’Action française, de la conférence de Genève, de la rencontre de Thoiry et la conclusion de l’EIA. En effet, la plus grande partie de l’information divulguée provenait de grandes agences de presse, telle Havas, et non pas de la plume des dirigeants du mouvement. Or, alors que la conférence de Genève passait complètement inaperçue, Bainville rédigea un court article sur la rencontre de Thoiry où il y affirmait que Stresemann ne désirait que l’évacuation complète de la Rhénanie, sans donner plus de détails ou encore son opinion. 290 Quant à l’EIA, Charles Maurras se contenta de s’interroger sur la faisabilité d’un cartel de l’acier à une si grande échelle.291 Peut-être l’apparente détente franco-allemande et le retour versaillais rendaient-ils beaucoup moins sensationnelle l’actualité qu’en émanait. Ainsi, au lieu de traiter de cette bonne nouvelle relative, les rédacteurs de L’Action française préféraient ne rien dire du tout. Dans une analyse globale, alors que le quotidien de Charles Maurras et Léon Daudet défendait l’idée de la suprématie de la France en Europe et militait pour la mise en échec de l’Allemagne avant l’invasion de la Ruhr par les troupes françaises, les journalistes de L’Action française, après janvier 1923, déclaraient que l’Hexagone était affaibli par rapport à Weimar. Les journalistes avaient aussi l’impression que la France n’était plus en mesure d’opérer une politique extérieure active et souveraine avec la disparition apparente de l’union au sein de l’Alliance. En d’autres mots, les AngloSaxons qui se tournaient vers l’Allemagne le faisaient au détriment de la France. Ainsi, 290 291 Jacques Bainville, « Une entrevue et un plébiscite», L’Action française, 18 septembre 1926, p.1 Charles Maurras, « Briand et Stresemann la main dans la main», L’Action française, 4 octobre 1926, p.1. 95 Bainville, surtout, dépeignait la France comme un pays faible et isolé. Il s’agit là d’une transition notable dans l’argumentaire des journalistes du quotidien monarchiste. La perception de l’Allemagne avait aussi beaucoup changé. La vaincue, l’État qu’on devait surveiller semblait accumuler les victoires grâce à une politique extérieure agressive qui paraissait faire l’envie de Jacques Bainville et Charles Maurras. La germanophobie se teintait d’une sorte de respect face au caractère prussien de la politique et des dirigeants allemands. C’est ce dernier aspect qui nous permet de parler d’une crainte plutôt que d’une haine ou une méfiance. La France ne devait plus seulement, selon L’Action française, prendre des précautions face à l’Allemagne, mais bien copier le caractère agressif de sa politique. Ces changements brusques de perceptions et dans le discours qui survinrent quelques semaines après l’invasion de la Ruhr nous permettent de croire qu’une rupture se fit jour dans l’esprit des dirigeants du mouvement. Effectivement, la confiance céda rapidement au pessimisme après l’entrée des troupes françaises dans la Ruhr. Il semble probable que la désillusion devait être de taille pour que des nationalistes convaincus se montrent inconfortables face à la position internationale de la France. Ainsi, il est permis de croire que la nouvelle politique de conciliation de la France ne réjouissait pas les journalistes de L’Action française qui préféraient une diplomatie unilatérale et agressive. Cette rupture dans la perception des journalistes nationalistes tend à confirmer l’existence d’un recentrage de la politique allemande de la France. 96 Le Temps : le quotidien de la détente et du soutien au traité de Versailles Le traitement par le quotidien Le Temps de l’actualité internationale de l’époque de l’occupation de la Ruhr révélait des changements de perception marquants. Alors que le discours tenu avant 1924 oscillait entre la détente avec l’Allemagne et le rapprochement avec le bloc anglo-américain, il paraissait plus constant après l’entrée des troupes françaises dans la Ruhr. La tension entre la France et les Anglo-Saxons n’était plus dissimulée par les journalistes; ils s’en servaient, d’une façon rhétorique, comme une justification du besoin de rapprochement avec l’Allemagne. De plus, à défaut d’avoir une union forte avec les Anglo-Saxons, les journalistes du Temps défendaient l’importance d’une alliance serrée avec la Belgique, alliée apparemment naturelle de la France. Or, la nouveauté demeurait, dans les pages du quotidien, l’exigence de la stricte exécution des stipulations du traité de Versailles. Effectivement, ce thème était affirmé avec conviction après 1923, alors qu’il était presque inexistant depuis 1919. Cette volonté d’un certain retour à l’arrière témoigne d’une rupture dans la perspective du journal Le Temps, en ce sens que les journalistes, à