Histoire, Révolution et esthétique : le temps et ses représentations dans le Tableau de Paris et le Nouveau Paris de Louis Sébastien Mercier
Thèse ou mémoire
2009-11 (octroi du grade: 2010-05-05)
Auteur·e·s
Directeur·trice·s de recherche
Cycle d'études
DoctoratProgramme
Littératures de langue françaiseMots-clés
- Littérature française du XVIIIe siècle
- Tournant des Lumières
- Louis Sébastien Mercier (1740-1814)
- Représentations du temps
- Révolution française
- Esthétique
- Histoire des représentations
- Sociocritique
- French literature of the 18th Century
- Late Enlightenment
- Louis Sébastien Mercier (1740-1814)
- Representation of time
- French Revolution
- Aesthetics
- History of representations
- Sociocriticism
- Literature - Modern / Littérature - Moderne (UMI : 0298)
Résumé·s
Cette thèse a pour objectif d’analyser les représentations du temps historique dans le Tableau de Paris (1781-1788) et le Nouveau Paris (1798) de Louis Sébastien Mercier et de faire voir comment elles se transforment sous l’impact de la Révolution française, elle qui oblige les contemporains à réévaluer leur rapport au temps. Ces œuvres s’inscrivent dans la tradition de la littérature panoramique : l’auteur y décrit l’état de la capitale et donne à voir les mœurs de ses habitants. Si Mercier s’attache à peindre la physionomie actuelle de Paris, il en vient, au fil de ses promenades, à décrypter le passé qui est enfoui, comme un palimpseste, sous la surface présente. L’espace urbain, ainsi peuplé des spectres du passé, fait cohabiter de multiples strates temporelles et donne l’image d’un temps dense au sein duquel différentes époques sont coprésentes. La persistance du passé pose toutefois problème : c’est pourquoi l’héritage antique et national se voit réévalué – voire éradiqué – afin de répondre aux exigences de l’idéologie progressiste. Avec la Révolution, de nouveaux outils conceptuels sont élaborés pour gérer le rapport avec le passé : si les révolutionnaires rejettent, après la Terreur, les entreprises d’épuration par la destruction, ils développent un nouveau mode de mise à distance du passé, la patrimonialisation. Celle-ci, par la conservation même, relègue paradoxalement le passé au rang d’histoire morte.
Le futur occupe également une place de choix chez Mercier, auteur de l’un des premiers romans d’anticipation. Il s’exprime prioritairement sous deux formes, la dégénérescence et la régénération. Alors même qu’il décrit l’état actuel de la ville, Mercier anticipe sa ruine. Une étroite corrélation s’instaure alors entre la construction et la destruction, qui est son aboutissement inéluctable. Ce phénomène s’accompagne de modulations esthétiques majeures : l’évocation de la perte plonge l’auteur dans la mélancolie et teinte son style de lyrisme et d’élégie. Si la Révolution ne fait pas disparaître cet imaginaire, elle le met entre parenthèses et entrevoit surtout son avenir sous la forme optimiste de la régénération. Ce concept clé, qui alimente projets et utopies, fait cohabiter de multiples modèles temporels, tels que la rupture radicale, le retour à l’origine, la régénération instantanée et la construction nationale.
Le fondement du projet de Mercier demeure néanmoins de capter la contemporanéité. Tentant de fixer par l’écriture la fugitivité du temps, l’auteur s’engage dans une course désespérée qui le condamne à être perpétuellement décalé par rapport à l’actualité qu’il cherche à saisir. Au-delà de cette dimension transitoire, Mercier confère au présent une certaine stabilité en l’élevant au rang d’histoire. Ce phénomène touche surtout l’histoire révolutionnaire : afin de terminer la Révolution, les contemporains l’érigent en objet historique et tentent d’en comprendre les mécanismes. Corrélativement, l’histoire révolutionnaire acquiert un statut esthétique. Les réformes poétiques appelées par Mercier depuis le début de sa carrière littéraire (contemporanéité des sujets, originalité stylistique, esthétique de la force et du contraste, invention poétique et néologie) trouvent un terrain d’expression particulièrement fertile dans la représentation de l’histoire récente. This dissertation analyzes the representation of historical time in Louis Sébastien Mercier’s Tableau de Paris (1781-1788) and Nouveau Paris (1798) and seeks to explain how this representation was transformed by the French Revolution, a major event that changed the way contemporaries conceived their place in history. These two works are considered as panoramic literature: as he walks through the neighbourhoods of Paris, the author describes the state of the city of his day as well as its inhabitants’ customs. Although Mercier is mostly interested in painting the present, his exploration of the city leads him to exhume the past that lies, like a palimpsest, beneath the surface. Crowded with specters from the past, the urban space generates a form of temporal density resulting from the coexistence of various times. But the persistence of the past is also highly problematic: Mercier’s faith in progress implies a constant reevaluation – if not a rejection – of antique references and national heritage. After the 1789 disruptions, new conceptual tools were developed to manage the past. If revolutionaries rejected radical destruction after the traumatic experience of the Terror, they invented a new way to put the past aside – patrimony. It is, paradoxically, by its conservational function that patrimony relegates the past to a status of dead history.
The future also occupies a large place in Mercier’s works. It is represented under two antithetic forms: degeneracy and regeneration. While he describes the physiognomy of the city of his day, the author anticipates its ruin and establishes a strong correlation between construction and destruction (its inescapable outcome). This pessimistic representation of time modifies his aesthetics: as he evokes the ineluctability of loss, the author deals with a melancholy which colours his style with lyricism and elegy. This imaginative world does not entirely disappear with the Revolution, but it is marginalized. After 1789, the future is viewed mainly through the optimistic and utopian notion of regeneration, in which several conceptions of time coexist (radical rupture, return to an uncorrupted original state, instantaneous regeneration, the building of national unity, etc.).
Although Mercier oscillates between past and future, his main goal is to capture a sense of contemporaneousness. As he tries to immobilize the continuous flux of time by writing, he finds himself in a hopeless race in which he is condemned to be perpetually behind the current events he wishes to paint. But Mercier goes beyond the fugitive nature of time and grants the present a status of historical discourse. This historiographical dimension mainly concerns revolutionary history: in order to end the Revolution, contemporaries set it up as historical knowledge and hope to understand its complex evolution. As it acquires an historical status, present history also becomes an aesthetical object. Poetical reforms that had long been called for by Mercier (contemporary topics, stylistic originality, contrast and strength, aesthetical invention and neology) are fully integrated in the representation of recent history.
Note·s
Thèse réalisée en cotutelle avec l'Université Paris-Sorbonne (Paris IV), sous la direction de M. Michel Delon.Ce document diffusé sur Papyrus est la propriété exclusive des titulaires des droits d'auteur et est protégé par la Loi sur le droit d'auteur (L.R.C. (1985), ch. C-42). Il peut être utilisé dans le cadre d'une utilisation équitable et non commerciale, à des fins d'étude privée ou de recherche, de critique ou de compte-rendu comme le prévoit la Loi. Pour toute autre utilisation, une autorisation écrite des titulaires des droits d'auteur sera nécessaire.