Médiation procréative et maternités assistées : vers une approche relationnelle et pragmatique de la gestation pour autrui et du don d’ovules au Canada
Thèse ou mémoire
2019-02 (octroi du grade: 2019-10-30)
Directeur·trice·s de recherche
Cycle d'études
DoctoratProgramme
Sciences humaines appliquéesMots-clés
- Maternité
- Infertilité
- Procréation assistée par autrui
- Gestation pour autrui
- Don d’ovules
- Enfantement
- Méthodologie de la théorisation enracinée
- Recherche qualitative
- Maternity
- Motherhood
- Infertility
- Assisted human reproduction
- Surrogacy
- Egg donation
- Childbirth
- Grounded theory
- Qualitative research
- Social Sciences - Social Work / Sciences sociales - Travail social (UMI : 0452)
Résumé·s
CONTEXTE. Bien que les différentes composantes de la maternité coïncident et s’incarnent en une seule et même femme dans la vaste majorité des cas, les pratiques de gestation pour autrui (GPA) et de don d’ovules viennent bouleverser cette vision unifiée de « la » mère, conviant jusqu’à trois femmes dans une triade d’enfantement inédite : une mère d’intention, une femme porteuse et une donneuse d’ovules. La thèse vise à mieux comprendre la construction du rapport à la maternité chez ces femmes, dans un contexte où leur parole est occultée du débat entourant la régulation de ces pratiques. Trois objectifs guident la démarche de recherche : 1) comprendre la manière dont les femmes se représentent leur apport respectif dans le projet parental; 2) identifier les stratégies d’appropriation et de mises à distance de la maternité déployées par ces femmes, ainsi que les facteurs personnels, sociaux et normatifs qui favorisent ou inhibent leur émergence et 3) mettre en lumière la dimension relationnelle du processus d’enfantement.
CADRE CONCEPTUEL. Les trois composantes des maternités assistées (intention, génétique et gestation) constituent le socle d’un arrimage conceptuel élaboré pour alimenter l’analyse, auquel s’ajoutent trois axes de structuration sociale. La première composante renvoie à la formulation du projet parental de départ et la prise en charge de l’enfant après sa naissance, la deuxième évoque le gamète et la transmission des gènes, tandis que la troisième symbolise la grossesse et l’accouchement. Les normes du système de parenté euroaméricain et les pressions exercées par l’institution de la maternité influencent la définition et l’aménagement des liens en soulevant plusieurs préoccupations, dont la quête de la « vraie » mère comme figure unique et exclusive, et l’image idéalisée de la « bonne » mère dotée de qualités féminines valorisées. La stratification de la reproduction révèle quant à elle les rapports de pouvoir qui prennent appui sur la hiérarchisation des positions sociales occupées par les femmes concernées.
CADRE MÉTHODOLOGIQUE. La méthodologie de la théorisation enracinée (MTE) d’orientation constructiviste a été retenue pour la recherche. Les données qualitatives ont été recueillies en deux vagues de recrutement dans une visée d’échantillonnage théorique, afin de favoriser l’émergence de catégories conceptuelles au fil d’un raisonnement analytique abductif. Quarante-cinq entrevues individuelles et semi-dirigées ont été réalisées au Canada auprès de trente-huit participantes (n = 38), soit treize mères d’intention, quinze femmes porteuses et dix donneuses d’ovules. Les entrevues ont été retranscrites intégralement, puis codées selon un processus continu de théorisation.
RÉSULTATS. Le processus d’enfantement correspond à une mise en relation qui se construit au fil de quatre mouvements : s’engager, négocier, mettre en pratique et raconter. Le premier mouvement évoque les trajectoires des femmes concernées qui convergent vers un projet commun. La trajectoire des femmes stériles ou infertiles est motivée par le désir d’accéder à la maternité ou de permettre à leur conjoint de devenir père, tandis que celle des femmes porteuses et des donneuses d’ovules découlent d’une mosaïque de motifs. Leurs représentations de ce qui « fait » ou « ne fait pas » la mère influencent les logiques discursives des femmes et orientent subséquemment leurs comportements et leurs pratiques.
Le deuxième mouvement représente le point de rencontre entre les mères d’intention et les tierces reproductrices au sein de l’une des trois filières d’accès à la procréation assistée par autrui : la famille et l’entourage, les intermédiaires privés ou les réseaux socionumériques. Les femmes naviguent à travers les cadres normatifs du droit, de la médecine et de l’État, chacun générant des régulations qui teintent l’issue de la négociation et embrouillent leur faculté à consentir de manière éclairée.
Le troisième mouvement correspondant à la mise en pratique de la GPA et du don d’ovules. D’un côté, les femmes concernées ritualisent la grossesse et l’accouchement pour faire face à l’incertitude maintenue par le flou juridique actuel entourant la GPA. De l’autre, le don d’ovules correspond à une expérience corporelle « à relais » qui provoque la permutation du gamète féminin en maternité incarnée : la préparation et l’extraction des ovules du corps de la donneuse, puis l’implantation de l’embryon et la gestation du fœtus dans celui de la receveuse.
Le quatrième mouvement témoigne de la mise en récit des origines, où chaque protagoniste trouve sa place dans l’histoire de la genèse familiale. Cette construction narrative s’enracine dans trois conceptions des maternités assistées (maternité exclusive, maternités séquentielles et maternité honoraire), lesquelles orientent l’annonce à l’enfant des circonstances entourant sa conception, ainsi que le type de liens noués entre l’ensemble des personnes concernées, incluant les partenaires de vie, les enfants et les grands-parents.
