Systématique du genre Essigella (Hemiptera : Sternorrhyncha) au moyen de données moléculaires
Thesis or Dissertation
2018-01 (degree granted: 2018-06-19)
Author(s)
Advisor(s)
Level
DoctoralDiscipline
Sciences biologiquesAbstract(s)
Contexte : La spécificité à une plante hôte est un phénomène courant chez les insectes phytophages et notamment chez les pucerons. L’identité de l’hôte est par conséquent souvent utilisée dans l’identification des espèces, pour son côté pratique mais aussi pour des groupes chez lesquels peu de caractères morphologiques sont fiables. Ce problème est notamment important dans le cas des espèces cryptiques qui, par définition, ne présentent pas de différences morphologiques avec les espèces apparentées. Cependant, les populations d’une même espèce d’insecte vivant sur différentes plantes hôtes peuvent parfois montrer des différences phénotypiques induites par celles-ci. Par conséquent, bien que l’association avec une plante hôte puisse être un caractère diagnostique pratique, il peut aussi être trompeur dans la reconnaissance et la délimitation des espèces. L’utilisation de l’association avec un hôte comme caractère diagnostique est plus fiable quand les espèces en question sont bien décrites et délimitées en utilisant d’autres critères diagnostiques tels que des séquences ADN. Essigella (Insecta, Hemiptera, Sternorrhyncha, Aphididae, Lachninae) est un genre de pucerons regroupant treize espèces, dont deux avec deux sous-espèces chacune. Elles se nourrissent de phloème sur les aiguilles des pins (Pinus) et des douglas (Pseudotsuga). La plupart des espèces d’Essigella sont monophages et se développent sur une seule ou quelques espèces d’hôtes apparentés. Deux espèces d’Essigella, E. californica et E. pini, sont toutefois oligophages et sont trouvées sur plusieurs espèces de pins. Les espèces d’Essigella sont naturellement néarctiques. Une espèce, E. californica, a toutefois été accidentellement introduite dans plusieurs pays autour du monde, devenant dans certains cas, un important ravageur dans les plantations de pins. Essigella, Cinara, Eulachnus et Pseudessigella appartiennent à la tribu des Eulachnini, bien que les relations phylogénétiques entre ces genres n’aient pas encore été clarifiées. Les espèces d’Essigella présentent une forte variabilité morphologique intra- et interspécifique. De plus, il existe peu ou pas de caractères diagnostiques fiables, rendant la taxonomie de ce genre difficile. Plusieurs espèces ont été circonscrites par de subtiles variations morphologiques seulement détectables avec des mesures morphométriques et des analyses multivariées. Aussi, l’identification des espèces d’Essigella est traditionnellement basée sur la combinaison de la morphométrie et de l’identité de la plante hôte. Parce que la systématique d’Essigella n’a pas été testée par des moyens moléculaires, il est possible que certaines espèces proches morphologiquement et vivant sur des plantes hôtes apparentées correspondent en fait à des populations d’une même espèce. En même temps, il est également possible que différentes populations d’une présumée espèce puissent correspondre à différentes espèces cryptiques.
Cette thèse présente une révision de la systématique d’Essigella en utilisant des données moléculaires et plus particulièrement les séquences ADN de quatre gènes : ATP6, COI, EF-1α et Gnd.
Méthodes : J’ai estimé une phylogénie d’Essigella en utilisant le maximum de vraisemblance et l’inférence bayésienne avec les séquences ADN de quatre gènes : ATP6 et COI (mitochondriaux), EF-1α (nucléaire), et Gnd (de l’endosymbiote obligatoire Buchnera aphidicola). Des espèces représentatives des trois autres genres d’eulachnines ont été utilisées comme groupes externes. J’ai employé cinq méthodes de délimitation d’espèces dans le but de tester la taxonomie d’Essigella. Celles-ci furent la méthode traditionnelle du barcode utilisant COI avec un seuil de 2%, la méthode de l’« Automatic Barcode Gap Discovery » (ABGD), celle du « General Mixed Yule Coalescent » (GMYC), celle du « Bayesian Poisson Tree Process » (bPTP), ainsi que celle du « Refined Single Linkage » (RESL) via la base de données BOLD (Barcode of Life Data Systems). J’ai aussi comparé les séquences d’ATP6, COI, EF-1α et Gnd de populations exotiques d’E. californica avec celles de populations nord-américaines pour confirmer qu’elles appartenaient bien à cette espèce.
Résultats : La phylogénie d’Essigella a montré que Pseudessigella était le groupe frère d’Essigella et qu’Eulachnus était le groupe frère du groupe Essigella + Pseudessigella. Cette phylogénie, combinée avec deux méthodes de délimitation d’espèces, ABGD et le barcode utilisant COI, a confirmé que toutes les espèces connues d’Essigella étaient valides et que par conséquent, les variations morphologiques observées étaient réellement spécifiques et non liées à la plante hôte. Aussi, les spécificités respectives de chaque espèce d’Essigella avec sa plante hôte ont été confirmées. Les analyses ont aussi révélé que les taxons connus comme E. californica et E. pini incluaient en réalité respectivement quatre et deux espèces, et que la base de données de BOLD renfermait les séquences de trois autres espèces non répertoriées. Dans le cas d’E. pini, l’espèce cryptique additionnelle correspond à son synonyme, E. patchae, qui ainsi a été rétablie. Dans le cas d’E. californica, les trois espèces nouvelles ne correspondent à aucun synonyme connu de l’espèce. Par conséquent, E. californica sensu lato inclut au moins quatre espèces distinctes, E. californica sensu stricto et trois autres décrites comme nouvelles : Essigella domenechi, E. gagnonae et E. sorenseni. À cause de la forte proximité morphologique entre les quatre espèces, et pour la première fois dans la taxonomie des pucerons, les différences nucléotidiques de séquences ADN (ATP6, COI et Gnd) sont utilisées comme caractères dans les diagnoses respectives de trois espèces nouvelles. Malgré la découverte de ces trois espèces, j’ai confirmé que seule E. californica sensu stricto avait été introduite en dehors de l’Amérique du Nord, et que les introductions se sont produites indépendemment et au moins quatre fois.
