Corps, pouvoir et douleur chronique : récits de vie de danseurs et de danseuses professionnels
Thesis or Dissertation
Abstract(s)
La porte d’entrée méthodologique de cette recherche repose sur l’observation participante d’une patiente atteinte de «douleur chronique» adressée pour accompagnement thérapeutique par le Qi Gong. L’énoncé fréquent de situations de conflit avec la famille, avec l’employeur ou avec les médecins, m’a amenée à y considérer la similitude entre les symptômes énoncés, les usages du corps et les attitudes mentales en lien avec une représentation mécaniste et duelle du corps. Marcel Mauss a été le premier à désigner ce rapport entre les usages du corps et les paradigmes sociétaux et culturels, à l’œuvre. Dans une ère fortement marquée par la robotisation des entreprises et des services, la dématérialisation des documents et la tyrannie des nouvelles technologies, la «douleur chronique» vient donc questionner les usages du corps contemporain dans un monde du travail axé sur la performance et la productivité. Cette recherche a pour but d’interroger en quoi la «douleur chronique» serait un symptôme des apories contemporaines, dépassant ainsi largement le champ de la médecine et en quoi elle serait comme l’arme du faible, the weapon of the weak, en contexte d’oppression (Scott, 1985). Ultimement, elle questionne l’affirmation de Michel Foucault selon laquelle «nous avons tous du pouvoir dans le corps» (1987: 27). Le recueil de récits de vie auprès de professionnels de la danse, pressentis pour leur habileté à décrire leur ressenti, y déjoue une tendance à reléguer dans le domaine de la psyché ce qui ne fait pas la preuve de son évidence. La forte crédibilité de leur parole permet en outre de mieux documenter un phénomène complexe, entâché de beaucoup d’à priori et de révéler les dynamiques de pouvoir à l’œuvre au sein d’une profession confrontée aux limites corporelles, plus que tout autre, dans l’exercice de son art. Une approche généalogique de ces histoires de douleur et leur mise côte à côte permet d’identifier les «plis» que sont l’endurance et le rejet de toute médication face à la douleur et comment ils infléchissent son évolution. Une analyse plus approfondie des six d’entre elles qui s’en sont sorties y démontre que si le pouvoir s’exerce sur un corps perçu comme docile, il peut aussi s’inverser pour contribuer à la guérison, au prix d’une insurrection de savoirs enfouis, universels, mais «assujettis», et d’un changement de paradigme. Ainsi, une meilleure compréhension de la «douleur chronique» laisse entrevoir une possible réversibilité du phénomène et une réinsertion sociale, avec ou sans réorientation de carrière, à condition de repenser nos modes de représentation, de production, de relation au travail et aux usages du corps, le rapport à l’Autre et à soi. The methodological starting point of this research was participant observation of a patient with «chronic pain» who was being seen for therapy through qigong. The patient’s frequent statements regarding situations of conflict with the family, the employer or doctors led me to consider the similarity between the symptoms described, the uses of the body and mental attitudes related to a mechanistic, dualistic representation of the body. Marcel Mauss was the first to address this relationship between the uses of the body and societal and cultural paradigms. At a time deeply marked by the automation of businesses and services, the dematerialization of documents and the tyranny of new technologies, «chronic pain» calls into question the uses of the contemporary body in a working world based on performance and productivity. The aim of this research is to examine how «chronic pain» may be a symptom of contemporary aporias that go far beyond the sphere of medicine and how it may be «the weapon of the weak» in a context of oppression (Scott, 1985). Ultimately, this research examines Michel Foucault’s statement that «we all have power in our bodies» (1987: 27). The collected life narratives of professional dancers, who were approached because of their ability to describe their feelings, avoid the tendency to relegate to the realm of the psyche whatever cannot be demonstrably proven. The strong credibility of the acccounts makes it possible to better document a complex phenomenon marred by a great many a priori and reveal the dynamics of power at work in a profession that, more than any other, confronts the limits of the body in the exercise of its art. A genealogical approach to these stories of pain and their examination side-by-side allowed me to identify the habits of endurance and rejection of medication and how they influenced the evolution of the pain. A more detailed analysis of the six healed one’s narratives shows that while power is exercised on a body perceived as docile, it may also be reversed to support a recovery at the cost of an insurrection of buried knowledge that is universal but «subjugated» and a change of paradigm. Thus, a better understanding of «chronic pain» makes it possible to envisage its reversibility and a social reintegration, with or without a career change, on the condition that we rethink our modes of representation, production and relation to work and to the uses of the body, and our relationship to the Other and the self.
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