Les transformations récentes de l'attribution sexuée du soin aux enfants : le cas de la garde physique partagée
Thesis or Dissertation
Abstract(s)
La garde physique partagée se construit à partir d'un partage symétrique du temps parental de
garde des enfants suite à une séparation. Cette symétrie fonde à son tour une présomption de
partage symétrique du soin des enfants entre père et mère, présomption que renforce la
nouvelle mystique de l'équité juridique en matière de garde et un glissement de sens entre
garde physique et garde légale partagée. Si les faits confirment cette présomption, nous
assisterions à une transformation importante de la division sexuelle du travail. Car
l'attribution du soin des enfants aux femmes reste une constante à laquelle on recense peu
d'exceptions et qui fonde l'appropriation des femmes.
Cette recherche a donc pour objet le partage du travail parental de soin aux enfants en garde
physique partagée. L'attribution du soin aux enfants y a été appréhendée comme étant la
conséquence d'une logique d'organisation du social qui est le propre à la fois du jeu
d'acteurs, d'actrices et de structurations sociales. Le concept de série a servi à poser le niveau
inférieur d'une construction théorique. II a été articulé à la théorie de l'appropriation qui pose
la cession non seulement du travail, mais aussi du corps des femmes dans le cadre du
mariage. Le divorce ne libérerait les mères que du soin au mari; elles seraient toujours
contraintes au soin des enfants et s'ajouterait maintenant une nouvelle obligation au pourvoi.
Le concept de travail de soin a été retenu pour la saisie empirique du partage de l'activité de
soins qui fonde le système de garde puisque partagée.
Les mères en garde physique partatée sont libérées de la prise en charge de leurs enfants sur
une base régulière et pour une période de temps substantielle. Le principe de cession
complète de l'individue propre à l'appropriation privée ne s'y retrouve plus. De plus, les
mères en garde physique partagée sont habituellement salariées. La garde physique partagée
marquerait-elle une transformation de l'appropriation des femmes? Ou assisterait-on plutôt à
une transformation des modalités de l'appropriation? Malgré l'importance et la pertinence du
phénomène, aucune recherche n'a été entreprise à ce jour sur cette question; seules quelques
rares recherches sociologiques ont été faites sur le phénomène de la garde physique partagée.
Les configurations empirique et discursive des aspects spatio-temporel et financier de la garde
physique partagée, du partage du soin des enfants entre pères et mères ainsi que des rapports
coparentaux ont été reconstruits. Les activités parentales de soin ont été analysées à la lumière
des représentations et des discours dominants qui les ont marqués, qui leur ont servi et qui leur servent encore d'élément régulateur: la construction sociale de la maternité et de la
paternité, ainsi que des représentations d'équité en matière de garde et de partage des tâches
ont tour à tour été abordés. Vingt-quatre pères et mères ayant formé douze unités de garde de
même que leurs enfants d'âge scolaire ont été interviewés. Les résultats des entrevues ont été
triangulés.
En garde physique partagée, les conduites parentales de consommation et de cohabitation ne
font plus l'objet d'un partage. Les stratégies de partage du temps régulier de garde se fondent
sur l'idée d'une double insertion professionnelle et d'une complémentarité symétrique des
investissements parentaux, tant domestiques que professionnels, sans assignation
formellement sexuée à un espace ou à une fonction. On assiste aussi à la construction de deux
autonomies territoriales de même qu'à l'émergence d'une individualité chez l'enfant et dans la
prise en charge parentale des soins de l'enfant. La volonté d'éduquer l'enfant constitue
l'objectif commun des pères et des mères mais pour des raisons différentes: les pères veulent
maintenir leur lien avec l'enfant après la séparation, et les mères veulent plutôt se décharger
partiellement de la responsabilité des soins.
La comptabilité rigoureuse du temps régulier de garde ainsi que la nature des rapports
coparentaux axés sur la négociation plutôt lue sur une assignation implicite permettent de
conclure à l'existence d'une forme de contractualisation des rapports coparentaux en garde
physique partagée. Tous les pères prennent en charge de façon régulière la plupart sinon tous
les soins de l'enfant pendant leur tour de garde; ceci constitue une transformation majeure des
pratiques de prise en charge des soins de l'enfant. Ces résultats supportent la thèse d'une
atténuation de l'appropriation privée. On ne peut cependant conclure à la disparition complète
de l'appropriation privée puisque les temps non réguliers de garde sont plus fréquemment
pris en charge par les mères et qu'il existe une asymétrie en matière financière qui
désavantage toujours des mères. De plus, si nous avons observé chez presque toutes les
mères et chez plusieurs pères des efforts conscients de se rendre disponibles à l'enfant, ce
sont des pères, en particulier ceux qui ont une nouvelle conjointe qui se rendent beaucoup
moins disponibles physiquement ou émotivement. Les soins à responsabilité commune
(ceux qui ne sont pas associés à un tour parental de garde) sont assumés de façon plus
intensive par une majorité de mères et celles-ci assument aussi plus souvent un leadership en
matière de soin: elles semblent par exemple planifier la réponse aux besoins globaux de
l'enfant indépendamment de leur tour de garde. Et quelques pères délèguent à leur nouvelle
conjointe ou à un autre membre féminin de leur entourage une partie importante de la charge
de soins qu'ils doivent en principe assumer eux-mêmes pendant leur tour de garde.
Si les mères que nous avons interviewées échappent dans une large mesure à l'appropriation
privée, elles n'échappent pas par contre à l'appropriation collective. Elles doivent ainsi faire
plus avec moins, en termes d'accès plus limité aux ressources matérielles (salaire, aide
concrète) et non matérielles (support affectif). L'exercice de la maternité en garde physique
partagée exige par conséquent un investissement supérieur à celui de la paternité. La prise en
charge quotidienne de l'enfant est réelle mais semble demeurer volontaire chez les pères.
Ainsi, les mères compensent souvent le défaut d'accomplir de leur ex-conjoint mais l'inverse
ne se produit pas. Enfin, l'émergence de la garde partagée comme modèle est aussi
constitutive d'un renforcement de l'appropriation collective pour l'ensemble des mères
séparées. Elle met en place une nouvelle contrainte pour celles-ci, celle d'assurer le contact
soutenu de l'enfant avec le père, quelles que soient les circonstances, et de partage
symétrique, en apparence tout au moins, de la garde et des soins des enfants. Ceci se produit
dans un contexte où, on le sait, 80% des familles monoparentales sont dirigées par des
femmes et moins de 10% des arrangements de garde prévoient la garde physique partagée.
On rend ainsi les mères responsables non seulement des soins, mais aussi dans une large
mesure responsables de s'assurer de la présence du père auprès de ses enfants après la
séparation.
Note(s)
Thèse numérisée par la Direction des bibliothèques de l'Université de Montréal.This document disseminated on Papyrus is the exclusive property of the copyright holders and is protected by the Copyright Act (R.S.C. 1985, c. C-42). It may be used for fair dealing and non-commercial purposes, for private study or research, criticism and review as provided by law. For any other use, written authorization from the copyright holders is required.