l’image des responsables français, semblaient conscients que la France n’était plus en mesure d’opérer une politique de puissance. Par conséquent, ils recouraient au spectre du traité de Versailles comme à une bouée de sauvetage un peu comme le faisaient les politiciens de la France. Le Temps, dans sa couverture des rapports franco-allemands après l’invasion française de la Ruhr, n’utilisait que très rarement le terme « occupation ». Ils préféraient élaborer sur les relations entre les deux États. Ainsi, l’occupation de la Ruhr fut un thème très peu abordé, comme en témoigne l’omission par le quotidien des premiers 97 événements en janvier 1923 qui pourrait s’expliquer par une volonté chez les rédacteurs de ménager le gouvernement. Ainsi, c’est véritablement en octobre de la même année que les journalistes se penchèrent sur la nouvelle situation des relations internationales. Toutefois, ce début de couverture demeurait timide. On affirmait que la seule volonté de Poincaré était de régler les problèmes, sans toutefois voir s’établir un nouveau règlement qui fut en faveur des Allemands et aux dépens de la France. Sur ce dernier point, un journaliste anonyme clamait que « la limite des concessions [était] atteinte. »292 De plus, en janvier 1924, Le Temps déclarait que les réponses française et belge à une note allemande de décembre 1923 furent spontanément concordantes et que l’Allemagne, malgré ses démonstrations de bonne volonté293, n’obtiendrait pas tout ce qu’elle voulait.294 Avec une telle formulation, on montrait que l’entente franco-belge était quasi naturelle et qu’on désirait toujours l’Allemagne inférieure à la France. On se défendait, aussi, d’encourager la détente avec l’Allemagne alors que les Allemands eux-mêmes, par leur résistance passive, entravaient le chemin vers la paix. 295 Par conséquent, Le Temps persistait, dans les premiers mois de l’occupation de la Ruhr, à donner le beau rôle à la France en la représentant comme une puissance à la recherche de la paix mais aussi de ses intérêts. On la montrait, notamment, comme un État soutenu par une alliée convaincue afin, peut-être, de minimiser l’impact du détachement entre la France et la Grande-Bretagne. Bien que ce discours ressemble beaucoup à ce qui était avancé avant l’occupation de la Ruhr, des changements survinrent quelques mois plus tard. 292 293 Anonyme, « Le cadre de l’enquête», Le Temps, 24 octobre 1923, p.1. Anonyme, «La négociation franco-allemande», Le Temps, 26 décembre 1923, p.1. 294 Anonyme, « Les réponses à l’Allemagne. Le cas de la Palestine », Le Temps, 12 janvier 1924, p.1. 295 Idem. 98 Le traitement des travaux de la commission Dawes marqua une transition dans la perception qu’avait le quotidien Le Temps de la politique allemande de la France. On remarque une volonté de revenir à une stricte exécution du traité de Versailles, l’avènement d’une confiance nouvelle à l’égard de l’Allemagne ainsi que la démonstration des tensions franco-britanniques. Au lendemain de l’ouverture de la commission, le quotidien affirmait que Barthou désirait voir le traité de Versailles utilisé comme la charte et la base de toutes nouvelles négociations. Par conséquent, la paix dépendait de la bonne volonté de la République de Weimar. Ainsi, le sort de la paix en Europe, selon les rédacteurs du journal, était conditionnel à la bonne foi allemande. Il est permis de croire, qu’avec le support du gouvernement, Le Temps voulait déresponsabiliser la France en cas d’échec lors des négociations. D’un autre côté, on affirmait que les experts de la commission et le général Dawes appuyaient les demandes de George Barthou. Les journalistes, de plus, ne tarissaient pas d’éloges pour les Américains. Par conséquent, Le Temps se montrait très favorable aux décisions du gouvernement américain. Cette inclinaison prenait tout son sens avec la perception qu’avaient les journalistes des actions des Britanniques. En effet, on déclarait que l’union au sein de l’Entente était dissoute et que le gouvernement français était frustré par les encouragements que recevait la résistance passive de l’Allemagne. Ce blâme était dirigé directement contre les Britanniques et leur politique de neutralité bienveillante face à l’Allemagne. 