Conclusion : Cette thèse a en grande partie confirmé la délimitation spécifique d’Essigella basée sur la morphométrie et la spécificité étroite de la plupart des espèces avec une plante hôte. Cependant, elle a aussi mis au jour l’existence de plusieurs espèces cryptiques et suggéré que de telles autres espèces pouvaient exister au sein d’Essigella, leur confirmation nécessitant un travail supplémentaire et un matériel additionnel substantiel. Cette étude souligne aussi que l’utilisation des données ADN comme caractères diagnostiques est essentielle dans la délimitation mais aussi dans la reconnaissance des espèces cryptiques. Background: Host plant specificity is a common phenomenon in phytophagous insects and notably in aphids. Host identity is therefore often used in species recognition, for its practicality but also for groups for which few morphological characters are reliable. This issue is notably important in the case of cryptic species that, by definition, exhibit no morphological difference with related species. However, populations of one same insect species living on different host plants can sometimes show host-mediated phenotypic differences. As a consequence, although host plant association can be a practical diagnostic character, it can also be misleading when recognizing and circumscribing species. The use of host association as a diagnostic character is most reliable when the species in question are well described and delimited using other diagnostic criteria such as DNA sequences. Essigella (Insecta, Hemiptera, Sternorrhyncha, Aphididae, Lachninae) is an aphid genus encompassing thirteen species, two of which have two subspecies each. They are phloem-feeders on the needles of true pines (Pinus) and Douglas firs (Pseudotsuga). Most Essigella species are monophagous and develop on a single or a few closely-related host species. Two species of Essigella, E. californica and E. pini, are oligophagous, however, and found on several pine species. Essigella species are naturally Nearctic. One species, E. californica, has however been accidentally introduced in several countries around the world, becoming in some instances an important pest in pine plantations. Essigella, Cinara, Eulachnus and Pseudessigella comprise the tribe Eulachnini, although the phylogenetic relationships between these genera have not yet been clarified. Essigella species exhibit high intra- and interspecific morphological variability. Moreover, there exists few or no diagnostic reliable characters, making the taxonomy of the genus difficult. Several species were circumscribed by subtle morphological variations only detectable with morphometric measurements and multivariate analyses. Thus, identification of Essigella species has traditionally been based on a combination of morphometry and host plant identity. Because Essigella systematics has not been tested with molecular means, it is likely that some morphologically close species living on related host plants actually correspond to populations of a single species. At the same time, it is also possible that different populations of one apparent species may actually correspond to different cryptic species. This thesis presents a revision of Essigella systematics using molecular data and more particularly DNA sequences of four genes: ATP6, COI, EF-1α and Gnd.
Methods: I estimated a phylogeny of Essigella using maximum likelihood and Bayesian inference using DNA sequences of four genes: ATP6 and COI (mitochondrial), EF-1α (nuclear), and Gnd (from the obligate endosymbiont Buchnera aphidicola). Representative species of the three other eulachnine genera were used as outgroups. I employed five species delimitation methods in order to test the species taxonomy of Essigella: the traditional 2% COI barcode threshold, the Automatic Barcode Gap Discovery (ABGD), the General Mixed Yule Coalescent (GMYC), the Bayesian Poisson Tree Process (bPTP), and the Refined Single Linkage (RESL) via the BOLD (Barcode of Life Data Systems) database. I also compared ATP6, COI, EF-1α and Gnd sequences from exotic E. californica populations with sequences of North American ones to confirm they actually belongs to that species.
Results: The Essigella phylogeny showed that Pseudessigella is the sister-group of Essigella and that Eulachnus is the sister group of Essigella + Pseudessigella. That phylogeny, combined with two species delimitation methods, ABGD and COI barcoding, confirmed that all known Essigella species were valid and, as a result, morphological variations were truly specific and not linked to the host plant. Thus, respective specificity between Essigella species and their host plant were confirmed. The analyses also revealed that the taxa known as E. californica and E. pini actually include four and two cryptic species, respectively, and that the BOLD database contained sequences of three other unknown species. In the case of E. pini, the additional cryptic species corresponds to its synonym, E. patchae, which I thus re-established. In the case of E. californica, the three new species do not correspond to any known synonym of the species. Thus E. californica sensu lato includes at least four distinct species, E. californica sensu stricto and three others described as new: Essigella domenechi, E. gagnonae and E. sorenseni. Because of the strong morphological proximity between the four species, and for the first time in aphid taxonomy, nucleotide differences in DNA sequences (ATP6, COI and Gnd), are used in the respective diagnoses of the three new species. Despite discovery of these three species, I confirmed that only E. californica sensu stricto was introduced outside North America, and that the introductions occurred independently and at least four times.
Conclusion: This thesis largely confirmed the morphometrics-based species delimitation of Essigella and the narrow host plant specificity of most of the species. However, it also uncovered the existence of several cryptic species and suggested that other such species may exist within Essigella, confirmation requiring further work and substantial additional material. This study also highlights that the use of DNA data as diagnostic characters is essential in delimiting but also in recognizing cryptic species.
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