Performance perceptive dans l’autisme : du facteur «g» au facteur «p»
Thèse ou mémoire
2014-06 (octroi du grade: 2015-02-18)
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DoctoratProgramme
Psychologie - recherche et interventionRésumé·s
La perception est de plus en plus reconnue comme fondamentale à la compréhension du phénotype autistique. La première description de l’autisme, par Kanner en 1947, fait état d’un profil cognitif hétérogène caractérisé par des habiletés exceptionnelles à l’intérieur de domaines spécifiques de la perception (ex., la musique). L’accumulation des observations cliniques sur la présence de particularités perceptives a mené à l’élaboration d’études empiriques permettant d’objectiver des surfonctionnements dans le traitement élémentaire de l’information perceptive dans l’autisme. Parallèlement, des études cognitives suggèrent la présence d’une « intelligence différente » chez les personnes autistes. Celle-ci serait caractérisée par une dissociation entre des performances à différents tests d’intelligence fortement corrélés ensemble chez les personnes typiques. Le potentiel intellectuel des personnes autistes serait sous-estimé lorsque mesuré par l’échelle de Wechsler, plutôt que des mesures d’intelligence fluide comme les Matrices Progressives de Raven. Avec l’appui d’études en imagerie cérébrale, ces résultats suggèrent une relation unique entre la perception et l’intelligence chez cette population clinique.
Étant donné l’accumulation de preuves sur 1) la présence d’atypies perceptuelles, 2) le rôle différent de la perception dans l’intelligence et 3) l’importance des comportements répétitifs et intérêts restreints dans le phénotype autistique (DSM-5), le premier volet de cette thèse s’est intéressé à la relation entre les performances perceptives des personnes autistes et celle des personnes ayant un développement typique, au-delà de ce qui est expliqué par l’intelligence. À l’aide de modèles de régression linéaire, les résultats démontrent un profil de covariation spécifique à l’autisme pour les habiletés plurimodales. Contrairement aux personnes ayant un développement typique, ces associations persistent au-delà de ce qui est expliqué par l’intelligence générale ou par l’efficacité générale des systèmes perceptifs. Ce profil de covariation résiduelle propre aux personnes autistes suggère la présence d’un facteur plurimodal spécifique à ce groupe clinique : le facteur « p ».
Le deuxième volet de cette thèse s’est intéressé à la prévalence des habiletés exceptionnelles au niveau individuel, la relation les forces perceptives et les talents, ainsi qu’aux facteurs de prédisposition en lien avec le développement d’habiletés exceptionnelles. Les forces perceptives des personnes autistes furent évaluées à l’aide de tâches expérimentales sensibles à la détection de surfonctionnements perceptifs, soit une tâche de discrimination de hauteurs sonores et une version modifiée du sous-test « Blocs » de l’échelle d’intelligence de Wechsler. Les talents furent évalués de manière clinique à l’aide de l’ADI-R (« Autism Diagnostic Interview-Revised »). Les données indiquent que 88.4 % des personnes autistes avec une intelligence dans la normale présentent au moins une habileté exceptionnelle (force perceptive ou talent). Les talents sont rapportés chez 62.5 % des cas et les forces perceptives se retrouvent chez 58 % des cas. La cooccurrence des forces perceptives entre les modalités perceptives est relativement peu fréquente (24 % à 27 %) et la présence d’un talent dans une modalité n’augmente pas les chances de présenter une force perceptive dans une même modalité. Une plus grande intelligence augmente les chances de présenter au moins un talent. En revanche, une intelligence plus faible, mais se situant tout de même dans les limites de la normale, est associée à un profil cognitif plus hétérogène avec des forces perceptives plus fréquentes.