296 Ainsi, les journalistes du Temps profitèrent des travaux de la commission Dawes pour montrer leur mécontentement à l’égard des Britanniques mais aussi afin de dévoiler leur volonté de voir le traité de Versailles utilisé 296 Loc. cit. 99 comme la base des nouvelles discussions. Cette déclaration se présentait comme un élément nouveau dans l’argumentaire des journalistes du quotidien officieux. Son caractère innovateur résidait dans le fait que la France désirait revenir à ses acquis versaillais alors qu’elle voyait sa politique allemande peu à peu liquidée par ses alliées. Cette volonté se vit renforcée au cours de la conférence de Londres quelques mois plus tard. La perception du journal Le Temps de la situation franco-allemande lors de la conférence de Londres persista dans cette transition. En effet, les journalistes élaboraient sur la rupture entre la France et les Anglo-Saxons alors qu’ils militaient pour la détente avec l’Allemagne. De plus, la rhétorique derrière ces deux thèmes, de façon novatrice, était principalement le besoin français d’un retour à l’ordre stipulé dans le traité de Versailles. En ce qui concerne le différend avec le bloc anglo-américain, Le Temps débuta sa couverture de la conférence en avançant que les difficultés dans les rapports franco-britanniques émanaient de la Grande-Bretagne297 et, d’un autre côté, que la France perdait son pouvoir au profit des Américains. 298 Plus précisément, il affirmait que la France, comme l’Allemagne, était détruite mais personne ne semblait vouloir l’aider 299; critique peu subtile de la politique de favoritisme des Anglo-Saxons à l’égard des Allemands. On déclarait que les États-Unis et la Grande-Bretagne, ainsi que les banquiers, craignaient une autre action isolée de la France en Allemagne, alors que, selon le quotidien, la France ne désirait que la juste exécution du traité.300 Un journaliste anonyme pensait sur ce point que l’on devait « consolider le bateau pour éviter que la 297 298 Anonyme, «L’ouverture de la conférence», Le Temps, 17 juillet 1924, p.1. Anonyme, «Premier accord», Le Temps, 21 juillet 1924, p.1. 299 Loc. cit. 300 Anonyme, «Ce que demande la France. L’Empire britannique et la paix», Le Temps, 26 juillet 1924, p.1. 100 France ne s’accroche aux sanctions comme un naufragé s’accroche à une bouée. »301 Il apparaît clair que Le Temps, et ainsi la France, voulaient faire porter l’odieux des précédentes tensions franco-allemandes aux Anglo-Saxons. Ainsi, selon les journalistes du Temps, le différend qui opposait la France à ses alliés de guerre se retrouvait dans la volonté défendue par Herriot de la stricte exécution du traité de Versailles.302 À mesure que la rupture franco-britannique semblait se consommer dans les pages du Temps, les journalistes défendaient, avec une véhémence résolue, le bien-fondé de la détente entre les puissances rhénanes dans le but de voir s’opérer une exécution loyale du traité de paix de 1919. On soutenait que la France devait avoir autant de contacts avec l’Allemagne qu’elle en avait avec la Grande-Bretagne303 puisque l’engagement allemand dans les affaires françaises représenterait une première étape dans la consolidation financière de la France. 304 On expliquait que l’Allemagne, appauvrie par la guerre et la crise économique, n’était pas en mesure de payer les Réparations. Ainsi, la France pouvait aider l’Allemagne à se redresser afin qu’elle honore ses dettes de guerre enchâssées dans le traité de Versailles.305 Par conséquent, selon le journal, la meilleure aide que pouvait apporter la France à l’Allemagne était l’évacuation de la Ruhr, condition de base pour que les Allemands arrivent à contracter un emprunt auprès des banquiers anglo-saxons et, par la suite, payer les Réparations. 306 En d’autres mots, on expliquait comment la conférence de Londres et les recommandations de Dawes se révélaient 301 302 Idem. Anonyme, «Différend et malentendu», Le Temps, 5 août 1924, p.1. 303 Anonyme, «Les demandes de l’Allemagne», Le Temps, 27 juillet 1924, p.1. 304 Anonyme, «Ce que demande la France. L’Empire britannique et la paix», Le Temps, 26 juillet 1924, p.1. 305 Anonyme, «L’autre interlocuteur : L’Allemagne», Le Temps, 24 juillet 1924, p.1. 306 Anonyme, «a question de la Ruhr. Le traité de Lausanne», Le Temps, 29 juillet 1924, p.1. 101 bénéfiques ainsi que compatibles avec l’exécution du traité de Versailles. 307 Le leitmotiv du quotidien était qu’il fallait donner pour recevoir, sinon la France aurait été perçue comme un hégémon. 308 En justifiant la détente franco-allemande par l’exécution du traité de Versailles, les journalistes du Temps rejetaient la politique défendue par Poincaré dans les années auparavant et entérinait la nouvelle politique d’un retour à l’ordre versaillais. On minimisait aussi l’impact de la tension vive entre la France et les Anglo-Saxons par le fait qu’on pensait être bientôt récompensé pour toutes les concessions passées. Ainsi, on montrait tous les avantages de la détente franco-allemande, nouveau cheval de bataille du quotidien officieux à la suite de l’échec de la Ruhr. La propension du Temps à la conciliation avec l’Allemagne se renforça pendant sa couverture de la conférence de Locarno un an plus tard. L’argumentaire