Critique féministe matérialiste du droit civil québécois : le travail « domestique » et les violences sexuées, les « impensés » du droit du logement
Thesis or Dissertation
2015-09 (degree granted: 2016-04-20)
Author(s)
Advisor(s)
Level
DoctoralDiscipline
DroitKeywords
- Droit au logement
- droit du logement
- féminisme
- théorie critique du droit
- droit civil
- pensée néo-gramscienne
- division sexuelle du travail
- violences sexuées
- Right to housing
- feminism
- critical theory of law
- civil law
- neo-Gramscian theory
- sexual division of labor
- gendered-based violence
- Social Sciences - Law / Sciences sociales - Droit (UMI : 0398)
Abstract(s)
Cette recherche constitue un essai de théorie critique féministe matérialiste et radicale. Elle poursuit principalement un objectif de dénonciation de la structure actuelle du droit du logement. À partir d’un cadre conceptuel fondé sur le féminisme matérialiste et radical, elle souhaite faire ressortir le point de vue de la classe des femmes dans l’habitation. Le droit du logement est ici utilisé dans un sens large, puisqu’il se réfère à la fois au logement comme phénomène juridique, mais aussi sociologique. À l’intérieur de la discipline juridique, il renvoie à l’ensemble des législations actuellement en vigueur au Québec en ce qui concerne la vie à domicile. Notre étude se concentre sur deux modes d’occupation des lieux, à travers le droit de propriété et le système locatif.
Le droit au logement fait l’objet d’une reconnaissance internationale dans les textes portant sur les droits humains. Il est reconnu comme le « droit à un logement suffisant ». Au Canada et au Québec, il ne fait pas l’objet d’une reconnaissance explicite, malgré les engagements pris sur la scène internationale. Un portrait statistique, appuyé sur le critère du sexe, permet de mettre en évidence qu’il existe des écarts entre les hommes et les femmes en ce qui concerne la mise en application du droit du logement. Les femmes accèdent plus difficilement à un logement; elles y effectuent la majorité du travail domestique, de service et de « care » et elles sont les principales victimes des violences commises à domicile.
Dans le système d’habitation, l’expérience des femmes se comprend comme une appropriation à la fois privée et collective par la classe des hommes, telle que réfléchie par Colette Guillaumin, qui se concentre autour de la division sexuelle du travail et des violences sexuées. Le droit du logement, dans sa forme actuelle, repose sur l’appropriation de la force de travail des femmes et de leur corps. Ces deux critères permettent de construire une grille d’analyse féministe matérialiste et radicale pour analyser la structure du droit du logement, tel que conçu en droit civil. Cette analyse féministe permet également de situer le droit étatique comme une pratique patriarcale. Cette dernière contribue à assurer le maintien du système d’habitation, qui est assimilable à un système hégémonique, au sens développé par Gramsci. Cette étude réfléchit sur le droit du logement dans le climat politique néolibéral. Le néolibéralisme est développé comme une idéologie qui impose une rationalité marchande à l’ensemble des politiques étatiques.
À partir d’une méthode décrite comme métathéorique externe radicalement réflexive, puisqu’elle propose l’importation d’outils conceptuels étrangers à la discipline du droit moderne, nous réfléchissons de manière radicale la construction du droit civil et des institutions qui encadrent le droit du logement. La collecte des données s’effectue à partir de la recherche documentaire.
Quatre institutions du droit civil seront examinées dans le détail, soit le sujet du droit, la dichotomie privé/public, la médiation du droit du logement par les biens immeubles, à travers le rapport contractuel et le droit de propriété, et finalement les notaires.
L’analyse féministe du sujet du droit insiste sur un paradoxe. D’une part, l’universalité présumée de ce sujet, laquelle permet de poser l’égalité et la liberté pour toutes les personnes juridiques. Or, plutôt que d’être neutre sexuellement comme le prétend le droit positif, nous démontrons comment ce sujet est constamment un membre de la classe des hommes. D’autre part, nous analysons comment le droit reconnaît le sexe de ses sujets, mais surtout comment cette sexualité est construite sur l’idéologie naturaliste. Ce modèle de sujet masculin est fondamental dans la construction du droit du logement.
L’étude féministe de la dichotomie privé/public en fait ressortir le caractère situé. En effet, si par essence aucun domaine ou enjeu n’est en soit privé ou public, le processus de qualification, lui, est un acte de pouvoir. Nous verrons comment le droit civil crée des zones de droit privé, comprises comme des zones de non-droit pour les femmes. La qualification de privé dévalue également le travail accompli par cette classe de sexe.
