G. W. F. Hegel et T. W. Adorno sur le besoin de la pensée
Thèse ou mémoire
2009-08 (octroi du grade: 2010-01-07)
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La présente thèse analyse et contraste les positions de G.W.F. Hegel et de T. W. Adorno sur la nature de la pensée rationnelle et le sens de la pratique philosophique. Notre démarche consiste en une interprétation critique d’une idée que partagent Hegel et Adorno mais qu’ils développent différemment, selon laquelle la pensée rationnelle obéit à un certain besoin (Bedürfnis) qui lui est à la fois spécifique et universel.
Hegel a parlé d’un « besoin de la philosophie ». L’expression est ambiguë : elle vise à décrire la nature générale de la pensée rationnelle mais aussi à exprimer la pertinence historique de la raison, c’est-à-dire sa capacité à assouvir des besoins concrets. Je démontre dans les cinq premiers chapitres que Hegel tente de réconcilier ces deux besoins en soutenant que l’identification par le concept est précisément ce qui permet d’appaiser la souffrance concrète que génère la division de l’histoire avec elle-même. La solution est en effet trouvée dans l’idée du savoir absolu, une posture de la pensée rationnelle tout aussi fondée dans la nature de la pensée elle-même que dans les aspirations de son autre, c’est-à-dire de l’histoire. Le savoir absolu est le point où chez Hegel coïncident la nature de la raison en général et la nécessité d’exprimer les besoins universels de l’histoire.
Les chapitres six à neuf situent ensuite le déplacement épistémologique que propose la dialectique négative d’Adorno par rapport à cette conclusion de Hegel. Nous prenons soin de montrer qu’Adorno ne la juge pas fausse mais unilatérale. Il conçoit qu’exprimer et assouvir les souffrances historiques revient au concept mais il soutient en même temps que celui-ci échoue à cette tâche tant qu’on ne nuance pas la portée et la signification de sa « compulsion à identifier ». Nous démontrons que si cette dernière est d’après Adorno à la fois inévitable et fautive, c’est parce que le besoin qui motive la pensée rationnelle n’est pas d’abord la nécessité de concevoir l’unité dans la division mais celui de réaliser les conditions de la survie et du bonheur de l’organisme vivant qui soutient la pensée. Or pour Adorno, la société capitaliste bloque les pratiques émancipatrices qui s’attachent à combler ce besoin matériel parce qu’elle absolutise le principe d’identité. Nous soutenons que, dans ce contexte, l’approche adornienne de la philosophie comme relevant de l’essai (Essay) et développant des concepts discontinus orientés vers le non-identique n’est pas moins, mais plus rationnelle que la posture hégélienne qui considère la philosophie comme une science absolue. This thesis analyzes and contrasts G. W. F. Hegel’s and T. W. Adorno’s positions on the nature of rationality and the task of philosophy. Its central aim is to offer a critical interpretation of a thought shared but interpreted differently by both thinkers, namely, that philosophy proceeds from a certain need (Bedürfnis) that is both specific and universal.
Hegel spoke of a « need of philosophy ». The expression is ambiguous: it is meant to describe the general nature of rational thinking, but also to express how reason or philosophy can justify their historical relevance and satisfy concrete needs. I argue in chapters one to five that Hegel tries to reconcile these two needs, in order to show why identifying with concepts is the key to appeasing the concrete suffering caused by history’s own division within itself. The answer is given in absolute knowledge, grounded and justified in respect of thought itself as well as thought’s other, i.e., history. Absolute knowledge is point of equilibrium between reason in general and reason as the adequate expression of history’s universal needs.
Chapters six to nine then interpret Adorno’s negative dialectics as a critical reworking of this dialectical problem of framing normativity in historical terms. Adorno agrees with Hegel that the most relevant and satisfying expression of historical suffering is conceptual, yet he also contends that the « compulsion to identity » as such fails to satisfy the need that motivates philosophical thinking. I argue that this is because striving for survival and happiness is not reducible to thought’s obsession with identity. For Adorno, happiness and “right life” are blocked in contemporary society because capitalism hypostasizes the identity principle inherent in conceptual thinking. In this context, I argue that Adorno’s view of philosophy as essay (Essay) is more, not less, rational than Hegel’s understanding of philosophy as an absolute science.
Note·s
Une traduction française des "Thèses sur le besoin" de Theodor W. Adorno accompagne la thèse (annexe).Ce document diffusé sur Papyrus est la propriété exclusive des titulaires des droits d'auteur et est protégé par la Loi sur le droit d'auteur (L.R.C. (1985), ch. C-42). Il peut être utilisé dans le cadre d'une utilisation équitable et non commerciale, à des fins d'étude privée ou de recherche, de critique ou de compte-rendu comme le prévoit la Loi. Pour toute autre utilisation, une autorisation écrite des titulaires des droits d'auteur sera nécessaire.