des journalistes dans le cadre de cette rencontre était des plus simples et traitait principalement des avantages de la détente franco-allemande. Dans les premiers jours de la conférence, les journalistes se défendaient de vouloir oublier la guerre mais ils croyaient que l’Europe devait passer à autre chose : son redressement.309 Cette première affirmation donna le ton pour le reste de la couverture; on voulait oublier les animosités, mais non le passé, pour sécuriser économiquement et politiquement le continent. On mettait aussi de l’avant la nouvelle politique versaillaise de la France opérée après son échec dans la Ruhr. Dans ce contexte, bien que les journalistes affirmaient que la France ne voulait pas perdre sa liberté d’action, ils félicitèrent l’Allemagne d’avoir proposé le Pacte rhénan qui mettait 307 308 Anonyme, «Le rapport des juristes», Le Temps, 30 juillet 1924, p.1. Anonyme, «Concessions et garanties», Le Temps, 17 août 1924, p.1. 309 Anonyme, «La prise de contact à Locarno», Le Temps, 7 octobre 1925, p.1. 102 de l’avant l’arbitrage plutôt que l’affrontement.310 Dans le même esprit de détente versaillaise, on qualifia d’événement le plus important, de tournant décisif, l’entrevue entre le chancelier Hans Luther et le président Aristide Briand à Ascona.311 On se montrait aussi très optimiste à l’égard de l’admission de l’Allemagne à la SDN et l’adoption du Pacte rhénan. Les journalistes croyaient que ces deux faits nouveaux allaient être autant d’inhibiteurs à la revanche. 312 En contrepartie, la France se voyait obligée d’évacuer la Ruhr, mais les rédacteurs du Temps, sous le coup de l’optimisme de la détente probablement, avançaient que c’était tout à fait naturel313 alors que le gouvernement français sous Poincaré s’était battu deux ans pour son maintien. Finalement, dans le dernier article concernant la conférence de Locarno, signe de la détente, la locution « confiance mutuelle » revient trois fois alors qu’on concluait avec l’affirmation du sincère désir mutuel de conciliation.314 Nous sommes bien loin, ici, de la menace du marteau et de l’enclume formulée à la veille de l’occupation de la Ruhr. En effet, la détente avec l’Allemagne, inimaginable deux ans plus tôt, paraissait fortement souhaitée par le journal officieux, autant probablement que par le gouvernement, alors qu’on n’évoquait plus l’union au sein de l’Entente. La couverture de la conférence de Locarno illustrait parfaitement la transition de la perception de la politique allemande de la France dans les sphères dirigeantes françaises; après l’hostilité ouverte avec les Allemands due à une politique agressive, on se tourne vers la conciliation versaillaise après son échec. 310 311 Anonyme, «Les premières difficultés à Locarno», Le Temps, 8 octobre 1925, p.1. Anonyme, «L’entrevue d’Ascona», Le Temps, 9 octobre 1925, p.1. 312 Anonyme, «L’adoption du projet de pacte», Le Temps, 16 octobre 1925, p.1. 313 Idem. 314 Anonyme, «Après l’accord», Le Temps, 17 octobre 1925, p.1. 103 La perception de l’entrevue de Thoiry par le journal Le Temps représentait un indicateur révélant la détente franco-allemande. Les journalistes se montraient très confiants à l’égard de leurs voisins rhénans. Ils affirmaient, tout d’abord, que l’entretien entre Briand et Stresemann, où les deux hommes discutèrent, selon le quotidien, de moyens d’écarter les malentendus et de s’engager dans la paix, était la première étape d’une nouvelle ère entre les deux pays. Ils amorçaient « [u]ne vaste collaboration francoallemande pour la consolidation définitive de la paix et la reconstruction de l’Europe »315. Ils semblaient lier, ainsi, le sort de la paix en Europe et les rapports franco-allemands. La paix européenne paraissait conditionnelle au maintien du couple rhénan. On déclarait, par conséquent, qu’il existait un désir de conciliation et de loyale collaboration des deux côtés. Ce nouveau sentiment permit même aux auteurs d’excuser un discours antifrançais prononcé par Stresemann dans le cadre de la conférence de Genève. Ils expliquaient que le public du chancelier semblait très enclin au populisme et que le journal ne voulait rien faire pour briser l’esprit qui émanait de Thoiry. 316 Ainsi, il est aisé de percevoir, à travers les pages du Temps, un optimisme et une confiance presque aveugles chez les politiciens et les rédacteurs à l’égard des Allemands. On suivait, de telle sorte, la ligne de pensée énoncée dans le cadre de la conférence de Locarno qui favorisait la détente aux dépens de la stricte exécution du traité de Versailles, lequel disparaissait peu à peu de l’argumentaire des journalistes. En définitive, la transition dans la perception du journal Le Temps relève plus de la rupture que d’un simple changement. En effet, les journalistes affirmaient, dans l’immédiat après-guerre, la suprématie française et la culpabilité allemande alors que, 315 316 Anonyme, «L’entrevue Briand-Stresemann», Le Temps, 19 septembre 1926, p.1. Anonyme, «La politique de rapprochement», Le Temps, 5 octobre 1926, p.1. 