Contraintes vécues, idéal normatif et actions déployées en vue de transformer l’exercice de la profession infirmière en centre hospitalier : une étude exploratoire auprès d’infirmières québécoises politiquement engagées
Thèse ou mémoire
2015-04 (octroi du grade: 2015-10-07)
Auteur·e·s
Cycle d'études
DoctoratProgramme
Sciences infirmièresMots-clés
- Actions politiques
- Centre hospitalier
- Conditions d’exercice
- Foucault
- Gouvernance néolibérale
- Infirmières soignantes
- Postmodernisme
- Pouvoir
- Praxis
- Rapports de force
- Conditions of practice
- Foucault
- Hospital centre
- Neoliberal governance
- Political action
- Political power
- Postmodernism
- Power relations
- Praxis
- Staff nurses
- Health Sciences - Nursing / Sciences de la santé - Soins infirmiers (UMI : 0569)
Résumé·s
Les changements socioéconomiques des dernières décennies ont profondément transformé le rapport qu’entretient le Québec avec ses professionnels de la santé. En ouvrant le champ à l’accumulation privée du capital dans les années 1990, se met en place au sein de la fonction publique une philosophie politique issue du monde des affaires. Dès lors, le paradigme de la gouvernance investit les hôpitaux, où exerce 65 % de l’effectif infirmier québécois. Des chercheurs ont investigué les contraintes et torts subis par les infirmières consécutivement à la restructuration du système de santé, cependant, peu d’entre eux ont tenu compte des rapports de force et des structures de pouvoir dans lesquels s’enracine le vécu des infirmières.
La présente étude a pour but d’explorer les expériences vécues d’infirmières soignantes politiquement engagées qui exercent en centre hospitalier (CH), de rendre compte de l’ordre social existant au sein de cette institution, de décrire la façon dont elles aimeraient idéalement exercer et de répertorier les idées qu’elles ont et les actions qu’elles mettent en place individuellement ou collectivement de façon à favoriser la transformation de l’ordre social et de l’exercice infirmier en CH. Épistémologiquement, notre étude qualitative s’inscrit dans cette idée que la réalité est complexe, mouvante et dépendante de la perception des personnes, proposant une orientation compréhensive et contextualisée de l’action humaine et du politique; c’est ainsi que le point de vue politique des infirmières participantes est pris en compte. L’articulation des expériences vécues, de l’idéal normatif et de l’action politique des participantes est explorée suivant une perspective postmoderniste, praxéologique et dialectique issue de la théorie critique qui réfléchit non seulement sur ce qui est, mais également sur ce qui est souhaitable; une réflexion qui sous certaines conditions s’ouvre sur l’action transformatrice. Les notions de pouvoir, de rapport de force, de résistance et d’émancipation influencent notre analyse.
Au terme de cette étude, les résultats indiquent la présence d’une déprofessionnalisation graduelle en faveur d’une technicisation du soin infirmier et d’une dérive autoritaire grandissante au sein des CH s’arrimant au registre sémantique de l’économie de marché à partir des notions d’efficacité, de performance et d’optimisation. Les infirmières soignantes perçues comme des « automates performants » se voient exclues des processus décisionnels, ce qui les prive de leurs libertés de s’exprimer et de se faire critiques devant ce qui a été convenu par ceux qui occupent les hautes hiérarchies du pouvoir hospitalier et qui déterminent à leur place la façon dont s’articule l’exercice infirmier. Le pouvoir disciplinaire hospitalier, par l’entremise de technologies politiques comme la surveillance continue, les représailles et la peur, la technicisation du soin et le temps supplémentaire obligatoire, concourt à la subjectivation des infirmières soignantes, en minimisant l’importance de leur jugement clinique, en affaiblissant la solidarité collective et en mettant au pas l’organisation syndicale, ce qui détournent ces infirmières de la revendication de leurs droits et idéaux d’émancipation les ramenant à une position subalterne. Nos résultats indiquent que les actions politiques que les participantes souhaitent déployer au sein des CH visent l’humanisation des soins et l’autodétermination professionnelle. Toutefois, nombre des actions répertoriées avaient pour finalité fonctionnelle la protection et la survie des infirmières au sein d’un dispositif hospitalier déshumanisant. Certaines infirmières soignantes s’objectent en conscience, déploient des actions de non-coopération individuelles et collectives, font preuve d’actes de désobéissance civile ou souhaitent agir en ce sens pour établir un rapport de force nécessaire à la prise en compte de leurs revendications par une gouvernance hospitalière qui autrement ferait la sourde oreille. Le