Résumé·s
Je cherche à dégager dans cet article le lien qui relie la théorie de la réception de H.-R. Jauss à l’herméneutique philosophique de Gadamer. Or, c’est la théorie kantienne du jugement de goût qui fait apparaître avec le plus d’acuité la distance qui sépare au départ les deux auteurs. Jauss fonde en effet son projet sur l’approche moderne de l’art, ce qui va de pair selon Gadamer avec l’« abstraction de la conscience esthétique ». On sait que Gadamer critique cette conscience, qui trouve son expression paradigmatique dans l’esthétique de Kant, au motif qu’elle se coupe de la dimension pratique de l’œuvre et de sa teneur de vérité. Dès lors, la tâche qui s’impose consiste pour Jauss à surmonter la césure entraînée par cette conscience abstraite, axée sur un sentiment de plaisir (aisthesis), afin de rendre féconde pour le monde vécu la réception de l’œuvre d’art, comme le veut Gadamer.
The aim of this article is to investigate the link between H.-R. Jauss’s theory of reception and the philosophical hermeneutics of Gadamer. Yet it is Kant’s theory of the judgment of taste that is best suited to show the distance that separates the two authors from the start. Jauss grounds his project on the modern approach to art, which implies what Gadamer characterizes as the “abstraction of aesthetic consciousness.” We know that Gadamer condemns this consciousness, which finds its paradigmatic expression in Kant’s aesthetics, because this consciousness deprives itself of the practical dimension of the work and of its truth. The task for Jauss then is to overcome the loss entailed by such an abstract consciousness, which consists in a feeling of pleasure (aesthesis), in order for the reception of the work of art to be fruitful for the lifeworld, as Gadamer would expect.