104 après le coup de force de la Ruhr, les auteurs militaient pour la détente avec l’ancienne ennemie. Il est concevable, cependant, que cette modification radicale de la perception de la situation internationale française soit imputable au changement de gouvernement. L’arrivée au pouvoir du Cartel des Gauches en mai 1924 pourrait être perçue comme le déclencheur du changement de politique. Or, les premiers signes de la rupture étaient notables quelques mois avant la défaite électorale de Poincaré, comme en font foi l’énonciation de la rupture franco-britannique et la volonté d’un retour à l’exécution stricte du traité de Versailles, perceptibles en janvier 1924. De plus, quelques signes de bonne foi à l’égard de l’Allemagne avaient été démontrés dans le journal, au moment de la présidence de Poincaré en décembre 1923. Par conséquent, la thèse du changement de gouvernement comme source du changement de diplomatie semble écartée. Toutefois, nous ne devons pas négliger l’influence d’Aristide Briand dans la recherche, par le Quai d’Orsay, de la détente franco-allemande. Encore une fois, cette dernière orientation parait être devenue capitale seulement au moment de la conférence de Locarno en 1925, alors que le recentrage de la diplomatie est antérieure à cette date, soit en juillet 1924, avec la conférence de Londres qui institutionnalisait l’échec de la France dans la Ruhr. Ainsi, la recherche de la conciliation versaillaise s’inscrivait dans la ligne de pensée amorcée dans les premières semaines de 1924, moment où la rupture avec les Anglo-Saxons semblait irrémédiable. Les rappels périodiques, par Le Temps, du besoin d’une stricte exécution de l’ordre du traité de Versailles sont aussi intéressants. Il semble qu’ils réapparaissaient 105 dans les circonstances où la situation internationale de la France paraissait précaire ou compromise. À titre d’exemple, on rappelle le désir de la France de la stricte exécution dans le cadre de la conférence de Londres de 1924 au moment où le gouvernement français devait, en quelque sorte, renégocier les termes du traité face à des puissances qui lui étaient hostiles. Ainsi, Barthou avait tout avantage à invoquer le traité de Versailles comme base aux discussions afin de ne pas voir la France perdre ses acquis de guerre. En d’autres mots, le traité de paix était utilisé comme une bouée ou encore un moyen de dernier recours. Son invocation est l’indicateur d’une situation précaire de la France. Par conséquent, nous pouvons faire une liaison entre le rappel à l’ordre versaillais de 1924 et la transition vers une politique et un ton plus conciliants. La France affaiblie et ébranlée au niveau politique et économique après son échec dans la Ruhr, modifie sa diplomatie, ce qui transparaissait dans le quotidien officieux. Le recentrage de la politique allemande de la France vers une conciliation empreinte de l’esprit de Versailles semble avéré solidement dans deux des trois journaux. La presse française démontre que la France, bien qu’elle fut prête ou forcée à renégocier quelques termes du traité de Versailles, ne désirait pas perdre ce qu’elle a acquis sur les champs de batailles. Ainsi, les journaux défendirent les stipulations de Versailles comme un minima à toutes discussions diplomatiques. Il est aisé pour le lecteur de L’Action française et du Temps de percevoir une rupture importante dans le ton utilisé et les thèmes abordés avant et après le coup de force français dans la Ruhr. Cette révision de la rhétorique défendue par les deux journaux est attribuable, entre autres, à leurs attaches politiques et idéologiques. L’Humanité, quant à elle, n’aborde que très peu le sujet, ce 106 qui, en plus de son idéologie, rend son analyse incompatible avec la recherche d’un recentrage dans la diplomatie française. Conclusion Le recentrage dans la politique allemande de la France après l’occupation de la Ruhr vers la conciliation est confirmé. La France, dans l’immédiat après-guerre, profitait de tous les avantages de son statut de puissance victorieuse en prenant activement part aux décisions de l’Entente, en plus d’avoir sa propre politique extérieure. Cette politique de puissance était clairement anti-allemande, comme pouvait le démontrer toutes les actions et volontés françaises d’écraser toujours un peu plus la république de Weimar. Le zénith de cette politique, qu’on pourrait qualifier de Machtpolitik à la française, fut atteint avec l’invasion