RETOMBÉES. Réunissant les quatre mouvements du processus d’enfantement dans un modèle intégratif, la « médiation procréative » est un dispositif qui repose sur quatre fondements théoriques. D’abord, elle implique un découpage en séquences, lesquelles structurent le processus d’enfantement au fil du temps et des événements. Ensuite, elle correspond à une approche de la proximité, puisque le processus se déroule au Canada et se caractérise par la similitude, et non la distance et la différence. Cette particularité permet aux femmes de créer une trame relationnelle qui consolide l’entente de procréation assistée par autrui. La médiation procréative se situe néanmoins au carrefour de régulations qui embrouillent la faculté à consentir des femmes, entre la contractualisation des relations et la médicalisation de l’enfantement. Enfin, la pluralité des expériences des femmes témoigne de tensions entre leur désir de se conformer aux normes familiales et de genre pour échapper à la stigmatisation, mais aussi leur volonté de résister à ces mêmes normes pour les transformer, et ainsi inscrire leurs trajectoires marginalisées au sein d’une diversité familiale reconnue et respectée. CONTEXT. Although the different components of maternity and motherhood coincide and are embodied in one woman in the vast majority of cases, surrogacy and egg donation disrupt this unified vision of “the” mother, calling for up to three women in an unprecedented birthing triad: an intended mother, a surrogate and an egg donor. The thesis aims to better understand how these women relate to maternity, in a context where their voice is hidden from the debate surrounding the regulation of these practices. Three objectives guide the research process: 1) to understand how women perceive their respective contributions in the parental project; 2) to identify the strategies deployed by these women to appropriate or distance themselves from maternity, as well as the personal, social and normative factors that promote or inhibit their emergence and 3) to highlight the relational dynamics of the birthing process.
CONCEPTUAL FRAMEWORK. The three components of assisted maternity (intention, genetics and gestation) constitute the base of a conceptual framework built to feed the analysis, to which are added three axes of social structuring. The first component refers to the formulation of the parental project of origin and the care of the child after birth, the second refers to the gamete and the transmission of genes, while the third symbolizes pregnancy and childbirth. The kinship norms of western culture and the pressures exerted by the institution of motherhood influence the definition and management of relationships by raising several concerns, including the quest for the “real” mother as a unique and exclusive figure, and the idealized image of the “good” mother with valued female qualities. Reproductive stratification reveals the power relations that are based on the hierarchy of social positions occupied by the women concerned.
METHODS. Constructivist grounded theory methodology has been retained for the research. Qualitative data were collected in two waves of recruitment with a theoretical sampling aim, in order to favor the emergence of conceptual categories through abductive reasoning. Forty-five individual and semi-structured interviews were conducted in Canada with thirty-eight participants (n = 38), including thirteen intended mothers, fifteen surrogates, and ten egg donors. The interviews were transcribed and coded according to a continuous process of theorization.
RESULTS. The birthing process is a relationship that is built through four movements: engaging, negotiating, putting into practice, and telling. The first movement (engaging) evokes the trajectories of the women who converge toward a common project. The trajectory of sterile or infertile women is motivated by the desire to access maternity or to allow their spouse to become a father, while that of surrogates and egg donors is derived from a mosaic of motives. Their depictions of what “makes” or “doesn’t make” a mother influence the discursive logic of women and subsequently guide their behavior and practices.
The second movement (negotiating) represents the meeting point between the intended mothers and third-party reproducers in one of the three channels of access to assisted human reproduction: family and friends, private intermediaries or social media networks. Women navigate through the normative frameworks of law, medicine and the state, each generating regulations that taint the outcome of negotiations and inhibit their ability to make informed decisions.
The third movement (putting into practice) correspond to the practice of surrogacy and egg donation. On the one hand, the women involved ritualize pregnancy and childbirth to cope with the current legal uncertainty regarding surrogacy. On the other hand, the egg donation corresponds to a “relay” body experience which causes the permutation of the female gamete into embodied maternity: the preparation and the extraction of the eggs from the donor’s body, then the implantation of the embryo and gestation of the fetus in that of the recipient.
The fourth movement (telling) testifies the narrative of the origins, where each protagonist finds its place in the history of the family’s genesis. This narrative construction is rooted in three conceptions of assisted maternities (exclusive maternity, sequential maternities, and honorary maternity), which guide the announcement to the child of the circumstances surrounding his/her conception, as well as the type of bonds established between all the individuals involved, including life partners, children and grandparents.
IMPACTS. Bringing together the four movements of the birthing process into an integrative model, “reproductive mediation” is a measure that rests on four theoretical foundations. First, it involves a division into sequences, which structure the birthing process over time and events. Secondly, it corresponds to a proximity approach, since the process takes place in Canada and is characterized by similarity, not distance and difference. This particularity allows women to create a relational framework that consolidates the assisted reproduction agreement. Nevertheless, between the contractualization of relations and the medicalization of childbirth, reproductive mediation is at a crossroads of regulations that hinders one’s ability to consent. Finally, the plurality of women’s experiences shows tensions between their desire to conform to family and gender norms to escape stigmatization, but also their willingness to resist and change these same norms, thus making their marginalized paths a part of an acknowledged and respected family diversity.
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