pouvoir exercé de façon hostile par la gouvernance hospitalière doit à notre avis être contrecarré par une force infirmière collective égale ou supérieure, sans quoi les politiques qui lui sont associées continueront de leur être imposées. Le renouvellement radical de la démocratie hospitalière apparaît comme la finalité centrale vers laquelle doivent s’articuler les actions infirmières collectives qui permettront l’établissement d’un nouveau rapport de force puisque c’est à partir de celle-ci que les infirmières soignantes pourront débattre de l’orientation que doit prendre l’exercice infirmier. Socioeconomic developments in the past few decades have led to profound changes in Quebec’s relations with its healthcare professionals. In the 1990s, private capital accumulation was sanctioned as a political philosophy borrowed from the realm of business emerged in the public service. Since then, the governance paradigm has taken hold in hospitals, where 65% of Quebec’s nurses practise. Researchers have investigated the constraints and harms nurses have suffered as a result of health-system restructuring, but only a few have turned their attention to the power relations or power structures (including structures of domination) in which nurses’ experience is rooted.
The aim of this study is to explore the lived experiences of politically engaged staff nurses working in a hospital centre; to portray the social order that exists there; to describe the way in which the nurses would ideally like to practise; and to record their ideas and the action they have taken individually and collectively for fostering change in the social order and the practice of nursing. Epistemologically, this qualitative study is based on a view of reality as complex, mutable, and dependent on individual perception, which suggests a comprehensive, contextualized approach to human action and politics and, hence, to the consideration of the political views of the participating nurses.
The linkage between lived experience, normative ideals and political action is explored from a dialectical, praxeological, postmodernist perspective derived from critical theory which constitutes a reflection not only on what is but also on what ought to be. Such a reflection may, under certain conditions, lead to transformative action. The notions of power, power relations, resistance, and emancipation lie at the very heart of our analytical approach.
The results of the study indicate a gradual deprofessionalization and increasing technicization of nursing. Our findings point, too, to an intensifying drift towards authoritarianism in hospitals with the adoption of the semantic register of the market economy along with the notions of efficiency, performance and optimization. Viewed as little more than high-performance robots, staff nurses find themselves excluded from decision-making processes. They have thus been deprived of the freedom to express opinions about or criticize decisions taken by the top ranks of the hospital power hierarchy (rather than by the nurses themselves) regarding the way nursing is practised. Disciplinary power in hospitals, exerted through technological policies such as constant surveillance, reprisals and fear, the technicization of care, and mandatory overtime contribute to the staff nurses’ subjectification. Their clinical judgment has been devalued, their group solidarity undermined, and their union organization brought to heel. They have thus been diverted from demanding the realization of their rights and their ideals of emancipation and been reduced to the role of subordinates. Accordingly, although the nurse participants want to take action in the hospital to humanize care and achieve professional self-determination, the practical purpose of much of the action we recorded was, rather, their own protection and survival in a dehumanizing hospital system. There are, nonetheless, staff nurses who raise conscientious objections, resort to individual or collective non-cooperation or engage in acts of civil disobedience with the aim of establishing a new power relationship, one that must necessarily be put in place for their demands, which would otherwise be ignored in this system of hospital governance, to be taken seriously.
Unless the antagonistic exercise of power in this system of hospital governance is thwarted by the exercise of equal or greater power on the part of nurses working collectively, they will continue to be subjected to its political philosophy and objectives. Their collective action must focus on the radical renewal of hospital democracy, which, as a new power relationship is established, will enable staff nurses to fully participate in discussions of the orientation of their practice.
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