de la Ruhr en janvier 1923. Cette manifestation de la politique de puissance française marquait aussi le début du déclin ainsi que le changement de la diplomatie à l’égard de l’Allemagne. Effectivement, la résistance passive allemande, le favoritisme anglo-saxon face aux Allemands et la conjoncture économique en France mirent à mal la capacité française d’opérer une politique nationale indépendante. À titre d’exemple, le non-paiement des Réparations ainsi que la résistance lancée par Cuno forcèrent Poincaré à contracter un emprunt à la banque américaine de Morgan, vassalisant, par la suite, la France au bloc anglo-américain. Cette vassalisation, exemple parmi tant d’autres, poussa la France à une conciliation à caractère versaillais comme pouvait le démontrer l’approbation de la commission Dawes par Poincaré, bien qu’il était conscient que les conclusions du rapport éponyme seraient désavantageuses pour la France et sa politique allemande. 107 Nous avons, aussi, montré que le regard des trois quotidiens analysés se modifiait différemment selon les événements et que l’idéologie de chacun des journaux influençait leurs perceptions. Par conséquent, le traitement de l’actualité différait beaucoup d’un périodique à l’autre. De prime abord, L’Humanité, plus occupée à la propagande communiste qu’à livrer une information rigoureuse, modifiait peu sa perception du contexte francoallemand selon la conjoncture. Effectivement, les rédacteurs du quotidien communiste clamaient l’incompétence du gouvernement français et l’innocence des Allemands; les deux grands canons de la rhétorique de L’Humanité. Or, alors qu’on illustrait une Allemagne soumise à la France avant 1923, après l’invasion de la Ruhr, les journalistes avaient tendance à montrer la soumission française face aux Anglo-Saxons. Cette dernière dichotomie révèle une certaine rupture dans la perception qu’avait le journal de la politique allemande de la France. On exprimait aussi un dégoût virulent à l’égard des puissances victorieuses qualifiées d’impérialistes et de bourgeoises. En fait, dans l’argumentaire marxiste de L’Humanité, les Allemands semblaient prendre le rôle du prolétaire exploité par le bourgeois que personnifiait l’Entente. Ainsi, l’idéologie communiste influençait de façon sensible la perspective du quotidien. D’un autre côté, la perception de la politique allemande de la France, dans les pages de L’Action française, connut des changements frappants après l’invasion de la Ruhr. En effet, alors qu’il affirmait la puissance française et la déchéance allemande avant janvier 1923, le journaliste Jacques Bainville se montrait pessimiste, à partir de 1924, face à l’isolement de la France et exaltait, dans une certaine mesure, le redressement allemand redevable au retour de l’aristocratie prussienne. Pour qu’un tel 108 jugement soit émis par des auteurs chauvins et ultranationalistes, l’impression de la faiblesse française devait être très présente au sein de la population. En effet, la croyance de la suprématie française, chez les journalistes du mouvement, avait tendance à teinter quelque peu la couverture de l’actualité internationale. Toutefois, l’apport de l’idéologie était beaucoup moindre dans le journal conservateur que dans L’Humanité. La transition dans la perception des journalistes du quotidien Le Temps est aisée à distinguer. Avant l’invasion de la Ruhr, les thèmes défendus par les journalistes anonymes ressemblaient beaucoup à ce que les contemporains pouvaient lire dans les pages de L’Action française : la puissance de la France (l’analogie du marteau et de l’enclume demeure un bon exemple), l’union au sein de l’Entente ainsi que la culpabilité allemande dans le contexte d’après-guerre. Néanmoins, à la suite de l’action de l’armée française dans la Ruhr, non seulement les thèmes mais aussi le ton changèrent de façon surprenante. En effet, on n’abordait plus l’idée de la puissance française et on ne cachait pas les dissensions parmi les membres de l’Entente. De surcroît, on militait avec une certaine ardeur en faveur de la détente franco-allemande, position inimaginable quelques années plus tôt pour un quotidien proche du pouvoir. Quant au ton, d’agressif et provocateur qu’il était à l’égard de l’Allemagne avant l’occupation de la Ruhr, il devint conciliant et prompt au pardon. Ainsi, les modifications du contexte européen eurent une incidence marquée sur le regard du Temps au sujet de la politique allemande de la France. À défaut de défendre ou de promouvoir une idéologie comme les deux autres quotidiens présentés, Le Temps, de par sa proximité au pouvoir, servait le jeu de la diplomatie française. À titre d’exemple, les journalistes se montraient revendicateurs lorsque la situation internationale