En somme, l’intelligence autistique serait caractérisée par un rôle plus important de la perception, indépendamment des surfonctionnements perceptifs. Cette particularité cognitive se manifesterait par la présence d’un facteur plurimodal, « p », spécifique à l’autisme. Théoriquement, le facteur « p » reflèterait des modifications innées (ou « hardwired ») dans l’organisation corticale des microcircuits responsables de l'encodage des dimensions perceptives élémentaires. En revanche, une faible association intermodale entre les forces perceptives suggère que des modifications corticales sont essentielles, mais non suffisantes pour le développement d’habiletés exceptionnelles. Par des processus de plasticité, des modifications corticales auraient des répercussions sur le phénotype autistique en offrant une base plus « fertile » pour le développement d’habiletés exceptionnelles, voire savantes, lorsque la personne autiste serait exposée à des expériences de vie avantageuses. Par ailleurs, les résultats de cette thèse, combinés à la littérature existante sur l’intelligence et l’apprentissage des personnes autistes, nous amènent à réfléchir sur les approches d’évaluation et d’intervention les mieux adaptées au fonctionnement spécifique de cette population clinique. Perception is increasingly recognized as a fundamental aspect of the autism phenotype. Kanner’s (1947) seminal description of autism highlights a heterogeneous cognitive profile characterized by exceptional skills within specific areas of perception (e.g., music). The accumulation of clinical observation on the presence of perceptual atypicalities led to the elaboration of empirical studies designed to objectify enhanced perceptual functioning in autism. Meanwhile, cognitive studies suggest the presence of a "different intelligence" in autism. Autistic intelligence would be characterized by a dissociation of performance between intelligence tests that are strongly correlated together in typical individuals. Research suggests that using tools posing higher demands on verbal skills, such as Wechsler Intelligence scale rather than measures of fluid intelligence, such as Raven Progressive Matrices, would results in an underestimation of autistics’ intellectual potential. With the support of imaging studies, these results suggest a unique relationship between perception and intelligence in this clinical population.
Given the accumulating evidence on 1) the presence of perceptual atypicalities, 2) the different role of perception cognition, and 3) the importance of "repetitive behaviours and restricted interests" in the autistic phenotype (DSM-5), the first part of this thesis is interested in the differential relationship between perceptual performance in autism and controls with typical development, beyond what is explained by intelligence. Using linear regression models, results show a profile of plurimodal covariation specific to autism. Unlike control subjects, this association persists beyond what is explained by general intelligence or the overall effectiveness of perceptual systems. This finding is interpreted as an indication of a specific plurimodal factor in autism: the "p" factor.
The second part of this dissertation is interested in the prevalence of exceptional skills, the relationship between perceptual strengths and talents, and the predisposing factors related to the development of exceptional skills. Perceptual strengths were evaluated using experimental tasks sensitive for the detection of enhanced perceptual functioning: a pitch discrimination task and a modified version of Wechsler’s block design test. Talents were evaluated clinically using the Autism Diagnostic Interview-Revised (ADI-R). Results show that 88.4% of people with autism and normal intelligence had at least one exceptional skill (perceptual strengths or talent). Talents were reported in 62.5% of cases and perceptual strengths were found in 58% of cases. The co-occurrence of perceptual strengths across modalities was relatively infrequent (24% to 27%) and the presence of a talent in one modality did not increase the chances of presenting another perceptual strength in the same modality. Greater intelligence increased the chances of presenting at least one talent. In contrast, lower intelligence, still within the normal range, was associated with a more heterogeneous cognitive profile and more frequent perceptual strengths.
In sum, autistic intelligence is characterized by a greater role of perception, regardless of enhanced perceptual functioning. This cognitive characteristic is manifested by a specific autism plurimodal factor "p". Theoretically, the factor "p" reflects hardwired alterations in cortical microcircuits organization responsible for the encoding of basic perceptual dimensions. In contrast, weak association between perceptual strengths across modalities suggests that cortical changes would be essential, but not sufficient for the development of exceptional skills. By processes of plasticity, cortical changes would affect the autistic phenotype, offering more "fertile" grounds for the development of exceptional skills. Exceptional skills would develop in autistics exposed to life experiences adapted to their cognitive style. The findings of this dissertation combined with current literature on intelligence and learning lead us to reflect on assessment and intervention approaches most adapted to autistics’ specific cognitive style.
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