Le droit du logement est pourtant centré sur le rapport contractuel et sur le droit de propriété. Il importe alors d’examiner la nature du consentement donné par les femmes comme groupe social dans les contrats de vente et de location. Ces contrats ne prennent pas en compte l’expérience des femmes dans leur formation. Les catégories qui y sont attachées, telles que vendeur.e ou locataire, représentent le point de vue de la classe des hommes. Bien que la popularité de la copropriété auprès de la classe des femmes semble porteuse d’un vent de changement, nous analysons comment le discours dominant qui l’entoure instrumentalise certaines revendications féministes, tout en laissant dans l’ombre la question du travail domestique et des violences sexuées.
Finalement, nous nous intéressons aux notaires en les repensant comme des intellectuel.les organiques, tels que conçu.es par Gramsci, pour la classe des hommes. Cette fonction d’intellectuel.les permet de mettre en lumière comment chaque transaction immobilière favorise la reproduction des intérêts patriarcaux, remettant ainsi en question la nature des devoirs de conseil et d’impartialité du notariat.
À la lumière de cette analyse, le Code civil du Québec est qualifié dans une perspective féministe matérialiste et radicale pour devenir un système qui institutionnalise l’appropriation des femmes par l’entremise du droit du logement.
Ce travail de recherche permet d’envisager certaines pistes de réflexion pour des rénovations potentielles des pratiques juridiques entourant le droit du logement, notamment la pratique notariale, tournées vers des objectifs féministes de justice sociale. This research is a radical and materialist feminist critical theory essay. Its main objective is to denounce the current structure of the right to housing. From a conceptual framework based on materialistic and radical feminism, it aims to highlight the point of view of the class of women in relation to housing. The right to housing is here used in a broad sense and makes reference to housing. Our study focuses on ownership and the rental system.
The right to housing has been internationally recognized in human rights texts. It is recognized as the "right to adequate housing." It is not explicitly recognized in Canada or Quebec, despite commitments in this respect on the international stage. A statistical portrait using the criterion of sex highlights the existence of differences between men and women in respect of the satisfying of their right to housing. Women have more difficulty accessing housing, they perform most of the domestic work and care, and they are the principal victims of violence in the home.
In the housing system, the experience of women is understood as both an individual and a collective appropriation by the class of men, as rethought by Colette Guillaumin, which focuses on the sexual division of labour and sexual violence. In its present form, the right to housing is based on the appropriation of women's labour and their bodies. We use these two criteria to build a materialistic and radical feminist analysis grid in an aim to analyze the structure of the right to housing, as conceived in civil law. This feminist analysis also permits us to situate state law as a patriarchal practice. This patriarchal practice helps to ensure the maintenance of the housing system, which is comparable to a hegemonic system, as developed by Gramsci. This study sets the right to housing in a neoliberal political context. Neoliberalism is developed as an ideology that imposes market rationality on all state policies.
From a method described as meta-theoretical external radically reflexive because it proposes to import conceptual tools that are foreign to the discipline of modern law, we radically rethink the construction of civil law and the institutions governing the right to housing. Data collection is done through a literature search.
We examine four civil law institutions in detail: the subject of law, the private/ public dichotomy, mediation of the right to housing through contractual relations and the right of ownership in respect of immovable property, and finally notaries.
The feminist analysis of the subject of law emphasizes a paradox. On the one hand, there is the presumed universality of the subject of law, from which flows equality and freedom for all juridical persons. However, we demonstrate how, contrary to the claim of positive law that the subject of law is sex neutral, the subject is always a member of the class of men. On the other hand, we analyze how the law recognizes the sex of the subjects and especially how this sexuality is built on the ideology of naturalism. This male subject model is fundamental to the construction of the right to housing.
The feminist analysis highlights the situated nature of the private/public dichotomy. As no area or issue of law is either private or public in and of itself, the process of qualification is an act of power. We demonstrate how civil law creates zones of private law that are basically zones of non-rights for women. The characterization as private also devalues the work performed by this sex class.
While the right to housing is a human right, it is nevertheless centered on a contractual relation and a right of ownership. Accordingly, it is important to examine the nature of the consent given by women as a social group, in the context of contracts of sale and rental contracts. The experience of women is not taken into account in the formation of these contracts. Categories that are attached to contracts of sale and rental, such as seller or tenant, represent the point of view of the class of men. Although the condominium’s popularity with the class of women seems to indicate that the winds are changing, we analyze how the predominant rhetoric around it manipulates certain feminist claims, while ignoring the issues of domestic work and violence.
Finally, we turn to notaries and reconsider them as organic intellectuals, as developed by Gramsci, for the class of men. This intellectual function highlights how each real estate transaction favours the perpetuation of patriarchal interests, raising the question of the nature of a notary’s duty to advise and act impartially.
In light of this analysis, the Civil Code of Québec is considered from a materialistic and radical feminist perspective and becomes a system that institutionalizes the appropriation of women through the right to housing.
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