de la France le permettait alors qu’ils devenaient plus défensifs et 109 justificateurs au moment où le standing du gouvernement français semblait précaire. Cette propension confirme la présence d’une rupture dans la perception du journal de la politique allemande de la France puisque son ton changea justement avec l’échec de l’occupation de la Ruhr. Ainsi, bien que L’Humanité apporte quelques nuances, l’analyse des trois quotidiens confirme notre hypothèse de base. Le recentrage dans la politique allemande de la France se répercuta sur le regard des trois périodiques. En ce qui concerne L’Humanité, la rupture dans sa perception de la diplomatie apparaissait moins claire, mais nous avons démontré que ses auteurs favorisaient une approche idéologique plutôt qu’objective. Ainsi, il est justifié d’affirmer que la réorientation de la diplomatie française eut un impact marquant sur la perspective de la presse française en ce qui concernait la politique allemande de la France. Il apparaît clair, de plus, que les idéologies des trois journaux influencèrent de façon notable leur traitement de l’actualité ainsi que leurs perspectives sur les différents événements diplomatiques. D’un autre côté, bien que la rupture de perspective fut évidente dans l’interprétation que faisait L’Action française de l’actualité internationale, c’est dans le journal Le Temps que cette cassure était la plus claire. Effectivement, l’Allemagne passa d’ennemie héréditaire à partenaire quasi naturelle dans le sillage de l’échec de l’occupation de la Ruhr. L’Entente, quant à elle, d’union indéfectible qu’elle était dans les premières années de l’après-guerre, devint la principale cause des malheurs français à partir de 1923, selon les journalistes anonymes du quotidien officieux. 110 Cette constatation d’un plus grand contraste de perception dans le journal Le Temps est intéressante en ce sens que l’analyse de quotidien est à même de nous donner un aperçu sur l’état d’esprit des responsables du Quai d’Orsay qui, probablement, indiquaient aux rédacteurs du périodique les grandes lignes à promouvoir ou à défendre. Ainsi, nous pouvons en déduire que les décideurs de la politique allemande de la France mettaient de l’avant une diplomatie qui était forgée et influencée par la situation française sur le plan international. Plus précisément, on préférait une politique extérieure souple parfois contradictoire, à une politique rigide, populaire et populiste telle que défendue par les journalistes des deux quotidiens extrémistes. La démonstration de la présence d’un recentrage dans la politique allemande de la France tend aussi à confirmer l’existence de velléités révisionnistes vis-à-vis de l’ordre versaillais. La politique opérée de 1919 jusqu’à l’occupation de la Ruhr apparaissait revendicatrice et, par conséquent, critique de la situation établie par le traité de Versailles. Plus précisément, la France voulait plus que ce que lui octroyait le traité de paix de 1919. La mise en marche d’une politique de puissance s’inscrivait dans ce désir français de réécrire certaines parties du traité. Les trois journaux le confirment avec des approches différentes. En effet L’Humanité décriait cette politique agressive, alors que Le Temps et L’Action française l’appuyaient avec véhémence. Toutefois, l’échec de l’action française dans la Ruhr, ajouté à une conjoncture défavorable, força Paris à revoir sa politique à l’égard de l’Allemagne. La nouvelle politique post-Ruhr était basée sur la détente et la conciliation face à un État reconstruit sur tous les plans; elle se traduisit, aussi, dans la presse. L’Humanité interprétait cette politique versaillaise comme la soumission de la France aux Anglo-Saxons; L’Action française se montrait défaitiste face au nouveau 111 contexte; alors que, pour Le Temps, cette recherche de conciliation était tout à fait souhaitable. Pour revenir à l’affirmation de Maurice Vaisse et Jean Doise d’une dualité dans la politique allemande de la France, 317 nous croyons être en mesure de déclarer qu’elle est en partie fausse. En fait, les deux auteurs avancent que la France, de 1919 à 1924, agissait comme un instrument de la stricte exécution du traité de Versailles alors qu’elle fut obligée, à partir de 1925, de se plier au principe de la sécurité collective. Nous croyons plutôt que l’étude des journaux français démontre la thèse défendue par Jeannesson et Soutou à savoir l’apparente volonté de la France de réécrire en partie le traité de Versailles. Il semble, selon notre analyse du journal Le Temps, que la volonté des responsables de la politique allemande de la France, avant l’occupation de la Ruhr, excédait certaines stipulations du traité de paix. À vrai dire, la France dépassait le cadre établi par le traité, comme peuvent en témoigner ses volontés de sanctions et d’actions qui ressemblaient beaucoup plus à un révisionnisme à l’égard du traité qu’à un attachement profond à l’ordre de Versailles. De plus, les journalistes, toujours avant 1924, faisaient rarement référence aux volontés françaises de stricte exécution du traité. Ils avaient plutôt tendance à encourager le maintien de la liberté d’action et de politique du gouvernement français. Cette liberté d’action, apparemment, n’allait pas de pair avec l’esprit de concertation du traité de Versailles qui émanait des idées de Wilson. Le besoin de revenir à l’exécution loyale du traité arrivait, la plupart du temps, dans un contexte où la situation de la France était précaire. Ainsi, il semble que le traité de Versailles 317 Maurice VAISSE et Jean DOISE, op. cit. p. 263. 112 représentait les derniers retranchements de la France en cas de régression de son statut sur la scène internationale. D’un autre côté, les deux publications, chacune à sa manière, révélaient la présence de velléités de révision dans leurs analyses de la politique allemande de la France. En effet, L’Humanité décriait la politique agressive de la France à l’égard de l’Allemagne, alors que L’Action française promouvait le besoin français d’utiliser tous les moyens possibles pour maintenir la domination sur l’Allemagne. Même si ces opinions étaient fortement teintées de l’idéologie dominante de chacun des journaux, il est permis de croire qu’elles se basaient sur une situation réelle. Quant au reste de l’affirmation qui concerne la période postérieure à 1924, nous n’arrivons pas aux mêmes conclusions que Vaisse et Doise. L’Allemagne, devenue l’égale de la France dans le contexte européen, obligeait la France à la considérer avec plus d’attention qu’avant l’occupation de la Ruhr. En réalité, cette nouvelle politique de conciliation se rapproche de ce que le traité stipulait. Elle se transposait dans la presse par l’affirmation d’un désir de détente avec l’ancienne ennemie. Dans une certaine mesure, ce contexte de retour vers l’esprit de Versailles était aussi perceptible dans L’Action française qui était moins virulent envers la République de Weimar, comme pouvait le démontrer l’inflexion qu’avaient les journalistes conservateurs à trouver de bons côtés à l’ancien Reich. Les journalistes nationalistes se montraient aussi très pessimistes quant à la politique allemande de la France qu’ils désiraient voir, avant l’invasion de la Ruhr, souveraine et agressive. Par conséquent, les rédacteurs de L’Action française semblaient conscients que la nouvelle tangente conciliatrice signifiait la mort de la politique de puissance française qu’ils souhaitaient voir s’opérer, d’où leur défaitisme. L’Humanité, quant à elle, en montrant la soumission de la France aux Anglo-Saxons plutôt que la 113 vassalisation de l’Allemagne à l’Hexagone, démontre qu’elle percevait un changement dans la situation internationale qui allait vers la conciliation versaillaise qu’on interprétait comme une défaite de la politique de puissance française. Ainsi, la presse française tendait à interpréter la politique allemande de la France de 1919 à 1923 comme de plus en plus « versaillaise », aussi bien dans l’esprit que dans les démarches, après l’échec de l’occupation de la Ruhr. Nous sommes conscients des limites de nos conclusions en raison de la nature des sources utilisées. L’étude des journaux ne nous permet pas de connaître spécifiquement les volontés des différents responsables français. Or, l’analyse d’un journal officieux comme Le Temps est susceptible de nous informer sur le climat et la ligne directrice émanant des sphères dirigeantes française. Ainsi, arriver à détecter une variation dans la perspective du journal peut indiquer un changement, au Quai d’Orsay et chez les lecteurs, de philosophie dû à la conjoncture. D’un autre côté, l’étude de publications radicales, plus distantes du pouvoir, indique les lignes de pensée d’une partie de l’opinion publique ou, du moins, ce que les journaux voulaient lui véhiculer comme information. Confronter l’analyse de ces publications à la réalité historique permet, ainsi, de connaître les objectifs de la presse. Nous souhaitons que notre contribution pourra relancer des interrogations sur un sujet et une période qui nous semblent mal aimés. En effet, les années 20 du dernier siècle souffrent de la popularité des guerres mondiales qui les compriment. Avec de nouvelles sources, telles les périodiques et les documents diplomatiques de l’époque, nous espérons que ce sujet sera rouvert et abordé de façon novatrice. 114 Bibliographie Sources BAINVILLE, Jacques. 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